Faut-il « tuer » Spinoza ?, demandions-nous.
Sans aller jusque-là, peut-être faut-il, au moins, le suspendre !
Expliquons-nous en partant d’une expérience vécue.
En proie à des pensées et des affects tristes dont on aimerait bien sortir, il s’avère que, contrairement à ce que nous espérions, le recours à la philosophie et, en particulier à l’éthique spinoziste est totalement inopérant.
Il suffit alors de se dire que rien ne marche, que rien n’a jamais marché y compris ce qu’a élaboré Spinoza, pour être instantanément libéré des affects et pensées tristes qui nous tourmentaient.
C’est ce que, à l’exemple des Sceptiques grecs, nous appellerons une « suspension de l’Ethique ».
Allons même jusqu’à dire : « Il n’y a pas d’Ethique ! »
On dira peut-être que j’ai mal lu le titre de l’ouvrage principal de Spinoza.
Et pourtant, il n’y a pas plus d’Ethique qu’il n’y a de Budapest comme l’avait bien noté Robert Benchley :
http://www.koikadit.net/RBenchley/budapest.htmlExplicitons la comparaison avec la suspension sceptique (epokhê) en citant Sextus Empiricus :
« En fait, il est arrivé au sceptique ce qu’on raconte du peintre Apelle. On dit que celui-ci, alors qu’il peignait un cheval et voulait imiter dans sa peinture l’écume de l’animal, était si loin du but qu’il renonça et lança sur la peinture l’éponge à laquelle il essuyait les couleurs de son pinceau ; or quand elle l’atteignit, elle produisit une imitation de l’écume du cheval. Les sceptiques, donc, espéraient aussi acquérir la tranquillité en tranchant face à l’irrégularité des choses qui apparaissent et qui sont pensées, et, étant incapables de faire cela, ils suspendirent leur assentiment. Mais quand ils eurent suspendu leur assentiment, la tranquillité s’ensuivit fortuitement, comme l’ombre suit un corps. » (Esquisses pyrrhoniennes – traduction Pierre Pellegrin Seuil Essais 1997 p. 21)
Précisons, avec P. Pellegrin, que :
« La suspension sceptique est une sorte de “métasuspension” qui s’applique à la suspension elle-même » (ibid. p. 531)
Indiquons encore que le spinozisme se rapproche du scepticisme en ce sens que :
« Les sceptiques ne forment pas une école au sens habituel du mot. Celle-ci, en effet, suppose l’adhésion à la doctrine d’un maître fondateur, or comment savoir quelle était la “disposition” de Pyrrhon ? Sextus emploie le terme agôgê, qui signifie, outre le fait de transporter, la “conduite” en tous les sens du terme : la direction d’une armée, la conduite des affaires politiques, la manière de conduire sa vie, la manière de conduire un raisonnement ou une investigation intellectuelle. Sextus entend ainsi signifier qu’être sceptique est une affaire de conduite plutôt que de doctrine. » (ibid. pp. 535-536)