Deleuze a écrit :Le bon et le mauvais sont doublement relatifs, et se disent l'un par rapport à l'autre, et tous deux par rapport à un mode existant. (...) Objectivement, dès lors, est bon ce qui augmente ou favorise notre puissance d'agir, mauvais ce qui la diminue ou l'empêche: et nous ne connaissons le bon et le mauvais que par le sentiment de joie ou de tristesse dont nous sommes conscients. (...) En tous ces sens, le bon, c'est l'utile, le mauvais, c'est le nuisible (IV, déf. 1 et 2). Mais l'important est l'originalité de cette conception spinoziste de l'utile et du nuisible.
Le bon et le mauvais expriment donc des rencontres entre des modes existences ((...), des déterminations extrinsèques (...)).
Quoiqu'il y ait dans toute rencontre des rapports qui se composent,(...) on évitera de dire que tout est bon, que tout est bien. Est bonne toute augmentation de la puissance d'agir. De ce point de vue, la possession formelle de cette puissance d'agir, et aussi bien de connaître, apparaît comme le summum bonum (...). La Raison recherche donc le souverain bien ou l'"utile propre", proprium utile, commun à tous ls hommes. (...)
Précisément parce que le bon se dit par rapport à un mode existant, et par rapport à une puissance d'agir variable et non encore possédée, on ne peut pas totaliser le bon. Si l'on hypostasie le bon et le mauvais en Bien et Mal, on fait du Bien une raison d'être et d'agir, on tombe dans toutes les illusions finalistes, on défigure la nécessité de la production divine, et notre manière de participer à la pleine puissance. C'est pourquoi Spinoza se distingue fondamentalement de toutes les thèses de son temps d'après lesquelles le Mal n'est rien, et le Bien fait être et agir. Le Bien, comme le Mal, n'a pas de sens. Ce sont des êtres de raison, ou d'imagination, qui dépendent tout entiers des signes sociaux, du système répressif des récompenses et des châtiments.
Je continue avec Sévérac et Suhamy dans le message suivant. Mais je suis tout à fait d'accord avec Deleuze lorsqu'il rappelle que le bien et mal absolus sont des notions qui font partie d'un système répressif et inefficace. Totaliser le bien, c'est importer subrepticement, imperceptiblement, toute une manière de penser et d'être que Spinoza rejette violemment, simplement parce qu'elle est nuisible au plus haut point.
On risque de ne pas pouvoir mener cette lutte lorsqu'on réintroduit l'idée d'un bien absolu dans le spinozisme. Le fait de décider d'identifier "absolu" et summum à mon sens n'efface aucunement ces conséquences potentielles, surtout pas lorsqu'on utilise ces termes en parlant de Spinoza au "vulgaire" (qui lui est nécessairement encore d'un pied dans une pensée chrétienne, aujourd'hui, aussi athéiste et anticatholique qu'il puisse être).