Contraire

De Spinoza et Nous.
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La cinquième proposition d’Éthique III affirme que deux choses sont de nature contraire ou ne peuvent exister en un même sujet, quand l'une peut détruire l'autre.

En effet, si deux choses contraires, comme par exemple la respiration et l'absence de respiration, pouvaient se convenir ou exister ensemble dans un même sujet il y aurait donc dans ce sujet à la fois affirmation et négation de la respiration. Si cette opposition était, comme on le suppose par hypothèse, présente dans la nature même du sujet en question, il y aurait en lui à la fois ce qui affirme et ce qui nie son essence, c'est-à-dire quelque chose qui de l'intérieur pourrait le détruire. Mais c'est absurde car une chose ne peut être détruite que par une cause extérieure (E3P4).

C'est pourquoi "Une idée qui exclut l'existence de notre corps ne se peut rencontrer dans notre mental ; elle lui est contraire". (E3P10)

Ainsi, la tristesse est contraire à l'effort par lequel l'homme persévère dans son être (E3P37, démonstration).


Logique et ontologie

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On peut noter qu'en logique classique, il y a quatre sortes de propositions opposées, correspondant aux quatre formes de propositions notées A pour l'universelle affirmative (Tout S est P), E pour l'universelle négative (Aucun S n'est P), I pour la particulière affirmative (Quelques S sont P) et O pour la particulière négative (Quelques S ne sont pas P). On obtient le carré ci-contre sur les rapports d'opposition entre ces propositions (peu importe leur vérité matérielle ici).

Les propositions contradictoires sont celles qui opposent A et O, I et E : "tous les cygnes sont blancs" contredit "quelques cygnes ne sont pas blancs" ou encore "quelques cygnes sont noirs" avec "aucun cygne n'est noir". Ces propositions ne peuvent être également vraies. Les propositions subalternes ne se contredisent pas vraiment : "aucun cygne n'est noir" et "quelques cygnes ne sont pas noirs" ou "tous les cygnes sont blancs" et "quelques cygnes sont blancs" peuvent être également vraies. Les propositions subcontraires restent indéterminées dans leur opposition : "quelques cygnes sont noirs" et "quelques cygnes ne sont pas noirs" peuvent coexister logiquement. En revanche, les propositions A et E ne peuvent en aucun cas coexister logiquement pour le même sujet : "Tous les cygnes sont blancs" et "aucun cygne n'est blanc". Si l'une est vraie, l'autre est nécessairement fausse.

Spinoza utilise cette catégorisation logique en lui conférant un caractère ontologique et non plus simplement logique pour distinguer l'impossible, le nécessaire et le possible dans le Traité de la réforme de l'entendement, à propos de la fiction, paragraphe 53 :

J'appelle impossible une chose dont la nature est telle qu'il implique contradiction qu'elle existe ; nécessaire, celle dont la nature est telle qu'il implique contradiction qu'elle n'existe pas ; possible, celle dont l'existence est telle que, par sa nature, il n'implique contradiction ni qu'elle existe ni qu'elle n'existe pas. Dans ce dernier cas, la nécessité ou l'impossibilité de l'existence de la chose dépend de causes qui nous sont inconnues tout le temps que nous feignons qu'elle existe ; mais si la nécessité ou l'impossibilité de son existence, laquelle dépend de causes étrangères, nous était connue, il ne serait en notre pouvoir de rien feindre en ce qui la concerne.

Ainsi, je sais par exemple qu'il est contradictoire avec la nature de l'éléphant que celui-ci puisse passer par le trou d'une aiguille, c'est impossible car cela supposerait également vraies les propositions "Tout éléphant mesure plusieurs mètres de large" et "quelques éléphants ne mesurent pas plusieurs mètres de large (et peuvent ainsi passer à travers le trou d'une aiguille)". En revanche, il est contradictoire avec la nature de la vallée que la montagne n'existe pas avec elle, il est donc nécessaire que là où il y a vallée, il existe une montagne. De même, il est contradictoire avec la nature de Dieu que celui-ci n'existe pas : si l'être absolument infini n'existait pas, cela voudrait dire qu'une puissance extérieure l'en empêcherait, ce qui est absurde puisqu'il n'existe par définition rien en dehors d'un être absolument infini. En d'autres termes, affirmer que Dieu n'existe pas reviendrait à poser en même temps qu'il est de sa nature d'être infini et de l'être pas ou encore qu'il de la nature d'un être absolument infini de ne pas être infini !

En revanche, il n'est pas contradictoire de poser également que "Pierre vient me voir" tout en sachant en fait que "Pierre s'en va chez lui" : la fiction est possible parce que "venir me voir" et "s'en aller chez lui" peuvent également appartenir à la nature de Pierre. Ce sont des propositions "subcontraires" qu'on pourrait trouver ici : "quelques fois Pierre vient me voir" et "quelques fois, Pierre ne vient pas me voir". De même on peut poser que "quelques hommes sont vertueux" en même temps que "quelques hommes ne le sont pas".

Pour passer de la simple nécessité logique à la nécessité ontologique , on le voit, Spinoza s'appuie principalement sur la notion de contrariété.

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