Lettre 6

De Spinoza et Nous.
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Lettre 6

de Spinoza à Oldenburg

1661



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Epistolae

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Autres œuvres


À Monsieur Henri Oldenburg,
B. de Spinoza.

Réponse à la précédente

Monsieur,

J’ai reçu le livre du très habile Boyle et l’ai feuilleté autant que mes loisirs me l’ont permis. Je vous suis très obligé de ce présent. J’avais bien pensé, quand vous me l’avez promis, que seul un objet de grande importance pouvait vous occuper l’esprit. Vous voulez cependant que je vous envoie mon jugement sur cet écrit, je le ferai autant que ma faiblesse me le permettra, c’est-à-dire que je vous signalerai certains points, à mon avis, obscurs ou moins bien établis. Mes occupations ne m’ont pas laissé jusqu’à présent le temps de tout lire, encore bien moins de tout examiner. Voici maintenant ce que j’ai à observer touchant le salpêtre.

Sommaire

Du salpêtre

L’auteur conclut de son expérience sur la reproduction du salpêtre que ce corps est un composé de parties fixes et de parties volatiles dont la nature (au moins pour ce qui touche les caractères apparents) diffère beaucoup de celle de ses parties, bien qu’il tire son origine de leur seul mélange. Pour que cette conclusion soit justifiée, quelque expérience nouvelle me paraît nécessaire, expérience montrant que l’esprit de nitre n’est pas réellement du salpêtre, et qu’il ne peut, sans l’aide de quelque sel extrait de la cendre, être solidifié ni cristallisé. Au moins faudrait-il rechercher si la quantité de sel fixe qui reste dans le creuset, est toujours la même pour une même quantité de salpêtre et augmente proportionnellement, quand cette quantité augmente.

Et pour ce que l’illustre auteur dit avoir reconnu à l’aide de la balance et aussi concernant ces caractères apparents par où l’esprit de nitre serait tellement différent du salpêtre ou même lui serait opposé, je ne trouve rien, quant à moi, qui confirme cette conclusion. Pour le montrer je vais exposer brièvement ce qui me semble devoir expliquer le plus simplement le phénomène de la reproduction du salpêtre, et à mon exposition j’ajouterai deux ou trois exemples propres à confirmer en quelque mesure mon explication. Pour rendre compte donc de ce phénomène le plus simplement, je ne supposerai aucune différence entre l’esprit de nitre et le salpêtre, si ce n’est celle qui est assez manifeste : à savoir que les particules du salpêtre sont en repos, tandis que celles de l’esprit, qui sont en mouvement, s’entrechoquent les unes les autres.

Pour ce qui est du sel fixe je supposerai qu’il ne contribue en rien à former l’essence du salpêtre, mais le considérerai comme une impureté dont l’esprit de nitre (je crois l’avoir constaté) n’est pas entièrement libéré, car elle continue à se mêler à lui, à la vérité dans un état d’extrême division. Ce sel, cette impureté a des pores, c’est-à-dire des excavations à la dimension des particules de salpêtre.

Mais la force du feu rend, au moment où les particules du salpêtre en sont chassées, certains de ces pores plus étroits, d’autres conséquemment plus larges et la matière elle-même, je veux dire les parois de ces pores, devient rigide et en même temps très fragile, de sorte que, quand l’esprit de nitre se divise en gouttelettes, certaines de ces particules pénétrant avec force dans des pores rétrécis dont les parois sont d’épaisseur inégale, ainsi que l’a bien montré Descartes, elles courbent les formes dures de ces parois précédemment rigides avant de les briser, puis, après les avoir brisées, elles en font éclater les fragments et, conservant le mouvement qu’elles avaient, sont, de même qu’auparavant, hors d’état de se fixer et de cristalliser.

Quant aux particules d’esprit de nitre qui pénètrent dans les pores plus larges, comme elles n’en touchent pas les parois, elles sont naturellement entourées de quelque matière très subtile et par elle chassées vers le haut, comme le sont les petits fragments de bois par la flamme et la chaleur, et ainsi s’envolent en fumée. Si elles sont en assez grand nombre ou s’unissent aux fragments des parois et aux particules qui ont pénétré dans les pores rétrécis, elles forment des gouttelettes se portant vers le haut. Mais si le sel fixe est relâché par son mélange avec l’air ou l’eau[1], et ainsi amolli, il acquiert le pouvoir d’arrêter le mouvement des particules de salpêtre et de les obliger à se fixer, après avoir perdu leur mouvement. C’est ainsi qu’un boulet de canon s’arrête quand il pénètre dans une couche de sable ou de boue. C’est dans cette seule fixité des particules de l’esprit de nitre que consiste la reproduction du salpêtre et, ainsi qu’il résulte de cette explication, le sel fixe joue seulement le rôle d’un instrument. [Voilà pour ce qui concerne la reproduction[2].]

Voyons maintenant, si vous voulez bien : 1° Pourquoi l’esprit de nitre et le salpêtre lui-même diffèrent tant l’un de l’autre par la saveur ; 2° Pourquoi le salpêtre est inflammable, tandis que l’esprit de nitre ne l’est nullement ? Pour entendre le premier point il faut considérer que des corps en mouvement ne viennent jamais en contact avec d’autres corps par leurs surfaces les plus étendues, tandis que des corps au repos s’appuient sur d’autres par leurs surfaces les plus larges. C’est pourquoi les particules de salpêtre, quand à l’état de repos elles sont placées sur la langue, en bouchent les pores, ce qui est une cause de froid ; à quoi il faut ajouter que la salive ne peut dissoudre le salpêtre en parties aussi petites que le fait le feu. Au contraire quand ces particules sont animées d’un mouvement rapide, placées sur la langue elles viennent en contact avec elles par leurs parties aiguës, pénétrant dans ses pores, et plus leur mouvement sera rapide, plus la piqûre sera pénétrante ; c’est de la même façon qu’une aiguille provoque des sensations différentes suivant qu’elle touche la langue par la pointe ou s’appuie sur elle dans le sens de la longueur.

La raison pourquoi le salpêtre est inflammable tandis que l’esprit de nitre ne l’est pas, c’est que les particules de salpêtre, quand elles sont au repos, sont plus difficilement poussées vers le haut par le feu que lorsqu’elles ont un mouvement propre dirigé dans tous les sens. Elles résisteront donc au feu jusqu’à ce qu’il les sépare les unes des autres et les enveloppe de toutes parts. Alors il les entraîne avec lui jusqu’à ce qu’elles aient acquis un mouvement propre et s’envolent en fumée. Au contraire, les particules de l’esprit de nitre étant déjà en mouvement et séparées les unes des autres, il suffit de fort peu de chaleur pour les porter à une distance plus grande dans toutes les directions, et de la sorte une partie d’entre elles s’en iront en fumée, tandis que d’autres pénètrent dans la matière qui alimente le feu avant d’être de toutes parts enveloppées par la flamme, et ainsi elles éteignent le feu plutôt qu’elles ne l’avivent.

Je passe aux expériences qui me semblent confirmer cette explication. 1° je constate que les particules du salpêtre, qui s’en vont en fumée en déflagrant, sont du salpêtre pur ; en effet, ayant à plusieurs reprises fait fondre du salpêtre dans un creuset, jusqu’à ce qu’il devienne incandescent, j’ai recueilli la fumée dans une ampoule de verre soigneusement refroidie, jusqu’à ce qu’elle en soit toute recouverte, puis j’ai encore humecté cette coupelle avec mon haleine et enfin je l’ai exposée à l’air froid[3] pour la sécher. Cela fait, de petits cristaux de salpêtre apparurent sur la coupelle. Mais peut-être la présence de ces cristaux n’était-elle pas due aux seules particules volatiles, peut-être la flamme avait-elle entraîné avec elle des parties entières de salpêtre (je conforme ici mon langage à l’opinion de M. Boyle) et avait-elle chassé les parties fixes avant leur dissolution, en même temps que les volatiles ?

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Pour écarter cette objection possible j’ai fait passer la fumée par un tube A de plus d’un pied de long, comme par une cheminée, de façon que les parties plus pesantes restassent fixées aux parois du tube et que je ne pusse recueillir à son extrémité rétrécie B que les parties les plus volatiles. L’expérience réussit néanmoins, comme je l’ai indiqué plus haut, et j’avais pris une petite quantité de salpêtre pour que la flamme fût moins vive. Je n’ai cependant pas voulu m’en tenir là et, pour pousser plus loin mon investigation, j’ai pris une plus grande quantité de salpêtre, je l’ai fait fondre, l’ai enflammée avec un charbon incandescent, comme précédemment j’ai placé un tube A sur le creuset et, aussi longtemps que la flamme a duré, j’ai tenu en regard de l’ouverture B un morceau de verre plan sur lequel se déposa une certaine matière. Exposée à l’air cette matière devenait déliquescente, ce qui m’a fait conjecturer qu’elle se composait de parties fixes du sel, mais, malgré plusieurs jours d’attente, aucun des caractères du salpêtre n’y put être observé. En revanche quand je l’eus arrosée d’esprit de nitre elle se changea en salpêtre. De là je crois pouvoir conclure :
1° qu’au moment de la fusion les parties fixes sont séparées des volatiles et que la flamme les chasse vers le haut à l’état de séparations ;
2° qu’après que les parties fixes se sont séparées des volatiles dans la déflagration, elles ne peuvent pas se réunir à elles de nouveau ; d’où il suit :
3° que les parties qui se sont déposées sur la coupelle et ont formé de petits cristaux, n’étaient pas les parties fixes mais seulement les parties volatiles.
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La deuxième expérience (par laquelle je crois pouvoir montrer que les parties fixes ne sont autre chose qu’une impureté du salpêtre) consiste dans cette constatation, faite par moi, que plus complète est la défécation du salpêtre, plus aussi il est volatile et capable de cristalliser. Quand, en effet, je place des cristaux de salpêtre, après défécation et filtrage, dans un vase de verre tel que A, et qu’ensuite j’y verse un peu d’eau froide, aussitôt il s’évapore en partie, et des particules restent adhérentes aux bords inférieurs du vase et forment des cristaux.

La troisième expérience qui me paraît indiquer que les particules d’esprit de nitre, sitôt qu’elles perdent leur mouvement, deviennent inflammables, est la suivante : je reçois des gouttelettes d’esprit de nitre dans une enveloppe de carton humide, je l’asperge ensuite de sable, de façon que l’esprit de nitre se loge dans les interstices compris entre les grains de sable. Quand le sable l’a absorbé presque en totalité, je le fais bien sécher dans cette même enveloppe, à la chaleur du feu ; après quoi, je rejette ce sable et j’introduis un charbon incandescent. Sitôt que le charbon commence à brûler, il s’y produit un crépitement d’étincelles, comme lorsqu’il a absorbé du salpêtre. J’aurais joint à cette constatation d’autres faits encore qui, peut-être, renseigneraient plus complètement sur ce phénomène, si j’avais pour faire de nouvelles expériences plus de facilité. D’autres soins m’en détournant, je renverrai cela à plus tard, avec votre permission, et je passerai à d’autres observations.

§ 5. - Dans le passage où l’illustre auteur traite, en passant, de la configuration des particules du salpêtre, il reproche à certains modernes de l’avoir représentée inexactement, et je ne sais si parmi eux il comprend aussi Descartes. S’il en est ainsi, peut-être l’accuse-t-il sur des paroles dites par d’autres. Car Descartes ne parle pas des particules visibles, et je ne puis croire que l’illustre auteur ait voulu dire que, si les petits cristaux de salpêtre étaient taillés en parallélépipèdes ou suivant une autre figure, ils dussent cesser d’être du salpêtre. Mais, peut-être, son observation vise-t-elle certains chimistes qui n’admettent rien sinon ce qu’ils peuvent voir de leurs yeux et tâter de leurs mains.

§ 9. - Si cette expérience pouvait être faite avec soin, elle confirmerait entièrement ce que je voulais conclure de l’expérience mentionnée ci-dessus.

§ 13. - Jusqu’au § 18, l’illustre auteur s’efforce de montrer que toutes les qualités tactiles dépendent du seul mouvement de la figure et d’autres affections mécaniques ; ces démonstrations toutefois n’étant pas proposées par lui comme mathématiques, point n’est besoin d’examiner si elles sont entièrement convaincantes. Je ne sais cependant pas pourquoi il se donne tant de mal pour tirer cela de son expérience alors que Verulam et ensuite Descartes l’ont plus que suffisamment démontré. Et je ne vois pas non plus que son expérience nous fournisse une preuve plus éclatante que d’autres très banales. Car, pour ce qui est de la chaleur, cela ne ressort-il pas clairement de ce fait qu’en frottant l’un contre l’autre des morceaux de bois, la flamme jaillit du seul mouvement ? ou encore de ce que la chaux s’échauffe quand on l’arrose d’eau ? Quant au son, je ne vois pas qu’il y ait dans l’expérience de M. Boyle rien de plus remarquable que dans l’ébullition de l’eau ordinaire et dans bien d’autres cas. Pour la couleur qui est changée par une affusion d’esprit de nitre, ne voulant rien avancer que ce qui peut être prouvé, je me bornerai à dire que nous voyons tous les végétaux changer de couleur et de tant et tant de façons. Les corps qui exhalent une mauvaise odeur, dirai-je encore, deviennent plus malodorants quand on les remue, surtout si on les chauffe légèrement. Enfin le vin doux se change en vinaigre et ainsi de suite. C’est pourquoi je juge superflues toutes ces considérations (s’il m’est permis d’user ici de la liberté qui convient aux philosophes. Je dis cela craignant que ceux, qui n’ont pas pour l’illustre auteur autant d’amitié qu’il en mérite, ne jugent mal de lui)[4].

§ 24. - J’ai déjà parlé de la cause de ce phénomène ; j’ajouterai seulement que, je l’ai constaté une fois, des particules de sel fixe sont mêlées à ces gouttelettes salines. Car disposant pour les recueillir, au moment où elles s’échappaient vers le haut, un morceau de verre plan et l’ayant chauffé de façon que tout ce qu’il pouvait y avoir de volatile dans la substance recueillie fût emporté, j’ai vu, adhérente au verre, une matière blanchâtre un peu épaisse.

§ 25. - Dans ce paragraphe M. Boyle paraît vouloir démontrer que les parties alcalines sont emportées, de côté et d’autre, par l’impulsion qu’elles reçoivent des particules salines, tandis que ces dernières s’élèvent dans l’air par leur propre mouvement. Pour moi j’ai dit, pour expliquer ce phénomène, que les particules d’esprit de nitre acquièrent un mouvement plus vif du fait que, lorsqu’elles pénètrent dans des ouvertures plus larges, elles doivent être nécessairement entourées de quelque matière très subtile et poussées vers le haut, comme des particules de bois le sont par le feu, tandis que les particules alcalines ont reçu leur mouvement de la poussée des particules d’esprit de nitre qui passent par les ouvertures plus étroites. J’ajouterai ici que l’eau pure ne peut pas si facilement dissoudre et rendre libres les parties fixes. Il n’y a donc pas à s’étonner qu’une addition d’esprit de nitre dans une solution aqueuse de sel fixe y produise une effervescence comme celle dont parle M. Boyle au § 24 : bien mieux, je pense que cette effervescence doit être plus vive en pareil cas que si l’esprit de nitre était versé goutte à goutte sur le sel fixe encore compact. Dans l’eau, en effet, le sel fixe se dissout en très petites masses, qui peuvent être plus facilement entraînées et se meuvent plus librement.

§ 26. - J’ai déjà parlé de la saveur de l’esprit acide, je n’ai donc à m’occuper que du seul alcali. En le posant sur la langue j’ai senti une chaleur que suivait une piqûre. Cela me fait connaître que c’est une certaine sorte de chaux ; comme la chaux, en effet, avec l’aide de l’eau, ce sel, avec l’aide de la salive, de la sueur, de l’esprit de nitre et peut-être aussi de l’air humide, s’échauffe.

§ 27. - Si une particule de matière se joint à une autre, il ne s’ensuit pas toujours qu’elle acquière une configuration nouvelle, mais seulement qu’elle devient plus grande et cela suffit pour produire l’effet qu’étudie M. Boyle dans ce paragraphe, c’est-à-dire pour qu’elle attaque l’or, ce qu’elle ne faisait pas auparavant.

§ 33. - Je dirai mon sentiment sur la façon de philosopher de M. Boyle, quand j’aurai vu la dissertation dont il est fait mention dans ce paragraphe et dans la préface, page 23.

De la fluidité

§ 1. - Il est suffisamment établi que ces caractères (tels que la fluidité, la solidité) doivent être rangés au nombre des affections les plus générales, etc. - Pour ma part, je ne suis pas d’avis que l’on range parmi les genres suprêmes les notions que forme le vulgaire sans méthode et qui représentent la nature, non telle qu’elle est en elle-même, mais par rapport à nos sens, et je ne veux pas qu’on les mêle (pour ne pas dire qu’on les confonde) avec les notions claires qui expliquent la nature telle qu’elle est en elle-même. De ce genre sont le mouvement, le repos et leurs lois ; au contraire, le visible, l’invisible, le chaud, le froid et aussi, je ne craindrai pas de le dire, le fluide et le solide rentrent dans la classe des notions dues à l’usage des sens.

§ 5. - La première cause de fluidité est la petitesse des parties composantes, car dans celles qui sont plus grandes, etc. - Bien que petits, des corps ont, ou peuvent avoir, des surfaces inégales et des aspérités. Si donc de grands corps étaient mus avec une vitesse qui fût avec leur masse dans le même rapport que la vitesse des petits corps l’est avec leur masse, ils devraient être appelés fluides, si ce mot de fluide n’était pas une dénomination extrinsèque et n’était pas employé par le vulgaire pour désigner seulement des corps en mouvement dont la petitesse et les interstices échappent aux sens. Il revient ainsi au même de diviser les corps en fluides et solides et en visibles et invisibles.

Même paragraphe. - A moins que nous ne puissions le prouver par les expériences chimiques. - Jamais personne ne réussira à le prouver par des expériences chimiques ni par aucune sorte d’expériences, mais seulement par un raisonnement démonstratif et le calcul. Par le raisonnement en effet nous divisons les corps à l’infini et conséquemment aussi les forces requises pour les mouvoir ; mais nous ne pourrons jamais prouver cela par des expériences.

§ 6. - Les grands corps sont très peu aptes à former des fluides, etc. - Que l’on entende par fluide ce que j’ai dit tout à l’heure ou non, la chose est évidente de soi. Mais je ne vois pas comment M. Boyle le prouve par les expériences alléguées dans ce paragraphe. En effet, dirai-je, puisque l’on veut tenir pour douteuse une chose certaine, si peu aptes que soient les os à former du chyle ou quelque liquide semblable, peut-être seraient-ils aptes à former une nouvelle sorte de liquide encore inconnue de nous.

§ 10. - Et cela tandis qu’il les rend moins flexibles qu’auparavant, etc. - Sans aucun changement des parties mais par le fait seul que celles qui sont repoussées dans le récipient étaient séparées des autres, elles ont pu se coaguler en un autre corps plus consistant que l’huile. Car le même corps est plus léger ou plus lourd, suivant la constitution et la nature des liquides dans lesquels il est plongé. C’est ainsi que des particules de beurre, tant qu’elles flottent dans le petit lait, forment une partie du lait. Mais, quand le lait complet acquiert, par son agitation dans la baratte, un mouvement nouveau auquel toutes ses parties composantes ne peuvent se prêter également, cela seul fait que les parties du beurre deviennent trop légères pour constituer un liquide avec le petit lait et en même temps trop lourdes pour former un fluide (volatile) avec l’air. Et comme elles sont de configuration irrégulière, ainsi qu’il apparaît du fait qu’elles n’ont pu se prêter au mouvement des particules du petit lait, elles ne peuvent pas non plus former à elles seules un liquide, mais elles s’appuient et adhèrent les unes aux autres. Les vapeurs aussi quand elles sont séparées de l’air, se changent en eau et l’eau peut être dite consistante, comparée à l’air.

§ 14. - Et je prends comme exemple une vessie gonflée d’eau plutôt qu’une vessie pleine d’air, etc. - Comme les particules d’eau ne cessent d’être agitées en divers sens, il est clair que, si elles ne sont pas comprimées par les corps qui les environnent, l’eau se répand dans tous les sens [ou, ce qui revient au même, qu’elle aura une force élastique][5].

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En quoi cependant la distension d’une vessie pleine d’eau peut servir à confirmer une opinion sur les espaces intermoléculaires, je confesse ne pouvoir du tout le percevoir. La raison, en effet, pour laquelle les particules d’eau ne cèdent pas à la pression du doigt s’exerçant sur les parois de la vessie, comme elles le feraient si elles étaient libres, c’est qu’il n’y a pas équilibre, comme c’est le cas quand un corps, par exemple notre doigt, est entouré d’un liquide de toutes parts. Mais quelque comprimée que l’eau soit de toutes parts dans la vessie, ses particules se prêteront au mouvement d’une pierre contenue également dans la vessie, comme elles le feraient hors de la vessie.

Même paragraphe. - Existe-t-il une portion de matière ? etc. - Il faut répondre affirmativement, à moins qu’on ne veuille admettre un progrès à l’infini ou accorder l’existence du vide, ce qui est la plus grande absurdité.

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§ 19. - De façon que les particules trouvent accès dans les pores et y soient retenues (par où il arrive, etc.). - Cela ne peut pas être affirmé sans réserves de tous les liquides trouvant accès dans les pores d’autres corps. Car les particules d’esprit de nitre, si elles pénètrent dans les pores d’un papier blanc, le rendent raide et cassant ; on peut en faire l’expérience en versant quelques gouttes sur une capsule de terre portée au rouge, telle que A, et en s’arrangeant pour que la fumée s’échappe à l’ouverture d’un cornet de papier B. Il faut observer en outre que l’esprit de nitre ramollit le cuir sans le mouiller, au contraire le cuir se contracte comme sous l’effet du feu.

Même paragraphe. - Et la nature a disposé avec tant de prévoyance leurs plumes pour le vol, la nage, etc. - La cause est ici cherchée dans la fin.

§ 23. - Bien que le mouvement soit rarement perçu par nous. Qu’on prenne en effet, etc. - Sans cette expérience et sans aucune dépense la chose apparaît clairement par le fait que l’haleine, qui en hiver est assez visible, cesse de l’être en été ou dans une chambre chauffée. En outre, si en été l’air se refroidit subitement, les vapeurs ne pouvant, comme avant ce refroidissement, se répandre dans l’air devenu plus dense, se rassemblent à la surface de l’eau en une masse telle qu’elles y deviennent visibles pour nous. En outre, le mouvement est souvent trop lent pour être perçu par nous, comme c’est le cas pour l’ombre portée du gnomon dans un cadran solaire, et très souvent la rapidité du mouvement a le même effet, par exemple quand on fait tourner en cercle avec quelque vitesse un flambeau allumé : nous imaginons alors que le flambeau allumé est au repos dans tous les points de la circonférence qu’il décrit. Je pourrais indiquer les causes de cette illusion si je ne le jugeais superflu. Enfin, pour le dire en passant, il suffit, pour comprendre la nature d’un fluide en général, de savoir que nous pouvons mouvoir dans toutes les directions, sans résistance aucune, notre main dans un fluide avec un mouvement proportionné au fluide, comme il est assez évident pour tous ceux qui s’attachent aux notions rendant compte de la nature telle qu’elle est en elle-même et non relativement à nos sens. Cette seule observation, je le répète, fait connaître entièrement la nature du fluide ; toutefois, je ne tiens pas ce récit d’expérience pour inutile et ne le méprise pas ; mais au contraire, faites au sujet de chaque liquide avec le plus grand soin et la plus grande loyauté, ces observations me paraîtraient extrêmement utiles pour connaître les différences qu’il y a de l’un à l’autre, ce qui répond au désir de tous les philosophes.

Sur la solidité

§ 7. - Aux lois générales de la nature. - Il existe une démonstration de Descartes et je ne vois pas que l’illustre auteur tire de ses expériences ou observations aucune démonstration véritable.

J’avais relevé, ici et dans les paragraphes suivants, un grand nombre de points, mais j’ai vu ensuite que l’auteur se corrigeait lui-même.

Fig. 1
§ 16. - Et une fois quatre cent trente-deux . - Si l’on compare avec cela le poids de vif-argent contenu dans le tube, on se rapproche du poids véritable. Toutefois je crois qu’il vaudrait la peine d’examiner cela de plus près, de façon à rendre possible la comparaison entre la pression de l’air sur les côtés (en suivant une ligne parallèle à l’horizon) et la pression suivant une ligne perpendiculaire à l’horizon, ce qui se pourrait faire, je pense, de la manière suivante :

Soit, dans la figure 1, CD une surface plane polie avec le plus grand soin, A et B deux morceaux de marbre appliqués l’un sur l’autre. Le marbre A est fixé par le milieu à un crochet E, B attaché à une corde ; T est une poulie, G un poids qui montre quelle force est nécessaire pour écarter le marbre B du marbre A suivant une ligne parallèle à l’horizon.

Fig. 2
Dans la figure 2, soit F un fil de soie assez fort par lequel le marbre B est retenu au sol. D est une poulie, G un poids qui montre quelle force est nécessaire pour écarter le marbre A de B suivant une ligne perpendiculaire à l’horizon.

[Voilà, très cher ami, les observations que je trouve à faire au sujet des expériences de M. Boyle. Pour ce qui touche votre première question, quand je parcours les réponses que j’y ai faites, je ne vois pas que j’aie rien omis. Et, si par hasard j’avais énoncé quelque proposition obscure (comme il m’arrive en raison de la pauvreté du langage), je vous prie de vouloir bien me l’indiquer ; je ferai en sorte d’exposer plus clairement mon idée.

Quant à votre nouvelle question au sujet de l’origine des choses et du lien qui les rattache à la cause première, j’ai composé sur ce sujet et aussi sur la purification de l’entendement un ouvrage entier ; je suis occupé à l’écrire et à le corriger. Mais j’abandonne parfois cet ouvrage, parce que je n’ai pas de décision prise au sujet de sa publication. Je crains, en effet, que les théologiens de notre temps n’en soient offusqués et qu’ils ne m’attaquent de la façon haineuse dont ils sont coutumiers, moi qui ai les polémiques en horreur. Je prendrai en considération vos conseils touchant cette affaire et pour que vous sachiez quelle thèse contenue dans mon ouvrage peut déplaire aux prédicants, je vous dirai que je considère comme des créatures beaucoup de propriétés attribuées à Dieu par eux et par tous les auteurs de moi connus, tandis que je considère comme des attributs de Dieu d’autres choses considérées par eux, en vertu de préjugés, comme des choses créées, et m’applique à montrer qu’ils ne les entendent pas bien. En outre je n’établis pas entre Dieu et la nature la même séparation que les auteurs à ma connaissance ont établie. Je demande donc votre avis, voyant en vous un ami très fidèle dont il y aurait crime à mettre la loyauté en doute. Portez-vous bien cependant et continuez à aimer, comme vous l’avez fait, votre tout dévoué
Benoît Spinoza][6].


Notes

  1. Demandez-vous pourquoi, quand l’esprit de nitre se répand dans le sel fixe dissous, il se produit de l’effervescence ? Lisez alors ma note au § 24. (Note de l'auteur, Spinoza.)
  2. Les mots mis entre crochets manquent dans le manuscrit de Londres. (Note du traducteur, Charles Appuhn.
  3. Quand j’ai fait cette expérience l’atmosphère était très sereine. n.d.a.
  4. J’ai à dessein omis les mots contenus dans la parenthèse dans la Lettre que j’ai envoyée. n.d.a
  5. Les mots mis entre crochets ne se trouvent pas dans les Opera posthuma n.d.t..
  6. Tout le passage mis entre crochets manque dans les Opera posthuma n.d.t..


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