Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV

De Spinoza et Nous.
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Pensées métaphysiques


Baruch Spinoza


Deuxième partie, chapitre IV :
De l'immutabilité de Dieu




Sommaire

Ce qu’est le changement et ce qu’est la transformation.

Par changement nous entendons en cet endroit toute variation pouvant se produire dans un sujet quelconque, l’essence même du sujet gardant son intégrité ; bien qu’on prenne communément aussi le mot dans un sens plus large pour signifier la corruption des choses, non une corruption absolue mais une corruption qui enveloppe en même temps une génération subséquente ; comme quand nous disons que la tourbe est changée en cendre, que les hommes sont changés en bêtes. Mais les philosophes usent pour cette désignation d’un autre mot encore, à savoir transformation. Pour nous ici, nous parlons seulement de ce changement dans lequel il n’y a aucune transformation du sujet, comme quand nous disons : Pierre a changé de couleur, de mœurs, etc.

Aucune transformation n’a lieu en Dieu.

Il faut voir maintenant si de tels changements ont lieu en Dieu ; car il est inutile de rien dire de la transformation, puisque nous avons prouvé que Dieu existe nécessairement, c’est-à-dire que Dieu ne peut pas cesser d’être ou se transformer en un autre Dieu ; car alors et il cesserait d’être et il y aurait plusieurs Dieux et nous avons montré que ce sont là deux absurdités.


Quelles sont les causes du changement.

Pour faire entendre plus distinctement ce qui reste à dire ici, il est à considérer que tout changement provient ou de causes externes, avec ou sans la volonté du sujet, ou d’une cause interne, et par le choix du même sujet. Par exemple, noircir, être malade, croître et autres choses semblables proviennent dans l’homme de causes externes ; contre la volonté du sujet ou au contraire selon son désir ; mais vouloir se promener, se montrer en colère, etc., proviennent de causes internes.


Dieu n’est pas changé par un autre être.

Les premiers changements, qui dépendent de causes externes, n’ont point de place en Dieu, car il est seul cause de toutes choses et n’est patient vis-à-vis de personne. En outre aucune chose créée n’a en elle-même aucune force d’exister et par suite encore moins a-t-elle la force d’exercer une action en dehors d’elle-même ou sur sa propre cause. Et si l’on trouve souvent dans l’Écriture Sainte que Dieu a eu de la colère ou de la tristesse à cause des péchés des hommes et autres choses semblables, c’est qu’on a pris l’effet pour la cause ; comme quand nous disons que le soleil est plus fort et plus haut en été qu’en hiver, bien qu’il n’ait pas changé de place ni acquis de nouvelles forces. Et, que cela est même souvent enseigné par l’Écriture Sainte, on peut le voir dans Isaïe ; il dit en effet (chapitre 59 vers. 2), adressant au peuple des reproches : Vos iniquités ont fait séparation de vous et votre Dieu.


Dieu n’est pas changé non plus par lui-même.

Continuons donc et demandons-nous s’il peut y avoir en Dieu un changement venant de Dieu. Or nous n’accordons pas que cela puisse être et même nous le nions absolument ; car tout changement qui dépend de la volonté du sujet se fait afin de rendre son état meilleur, ce qui ne peut avoir lieu dans l’Être souverainement parfait. De plus un changement de cette sorte ne se fait que pour éviter quelque dommage ou en vue d’acquérir quelque bien qui manque ; or l’un et l’autre ne peuvent avoir lieu en Dieu. D’où nous concluons que Dieu est un être immuable[1]. On notera que j’ai omis ici à dessein les divisions ordinaires du changement, bien que nous les ayons aussi embrassées en quelque manière ; il n’était pas nécessaire de montrer pour chacune d’elles à part qu’elle ne se trouve pas en Dieu, puisque nous avons démontré dans la Proposition 16, partie I, que Dieu est incorporel et que ces divisions ordinaires comprennent les changements de la matière seulement.



  1. En marge dans la traduction hollandaise : On observera que cela se voit beaucoup plus clairement si l’on a égard à la nature de Dieu et à son décret. Et en effet, comme on le montrera par la suite, la volonté de Dieu par laquelle il a créé les choses ne diffère pas de son Entendement par lequel il les connaît. Et c’est tout un de dire que Dieu connaît que les trois angles d’un triangle égalent deux droits ou de dire que Dieu a voulu ou décrété que les trois angles d’un triangle fussent égaux à deux droits ; par suite il doit nous être aussi impossible de concevoir que Dieu puisse changer ses décrets que de penser que les trois angles d’un triangle n’égalent pas deux droits. En outre cela, à savoir qu’il ne peut y avoir de changement en Dieu, peut encore être démontré d’autres manières ; pour ne pas allonger toutefois, nous nous en tiendrons là.


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