Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I

De Spinoza et Nous.
Aller à : Navigation, rechercher


Pensées métaphysiques


Baruch Spinoza


Deuxième partie, chapitre premier :
De l'éternité de Dieu




Sommaire

Division des substances.

Nous avons déjà montré qu’il n’existe rien dans la Nature des choses en dehors des substances et de leurs modes ; on ne doit donc pas s’attendre ici que nous disions rien des formes substantielles et des accidents réels ; car toutes ces choses, comme d’autres de même farine, sont complètement ineptes. Nous avons ensuite divisé les substances en deux genres suprêmes, savoir l’Étendue et la Pensée, et la Pensée en pensée créée, c’est-à-dire l’âme humaine, et incréée, c’est-à-dire Dieu. Nous avons d’ailleurs suffisamment démontré plus haut l’existence de Dieu tant a posteriori, c’est-à-dire par l’idée que nous avons de lui, qu’a priori, c’est-à-dire par son essence prise comme cause de son existence. Mais, ayant traité de quelques-uns de ses attributs plus brièvement que ne le réclame l’importance du sujet, nous avons décidé de les reprendre ici, de les expliquer avec plus de développement et de résoudre certaines difficultés.


Aucune durée n’appartient à Dieu.

L’attribut principal qu’il faut considérer avant tous les autres est l’Éternité de Dieu par où nous expliquons sa durée ; ou plutôt, pour n’attribuer à Dieu aucune durée, nous disons qu’il est éternel. Car, ainsi que nous l’avons noté dans la première partie, la durée est une affection de l’existence, non de l’essence. Ainsi nous ne pouvons attribuer aucune durée à Dieu, son existence étant de son essence. Attribuer à Dieu la durée, c’est distinguer en effet son existence de son essence. Il y en a cependant qui demandent si Dieu n’a pas une existence plus longue maintenant que lorsqu’il a créé Adam et, cela leur paraissant assez clair, ils estiment ne devoir en aucune façon retirer à Dieu la Durée. Mais ils font une pétition de principe ; car ils supposent que l’essence de Dieu est distincte de son existence. Ils demandent, en effet, si Dieu qui a existé jusqu’à la création d’Adam n’a pas ajouté à son existence un nouvel espace de temps depuis Adam jusqu’à nous ; ils attribuent ainsi à Dieu une durée plus longue pour chaque jour écoulé, et supposent qu’il est continûment comme créé par lui-même. S’ils ne distinguaient pas l’existence de Dieu de son essence, ils ne lui attribueraient en aucune façon la durée, attendu que la durée ne peut du tout appartenir aux essences des choses. Personne ne dira jamais que l’essence du cercle ou du triangle, en tant qu’elle est une vérité éternelle, a duré un temps plus long maintenant qu’au temps d’Adam. De plus, comme la durée est dite plus grande et plus petite, c’est-à-dire qu’elle est conçue comme composée de parties, il s’ensuit clairement qu’aucune durée ne peut être attribuée à Dieu ; car, puisque son Être est éternel, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir en lui ni avant ni après, nous ne pouvons lui attribuer la durée sans détruire le concept vrai que nous avons de Dieu : en lui attribuant la durée, nous diviserions en effet en parties ce qui est infini de sa nature et ne peut être conçu autrement que comme infini.

Raisons pour lesquelles les Auteurs ont attribué à Dieu la durée.

La cause de cette erreur commise par les Auteurs est : 1° Qu’ils ont entrepris d’expliquer l’éternité, sans avoir égard à Dieu, comme si l’éternité pouvait se connaître en dehors de la contemplation de l’essence divine ou était autre chose que l’essence divine ; et cela même provient de ce que nous avons accoutumé, à cause de l’insuffisance du vocabulaire, d’attribuer l’éternité même aux choses dont l’essence est distincte de l’existence (comme lorsque nous disons qu’il n’implique pas contradiction que le monde ait été de toute éternité) ; et aussi aux essences des choses, alors que nous ne concevons pas les choses comme existantes : car nous appelons alors les essences éternelles. 2° Qu’ils attribuaient la durée aux choses en tant seulement qu’ils les jugeaient soumises à un changement continuel, non comme nous en tant que leur essence est distincte de leur existence. 3° Qu’ils ont distingué l’essence de Dieu, comme celle des choses créées, de son existence. Ces erreurs, dis-je, ont été l’occasion d’erreurs nouvelles. La première fut cause qu’ils ne connurent pas ce qu’était l’éternité mais la considérèrent comme un certain aspect de la durée. La seconde, qu’ils ne purent facilement trouver la différence entre la durée des choses et l’éternité de Dieu. La dernière enfin que, la durée étant seulement une affection de l’existence, comme ils distinguaient l’existence de Dieu de son essence, ils durent, ainsi que nous l’avons dit, lui attribuer la durée.

Ce qu’est l’Éternité.

Mais, pour mieux faire entendre ce qu’est l’Éternité et comment on ne peut la concevoir sans l’essence divine, il faut considérer ce que nous avons déjà dit, à savoir que les choses créées, c’est-à-dire toutes choses sauf Dieu, existent toujours par la seule force ou essence de Dieu, non point par une force propre ; d’où suit que, non l’existence présente des choses est cause de leur existence future, mais seulement l’immutabilité de Dieu et pour cette raison il nous faut dire : Dès l’instant que Dieu a créé une chose il la conservera par la suite, autrement dit continuera cette action par où il la crée. D’où nous concluons : 1° Qu’une chose créée peut être dite jouir de l’existence parce qu’en effet l’existence n’est pas de son essence ; mais Dieu ne peut être dit jouir de l’existence, car l’existence de Dieu est Dieu lui-même ; de même aussi que son essence ; d’où suit que les choses créées jouissent de la durée, mais que Dieu n’en jouit en aucune façon. 2° Que toutes les choses créées, tandis qu’elles jouissent de la durée et de l’existence présente, ne possèdent en aucune façon la future, puisqu’elle doit leur être continûment accordée ; mais de leur essence on ne peut rien dire de semblable. Quant à Dieu son existence étant son essence nous ne pouvons lui attribuer l’existence future ; car cette existence qu’il aurait dans l’avenir lui appartient en acte dès à présent ; ou, pour parler plus proprement, une existence infinie en acte appartient à Dieu de la même façon qu’un entendement infini lui appartient en acte. Cette existence infinie je l’appelle Éternité, et il ne faut l’attribuer qu’à Dieu, mais non à aucune chose créée, alors même que sa durée serait illimitée dans les deux sens. Voilà pour ce qui est de l’éternité ; je ne dis rien de la nécessité de Dieu, parce que cela n’est pas nécessaire, puisque nous avons démontré son existence par son essence. Passons donc à l’unité.

Outils personnels
Espaces de noms
Variantes
Actions
Découvrir
Œuvres
Échanger
Ressources
Boîte à outils