Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III

De Spinoza et Nous.
Aller à : Navigation, rechercher


Pensées métaphysiques


Baruch Spinoza


Deuxième partie, chapitre III :
De l'immensité de Dieu




Sommaire

Comment Dieu peut être dit infini, comment immense.

Nous avons exposé que nul être ne peut être conçu comme fini et imparfait, c’est-à-dire comme participant du Néant, si nous ne considérons d’abord l’être parfait et infini, c’est-à-dire Dieu ; c’est pourquoi Dieu seul doit être dit absolument infini, savoir en tant que nous trouvons qu’il se compose en réalité d’une perfection infinie. Mais il peut être dit aussi immense ou interminable en tant que nous avons égard à ce qu’il n’existe aucun être par qui la perfection de Dieu puisse être terminée.

D’où suit que l’Infinité de Dieu, en dépit du vocable, est ce qu’il y a de plus positif ; car nous disons qu’il est infini en tant que nous avons égard à sa souveraine perfection. Mais l’Immensité n’est attribuée à Dieu qu’en un sens relatif, car elle n’appartient pas à Dieu en tant qu’on le considère absolument comme un être parfait au suprême degré mais en tant qu’on le considère comme première cause ; et quand bien même cette cause première ne serait pas parfaite au suprême degré mais seulement la plus parfaite au regard des êtres secondaires, elle n’en serait pas moins immense. Car il ne pourrait y avoir et par conséquent l’on ne pourrait concevoir aucun être plus parfait que lui par qui il pût être limité ou mesuré (voir sur ce point le développement relatif à l’Axiome 9, partie I).


Ce qui est entendu communément par l’Immensité de Dieu.

Les auteurs cependant maintes fois, quand ils traitent de l’Immensité de Dieu, semblent attribuer à Dieu une quantité. Car ils veulent conclure de cet attribut que Dieu doit être nécessairement partout présent ; comme s’ils voulaient dire que, si Dieu n’était pas dans un certain lieu, sa quantité serait limitée. Et cela apparaît encore mieux par un autre argument qu’ils allèguent pour montrer que Dieu est infini ou immense (car ils confondent ces deux attributs) et aussi qu'il est partout. Si Dieu, disent-ils, est acte pur, comme il l'est réellement, il est nécessaire qu'il soit aussi partout et infini ; car s'il n'était point partout, ou bien il ne pourrait pas être partout où il voudrait être, ou bien (qu'on prenne garde à ceci) il devrait nécessairement se mouvoir ; par où se voit clairement qu'ils attribuent l’Immensité à Dieu en tant qu'ils le considèrent comme une quantité ; car ils tirent ces arguments des propriétés de l'étendue pour affirmer l’Immensité de Dieu, absurdité que rien ne peut dépasser.


Il est prouvé que Dieu est partout.

Si l'on demande maintenant comment nous prouverons que Dieu est partout, je réponds que cela a été assez et plus que suffisamment démontré quand nous avons montré que rien ne peut exister même un instant, dont l'existence ne soit pas créée par Dieu à chaque instant.


L'omniprésence de Dieu ne peut être expliquée.

Pour que maintenant l'ubiquité de Dieu ou sa présence dans chaque chose pût être dûment entendue[1], il faudrait pouvoir pénétrer dans la nature intime de la volonté divine, celle par où il a créé les choses et procrée continûment leur existence ; et comme cela dépasse la compréhension humaine, il est impossible d'expliquer comment Dieu est partout.

Quelques-uns tiennent pour triple mais à tort l'Immensité de Dieu.

Quelques-uns admettent que l’Immensité de Dieu est triple, à savoir l'immensité de l'essence, celle de la puissance et enfin de la présence ; mais ceux-là disent des niaiseries, car ils ont l’air de distinguer entre l'essence de Dieu et sa puissance.

La puissance de Dieu ne se distingue pas de son essence.

D'autres le disent plus ouvertement, prétendant que Dieu est partout par sa puissance mais non par son essence ; comme si vraiment la puissance de Dieu se distinguait de tous ses attributs, ou de son essence infinie, alors qu'elle ne peut être autre chose. Si en effet elle était autre chose, ou bien elle serait une créature, ou bien quelque accident de l’essence divine, sans lequel cette essence pourrait être conçue ; et l’un et l’autre sont absurdes. Car, si elle était une créature, elle aurait besoin de la puissance de Dieu pour se conserver et ainsi il y aurait progrès à l’infini. Si elle était quelque chose d’accidentel, Dieu ne serait pas un être parfaitement simple, contrairement à ce que nous avons démontré plus haut.


L’omniprésence de Dieu ne se distingue pas non plus de son essence.

Enfin par Immensité de la présence on semble vouloir dire aussi quelque chose d’autre que l’essence de Dieu, par laquelle ont été créées et sont continûment conservées les choses. Ce qui est certes une grande absurdité dans laquelle on est tombé, parce qu’on a confondu l’entendement de Dieu avec l’humain, et qu’on a comparé souvent sa puissance à celle des rois.



  1. La traduction hollandaise donne ici en marge cette indication : Il faut observer ici que le Vulgaire, quand il dit que Dieu est partout, fait de lui comme un spectateur au théâtre ; par où se voit clairement ce que nous disons à la fin de celle partie, à savoir que les hommes confondent entièrement la nature divine avec l'humaine.


Outils personnels
Espaces de noms
Variantes
Actions
Découvrir
Œuvres
Échanger
Ressources
Boîte à outils