L'homme n'existe pas

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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sescho
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Messagepar sescho » 23 juin 2008, 23:19

Enegoid a écrit :Voici mon interprétation (un peu moins compacte, je l’avoue) mais semble-t-il « inverse » de la vôtre :

Ce n'est pas à proprement parler une interprétation, mais, sauf erreur, une contraction purement logique de la démonstration.

Enegoid a écrit :Le bien suprême est la connaissance de Dieu (E4 p58). Dieu est dans les choses particulières qui sont des affections des attributs de Dieu (E1 p25). Le troisième genre de connaissance c’est de passer de la connaissance de l’essence de certains attributs de Dieu (choses particulières) à l’essence des choses.

Hum ! Ce n'est pas l'ordre requis par Spinoza : Dieu et ses attributs (c'est la même chose) vient en premier, puis les modes infinis et les choses singulières ensuite. Mais OK, c'est bien au travers des choses singulières soumises au changement qu'on connaît Dieu, par les notions communes (axiomes), les démonstrations, les propositions qui en découlent (ou lois, ou propriétés des choses), et en retour ultime : la vision intuitive, directe, dans les choses singulières, de ce qu'elles désignent.

En fait, les choses singulières sont des phénomènes dont la racine éternelle est : les lois (outre les attributs et les modes infinis, le tout constituant l'essence divine.)

Spinoza, Ethique, traduit par E. Saisset, a écrit :E2P10S : [Ces philosophes qui ne définissent pas proprement l'essence] n’ont pas gardé l’ordre philosophique des idées. La nature divine, qu’ils devaient avant tout contempler, parce qu’elle est la première, aussi bien dans l’ordre des connaissances que dans l’ordre des choses, ils l’ont mise la dernière ; et ces choses qu’on appelle objet des sens, ils les ont jugées antérieures à tout le reste. Or voici ce qui est arrivé : pendant qu’ils considéraient les choses naturelles, il n’est rien à quoi ils songeassent moins qu’à la nature divine ; puis, quand ils ont élevé leur esprit à la contemplation de la nature divine, ils ont complètement oublié ces premières imaginations dont ils avaient construit leur science des choses naturelles ; et il est vrai de dire qu’elles ne pouvaient les aider en rien à la connaissance de la nature divine, de façon qu’il ne faut point être surpris de les voir se contredire de temps en temps...

Lettre 10 à Simon de Vries : Vous me demandez si nous avons besoin de l’expérience pour être assurés que la définition d’un attribut est vraie. Je réponds que l’expérience n’est requise que pour les choses dont la définition n’emporte pas l’existence, par exemple, pour les modes, l’existence d’un mode ne résultant jamais de sa seule définition ; mais l’expérience est inutile pour les êtres en qui l’existence ne diffère pas de l’essence et dont la définition par conséquent implique l’existence réelle. L’expérience n’a rien à voir ici ; elle ne nous donne pas les essences des choses ; le plus qu’elle puisse faire, c’est de déterminer notre âme à penser exclusivement à telle ou telle essence déterminée. Or l’existence des attributs ne différant pas de leur essence, il s’ensuit qu’aucune expérience n’est capable d’y atteindre.


Enegoid a écrit :Donc quand j’augmente ma connaissance des choses particulières, en passant par le 3èmre genre de connaissance qui les relie à Dieu, j’augmente ma connaissance de Dieu. Et donc c’est ce que je recherche par dessus tout : ce passage de la connaissance des choses particulières à la connaissance de Dieu (dit Spinoza).

Cela me va.

Enegoid a écrit :Nul ici je pense ne qualifierait Spinoza d’hédoniste. Mais Spinoza n’a rien contre un hédonisme bien tempéré ! Je n’ai donc pas la même inquiétude que vous.

Oh, Spinoza ne m'inquiète pas, c'est même le strict opposé. C'est sa lecture qui peut poser problème, si l'on se méprend sur le sens.

Serge
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Faun
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Messagepar Faun » 24 juin 2008, 12:38

Enegoid a écrit :Sans ironie aucune (parceque je comprends bien l'objection que vous soulevez ) je vous fais remarquer qu'un cadavre tend aussi à persévérer dans son être...


J'avais plutôt l'impression que l'être du cadavre tendait à se décomposer, mais c'est vous qui voyez...

Pour Sescho,

Je ne crois pas que nous jamais aboutir à un accord sur une vision commune de la philosophie de Spinoza.

Là où je vois des processus mécaniques, ou machiniques, vous voyez des lois, là où je vois du désir, de la joie et de la plénitude, vous voyez un manque et une souffrance, là où je vois de la liberté affective et intellectuelle, vous voyez un dogme moral, là où je vois une multiplicité infinie et changeante, vous voyez une uniformité immuable, etc.

Nous n'avons sans doute pas les mêmes façons de raccorder Spinoza à l'histoire de la philosophie.

Ou bien faut il mettre cela sur le compte de la nécessité universelle, qui produit une infinité d'êtres différents, dont les désirs ne peuvent jamais s'accorder, puisque leurs essences sont toutes différentes les unes des autres. (par la proposition 16 de la partie 1)

P.S. La joie qu'est l'orgueil, par exemple, ne conduit pas à l'Amour, mais à la Haine. La joie ordinaire n'est pas du tout la béatitude.


Bon là dessus aussi nos opinions sont opposées. Un contemporain de Spinoza ne s'y était pas trompé :

"L'orgueil est égal dans tous les hommes, et il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre au jour."

La Rochefoucauld

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sescho
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Messagepar sescho » 24 juin 2008, 20:34

Faun a écrit :Là où je vois des processus mécaniques, ou machiniques, vous voyez des lois

Je ne vois pas que ce soit incompatible... Mais bien avant moi, c'est Spinoza qui parle des lois, et abondamment (j'ai reproduit des extraits ou des références ci-dessus.) Mon premier objectif est de comprendre Spinoza, pas d'y lire ce qui m'"arrange", et ce, donc, dans le texte même de Spinoza. Sur les lois, cela me semble très bien écrit et très clair (je ne parle pas là de passages croisés, etc. : du clair pur.) Dans ces conditions, si nous n'y lisons pas la même chose, il n'y a effectivement pas grand chose à faire. C'est vrai que je m'oriente éventuellement avec d'autres lectures (par exemple, pour tous les grands sages, l'orgueil est un poison et le désir le moteur de la souffrance, l'ignorance étant la racine) ; je cherche alors ce que Spinoza en dit ; pour l'orgueil c'est très explicite aussi chez Spinoza ; pour le désir, il suffit de suivre l'étiologie des passions (et quelques remarques comme celle que j'ai reproduite plus haut) pour constater qu'il en est de même. Après, je lis ce que je lis...

Faun a écrit :... , là où je vois du désir, de la joie et de la plénitude, vous voyez un manque et une souffrance, là où je vois de la liberté affective et intellectuelle, vous voyez un dogme moral

Juste une éthique, comme le titre du livre. Et cela ce n'est pas, sauf pour de rarissimes personnes, "je suis dans la béatitude comme je suis."

Faun a écrit :là où je vois une multiplicité infinie et changeante, vous voyez une uniformité immuable, etc.

Je ne peux savoir comment vous voyez ce que vous voyez, mais chez Spinoza l'éternité ne me semble pas être un vain mot. Sur le fond : c'est les deux en même temps : l'ëtre immuable et légal dans le multiple changeant et interdépendant. Spinoza le dit lui-même (communauté avec Dieu, communauté avec les modes : double nature ; la plus sensée ? La première...)

Faun a écrit :Nous n'avons sans doute pas les mêmes façons de raccorder Spinoza à l'histoire de la philosophie.

L'Histoire de la Philosophie, ce n'est pas vraiment mon truc... mais je relie évidemment ce que j'ai lu entre divers auteurs quant au sens.

Un contemporain de Spinoza ne s'y était pas trompé

Peut-être, mais ce qui m'intéresse ici c'est ce qu'en dit Spinoza, et il est sur le sujet on ne peut plus clair (enfin, je pense.)

Serge
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Messagepar Enegoid » 24 juin 2008, 21:29

faun a écrit :J'avais plutôt l'impression que l'être du cadavre tendait à se décomposer, mais c'est vous qui voyez


C'était une simple tentative un peu provoc (mais ratée, apparemment) en référence à une discussion passée sur le vieillissement. Vous y défendiez si mes souvenirs sont bons que les processus de vieillissement étaient dus exclusivement à des causes externes...

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Messagepar hokousai » 24 juin 2008, 22:06

Cher serge

Pour parler librement je ne vois pas quelle béatitude ont peu tirer de cette idée de lois éternelles de la nature .C’est une idée que je ne supporte guère et je ne suis pas près de me rendre .

Vous estimez que Spinoza est clair quand il parle de lois éternelles ,je le trouve moi non seulement des plus obscurs mais des plus inconséquent .

Qu’est ce qu’une loi sinon une idée humaine trop humaine élevée sans mégardes au rang d’idée de l’essence de Dieu ? On obtient à l’arrivée un Dieu contradictoirement causa sui ET obligé par des lois , sinon pire créateur de lois .
Si vous ne voyez pas le pernicieux de l’affaire c’est bien que vous choisissez ce qu’il vous plait de lire dans Spinoza .

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Messagepar Enegoid » 24 juin 2008, 23:02

hokousai a écrit :Pour parler librement


Je ne veux pas faire un fromage de ce qui n'est sans doute qu'une figure de style, mais quand même, çà implique, ailleurs, une retenue préjudiciable à la clarté des débats, non ?

je ne vois pas quelle béatitude ont peu tirer de cette idée de lois éternelles de la nature


Moi non plus, sauf le confort tangible (fatalisme) évoqué par Spi dans E5 p6 "Nous voyons en effet la tristesse causée par la perte d'un bien adoucie sitôt que le perdant considère que ce bien ne pouvait être conservé par aucun autre moyen"

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Messagepar hokousai » 24 juin 2008, 23:37

mais quand même, çà implique, ailleurs, une retenue préjudiciable à la clarté des débats, non ?


Ecoutez ,c'est simple
quand vous ne me trouvez pas clair et que ça vous gène ,demandez moi des éclaircissements ( pas évident que je puise faire mieux mais on peut voir )

( apparemment là vous avez compris.....remarquez que je cherchais ausssi à bien me faire comprendre )

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bardamu
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Messagepar bardamu » 24 juin 2008, 23:49

sescho a écrit :Je reviens sur E5P24-E5P25.

Toute la controverse se résume en fait à une seule chose : la contraction de E5P25 et de E5P24 ferait dire implicitement (puisqu'elle ne le fait pas, explicitement) à E5P25 qu'il y a "connaissance du troisième genre de l'essence des choses [singulières]" (...)

Bonjour Serge,
je n'ai pas beaucoup de temps et j'irais à l'essentiel.
D'abord, pour être sûr de te comprendre (pas sûr...) :
1- tu refuses l'idée qu'on puisse connaître l'essence d'une chose particulière par le 3e genre de connaissance et tu veux en rester à un "rerum", les choses en général,
2- quand on dit "une chose en elle-même", tu vois contradiction selon le principe que ce sont des modes : tu identifies le "être soi" à "être cause de soi"
3- un point que je subodore mais sans certitude aucune : est-ce que tu considèrerais qu'on ne peut pas connaître une autre chose que soi ou connaître autrement que par ce qu'on a de commun avec une autre chose, parce que tu identifierais la connaissance vraie au fait d'être l'idée d'un objet, d'être le mode d'une chose selon l'attribut Pensée ? Dit autrement : en nous, il ne pourrait y avoir d'autre mode de la Pensée que le nôtre donc nous ne pourrions connaître l'essence d'autre chose que nous ?

Concernant le point 2 :
Tu auras sans doute compris que quand je dis "en elle-même", je n'identifie pas le "être soi" (essence) à "être cause de soi" (substance). Comprendre une chose comme elle est, en elle-même, à partir des attributs, c'est justement la comprendre comme mode (si c'est un mode). Toute chose déterminée a, par définition, un "elle-même" qui fait qu'elle est une chose déterminée, qu'elle fait "effort pour persévérer dans son être" et pas dans celui d'un autre, chose qu'on comprend chaque fois que l'esprit est déterminé à "comprendre les convenances, les différences et les oppositions" (E2p29scolie).

Il y a ensuite le statut des modes.
Le scandale de Spinoza est le fait qu'au final Dieu et les choses se disent de la même manière. La connaissance du 3e genre ne fonctionne pas sur le mode indicatif, une chose ne sert pas de poteau indicateur montrant quelque chose au loin, elle fonctionne de manière expressive : le rougeoiement du ciel affirme une puissance d'exister "en rouge" qui n'est rien d'autre que le ciel.
Si l'essence de Dieu est puissance en acte, les attributs des manières d'être et leurs modes finis cette même puissance sous ces mêmes manières d'être, lorsqu'on comprend un mode, on comprend une réalité.
Je ne sais pas si quand tu parles des modes comme des "phénomènes" tu veux sous-entendre qu'il y a derrière une nature supérieure, plus profonde, mais justement, la compréhension du 3e genre montre les modes comme des réalités vraies. Des limites certes, des puissances particulières, des directions spécifiques, mais pas d'arrière-monde, pas de substance cachée.

Il s'agit de percevoir une puissance en acte, un effort à persévérer, un processus, un être-là, un grand jeu de "forces en présence" d'où se détermine les propriétés observables.
Un vecteur force contré par un autre n'apparaîtra pas au premier coup d'oeil mais pourtant il est là, s'affirmant, n'attendant qu'une faiblesse de l'autre pour que sa direction s'impose. Comprendre l'essence d'une chose particulière, c'est voir ce qui pousse en elle, ce qui s'affirme de spécifique, c'est déterminer une direction à partir des convenances, des différences et des oppositions, le tout comme expression divine.

Finalement, j'ai fait plus long que voulu...

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Louisa
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Messagepar Louisa » 25 juin 2008, 00:49

Bonjour Sescho,

ayant lu avec beaucoup d'intérêt tous tes messages précédents, je ne peux qu'admirer ta tentative d'expliquer ton point de vue. Mais j'avoue qu'en ce qui me concerne, je suis vraiment désolée, deux choses essentiellement manquent pour pouvoir adhérer à ton interprétation de Spinoza:

- au niveau méthodologique: ce qui reste absent, c'est une ANALYSE DETAILLEE du texte. Ce que je comprends par là: ce que j'ai essayé moi-même ci-dessus pour les E5P24-25. Je lis dans tes messages d'une part des énoncés interprétatifs, d'autre part des citations de texte, mais beaucoup plus rarement une explicitation des liens logiques qui te permettent de déduire ton interprétation (qui est tout sauf littéralement le texte, puisque JAMAIS Spinoza ne dit que le troisième genre de connaissance porte sur les lois communes de la nature) du texte. Or sans cela (ce que malheureusement tu sembles écarter d'un revers de main en l'appelant "discutailler"), il est assez difficile de comprendre sur quoi tu fondes ton interprétation.

- au niveau du contenu: ce qui reste absent, c'est la dimension AFFECTIVE du troisième genre de connaissance. Jamais tu n'expliques comment simplement appliquer les lois communes de la nature aux choses singulières devrait nous procurer cette JOIE SUPREME, ce SUPREME BONHEUR, cette béatitude qui caractérise pour Spinoza le troisième genre de connaissance.

Sinon je bute sans cesse sur des contradictions inévitables avec le texte spinoziste. Un exemple: l"essence" des choses sur lequel porte le troisième genre de connaissance, ce seraient selon toi les lois communes de la nature. Mais Spinoza définit l'essence d'une chose singulière comme ce qui n'a RIEN en commun avec les autres choses. C'est donc précisément parce que, comme le dit notamment ta citation du TTP, les lois UNIVERSELLES de la nature portent sur ce que toutes les choses ont en commun, qu'il est impossible que la connaissance de ces lois (qu'on l'applique ou non; la béatitude spinoziste n'est pas une affaire "technique" de simple application d'un savoir déjà acquis autrement - c'est-à-dire le troisième genre n'est pas au deuxième ce que la technologie est aux sciences) nous fait comprendre quelque chose de l'ESSENCE des choses.

Sescho a écrit :Et sans mésestimer en aucune façon la valeur de mes interlocuteurs, je dois dire en mon ressenti personnel pur, que toute autre idée est absolument ridicule, grotesque, selon moi.


je ne suis pas si certaine qu'il s'agisse d'un "ressenti personnel pur" (et il n'y a également aucune volonté de mésestimer de ma part en disant cela). Quand on lit par exemple B. d'Espagnat (physicien qui comme tu le sais est un grand spécialiste de la physique des particules, mais également philosophe), on constate que la plupart de ceux qui ont eu une formation scientifique (comme moi-même, d'ailleurs) ont tendance à adopter ce qu'il appelle un "réalisme naïf": on identifie les lois physiques avec LE réel, en oubliant qu'il s'agit avant tout de créations humaines. Les sciences (= la connaissance des lois communes) peuvent-elles nous mettre en contact avec "le réel en soi"? Depuis Kant on sait que non, croire cela n'est pas très raisonnable. Tu pourrais bien sûr objecter que Spinoza n'est nullement obligé d'être kantien, en cette matière. Mais le fait qu'il dit que l'Ordre que nous voyons dans la nature, ordre structuré par nos lois physiques, n'est qu'un phénomène imaginaire suggère que Kant n'a pas tout inventé lui-même (on sait que Spinoza était l'une de ses sources d'inspiration les plus importantes). Pensons aussi au fait que Spinoza dit que HORS L'INTELLECT il n'y a que les attributs et les modes. Cela aussi indiquerait à mon sens que les "lois" que nous découvrons sont avant tout une affaire de notre intellect. Hors cet intellect, dans dans le réel "en soi", il n'y a pas de "lois".

Quand donc tu trouves l'idée d'une connaissance intuitive adéquate de l'essence singulière d'une chose "ridicule", à mon avis tu le dis sur base certes d'un "ressenti spontané", mais pas vraiment personnel au sens où il caractérise le "réalisme naïf" de tout scientifique dépourvu de culture philosophique. A cela s'ajoute le fait qu'aujourd'hui, même en philosophie, on utilise rarement l'idée d'une essence singulière. Et même avant Spinoza le concept est rare. Mais comme le disait déjà Shakespeare: "There's more between heaven and earth than you and I may have dreamt of". Ce n'est pas parce que pour nous, l'idée d'une essence singulière est ridicule, et parce qu'aujourd'hui nous avons tendance à croire seulement en la réalité des lois de l'univers, qu'on peut déjà se permettre d'écarter l'hypothèse que Spinoza a voulu inventé ce concept, et l'a même mis au coeur de sa conception de la béatitude. Bref, pour moi le fait qu'aujourd'hui l'idée d'une essence singulière n'est spontanément pas très crédible voire ridicule pour nous ne constitue aucunement une preuve de la possibilité d'écarter toute connaissance adéquate des essences singulières chez Spinoza. La seule preuve sérieuse ne peut venir que d'une analyse détaillée du texte même.

Enfin, je voulais juste signaler un autre problème encore. Supposons que le troisième genre de connaissance, produisant des idées adéquates de l'essence des choses, porte sur les lois communes de la nature. Que dit Spinoza de cet "ordre commun" de la nature? Qu'aussi longtemps que c'est lui qui détermine nos idées et affections, nous PATISSONS. Nous subissons. C'est-à-dire nous produisons des effets qui ne s'expliquent PAS par notre nature à nous. Ce n'est QUE en tant que nous agissons, en tant que nous avons une idée adéquate, que nous ne sommes PAS déterminé par l'ordre commun de la nature. C'est pourquoi jamais les lois communes de la nature ne peuvent expliquer notre ESSENCE, puisque celle-ci se définit par nos actions. L'ordre commun de la nature n'explique QUE nos passions, c'est-à-dire ce qui ne caractérise PAS notre essence singulière.

Sinon je m'intéresse toujours à une analyse détaillée de l'E5P36sc, comme tu l'avais proposé. Si tu préfères laisser tomber mon analyse des E5P24-25, je suis prete à en faire une pour ce scolie 36. Il suffit que tu me signales ta volonté d'en discuter réellement pour que je m'y emploie. Si en revanche tu préfères rester sur des énoncés plus généraux, voici donc quelques problèmes généraux que soulève pour moi l'interprétation que tu nous proposes.
En te remerciant par avance de tout commentaire/critique/réfutation concrète... ,
L.

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Messagepar Faun » 25 juin 2008, 02:50

Enegoid a écrit :C'était une simple tentative un peu provoc (mais ratée, apparemment) en référence à une discussion passée sur le vieillissement. Vous y défendiez si mes souvenirs sont bons que les processus de vieillissement étaient dus exclusivement à des causes externes...


Votre provocation n'était pas ratée, car j'ai bien ris en la lisant.

Je reconnais que ma formulation est en effet fausse en toute logique. On devrait dire en effet que les cadavres sont décomposés, et non qu'ils tendent à se décomposer. Et en effet, s'ils sont décomposés par des corps extérieurs, c'est parce qu'aucune force en eux ne subsiste pour l'empêcher, la puissance qui les rendaient capable de résister aux agressions extérieures ayant disparue.

Pour Louisa,

Il existe je crois un moyen encore plus simple d'argumenter. Puisque ces "lois" (il est vrai que Spinoza parle ainsi, mais sans doute seulement afin de se faire comprendre plus facilement de ses contemporains) sont des idée de rapports entre les choses, qui disent ce que les choses ont en commun ou non, et en quoi ces choses peuvent s'accorder ou non, elles sont des notions communes. Or les notions communes (par la proposition 37 de la 2eme partie) ne constituent l'essence d'aucune chose singulière.


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