Définition

De Spinoza et Nous.
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Une définition (definitio) est une proposition expliquant l'essence intime d'une chose et rien d'extérieur ou de second (par exemple, une propriété) par rapport à cette essence[1].

Une définition sera uniquement nominale si elle consiste à ne retenir qu'un élément apparemment marquant de la chose à définir :

  1. elle utilise des abstractions comme les genres et différences spécifiques (ex. l'homme comme "animal raisonnable"),
  2. elle procède par des propres (ex. Dieu, être infiniment parfait),
  3. par une propriété (ex. le cercle, figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales).

Pour être réelle ou génétique, une définition devra énoncer la cause immédiate de la chose (ex. un cercle est une figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile) et pouvoir ainsi rendre compte des propriétés qui appartiennent à la chose.

Sommaire

Les espèces de définitions

Une définition philosophique consiste à énoncer ce qui caractérise essentiellement une chose, ce qui fait que la chose à définir est ce qu'elle est. Il s'agit d'aller au cœur même de la chose et non pas de se contenter de donner des synonymes – comme c'est souvent le cas avec un simple dictionnaire – ou encore de renvoyer à des mots qui supposent eux-mêmes qu'on connaisse déjà ce qui est à définir.

La définition nominale

Prenons par exemple la notion d'amour : le Larousse le définit comme "sentiment très intense, attachement englobant la tendresse et l'attirance physique, entre deux personnes." Si on y réfléchit bien, il n'y a ici que des mots faisant référence à des notions voisines de l'amour qui mènent plus à des confusions qu'à une véritable clarification : un sentiment peut être très intense sans être de l'amour, au contraire : la haine peut être un sentiment très intense. Ensuite, on peut aimer de façon modérée. L'attachement peut faire penser à de l'amour mais on peut être attaché à nos vieilles pantoufles parce qu'on y est habitué sans éprouver un sentiment d'amour particulier pour celles-ci. En disant que cet attachement englobe la tendresse et l'attirance physique, on ne précise pas mieux les choses, car l'amour dépasse souvent le cadre de l'apparence physique. Enfin, on peut aimer autre chose que des personnes : un animal, une œuvre d'art, un plat cuisiné… même si à chaque fois, on n'aime pas de la même façon, il y a toujours de l'amour. La définition du Larousse n'est donc que nominale, elle se contente de mots qui ne permettent qu'une approche extérieure de la chose à définir.

La définition génétique

Pour les "choses créées", c'est-à-dire tout ce qui doit avoir été produit par autre chose que soi-même, tout ce qui n'est pas cause de soi, la définition devra être "génétique", c'est-à-dire mettre en évidence la cause suffisante de son objet de telle sorte que considérée en elle-même, toute les propriétés qu'on lui attribue pourront en être déduites[2]. Ainsi la définition génétique du cercle n'est pas "figure dans laquelle toutes les lignes menées du centre à la circonférence sont égales" parce que cela peut se rapporter à une définition plus fondamentale : "figure décrite par toute ligne dont une extrémité est fixe et l'autre mobile".

Prenons un autre exemple : qu'est-ce que l'amour ? C'est, dit Spinoza, "une joie accompagnée de l'idée d'une cause"[3]. Lorsque nous éprouvons une joie et qu'en même temps nous nous représentons un objet comme étant la cause de cette joie, nous l'aimons. Par exemple, j'éprouve un sentiment de bien-être et j'attribue ce sentiment à la présence de mon chien pour qui j'ai l'air si important, j'éprouverai alors naturellement de l'amour pour celui-ci. Un être dont je m'imaginerais qu'il ne me cause que de la tristesse ne provoquerait en moi que de l'aversion ou de la haine.

Ensuite on peut déduire de cette définition un propre et des propriétés. Le propre de l'amour est de m'amener à désirer m'unir à l'être aimé : il est naturel que je cherche la présence de ce qui me procure de la joie. Une des propriétés de l'amour est de pouvoir se changer en haine : quand par exemple j'imagine que l'être aimé ne m'aime pas autant que je l'aime, j'en tire l'idée d'une dévalorisation de ma personne, c'est-à-dire une tristesse et éprouver une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure conduit à un état de haine plus ou moins intense. Les définitions de l'Éthique sont donc génétiques, c'est-à-dire qu'elles vont au cœur même de la chose à penser en donnant son essence, ce qui suffit à faire qu'elle est ce qu'elle est, sa "cause prochaine".

La définition absolue

Le précédent type de définition convient pour les choses "crées", qu'en est-il des choses incréées ? Il s'agit encore d'une sorte de définition génétique mais ici la cause ne saurait être extérieure. Ainsi, pour définir Dieu, la substance ou la nature, on devra appliquer les règles suivantes :

  1. Ne faire référence à aucune cause extérieure, sans quoi ce ne serait plus une chose auto-suffisante, et ainsi n'intégrer dans la définition que ce qui concerne son être.
  2. La question de son existence ne doit pas être engagée : si on peut douter de son existence, comme par exemple pour une sirène ou un cercle qu'on déclarerait éternel, c'est qu'elle suppose une autre chose, indépendante d'elle-même, qu'elle même pour pouvoir exister ou être conçue, comme la mer ou plus fondamentalement encore l'étendue. C'est pourquoi probablement, dans le Court traité, Spinoza commence par prouver l'existence de Dieu avant d'en expliquer la nature. L'Éthique semble au contraire partir des définitions de la substance et de Dieu avant d'en déduire l'existence[4] mais ce n'est pas sans remarquer au sujet de l'existence de la substance que "si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus, elle serait pour tous un axiome, et on la compterait parmi les notions communes de la raison"[5], la même remarque pouvant être faite en ce qui concerne Dieu[6].
  3. Ne pas expliquer l'objet par des adjectifs substantivés, c'est-à-dire des notions abstraites, car un substantif qui peut être adjectivé se rapporte à autre chose que lui-même : ainsi les notions comme "bonté", "beauté", "justice" devront en être exclus, ces notions supposant toutes un être qu'on pourrait qualifier de bon, beau, juste.
  4. Toutes les propriétés qui la caractérisent doivent pouvoir en être conclues : si par exemple on définissait la nature comme "tout ce que l'homme peut percevoir", on ne pourrait pas en déduire comment il se fait que la nature soit structurée par des lois puisque seuls les effets de ces lois sont perceptibles.


Toute définition doit-elle être justifiée ?

Une objection courante consiste à remarquer que Spinoza ne justifie pas ses définitions, notamment celles de la substance et de Dieu. Il en découlerait l'incertitude pour toutes les conséquences qui en découlent. Spinoza répond à cette objection dans la lettre 9 à Simon de Vries en distinguant plusieurs sortes de définitions.

La définition d'un objet extérieur

Il y a d'abord les définitions qui portent sur des objets qui existent hors de notre intellect. Soit par exemple, le temple de Salomon, dit Spinoza, il faudra en donner une définition qui décrive exactement l'essentiel de sa réalité. Pour cela, on est en droit de supposer qu'il faudra s'appuyer sur une enquête empirique permettant de justifier le contenu de la définition et ainsi ce qui pourra en découler.

La définition d'un objet de l'intellect

Mais il y a aussi les définitions qui portent sur des objets de l'intellect en tant que tel. Par exemple, dit encore Spinoza, si je conçois le plan d'un temple, je pourrai en déduire logiquement un certain nombre de conséquences : il faudra acheter tant de tonnes de pierres et autres matériaux etc. Personne ne pourra alors affirmer que ces conséquences sont fausses ou incertaines du fait que la définition dont je suis parti serait fausse ou incertaine car cela reviendrait à dire que je n'ai pas conçu la définition que j'ai conçue, ce qui est absurde.

On le voit ici, une définition formée par l'intellect pur n'est pas hors du réel, en tant qu'elle peut s'appuyer sur une connaissance logique et dans la mesure où elle est une idée adéquate, c'est-à-dire claire, distincte et complète, de façon à poser un concept opératoire et fécond. De la même façon, l'algèbre part de définitions de cet ordre : on part du concept simple de l'unité, on observe alors qu'une unité jointe à une autre forme un tout plus grand que la simple unité, ce qui donne un concept différent qu'on nommera deux, puis on ajoute une autre unité à cette autre concept et ainsi de suite indéfiniment. Or ce n'est pas parce qu'il s'agit au départ d'actes de l'intellect que ces concepts seront inopérants pour comprendre le réel, comme le montre tout l'usage qu'on peut faire de l'algèbre. Donc une définition formée au moyen du seul intellect peut nous permettre de comprendre le réel si elle est adéquate. C'est ainsi que « l'entendement par la vertu qui est en lui se façonne des instruments intellectuels, au moyen desquels il acquiert de nouvelles forces pour de nouvelles œuvres intellectuelles, produisant, à l'aide de ces œuvres, de nouveaux instruments, c'est-à-dire se fortifiant pour de nouvelles recherches, et c'est ainsi qu'il s'avance de progrès en progrès jusqu'à ce qu'il ait atteint le comble de la sagesse.»[7]

Conditions d'une définition intellectuelle correcte

Toutefois, toute définition de ce genre n'est pas forcément correcte. Il faut qu'elle soit cohérente avec elle-même ainsi qu'avec celles qu'on veut y associer. Ainsi, si je dis que deux lignes droites enfermant un espace forment une figure, cela ne peut être correct qu'à condition d'entendre par "ligne droite" ce qu'ordinairement on entend plutôt par ligne, pouvant être droite ou courbe, auquel cas il n'y aura pas de contradiction interne. Mais si l'on entend par ligne droite une longueur sans largeur également placée entre ses points, alors la définition de la figure comme pouvant être formée de deux lignes droites est contradictoire, puisqu'elles ne peuvent enfermer ainsi d'espace.

Le cas des définitions de la substance et de Dieu

De ce point de vue, on pourrait tout à fait admettre, contrairement à ce que fait Spinoza, qu'une substance n'a qu'un seul attribut, puisque c'est concevable sans contradiction. Ainsi, on pourrait opposer une substance extensive et une substance pensante, l'attribut de la première étant la possibilité d'avoir des dimensions (longueur, largeur...) et de la deuxième de pouvoir être objet de conscience. Mais si alors on traite de choses qui seraient composées de plusieurs attributs, comme l'homme qui est à la fois corps et mental, possédant des dimensions et conscient de cela, ou encore la nature, qui contient l'homme, alors on ne pourra plus parler de substance en ce qui les concerne, puisqu'on aura posé qu'une substance est composée d'un seul attribut. Ainsi, il s'avère plus fécond de définir la substance comme constituée de plusieurs attributs, étant entendu que plus un être a de réalité, autrement dit de positivité, d'affirmation, plus on devra lui accorder d'attributs.

Ainsi, en définissant Dieu comme "substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence infinie et éternelle", Spinoza ne prétend d'abord que poser une notion cohérente, propre à expliquer globalement l'ordre de la nature. Ce qui est le plus important ici, ce n'est pas le mot qu'on utilise pour désigner l'idée dont la définition est l'expression, mais c'est la définition même. Si quelqu'un préfère mettre derrière le mot "Dieu" un autre concept, c'est-à-dire une autre définition, comme "créateur et juge de toutes choses", cela n'aura rien de scandaleux pour Spinoza, mais il faudra alors admettre qu'un tel être suppose des réalités antérieures au contenu de cette définition : sa propre existence, puisqu'elle n'est pas contenue ici dans cette définition, et les valeurs et les lois qui permettraient de juger ainsi toutes choses. Un tel Dieu ne pourrait donc pas être considéré comme ens realissimum, être suprême.

Inversement, il est tout à fait possible d'utiliser un autre mot pour nommer ce qui est défini : au lieu de Dieu, on peut parler de nature, d'être, de lumière, de vérité, de substance ou encore de vie comme le fait d'ailleurs Spinoza plus ou moins explicitement. Mais Spinoza choisit principalement le mot Dieu pour correspondre à ce concept, conformément à la première règle de conduite qu'il s'est donnée en tant que philosophe : "mettre ses paroles à la portée du vulgaire et consentir à faire avec lui tout ce qui n'est pas un obstacle à notre but."[8], autrement dit employer le terme qui est le plus proche de ce qu'on entend ordinairement par l'être absolument parfait dont la connaissance réflexive permet de diriger le mental selon la meilleure méthode possible[9].

Notes

  1. Cf. le Traité de la réforme de l'entendement, § 95 et Éthique, proposition 8, scolie II)
  2. Cf. Traité de la réforme de l'entendement, §96
  3. cf E3P13, scolie
  4. Cf. Définitions 3 et 6 et propositions 7 et 11
  5. Cf. scolie 2 de la prop. 8.
  6. Cf. scolie de la prop. 11.
  7. Cf. TRE, § 31
  8. Cf. TRE, § 17
  9. Cf. TRE, § 38
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