Lettre 9

De Spinoza et Nous.
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Lettre 9

de Spinoza à Simon de Vries

1663



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Autres œuvres

Au très savant jeune homme Simon de Vries

Benoît de Spinoza.

Réponse à la précédente

Mon ami,

J’ai reçu votre lettre attendue depuis longtemps et vous en remercie très vivement ; votre longue absence ne m’est pas moins pénible qu’à vous-même et je suis heureux que les produits modestes de mes recherches vous soient utiles, ainsi qu’à vos amis. Je continuerai ainsi à vous parler en dépit de la distance. Vous n’avez pas de raison de porter envie à Casearius ; nul être ne m’est plus à charge et il n’est personne de qui je me garde autant. Je vous avertis donc et voudrais que tous fussent avertis qu’il ne faut pas lui communiquer mes opinions, si ce n’est plus tard quand il aura mûri. Il est encore trop enfant et trop inconsistant, plus curieux de nouveauté que de vérité. J’espère cependant qu’il se guérira, dans quelques années, de ces défauts de jeunesse, je dirai plus, autant que j’en puis juger par ce que je sais de son naturel, je tiens pour presque certain qu’il s’en guérira, et pour cette raison son caractère m’invite à l’aimer.

Quant aux questions proposées dans votre collège (dont la règle me paraît sagement instituée), je vois que vous êtes arrêtés parce que vous ne distinguez pas entre les genres de définitions. Je veux dire entre une définition s’appliquant à une chose dont on recherche seulement l’essence et une définition que l’on pose pour être seulement examinée. La première sorte de définition, parce qu’elle a un objet déterminé, doit être vraie ; il n’en est pas de même de la deuxième sorte. Par exemple, si l’on me demande une description du temple de Salomon, je devrai en donner une description vraie, à moins que je ne veuille plaisanter. Mais si j’ai tracé dans mon esprit le plan d’un temple que je désire édifier et si, de la description de ce temple, je conclus que j’ai besoin de tel fonds de terre, qu’il me faut acheter tant de milliers de pierres et d’autres matériaux, une personne saine d’esprit me dira-t-elle jamais que la conclusion est mauvaise, parce que j’ai usé d’une définition fausse ? Quelqu’un exigera-t-il de moi que je prouve la vérité de ma définition ? Ce serait me dire que je n’ai pas conçu ce que j’ai conçu, ou exiger de moi que je prouve que j’ai conçu ce que j’ai conçu ; ce sont là des sornettes.

Ainsi, ou bien ma définition fait connaître une chose telle qu’elle est hors de l’entendement et alors elle doit être vraie et ne diffère pas d’une proposition ou d’un axiome, sauf en ce que la définition s’applique seulement aux essences des choses ou des affections des choses, tandis que l’axiome a une extension plus grande comprenant les vérités éternelles. Ou bien une définition fait connaître une chose telle qu’elle est conçue par nous ou peut l’être. En pareil cas, une définition diffère d’un axiome et d’une proposition en ce qu’on doit exiger seulement qu’elle soit conçue absolument et non, à la manière d’un axiome, comme une vérité. Une mauvaise définition est donc une définition qui ne se conçoit pas. Pour le faire entendre, je prendrai l’exemple de Borelli : deux lignes droites enfermant un espace sont dites lignes formant une figure. Si, quand on a parlé ainsi, on entend par ligne droite ce que tous entendent par ligne courbe, la définition est bonne (on entendrait par cette définition une figure telle que ( ) ou d’autres semblables), pourvu que par la suite on n’entende pas des carrés ou d’autres figures. Mais si par ligne droite on entend ce que l’on entend communément, la chose est entièrement inconcevable et il n’y a donc point de définition. Tout cela est confondu par Borelli dont vous êtes disposés à admettre l’opinion. J’ajoute un autre exemple, celui que vous proposez vers la fin. Si je dis que chaque substance n’a qu’un seul attribut, c’est une simple proposition et une démonstration est nécessaire. Mais si je dis : j’entends par substance ce qui se compose d’un attribut unique, la définition sera bonne, pourvu qu’ensuite les choses composées de plusieurs attributs soient désignées par un nom autre que celui de substance.

Pour ce que vous dites que je n’ai pas démontré que la substance ou l’être peut avoir plusieurs attributs, c’est peut-être que vous n’avez pas voulu être attentifs aux démonstrations. J’en ai donné deux en effet. 1° S’il y a quelque chose d’évident pour nous c’est que tout être est conçu par nous sous quelque attribut, et plus un être a de réalité ou d’être, plus il faut lui reconnaître d’attributs. Par suite un être absolument infini doit être défini, etc. 2° Démonstration que je crois la meilleure : plus j’ai accordé d’attributs à un être, plus je suis obligé de lui accorder d’existence, c’est-à-dire plus je le conçois comme une vérité : ce serait tout le contraire si j’avais forgé une chimère ou quoi que ce fût de semblable.

Quant à ce que vous dites que vous ne concevez pas la pensée sinon sous forme d’idées parce que, supprimant les idées, vous détruisez la pensée, je crois que cela vous arrive par un retour sur vous-même, chose pensante que vous videz de toutes ses pensées et de tous ses concepts. Il n’est pas étonnant que, mettant à part toutes vos pensées, il ne vous reste ensuite rien que vous puissiez penser. Pour ce qui est de la thèse que je soutiens, je pense avoir démontré assez clairement et avec assez d’évidence que l’intellect, bien qu’infini, appartient à la nature naturée, non à la naturante. Je ne vois pas, ajouté-je, quel rapport cela peut avoir avec la troisième définition et pourquoi cette définition vous arrête. La définition telle que je vous l’ai communiquée, sauf erreur, s’énonce comme il suit : J’entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’enveloppe pas le concept d’une autre chose. Par attribut j’entends la même chose à cela près que le terme d’attribut s’emploie par rapport à l’entendement qui attribue à une substance telle nature déterminée. Cette définition, dis-je, explique avec une clarté suffisante ce que je veux entendre par substance ou attribut.

Vous désirez cependant, bien que cela ne soit guère utile, que je montre par un exemple comment une seule et même chose peut être désignée par deux noms. Pour ne point paraître lésiner j’en donnerai deux : j’entends par Israël le troisième patriarche, et par Jacob le même personnage auquel le nom de Jacob a été donné parce qu’il avait saisi le talon de son frère. J’entends par plan ce qui réfléchit tous les rayons lumineux sans altération ; j’entends par blanc la même chose à cela près que l’objet est dit blanc par un homme qui regarde le plan.


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