Liberté

De Spinoza et Nous.
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La liberté (libertas) est le pouvoir d'être soi-même cause de son être et de ses propres actions, alors que la contrainte consiste à être et agir en étant déterminé par autre chose que soi-même : E1D7.

Sommaire

Libre arbitre et liberté

La liberté s'oppose à la contrainte et non à la nécessité. Il peut y avoir "libre nécessité" : une nécessité intérieure, en tant qu'elle n'est déterminée par rien d'extérieur est une liberté. Lorsque nous éprouvons un affect dont nous sommes la cause suffisante, c'est une action, autrement dit une façon d'être libre.

Il y a de fait une différence notable entre être autodéterminé et être "hétéro"-déterminé. Mais le sens commun s'insurge : même si je ne suis déterminé que par moi-même, cela signifie bel et bien que je n'ai pas le choix, que je suis dans l'ordre de la nécessité. Or la notion ordinaire de choix semble indiquer l'idée d'une indétermination foncière de la volonté. Celle-ci serait un pouvoir indéterminé de se déterminer.

La réponse de Spinoza est simple : tout dans la nature doit être déterminé puisque la nature (ou Dieu) existe nécessairement (E1P28). Si l'on croit malgré tout que la volonté choisit sans être déterminée, on ne fait qu'ignorer les causes qui l'ont déterminée, car les hommes sont souvent conscients de leurs désirs sans être conscients des causes de ceux-ci (Éthique I, appendice). L'expérience du libre arbitre est donc une expérience aveugle, une illusion.

Spinoza ne nie pas ici qu'il existe des situations où deux options opposées se présentent à nous, ce que justement nous appelons des choix : tel l'âne de Buridan, je peux être face à un verre d'eau et à un morceau de pain sans me sentir contraint à opter pour la boisson ou l'aliment. Je "choisirai" le plus souvent l'eau d'abord parce que ce liquide est plus immédiatement nécessaire à la survie biologique que le pain, alors que si j'ai déjà satisfait ce besoin auparavant, je choisirai alors plutôt le pain. Choisir revient alors à opter pour une possibilité plutôt qu'une autre mais cette détermination de ma volonté, ou plus précisément cette volition particulière sera évidemment elle-même déterminée par l'état mental et physiologique antérieur.

Ensuite, on peut à l'instar de Buridan concevoir la fiction selon laquelle je serais aussi assoiffé qu'affamé. La petite histoire veut que l'âne, ne pouvant se déterminer à ceci plutôt qu'à cela, meure devant la botte de foin et le seau d'eau faute du libre-arbitre qui lui permettrait d'effectuer un acte gratuit, sans mobile particulier, tandis qu'un homme pourrait survivre à une telle épreuve sans difficulté puisqu'il est censé disposer d'un tel libre arbitre. Mais ce genre de phénomène ne se produit jamais dans le monde animal, précisément parce dans la nature, il n'existe jamais indéfiniment de force parfaitement équilibrée, du fait que chaque mode de la substance exprime de façon unique et singulière la puissance infinie de production divine. Et quand un homme n'est pas plus déterminé à ceci que cela : par exemple, faire son choix entre deux belles femmes jumelles, il est dans un état d'hésitation tel qu'il ne se prononcera que lorsqu'un point lui permettra de sortir de cette langueur. Voir aussi à ce propos la notion de fluctuation d'âme.

La liberté de Dieu

Au niveau de Dieu, on comprend facilement qu'il puisse être absolument libre, au sens d'autodétermination, car rien n'existe en dehors de lui, pouvant déterminer son être et son activité. Il ne saurait donc être contraint à quoique ce soit. Croire qu'il lui manque un libre arbitre, lui permettant de revenir sur la nécessité de son être, c'est croire qu'il lui manque l'indétermination. Or l'indétermination ne peut rien produire, rien ne peut venir de rien, c'est donc une impuissance. Donc manquer de "libre-arbitre", ce n'est pas vraiment manquer de quelque chose.

Ainsi, il n'y a pas de contradiction à affirmer qu'un être absolument infini "manque" de l'indétermination. Être absolument infini signifie être affirmation pure, ne subir aucune négation, interne ou externe. Être fini, consiste au contraire à être limité dans sa nature par un autre être fini, la finitude en elle-même signifie négation.

La négation de l'indétermination en Dieu est ainsi une négation de négation s'annulant elle-même. Dieu ne manque de rien de positif, mais si l'on veut, on peut dire que cela implique immédiatement qu'il manque de tout ce qui est négatif, autrement dit qu'il ne manque de rien. Croire qu'il puisse y avoir une positivité du négatif relève à un moment ou un autre de la confusion, voire de la pensée magique, qui admet des effets sans comprendre clairement et distinctement leurs causes.


La liberté de l'homme

Au niveau humain, cela se complique. L'être en soi de l'homme ne saurait être libre : dans la mesure où on le considère en lui-même, l'homme n'est pas cause de soi, son essence n'enveloppe pas son existence. Mais en fait, il n'y a pas d'être en soi de l'homme, car justement il n'est pas une substance, comme le sens commun ordinaire le croit plus ou moins confusément. Il n'est qu'un mode de la substance divine.

Mais il peut ainsi comprendre sa propre nature comme n'étant pas différente, et donc pas contrainte par la substance divine, puisqu'elle constitue son être. Mais cela suppose qu'il y ait bel et bien compréhension du rapport qui unit Dieu (ou la Nature) et l'homme.

Ordinairement, l'homme vit dans la servitude parce que son être et ses actes sont déterminés par une connaissance imaginaire du lien qui l'unit à la nature. Il ne peut alors être cause suffisante de ce qu'il est ; pour comprendre son être, il faut se référer à des causes extérieures à son simple pouvoir de comprendre : le rapport avec les idées d'autres corps que l'idée de son corps propre.

Dans la mesure où il acquière une connaissance complète de ses déterminations, et qu'il comprend que le lien avec ses déterminations est en fait interne à son entendement, les affects qui suivront d'une telle compréhension s'expliqueront par son seul pouvoir de comprendre (il en sera "cause adéquate"). Les actes qui suivront de ces affects seront ainsi entièrement autodéterminés, libres. Ex. : vous augmentez votre puissance de comprendre en découvrant une nouvelle hypothèse en physique, permettant d'expliquer des problèmes restés jusqu'à présent dans l'ombre. Cette augmentation de puissance se traduit affectivement par un sentiment de joie. Vous êtes cause adéquate de ce sentiment, car c'est par votre entendement que vous avez formulé cette hypothèse. Votre joie vous pousse à continuer de chercher, en testant votre hypothèse par ex., cette activité s'expliquant par votre seule joie sera libre. A un degré supplémentaire, quand vous comprenez la nature du lien intemporel qui vous unit à la nature, vous accédez à une joie intemporelle qui vous permet d'agir librement de façon permanente.

Questions et objections diverses

Le spinozisme est-il un fatalisme ?

La critique spinoziste de la croyance commune à la liberté ne revient-elle pas à un fatalisme ?

On a pu voir dans ce déterminisme un fatalisme subtil. Mais le fatalisme consiste à croire qu'il faut se résigner à l'inaction, en raison de l'impuissance humaine face à la puissance de la nature. D'abord, il y a dans le déterminisme de Spinoza une philosophie de l'action : lorsque nous nous affairons de façon ordinaire à nos activités humaines, nous sommes plus passifs que nous le croyons, c'est justement pour passer à un mode d'existence plus actif, où c'est l'esprit humain qui agit et non l'extérieur qui le fait agir, qu'il est nécessaire de comprendre nos déterminations. Ensuite, le fatalisme néglige un fait important en oubliant que l'esprit humain, en tant qu'idée du corps, est aussi une détermination qui entre nécessairement dans le jeu de l'action. S'il s'agit d'accepter ce qui ne peut être changé, en comprenant comment et pourquoi, il ne s'agit pas de rester entièrement passif à l'égard des événements extérieurs. Car ce que comprend en premier lieu l'esprit quand il raisonne, c'est qu'il est lui-même puissance d'affirmation, autrement dit désir d'exister et d'agir, il ne s'agit donc nullement de s'effacer ou de se résorber dans l'infinité divine mais de prendre la mesure exacte de sa puissance propre et de l'exprimer complètement.

Voir aussi ceci à ce sujet.

Quel est le rôle de la volonté ?

Le libre-arbitre n'est-il donc qu'une illusion ? Ma volonté peut-elle oui ou non déterminer mes actes ?

Le libre arbitre n'est que l'illusion de choisir en ignorant les causes qui déterminent mon choix. Encore une fois, Spinoza ne nie pas l'expérience du choix. Il montre simplement que cette expérience devient illusion si on croit par là même faire l'expérience du libre arbitre. Car cette expérience part de l'ignorance des causes de ma décision. Si vous dites par exemple qu'à l'instant vous pouvez choisir de lever le bras ou de ne pas le faire, il y aura une détermination à ce que vous choisirez, détermination que vous ignorez ou oubliez si vous croyez que votre choix vient de votre seule volonté.

La volonté consiste pour l'homme à poursuivre ou affirmer une fin plutôt qu'une autre : je suis immobile, est-ce que je veux lever le bras ou rester immobile ? J'hésite entre deux fins, mais celle que je choisirai n'aura pas été décrétée par ma volonté à partir de rien, comme si du néant pouvait advenir l'être. Si vous décidez de ne pas lever le bras, en ce moment, c'est peut-être parce que vous avez la flemme de le faire, vous êtes concentré sur ce que j'écris, votre esprit n'est pas présent à l'état actuel de votre corps. Si vous décidez de lever le bras, c'est parce que vous voulez vous prouver à vous-même que vous avez bien un contrôle sur votre corps, parce que votre esprit n'est pas actuellement complètement déconnecté de l'activité effective de votre corps.

La volonté est donc toujours déterminée, elle traduit l'état général d'un esprit et constitue donc plus un effet qu'une véritable cause suffisante. Il n'existe donc pas une faculté de volonté qui produirait des volitions à partir de rien, il n'y a que des volitions particulières qui ne sont que l'expression de l'état actuel du corps et de l'esprit (Voir Éthique II, prop. 48 et scolie). Mais au moment où vous voulez ceci plutôt que cela, vous ne pensez pas forcément à ce qui vous a amené à cette volition précise, vous avez donc tendance à croire que cette volition vient d'une volonté qui pourrait produire une infinité de volitions à partir de rien. D'où l'illusion du libre arbitre.

Pourquoi n'y aurait-il pas une liberté dans les passions tristes ?

N'est-il pas possible d'envisager une libre tristesse ? Si une compréhension erronée de mes déterminations m'amène à la tristesse, cette dernière ne peut-elle s'expliquer seulement par ma compréhension erronée ? Cette compréhension est en effet "cause efficiente" de ma tristesse, les actes qui en suivront ne devraient-ils pas être entièrement autodéterminés, et donc libres ?

Il y a liberté humaine lorsqu'on est "cause adéquate" de ses actes. Cause adéquate signifie cause suffisant à expliquer mon acte, sans qu'il soit nécessaire de recourir à autre chose que moi-même. Lorsque j'éprouve un affect qui dépend de quelque chose d'extérieur, cet affect est passif, c'est une "passion" : je vois une publicité où il est montré que telle pâte au chocolat, c'est du bonheur à tartiner, deux jours après j'achète de cette pâte, cet acte n'est pas libre car l'envie de ce produit éprouvée en voyant ce produit ne venait pas de moi mais de la publicité. La joie du scientifique dont je viens de parler s'explique au contraire par la seule activité intellectuelle du scientifique, c'est une joie dont il est cause adéquate, cette joie est un affect actif.

La joie et l'amour qui en découle (l'amour est une joie accompagnée de l'idée d'une cause) peuvent être des affects passifs, des passions ou bien des affects actifs, des actions au sens propre. Mais la tristesse et les affects de haine qui en découlent (la haine est une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause) au contraire sont toujours des affects passifs. En effet, l'essence de l'homme est l'effort de persévérer dans son être (son auto-affirmation, découlant directement du fait qu'il est mode de la substance divine qui est affirmation pure) ainsi que la conscience de cet effort. Cet effort conscient ou désir fondamental d'être tend soit à la conservation soit à l'augmentation de ma puissance d'exister. Tout ce qui satisfait cette tendance produit une affect de joie. La tristesse est l'affect qui contrevient à cet effort.

Il se peut que la cause de ma joie soit extérieure, auquel cas, c'est un affect passif. Mais il se peut aussi que la cause soit interne = affect actif. Mais de moi-même, je ne peux désirer ma propre tristesse, elle est toujours un affect dans lequel j'imagine que je subis une puissance contraire et extérieure à la mienne, face à laquelle je suis diminué.

Et il s'agit bel et bien d'une compréhension erronée : si je connais les choses selon le troisième genre de connaissance, je sais qu'elles ne sont pas vraiment extérieures à ma puissance. Si je parviens à connaître adéquatement tout ce qui est, rien ne peut plus me provoquer de tristesse, car je n'imagine plus que je suis diminué dans ma puissance d'agir. Comme la tristesse vient seulement d'une connaissance imaginaire du monde, elle ne saurait en aucun cas être cause adéquate de mes actes. Car l'imagination elle-même ne produit jamais que des idées inadéquates : insuffisantes à elles-mêmes, contrairement aux évidences de la raison.

Quand j'imagine un objet, je ne me représente qu'une apparence de l'objet, parmi d'autres possibles, je n'accède jamais de cette façon à l'essentiel de cet objet. L'imagination dépend du rapport du corps au monde extérieur mais ce rapport est toujours partiel. Les erreurs qui découlent de l'imagination dépendent ainsi d'autre chose que de moi : de ce que les corps me donnent à imaginer. C'est moi certes qui commets l'erreur mais cette erreur vient d'une trop grande dépendance aux objets sensibles. Cette dépendance vient aussi de moi mais de fait, elle fait que je ne suis pas entièrement cause de mes affects et actions.

La liberté du criminel

Un assassin qui verrait les déterminations qui le poussent à agir, pourquoi n'est-il pas responsable de ses actes ?

Même s'il n'est pas entièrement responsable de ses actes, le criminel l'est suffisamment pour être considéré comme cause prochaine de ses actes. Au moment où il commet son acte criminel, il ne pouvait pas en être autrement, mais c'est lui qui est tout de même la cause prochaine de cet acte et la société doit empêcher cette cause de nuire à nouveau. Si une rivière inonde votre maison, vous savez bien qu'elle n'est pas en tant que rivière entièrement responsable de cette inondation, mais cela ne vous empêchera pas d'essayer de faire quelque chose pour l'empêcher de vous nuire : une digue, un barrage, car c'est bien la rivière qui est la cause prochaine de cette nuisance, même si un nombre important de causes extérieures à la rivière provoquent la crue.

Mais l'assassin ne saurait être libre, car s'il comprenait son désir essentiel d'exister, il comprendrait que nuire à ses semblables, c'est à terme se nuire à soi-même. Ce qui le pousse à agir, c'est par exemple le désir de vengeance. Ce désir est issu de la haine à l'encontre d'un autre homme qu'il imagine être cause de sa tristesse. Or l'état de haine et de tristesse dans lequel il est ne saurait être l'effet de son seul pouvoir de penser, mais plutôt comme on vient de le voir d'une pensée tronquée du monde extérieur ainsi que de lui-même. Comme cette pensée ou imagination est tronquée, ce qui la complète pour qu'il y ait positivement un acte vient forcément d'autre chose que de lui-même (son éducation, les valeurs sociales... car rien ne vient de rien ou d'un mélange d'être et de non-être).

Comment devenir libre ?

Comment un homme peut-il décider d'être actif ou pas, puisqu'il n'est pas encore libre lorsqu'il devrait décider de tenter de comprendre les déterminations dont il est l'objet ? Autrement dit comment peut-on décider de rechercher la liberté par la connaissance des choses lorsqu'on n'est pas encore libre ?

On ne décide pas de devenir actif, on l'est déjà toujours plus ou moins. La plupart du temps, beaucoup moins que plus. En tant qu'effort pour persévérer dans notre être, immédiatement reliés en ceci à la puissance d'affirmation de Dieu autrement dit de la Nature, nous sommes spontanément capables d'être cause complète de certains de nos affects : la joie de comprendre se vit sans qu'il faille pour cela en avoir décidé. Un enfant en est capable dès qu'il peut avoir quelque notion commune de corps de même nature.

Mais il y a aussi toutes les joies passives qui par leur facilité nous motivent plus que la joie de comprendre et qui alors font obstacle à un développement plus complet de notre pouvoir de comprendre. Chez certains, le pouvoir de comprendre se développe plus que chez d'autres, en raison d'événements extérieurs (éducation, expériences, milieu social...). Ce qui me permet d'accéder plus pleinement à mon pouvoir de comprendre vient d'éléments extérieurs mais une fois que j'ai accédé à ce pouvoir de comprendre, cela devient moi et nul autre qui comprend à ma place.

Je deviens alors plus libre à mesure que j'augmente mon pouvoir de comprendre (et je désire l'augmenter, sans avoir à en décider, parce que je perçois que cela contribue à l'augmentation de ma puissance d'exister, toute joie est toujours un appel vers plus de joie) et à mesure que je ne suis pas trop dominés par mes passions. C'est pourquoi Spinoza s'intéresse tellement aux passions : il faut d'abord les comprendre pour savoir comment s'affranchir de leur influence. Mais Spinoza n'a pas inventé la liberté, elle est déjà présente à un stade embryonnaire chez tout être humain, de même que la béatitude, c'est simplement un philosophe qui a cherché les moyens intellectuels de la développer le plus possible.

Le spinozisme rejette-t-il toute notion de liberté ?

La liberté selon Spinoza n'est-elle pas jamais qu'une croyance, une illusion ? Ne serait-il pas alors impossible d'être libre ?

Ce ne sont que certaines représentations de la liberté qui sont illusoires chez Spinoza. Ce qui est illusoire, c'est le fait de croire qu'on peut agir sans détermination. C'est donc plutôt le "libre-arbitre" qui est critiqué comme prétention à choisir de façon purement indépendante à l'égard de quelque détermination que ce soit, ce qui revient simplement à ignorer les causes qui nous font agir. Une liberté cohérente avec l'être - qui est affirmation et non négation - consiste à être et agir en vertu de la seule nécessité de sa nature, tandis qu'une chose contrainte existe et agit en vertu de la nécessité par une autre chose (E1D7 : Éthique I, définition 7).

Dieu ou la nature se connaît comme libre et en même temps est libre, en tant que substance entièrement autodéterminée (E1P17, et corollaires). N'étant pas à lui seul une substance, l'homme ne saurait être cause libre car sa nature n'enveloppe pas l'existence (il n'est pas cause de soi). Mais si l'existence même de l'homme ne saurait être libre, son action peut l'être dans la mesure où le mental (l'esprit : mens) conçoit adéquatement sa puissance d'agir et en tire la joie apte à le pousser de façon interne à agir (E3P58). C'est que l'homme n'est pas séparé de la puissance d'affirmation de la Nature naturante, il en est l'expression et peut à ce titre agir de façon libre lorsqu'il comprend ce rapport de non-séparation.

C'est ce qui fait que l'homme qui agit "sous le commandement de la Raison" (deuxième genre de connaissance) est libre, tout en ayant la connaissance de cette liberté (cf. E4). Mais s'il se connaît au moyen du troisième genre de connaissance, l'entendement intuitif, dans son rapport avec l'être, il accède à la connaissance de sa liberté éternelle - qui n'est pas relative aux progrès de la connaissance rationnelle. En ce sens l'homme est déjà absolument libre, du point de vue de l'agir, mais n'en a naturellement qu'une connaissance partielle, qu'il confond trop facilement avec son libre arbitre - de même qu'il confond son éternité avec une immortalité imaginaire.

Pourtant Spinoza écrit :

"Les hommes, donc, se trompent en ce qu'ils pensent être libres ; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L'idée de leur liberté, c'est donc qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions. Car ils disent que les actions humaines dépendent de la volonté, mais ce sont des mots qui ne correspondent à aucune idée. Ce qu'est, en effet, la volonté, et comment elle meut le corps, tous l'ignorent ; et ceux qui se vantent de la savoir et se représentent un siège et une demeure de l'âme excitent d'ordinaire le rire et le dégoût."

Éthique II, Scolie de la proposition 35

Tout lecteur un peu attentif de Spinoza, notamment du Traité théologico-politique, sait qu'on ne peut interpréter un texte qu'à partir de son contexte immédiat et général.

Prenons le contexte immédiat de ce texte de Éthique II : "j'ai expliqué pourquoi l'erreur consiste en une privation de connaissance mais je donnerai une explication encore meilleure par un exemple"... suit ensuite le texte cité. Cela indique clairement que Spinoza va parler d'une erreur. Ainsi "les hommes se trompent quand ils se croient libre" apparaît clairement comme un cas d'erreur, non une vérité absolue : c'est un exemple d'erreur, non l'affirmation qu'aucune liberté n'est accessible à l'homme. C'est ici la croyance naturelle en leur liberté qui est critiquée, c'est "l'idée de leur liberté" ou selon la traduction de Misrahi "leur idée de la liberté" : celle qui repose sur l'ignorance des causes qui nous font agir et qui amène à croire que la "volonté" serait ici seule cause, alors qu'il ne s'agit que d'un être de raison. Mais cela ne signifie pas ipso facto qu'aucune liberté n'est accessible à l'homme. La liberté consistant en l'absence de cause est une illusion, la liberté consistant à s'autodéterminer par les affects actifs n'en est pas une selon Spinoza.

Extraits

Voici pour finir un certain nombre de passages où Spinoza aborde cette notion de la liberté (dans la traduction de Saisset) :

(E1D7) "VII. Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée.

(E1P17, et corollaires) Dieu agit par les seules lois de la nature et sans être contraint par personne. Corollaire I : Il suit de là, premièrement, qu'il n'y a en Dieu, ou hors de Dieu, aucune autre cause qui l'excite à agir que la perfection de sa propre nature. Corollaire II : En second lieu, que Dieu seul est une cause libre ; Dieu seul en effet existe par la seule nécessité de sa nature (en vertu de la Propos. 11 et le Coroll de la Propos. 14), et agit par cette seule nécessité (en vertu de la Propos. Précéd.). Seul par conséquent, il est une cause libre.

E2P49S : 4° Voici enfin un dernier avantage de notre système, et qui se rapporte à la société politique ; nous faisons profession de croire que l'objet du gouvernement n'est pas de rendre les citoyens esclaves, mais de leur faire accomplir librement les actions qui sont les meilleures.


(E3P58) Outre cette joie et ce désir qui sont des affections passives, il y a d'autres joies et d'autres désirs qui se rapportent à nous en tant que nous agissons."

Or selon l'explication de E3D3 : "C'est pourquoi, si nous pouvons être cause adéquate de quelqu'une de ces affections, passion (affectus) exprime alors une action ; partout ailleurs, c'est une passion véritable." -- Et si nous pouvons être cause de nos propres affections, cela se rapporte à E1D7.
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