Discussion:Existence

De Spinoza et Nous.
Aller à : Navigation, rechercher

Sommaire

Contribution de Miam

La distinction essence/existence

« (existentia) le fait pour une chose d'être réellement, la présence, par opposition au fait de ne pas être, l'absence, et aussi par opposition à ce que cette chose est (son essence). »

C’est une définition générale, je suppose ? Si oui alors c’est une bonne définition car elle convient tant à Spinoza qu’à la définition médiévale traditionnelle. Je me réjouis de lire que, selon toi, il n’y a entre « l’essence et l’existence qu’une distinction de raison ». Cela suffit pour éloigner Spinoza de toute tradition thomiste.

Toutefois, si « en Dieu » et « au niveau des modes » il s’agit comme tu l’écris d’une même « distinction de raison », qu’est ce qui distingue encore le modes de la substance quant à leur rapport avec l’existence ?

De plus, « en Dieu », il ne s’agit pas même d’une distinction de raison comme tu l’écris mais bien d’une identité absolue (I 20). Cela d’ailleurs n’est pas le cas de toute substance dont l’essence enveloppe l’existence (I 7). Et « au niveau des modes », on trouve encore un autre type de distinction puisqu’ils ne sont pas causa sui. Si donc, comme tu le vois toi-même, on observe divers rapports de l’essence avec l’existence, pourquoi les appeler tous une même « distinction de raison » ?

Identité, distinction de raison et distinction réelle de l'essence et de l'existence

Selon ton serviteur il y a là trois différentes distinctions, ou plutôt une identité et deux différentes distinctions. On verra qu’il y en a deux de plus si l’on ajoute les modes infinis.

1° En Dieu, il s’agit d’une identité absolue. Spinoza n’écrit pas seulement que l’essence et l’existence de Dieu « idem sunt » comme il l’écrit par ailleurs des attributs ou de Dieu, de l’entendement de Dieu, et de ses créatures. Il écrit : « unum et idem sunt ». Ce qui est beaucoup plus fort. Et non sans raison puisque c’est cette identité absolue (« unum ») de l’essence et de l’existence en Dieu qui permet à chaque attribut d’exprimer « une essence éternelle et infinie » mais aussi « l’essence éternelle et infinie de Dieu ».

2° Pour toutes les substances dont l’essence enveloppe l’existence (I 7), en revanche, il demeure une distinction. Cette distinction, c’est celle de la substance et de ce qui définit la substance, c’est à dire la quiddité dont je te parlais dans la « discussion attribut ». C’est une distinction purement logique. Et très largement logique car il ne s’agit pas ici d’une logique spécifiquement spinozienne mais d’une logique discursive qui pourrait aussi bien être aristotélicienne. Cette logique est développée dans le scolie de la proposition 8 où le terme « essence » est pris dans son sens le plus général de définition. Il s’agit d’une distinction logique – ou assertorique - qui disparaît pour devenir apodictique dès que l’on a prouvé que Dieu existe nécessairement (identité absolue). En ce sens, en effet, cette distinction peut être dite « de raison ».

3° Quant aux modes, s’agit-il d’une véritable « distinction de raison » ? Leur essence n’enveloppe pas leur existence. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’ils peuvent être conçus autrement que comme existant (I D1) ou que de leur définition il ne suit pas qu’ils existent. C’est l’inverse de la distinction précédente, comme on le voit encore en I 8s. Mais l’inverse d’une distinction de raison ne peut être une distinction de raison. Il s’agit d’une distinction qui constitue quelque chose de réel pour le mode : le fait de n’être pas une substance (II 10). Il s’agit donc d’une « distinction modale ».

Essence et existence dans les modes

Mais précisons :

Pourquoi ne suit-il pas de la définition d’un mode qu’il existe ? Parce que l’essence d’une chose, c’est un « rapport » (ratio) : un rapport de mouvement et aux autres corps ou un rapport à l’idée de Dieu et à toutes les autres idées. Or dans l’univers spinozien tout possible est réel. Donc tous les rapports devront « exister », c’est à dire apparaître à un certain moment, même les rapports qui n’existent proprement pas sinon comme objet d’une idée (cf. cheval volant : il n’est pas un « être » mais existe « en tant que contenu dans l’attribut »). Ce que l’on ne sait pas, c’est « quand » ils vont exister. C’est pourquoi on ne peut conclure qu’ils existent de leur définition. Au niveau modal, la distinction entre l’essence et l’existence est donc d’ordre temporel.

Or, il s’agit de la « durée » et non du « temps ». La durée n’est pas une chose imaginaire comme le temps. Ce n’est pas une distinction de raison mais, pour ainsi dire le « mode d’existence du mode ». En ce sens cette distinction est modale :

Chaque attribut perçu par un entendement exprime et enveloppe l’existence, la nécessité, l’éternité et l’infinité (I 10s, 19d, 20d), c’est à dire les « modes d’existence » de la substance (PM II, 11). Autrement dit : son essence n’est affectée que comme existant dans l’essence d’une substance. Ou encore : il est perçu comme existant (CT I, 2, note 5) seulement « comme constituant l’essence d’une substance » (I D4) dont l’existence est déduite de la définition (I D3 > I7), de même que l’infinité (I 8) et tous les autres modes d’exister (I 10s, 11s, 19d, 20d). Donc l’attribut est éternel (I 19) puisqu’il exprime l’éternité d’une substance (I 10s). L’éternité est donnée avec l’existence. L’existence infinie, c’est l’existence nécessaire et donc l’éternité (I D8, PM II, 1). Tous les « modes d’exister sont solidaires comme quiddité de la substance. Plus encore : Spinoza assimile entre « …dont l’essence enveloppe l’existence » (dans l’Ethique) et « …dont l’essence enveloppe l’existence nécessaire » (dans l’Ethique et par exemple la Lettre 35). Il convient donc même de soutenir que l’existence est toute entière éternité. L’ Eternité est «  … une jouissance infinie de l’existence (existentiae) » (Lettre 12). L’éternité est le point de vue (specie) infini et adéquat sur l’existence.

Durée et éternité dans l'existence

Au contraire, la durée est seulement « une affection de l’existence » (PM II, 1) ou « la continuation indéfinie de l’existence » (II D5), à savoir le mode temporel de l’essence actuelle ou effort pour persévérer dans l’être (esse) du mode fini. C’est pourquoi la Lettre 12 peut énoncer sans contradiction que « la durée est issue des choses éternelles » : l’essence actuelle, elle-aussi, est une « vérité éternelle », et même ce que perçoit cette essence actuelle, car tout objet de perception est également une essence (formelle), et donc une « vérité éternelle ». C’est ici une question de point de vue : une même chose (une même essence), peut être considérée « sub specie aeternitatis » ou « sub specie durationis ».

Si donc d’une part l’éternité s’assimile à l’existence proprement dite, c’est à dire à une affection ou un mode de la substance appartenant à son essence (sa quiddité), et si d’autre part la durée est une affection, non pas de l’essence mais « une affection de l’existence » au niveau du mode, c’est qu’il y a bien une distinction modo-temporelle entre l’essence et l’existence au niveau du mode. Je ne dis pas une « distinction modale » stricte, parce qu’il s’agit là précisément de « modes d’existence » et non pas de modes de l’essence. Ce n’est pas entre deux modes de l’attribut que s’opère la distinction, ni entre un mode et son attribut. C’est entre un mode d’existence de la substance - l’existence - et une affection (ou mode) de ce mode, qu’il y a distinction. Ce n’est donc pas une « distinction modale » au sens propre, mais, précisément, une « distinction modo-existentielle et temporelle ».

Essence et existence dans les modes infinis

Outre l’identité absolue en Dieu, on trouve encore une troisième et une quatrième distinctions. Elles concernent les modes infinis éternels, voire sempiternels, et servent de médiations entre l’éternité a priori (par définition) de la causa sui et la durée des modes finis. En effet, bien que leur essence n’enveloppe pas leur existence, mais comme ils possèdent toute la puissance infinie de l’attribut un au niveau modal- divisible-multiple, les modes infinis n’en demeurent pas moins éternels, ou du moins sempiternels quant aux modes infinis médias.

4° Entre l’attribut et le mode infini, il s’agit de rien de moins que de la distinction entre la nature naturante et la nature naturée. Cette distinction recouvre celle de l’indivisible et du divisible. Comme dans de nombreux textes (CT et Lettres) Spinoza écrit que les attributs de Dieu (en tant seulement qu’ils sont les attributs de Dieu donc) existent par soi et sont causa sui, il semble que cette distinction recouvre également celle entre ce qui est causa sui et ce qui ne l’est pas.

Pourtant ce qui manque aux modes infinis (du moins immédiats), ce ne sont pas les modes d’exister. Ce n’est pas l’éternité. Ce n’est pas la nécessité, puisque les modes infinis immédiats sont dits éternels et que l’éternité est définie par l’existence nécessaire ou infinie. Les modes infinis immédiats sont bien éternels et existent nécessairement. Mais ils ne sont pas « causa sui » : ce n’est pas par eux-mêmes qu’ils existent nécessairement. C’est par la puissance de Dieu : la puissance que lui confère un Dieu indivisible et existant par soi dans le divisible. Les modes infinis immédiats n’existent pas par soi mais ils existent nécessairement et sont éternels de par la puissance, c’est à dire l’essence ou l’existence nécessaire, de Dieu. Nonobstant, l’existence nécessaire ne fait pas partie de leur définition.

Comme on voit, ici, on parle de Dieu et on est au delà de la preuve de son existence. Il ne s’agit plus de la seule causa sui comme l’énonce la définition 1 et qui est logiquement affirmée de la substance en I 7 après déduction de sa définition. Car, à présent, nous savons qu’il n’y a plus qu’une unique causa sui (I 11) : « unum », et que celle-ci doit être indivisible (I 23). Par conséquent les modes d’exister de la substance peuvent être conférés à ce qui n’est pas causa sui. Autrement dit : ce n’est que parce qu’il y a une infinité d’attributs qu’il y a des modes infinis éternels et pourtant divisibles. Car c’est à Dieu seul qu’est dévolu la nécessité d’une réflexivité et cette connaissance exige une multiplicité d’objets unis en une seule idée. C’est donc certes à partir de la distinction essence – existence que sont posés les modes infinis immédiats mais seulement via celle entre le divisible et l’indivisible qui n’apparaît qu’avec Dieu dès lors qu’il s’avère être le seul « causa sui ». C’est, si l’on veut, une distinction « modo-héno-existentielle ».

Quant à la distinction entre les modes infinis immédiats et médiats, si elle semble temporelle, elle n’est pourtant existentielle qu’en partie, puisque l’infinité, qui est un mode d’existence, convient à ces deux modes. En réalité il s’agit de la distinction entre une assimilation de l’infinité et de l’éternité – les « modes d’existence »- dans le tout infini divisible d’une part, et d’autre part ses parties finies et durables, à savoir les modes finis y contenus.

Bilan

Comme tu le vois c’est assez compliqué. Et on pouvait s’y attendre : comme tout est « la même chose » (idem) chez Spinoza, on y trouve nombre de distinctions très subtiles qui n’ont sans doute pas besoin de noms pour être comprises. Reste que l’on trouve une sorte d’échelle existentielle-temporelle depuis l’identité absolue de Dieu jusqu’à la durée du mode fini, en passant par l’appartenance logique dans toute substance et le nécessaire passage de l’indivisible au divisible puis de l’éternel au durable. On a alors : identité absolue en Dieu distinction de raison dans une substance distinction modo-existentielle 1 dans les modes infinis immédiats. distinction modo-existentielle 2 dans les modes infinis médiats. Distinction modale 3 existentielle-temporelle au sein des modes finis, qui recouvre partiellement la distinction 2 dans les modes infinis immédiats.

Enfin bon. Il reste que contrairement à ce que tu écris, selon moi, en Dieu il n’y a pas de distinction du tout ; tandis qu’au niveau modal il serait dommage de qualifier la distinction entre l’essence et l’existence de « distinction de raison ». Il s’agit plutôt d’un certain type de distinction modale. Maintenant je ne dis pas : « modo-existentielle » ou « temporelle » ce n’est pas terrible non plus. Mais qu’importe le nom des distinctions !

C’est pourquoi je me demande s’il convient d’entamer l’éclairage de la notion d’existence par sa distinction avec l’essence. Pour ma part, je préfèrerais la définir d’abord comme « ce qui appartient à la nature d’une substance » pour ainsi passer à ce qu’exprime chaque attribut, c’est à dire l’essence ou l’existence de Dieu.

Par ailleurs, je me demandais s’il ne convenait pas de créer des entrées pour des notions comme « exprimer », « expliquer » ou « envelopper » sous la rubrique « ontologie » .

Salutations — Miam

Outils personnels
Espaces de noms
Variantes
Actions
Découvrir
Œuvres
Échanger
Ressources
Boîte à outils