Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII

De Spinoza et Nous.
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Pensées métaphysiques


Baruch Spinoza


Deuxième partie, chapitre VII :
De l'entendement de Dieu



Sommaire

Dieu est omniscient.

Au nombre des attributs de Dieu nous avons rangé précédemment l’Omniscience qu'il est assez certain qui appartient à Dieu ; puisque la science contient en elle une perfection et que Dieu, c'est-à-dire l'être souverainement parfait, ne doit être privé d'aucune perfection ; donc la science doit être attribuée à Dieu au suprême degré, telle qu'elle ne présuppose ou n'implique aucune ignorance ou privation de science ; car autrement il y aurait une imperfection dans cet attribut, c'est-à-dire en Dieu. D'où vient que Dieu n'a jamais eu l'entendement en puissance ni n'a conclu quelque chose par raisonnement.

Ce ne sont pas des choses extérieures à Dieu qui sont l'objet de la science de Dieu.

Il suit encore de la perfection de Dieu que ses idées ne sont pas déterminées, comme les nôtres, par des objets placés hors de lui. Mais au contraire les choses créées par Dieu, hors de Dieu, sont déterminées par l'entendement de Dieu[1], car autrement les objets auraient par eux-mêmes leur nature et leur essence et seraient antérieurs, au moins par nature, à l'entendement divin ; ce qui est absurde. Et quelques-uns, n'y ayant pas assez pris garde, sont tombés dans d'énormes erreurs. Ils ont admis en effet qu'il existait en dehors de Dieu une matière, à lui co-éternelle, existant par elle-même et que, suivant les uns, Dieu disposerait seulement dans un certain ordre, tandis que, selon d'autres, il lui imposerait en outre certaines formes. D'autres encore ont admis qu'il y avait des choses qui, de leur nature, étaient nécessaires ou impossibles ou contingentes, et par suite que Dieu lui-même connaît ces choses comme contingentes et ignore entièrement si elles sont ou ne sont pas. D'autres enfin ont dit que Dieu connaît les choses contingentes par les circonstances, peut-être parce qu'il a une longue expérience. Je pourrais encore citer d'autres erreurs de même sorte si je ne le jugeais superflu, attendu que la fausseté de ces opinions se connaît d'elle-même par ce qui a été dit précédemment.

L'objet de la science de Dieu est Dieu lui-même.

Revenons donc à notre propos, à savoir qu'il n'y a hors de Dieu aucun objet de sa science, mais qu'il est lui-même l'objet de sa science et même qu'il est sa science. Pour ceux qui pensent que le monde est l'objet de la science de Dieu, ils sont beaucoup moins raisonnables que ceux qui veulent qu'un édifice construit par quelque architecte distingué soit tenu pour un objet de sa science. Car l'architecte est obligé de chercher hors de lui-même une matière convenable ; mais Dieu n'a cherché aucune matière hors de lui : quant à leur essence et quant à leur existence les choses ont été fabriquées par un entendement identique à sa volonté.

Comment Dieu connaît les péchés et les êtres de Raison, etc.

On demande maintenant si Dieu connaît les maux ou les péchés, les êtres de Raison et autres choses semblables. Nous répondons que Dieu doit nécessairement connaître les choses dont il est cause ; attendu surtout qu'elles ne peuvent exister même un instant sinon à l'aide du concours divin. Puis donc que les maux et les péchés ne sont rien dans les choses, mais sont seulement dans l'esprit humain comparant les choses entre elles, il s'ensuit que Dieu ne les connaît pas en dehors de l'esprit humain. Nous avons dit que les êtres de Raison sont des modes de penser, et c'est dans leur relation avec l'esprit qu'ils doivent être connus de Dieu, c'est-à-dire en tant que nous percevons qu'il conserve, procrée, continûment l'esprit humain tel qu'il est constitué ; non certes que Dieu ait en lui de tels modes de penser pour retenir plus facilement ce qu'il connaît. Si seulement l'on prend garde comme il faut à ce peu que nous avons dit, il ne se pourra proposer aucune question au sujet de l'entendement de Dieu qui ne se puisse résoudre avec la plus grande facilité.

Comment Dieu connaît les choses singulières et comment les générales.

Il ne faut pas cependant passer sous silence l'erreur de quelques-uns qui admettent que Dieu ne connaît rien en dehors des choses éternelles telles que les anges et les cieux qu'ils se représentent comme n'étant ni engendrés ni corruptibles ; et de ce monde, rien en dehors des espèces, en tant également qu'elles ne sont ni engendrées ni corruptibles. Ceux qui ont cette opinion semblent vraiment vouloir mettre comme de l'application à errer et à imaginer les choses les plus absurdes. Quoi de plus absurde en effet que d'enlever à Dieu la connaissance des choses singulières qui sans le concours de Dieu ne peuvent exister même un instant. Et tandis qu'ils décident que Dieu ignore des choses réellement existantes, ils lui attribuent dans leur imagination la connaissance des choses générales qui ne sont pas et n'ont aucune essence en dehors des singulières. Nous, au contraire, attribuons à Dieu la connaissance des choses singulières et lui dénions celles des choses universelles, sauf en tant qu'il connaît les esprits des hommes.


Il y a en Dieu une seule et simple idée.

Enfin, avant de terminer ce chapitre, il paraît devoir être satisfait à la question consistant à demander s'il y a en Dieu plusieurs idées ou seulement une, et une parfaitement simple. À quoi je réponds que l'idée de Dieu, en raison de laquelle il est appelé omniscient, est unique et parfaitement simple. Car en réalité Dieu n'est appelé omniscient pour aucune raison sinon qu'il a l'idée de lui-même ; laquelle idée ou connaissance a toujours existé en même temps que Dieu, car en dehors de son essence rien n'existe et cette idée aussi n'a pu exister autrement.


Ce qu'est la science de Dieu à l'égard des choses créées.

La connaissance ayant trait aux choses créées qui est en Dieu ne peut cependant pas être ainsi proprement rapportée à la science de Dieu ; car, si Dieu l'avait voulu les choses créées auraient eu une autre essence, ce qui n'a pas lieu dans la connaissance que Dieu a de lui-même. On demandera cependant si cette connaissance, qu'elle soit proprement ou improprement ainsi désignée, est multiple ou unique. Mais, répondrons-nous, cette question ne diffère en rien de celle de savoir s'il y a en Dieu plusieurs décrets ou volitions ou un seul ; et si l'ubiquité de Dieu, c'est-à-dire le concours, par lequel il conserve les choses singulières, est partout le même ; toutes choses desquelles nous avons dit que nous ne pouvions avoir aucune connaissance distincte. Mais nous savons néanmoins comme une chose très évidente que, comme il arrive pour le concours de Dieu qui, s'il est rapporté à l'omnipotence de Dieu, doit être unique, bien qu'il se manifeste sous divers modes dans les effets, de même aussi les volitions et les décrets de Dieu (c'est ainsi qu'il convient d'appeler sa connaissance ayant trait aux choses créées) considérés en Dieu ne sont pas plusieurs, bien que s'exprimant sous divers modes par, ou mieux, dans les choses créées. Enfin si nous avons égard à l'analogie de la Nature entière nous pouvons la considérer comme un seul Être et par conséquent une aussi devra être l'idée ou un le décret de Dieu.



  1. Il suit de là clairement que l'entendement de Dieu, par quoi il connaît les choses créées, et sa volonté et sa puissance, par quoi il les a déterminées, sont une seule et même chose.


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