Lettres de et à Blyenbergh (1664-1665)

De Spinoza et Nous.
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Voir le texte original néerlandais et la traduction latine des Opera posthuma (pour laquelle Spinoza traduisit lui-même ses propres lettres).

Traduction de JF.


Sommaire

Lettre 18




Au très célèbre

B. d. S.

Guillaume de Blyenbergh



Monsieur, et ami inconnu,

Je viens de lire attentivement, et plutôt deux fois qu’une, votre Traité, ainsi que son Appendice, récemment publié. Il me conviendrait mieux que ce soit à d’autres plutôt qu’à vous que je dise la solidité que j’y ai trouvée et le plaisir que j’en ai retiré : je ne peux pourtant vous cacher que plus je le relis avec attention, plus il me plaît, et j’y remarque toujours quelque chose dont je ne m’étais pas aperçu auparavant. Cependant, pour ne pas paraître flatteur* [1] dans cette lettre, je ne veux pas trop admirer l’autheur* : je sais que les dieux vendent tout au prix d’efforts. Mais pour ne pas vous retenir plus longtemps dans l’étonnement, je vais vous dire qui est cet inconnu et comment il se fait qu’il prenne la liberté de vous écrire : c’est quelqu’un qui, mû par un désir pur et sincère de vérité, dans cette vie brève et fragile, s’applique à s’établir dans la science, autant que notre intelligence le permet ; quelqu’un qui s’est fixé comme but, pour rechercher la vérité, rien d’autre que la vérité même ; quelqu’un qui, par la science, s’efforce de s’acquérir non les honneurs ou les richesses mais la vérité nue et l’apaisement [2] comme effet de la vérité ; qui prend plaisir, parmi toutes les vérités et les sciences, à aucune plus qu’aux métaphysiques, sinon à toutes, du moins à une partie d’entre elles ; et qui trouve toute la délectation de sa vie à y passer ses heures de loisir et ses moments perdus. Mais personne n’est aussi heureux et ne s’adonne autant à l’étude que, j’en suis convaincu, vous vous le faites, et donc personne n’est parvenu à la perfection où vous êtes déjà parvenu, je m’en rends compte à votre ouvrage. Pour le dire en un mot, c’est quelqu’un que vous pourrez connaître plus intimement s’il vous plaît de vous l’attacher à un point tel que vous découvriez et quasiment perciez ses pensées.
Mais je reviens à votre traité. Si j’y ai trouvé beaucoup de choses qui flattaient le palais au plus haut point, certaines aussi s’offraient qui étaient difficiles à digérer, et il ne serait pas juste qu’un inconnu vous présente des objections, d’autant que j’ignore si elles seront bien reçues : voilà pourquoi je vous préviens, et vous demande s’il m’est possible – si les soirées d’hiver laissent du temps et si cela vous plaît de répondre aux difficultés que je trouve encore dans votre livre – de vous en transmettre quelques-unes ; à la condition expresse cependant que je ne vous empêche pas de vous consacrer à des choses plus utiles et plus agréables, parce que je ne désire rien plus intensément, selon la promesse faite dans votre livre, qu’une explication et une édition plus complètes. Je vous aurais bien témoigné ce que je vous confie en vous saluant en personne plutôt que par la plume et le papier ; mais ignorant où vous habitez, et une maladie contagieuse et ma fonction m’en ayant empêché, j’ai remis cela à un autre moment.
Mais pour que cette lettre ne soit pas complètement vide et parce que en même temps je suis mené par l’espoir de ne pas être désagréable, je ne vais vous proposer qu’un seul point : un peu partout tant dans les Principes que dans les Pensées métaphysiques vous affirmez – soit que vous expliquiez un sentiment personnel, soit Monsieur Descartes*, dont vous enseignez la philosophie – que créer et conserver sont une et même chose (ce qui est tellement clair pour ceux qui ont mis leurs pensées en ordre qu’il s’agit même d’une notion première), et que Dieu a créé non seulement les substances [selfstandicheden] mais aussi les mouvements [bewegingen] dans les substances, c’est-à-dire conserve non seulement les substances dans leur état par une création continue, mais aussi leur mouvement et leur tendance [pooginge, conatum]. Dieu, par exemple, non seulement agit en sorte que l’âme, par la volonté et l’opération (il est égal comment vous l’appelez) immédiates de Dieu, existe plus longtemps et persévère dans son état, mais encore il est cause en ce qu’il se comporte de même façon envers le mouvement de l’âme, c’est-à-dire tout comme la création continue de Dieu agit en sorte que les choses durent plus longtemps, ainsi la tendance, ou mouvement, des choses, pour la même raison, a lieu dans les choses, puisque, hors Dieu, il n’y a aucune cause de mouvement. La conséquence en est donc que Dieu n’est pas seulement cause de la substance de l’âme mais encore de chaque tendance ou mouvement de l’âme que nous nommons « volonté », comme vous l’affirmez çà et là : cette assertion semble avoir pour conséquence ou qu’il n’est rien de mal dans le mouvement ou volonté de l’âme, ou que Dieu lui-même opère immédiatement ce mal. Car tout ce que nous appelons « mal » se fait à travers l’âme, et conséquemment découle immédiatement de Dieu et, de la même façon, avec son concours. Par exemple, l’âme d’Adam veut manger du fruit interdit, il se fait donc, selon ce qui a été dit plus haut, non seulement que cette volonté d’Adam découle de Dieu, mais encore, comme on va le montrer tout de suite, qu’il veut d’une façon telle que cet acte interdit d’Adam – en tant que Dieu mouvait non seulement sa volonté mais aussi en tant qu’il la mouvait d’une certaine façon – ou en soi n’est pas un mal, ou que Dieu lui-même, semble-t-il, a opéré cela que nous appelons « mal ». Ni vous ni Monsieur Descartes* ne me semblez résoudre ce nœud en disant que le mal est un non ens* [non-être] auquel Dieu ne concourt pas : d’où procédait en effet la volonté de manger ou la volonté des diables à l’orgueil ? Car puisque la volonté – comme vous nous le faites justement remarquer – n’est pas quelque chose de différent de l’âme elle-même, mais qu’elle est tel ou tel mouvement, ou tendance, de l’âme, pour tel ou tel mouvement elle aura besoin du concours [medewerkinge] de Dieu ; mais maintenant le concours de Dieu, tel que je le comprends à partir de vos écrits, n’est rien d’autre que déterminer une chose de telle ou telle façon par sa volonté ; conséquence : Dieu concourt également à la volonté mauvaise, en tant qu’elle est mauvaise, et à la bonne, en tant qu’elle est bonne, c’est-à-dire la détermine [determineert]. Car la volonté de Dieu, qui est cause [oorsaeck] absolue de toutes les choses qui existent tant dans la substance que dans la tendance [conatu], est aussi, semble-t-il, cause première de la volonté mauvaise en tant que mauvaise. Ensuite, en nous aucune détermination de la volonté ne se fait que Dieu ne l’ait connue de toute éternité [eeuwicheit] ; autrement, s’il ne la connaissait pas, nous établirions de l’imperfection [onvolmaecktheit] en Dieu ; mais comment Dieu l’a-t-il connue sinon à partir de ses décisions ? Ergo* ses décisions sont cause de nos déterminations, et ainsi la conséquence semble être que la volonté mauvaise ou n’est pas quelque chose de mal, ou que Dieu est cause immédiate de ce mal et l’opère. Et ici la distinction des théologiens sur la différence entre l’acte et le mal adhérent à l’acte ne peut avoir place, car Dieu a décidé et l’acte et le mode de l’acte, c’est-à-dire Dieu non seulement a décidé qu’Adam mangerait, mais encore que nécessairement il mangerait contre l’ordre prescrit. D’où encore une fois la conséquence, semble-t-il : ou l’acte d’Adam de manger contre la prescription n’était pas un mal, ou Dieu a opéré ce même mal.
Voilà, cher Maître [waerde Herr, vir clarissime], ce que pour le moment je ne peux percevoir dans votre Traité : car les deux extrêmes de l’alternative sont durs à établir [statuere]. Mais, de votre jugement perspicace et de votre travail, je m’attends à une réponse qui me satisfera, et j’espère dans mes lettres suivantes vous montrer combien je vous serai redevable. Soyez persuadé, cher Maître, que ces mots n’ont d’autre cause que la recherche studieuse de la vérité : je suis libre, astreint à aucune profession, je vis d’un honnête commerce, et le temps qu’il me reste je le consacre à tout cela. Je vous prie humblement de ne pas mal accueillir mes difficultés ; si vous avez l’intention d’y répondre, chose que je désire ardemment, écrivez à […] que je suis et demeure,
Monsieur,
Votre très dévoué serviteur
G. d. B.


Dordrecht, le 12 décembre 1664


Lettre 19




Au très savant et très sage

Guillaume de Blyenbergh

B. d. S.



Ami inconnu,

J’ai enfin reçu le 26 à Schiedam votre lettre du 12 décembre, incluse dans une autre du 21 du même mois ; j’en ai compris votre intense amour de la vérité, et qu’elle est seule le but de vos études : et elle me force moi, qui ne vise rien d’autre de tout mon cœur, à en conclure de pleinement consentir à votre demande de répondre, selon les forces de mon entendement, aux questions que vous m’avez déjà posées et que vous me poserez encore ; et aussi, pour ma part, à partager toutes les idées futures qui peuvent servir une sincère amitié. En ce qui me concerne, parmi les choses qui ne sont pas en mon pouvoir, je fais grand cas de me lier aux hommes aimant sincèrement la vérité, parce que je crois qu’il n’y a rien de plus apaisant [tranquilliùs, gerustigh] qui soit en notre pouvoir que pouvoir aimer des hommes de cette sorte ; parce qu’il est aussi impossible de dissoudre l’amour qu’ils ont l’un envers l’autre – d’autant plus qu’il s’est établi sur l’amour que chacun a pour la connaissance de la vérité – que de ne pas embrasser la vérité elle-même une fois perçue. C’est par-dessus tout ce qu’il peut y avoir de plus haut et de plus agréable parmi les choses qui ne sont pas de notre choix, puisque rien, sauf la vérité, ne peut unir complètement des sentiments et des esprits différents. Je passe sur les très grandes utilités qui en découlent ; pour ne pas vous retenir plus longtemps sur des choses que vous-même connaissez sans aucun doute, ce que cependant j’ai fait jusqu’ici, d’autant que je vais mieux vous montrer qu’il m’est agréable – et qu’il le sera dans le futur – de saisir l’occasion de vous rendre service.
Pour le moment je vais répondre à votre question qui tourne autour de ce point essentiel : la conséquence claire, semble-t-il [dat schynt klaarlyk te volgen], tant de la providence [voorsienighyt] de Dieu – qui ne diffère pas de sa volonté – que du concours de Dieu et de la continuelle création des choses est que, ou bien il n’y a aucun péché, ou aucun mal, ou bien Dieu effectue ces péchés et ce mal. Mais vous n’expliquez pas ce que vous entendez par mal et, autant qu’on peut le voir sur l’exemple de la volonté déterminée d’Adam, vous semblez entendre par mal la volonté même ou bien conçue comme déterminée d’une certaine façon ou bien contredisant l’ordre de Dieu, et vous dites donc que c’est une grande absurdité (moi aussi je le dirais si les choses se trouvaient être ainsi) de soutenir l’un et l’autre de ces deux points : ou Dieu lui-même opère les choses qui vont contre sa volonté, ou elles peuvent être bonnes quoique contraires à la volonté de Dieu. Quant à moi, je ne peux accorder que les péchés et le mal soient quelque chose de positif [iet stelligs], encore moins quelque chose qui soit ou qui devienne contraire à la volonté de Dieu. Je dis au contraire non seulement que les péchés ne sont pas quelque chose de positif [iet stelligs], mais encore j’affirme que nous ne pouvons dire – si ce n’est improprement, ou de façon humaine – que nous péchons envers Dieu, comme quand nous disons que les hommes offensent Dieu.
Car, en ce qui regarde le premier point, nous savons bien que tout ce qui est, considéré en soi sans égard à autre chose, inclut [insluyt] une perfection qui toujours s’étend [strekt], dans n’importe quelle chose, aussi loin que son essence [weesen, essentia] : car, non, elle n’est rien d’autre. Je prends l’exemple de la décision [besluyt, consilium], ou volonté déterminée, d’Adam de manger du fruit défendu : cette décision, ou cette volonté déterminée, inclut, considérée à elle seule, autant de perfection qu’elle exprime [uytdrukt] de réalité [weese, realitatis] ; et cela peut se comprendre de ce nous ne pouvons concevoir aucune imperfection dans les choses, sauf quand nous prêtons attention à celles qui ont plus de réalité [weese, realitatis] ; et donc, la décision d’Adam, quand nous la regardons en soi, sans la comparer à d’autres plus parfaites, ou montrant un état plus parfait, nous ne pourrons y trouver aucune imperfection ; au contraire, on peut la comparer à une infinité d’autres choses à cet égard de loin plus imparfaites , comme des pierres, des troncs, etc. Et, en fait, tout le monde concède aussi le point suivant : que n’importe quelle chose que l’on déteste et regarde avec répugnance chez les hommes, on la regarde avec étonnement et amusement [3] chez les animaux, comme les guerres des abeilles et la jalousie des pigeons, etc. que nous méprisons chez les hommes et jugeons plus parfaites chez ces animaux. Cela étant, la conséquence est claire : les péchés, puisqu’ils n’indiquent que de l’imperfection, ne peuvent consister [bestaan] en rien qui exprime une réalité [weesen, realitatem], comme la décision [besluyt, decreto] d’Adam et son exécution.
Par suite, il ne vaut rien de dire que la volonté d’Adam combattrait la volonté de Dieu et qu’elle serait un mal parce qu’elle déplairait à Dieu ; car, outre que ce serait poser une grande imperfection en Dieu qu’une chose arrive contre sa volonté, qu’il ne puisse satisfaire ce qu’il désire [wenschen, desideraret], et que sa nature soit déterminée de telle façon que, tout comme les créatures, il ait envers les unes sympathie, envers les autres antipathie, cela contredirait [streidig syn, pugnaret] également complètement sa volonté : parce que celle-ci, en effet, ne se distingue pas de son entendement, il est aussi impossible que quelque chose se fasse contre sa volonté que contre son entendement, c’est-à-dire que ce qui se ferait contre sa volonté ne pourrait que contredire complètement son entendement, comme un cercle carré. Donc la volonté, ou décision, d’Adam, regardée en soi, puisqu’elle n’était ni mauvaise, ni non plus, à proprement parler, contre la volonté de Dieu, a pour conséquence que Dieu peut – que dis-je ? pour la raison que vous avez remarquée, ne peut que – en être la cause, mais pas en tant que cette volonté est mauvaise : car le mal qui était en elle n’était autre qu’une privation d’un état plus parfait [een berooving van een volmaakter stant was] que, à cause de son œuvre, Adam ne pouvait que perdre, et il est certain que la privation n’est pas quelque chose de positif [stelligs], et c’est à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu, qu’on la nomme ainsi. Et en voici l’origine : parce que nous exprimons par une seule et même définition tous les singuliers d’un même genre, par exemple tous ceux qui ont la forme extérieure des hommes, et qu’ainsi nous jugeons que tous sont également aptes à la plus grande perfection que nous pouvons déduire de cette définition ; et quand nous en trouvons un dont les œuvres contredisent à cette perfection, alors nous l’en jugeons privé et qu’il s’écarte de sa nature, ce que nous ne ferions pas si nous ne l’avions pas rattaché à sa définition et ne lui avions pas fixé telle ou telle nature. Mais parce que Dieu ne connaît pas les choses abstraitement, et ne forme pas de définitions générales de ce genre, et ne demande pas aux choses plus de réalité que l’entendement divin ne leur a effectivement attribuée, et que la puissance divine y a mise, la conséquence claire en est qu’on ne peut parler de cette privation qu’à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu.
Par ce que je viens de dire, me semble-t-il, la question est complètement résolue. Mais pour vous rendre la route plus aisée et en dégager le moindre obstacle, je me dois de répondre à deux autres questions : 1) pourquoi l’Ecriture dit-elle que Dieu réclame (flagitare) la conversion des méchants (improbi), et pourquoi a-t-il interdit à Adam de manger du fruit, tout en ayant conclu le contraire ; 2) ce que j’ai dit semble avoir pour conséquence que les méchants honorent Dieu par leur orgueil, leur avarice, leur désespoir, etc., tout autant que les bons (probos) par leur générosité, leur patience, leur amour, etc., parce qu’ils exécutent la volonté de Dieu.
Pour répondre à la première, je dis que l’Ecriture, parce qu’elle s’adapte surtout au peuple, et s’y plie, parle continuellement de manière humaine : le peuple est en effet incapable de percevoir les choses les plus hautes ; et c’est la raison pour laquelle je me suis convaincu que tout ce que Dieu a révélé aux prophètes être nécessaire au salut a été écrit sous forme de lois ; et de la même manière les prophètes ont fabriqué (finxerunt) des paraboles entières : premièrement, ils ont présenté succinctement Dieu, parce qu’il avait révélé les moyens du salut et de la perdition, moyens dont il était cause, comme un roi et un législateur ; ces moyens, qui ne sont rien d’autre que des causes, ils les ont appelés lois et les ont rédigés à la manière de lois ; ils ont posé le salut et la perdition, qui ne sont rien d’autre que des effets découlant nécessairement de ces moyens, comme récompense et punition ; ils ont réglé leurs paroles d’après cette parabole plus que d’après la vérité, et ont représenté très souvent Dieu à l’instar de l’homme, parfois irrité, parfois miséricordieux, parfois désirant l’avenir, parfois jaloux et soupçonneux, et même trompé par le diable ; et ainsi les philosophes et tous ceux qui sont au-dessus de la loi, c’est-à-dire qui suivent la vertu, non selon la loi, mais par amour, parce qu’elle est ce qu’il y a de meilleur, ne doivent pas être offensés par des expressions de ce genre.
L’interdiction à [verbot aan] Adam consistait seulement en ceci : Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel. Et si vous demandez à quelle fin il lui a révélé cela, voici ma réponse : pour que ce savoir le rende plus parfait. Donc demander pour quelle raison Dieu ne lui a pas donné une volonté plus parfaite est aussi absurde que demander pourquoi il n’a pas accordé au cercle toutes les propriétés de la sphère, conséquence évidente de ce qui a été dit plus haut, et que j’ai démontré dans le scolie de la proposition 15 de la première partie des Principes de la philosophie de Descartes démontrés géométriquement.
En ce qui touche à la seconde difficulté, il est vrai que les impies [godeloose, impios] expriment la volonté de Dieu à leur façon, mais pourtant on ne doit pas du tout les comparer aux bons [vroomen, probos] : en effet, plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la Divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants (improbi), leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants, parce que les méchants manquent de l’amour divin qui s’écoule de la connaissance de Dieu et par quoi seul, pour notre entendement humain, nous sommes dits serviteurs de Dieu. Bien plus, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ils ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les vertueux au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant.

[…]
Votre affectionné ami
et serviteur
B. de Spinoza.

le 5 janvier 1665


Lettre 20




Au très célèbre
B. d. S.
Guillaume de Blyenbergh



Monsieur et très cher ami,

Dès qu’on m’a transmis votre première lettre, je l’ai parcourue rapidement, et mon intention a été non seulement de répondre aussitôt mais aussi d’en réfuter beaucoup. En fait, plus j’en ai lu, moins j’y ai trouvé matière à objections, et j’ai éprouvé autant de plaisir à vous lire que j’en avais eu le désir. Mais avant que j’en arrive à vous demander de résoudre quelques difficultés, il faut d’abord que vous sachiez que je suis toujours deux règles générales quand je m’applique à philosopher : la première est le concept clair et distinct de mon entendement, la seconde la Parole révélée de Dieu, autrement dit la volonté de Dieu. Je m’efforce d’être un ami de la vérité suivant la première, mais un philosophe chrétien suivant les deux ; et si jamais il arrivait après un long examen que ma connaissance naturelle me semble contredire cette Parole, ou ne pas bien convenir avec elle, celle-ci a sur moi tant d’autorité que les concepts que je m’imagine clairs me seraient suspects plutôt que de les placer au-dessus de et contre cette vérité que je pense m’être prescrite dans le Livre. Et quoi d’étonnant ? car je veux croire constamment que cette Parole est la Parole de Dieu, c’est-à-dire provenant de Dieu suprême et très parfait qui inclut plus de perfections que moi je ne puis en saisir ; et peut-être a-t-il voulu proclamer de lui-même et de ses œuvres plus de perfections que moi je ne peux percevoir aujourd’hui par mon entendement fini, je dis bien aujourd’hui : car il peut se faire que je me prive moi-même par mes œuvres de très grandes perfections ; et ainsi, s’il se trouvait que je fusse pourvu de la perfection dont je me suis privé par mes propres œuvres, je pourrais percevoir que tout ce qui nous est proposé et enseigné dans cette Parole s’accorde avec les concepts les plus sains de mon âme ; mais parce que je me suis demandé si je ne me suis pas privé moi, par une erreur continuelle, d’une condition meilleure, et que, comme vous l’établissez dans la proposition 15 de la partie I des Principes, notre connaissance, même très claire, inclut encore de l’imperfection, je préfère m’incliner, même sans raison, devant cette Parole, m’appuyant sur le fondement suivant : il a produit à partir de ce qu’il y a de plus parfait (cela bien sûr je le présuppose pour le moment, puisque ce n’est pas ici le lieu de le prouver et ce serait trop long) et donc je ne peux que croire en lui. Si maintenant, sous la seule conduite de ma première règle, en excluant la seconde, comme si je ne l’avais pas ou qu’elle me fût cachée, je juge de votre lettre, je devrais vous concéder beaucoup de points, tout comme je concède que vos subtils concepts sont admirables ; mais la seconde règle me force à ne pas être du tout d’accord avec vous. De fait, autant qu’on peut le faire dans une lettre, je vais les examiner assez longuement sous la conduite de l’une et l’autre règle.
Premièrement, suivant la première règle établie, je vais vous demander ceci : puisque, selon votre position , créer et conserver sont un et le même, et puisque Dieu a fait que non seulement les choses, mais aussi les mouvements et les façons d’être des choses persévèrent dans leur état, c’est-à-dire qu’il concourt avec elles, la conséquence n’en est-elle pas, semble-t-il, qu’il n’y a aucun mal ou bien que Dieu lui-même opère le mal ; m’appuyant sur cette règle que rien ne peut se faire contre la volonté de Dieu, sinon cela impliquerait ou imperfection ou bien que les choses que Dieu opère (parmi lesquelles sont aussi comprises semble-t-il les choses que nous disons mauvaises) peuvent également être mauvaises. Mais, et parce que cela inclut contradiction et parce que, de quelque façon que je la tourne, je ne pouvais me libérer de cette contradiction établie, je me suis alors adressé à vous comme le meilleur interprète de vos concepts. Dans votre réponse vous dites persister dans votre premier sentiment : rien ne se fait ou ne peut se faire contre la volonté de Dieu. Mais quand il s’agit de répondre à cette difficulté : si donc Dieu fait le mal ou non, vous niez que le péché soit quelque chose de positif et vous ajoutez que ce n’est que tout à fait improprement qu’il peut être dit que nous péchons contre Dieu ; et dans le chapitre 6 de la partie I de l’Appendice vous dites : « Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum* [Il n’y a aucun mal absolu, comme il est manifeste par soi] : car tout ce qui existe, considéré en soi, sans égard à quoi que ce soit d’autre, inclut une perfection qui toujours s’étend dans chaque chose jusqu’où s’étend l’essence [wesen, essentia] même de la chose, et donc la conséquence évidente en est que les péchés, parce qu’ils ne dénotent que de l’imperfection, ne peuvent consister en rien qui exprime une essence [wesen, essentiam]. » Si le péché, le mal, l’erreur, ou de quelque nom que vous l’appeliez, n’est rien d’autre que perdre un état plus parfait, ou en être privé, la conséquence en est, semble-t-il, que l’existence [dat wesentlijk, to existere] n’est en fait pas un mal ou une imperfection, mais qu’un mal peut naître dans une chose existante [dat wesentlijck ding]. Car le parfait n’est pas privé d’un état plus parfait par une action elle aussi parfaite, mais bien parce que nous inclinons vers quelque chose d’imparfait parce que nous abusons des forces à nous concédées. Vous semblez appeler cela « non un mal, mais un moindre bien parce que les choses considérées en soi incluent de la perfection, ensuite parce qu’aux choses – comme vous dites – n’appartient pas plus d’essence que l’entendement de Dieu et sa puissance ne leur ont attribué et leur apportent réellement ; et donc elles ne peuvent non plus montrer plus d’existence [meerder wesentlijckheijt, existentiae] dans leurs actions qu’elles ne reçoivent d’essence [wesen, essentiae] ». Car si je ne peux effectuer ni plus ni moins d’opérations qu’autant que j’ai reçu d’essence [wesentlijckheijt, essentiae], aucune privation d’un état plus parfait ne peut être inventée [bedacht, de bedenken] : en effet si rien ne se fait contre la volonté de Dieu et seulement autant qu’il a été conféré d’essence [wesen, essentiae], par quelle voie peut-on réfléchir sur le mal, que vous nommez privation d’une condition meilleure ? Comment quelqu’un peut-il, par une œuvre décidée telle qu’elle est et dépendante, perdre un état plus parfait ? A un tel point je me persuade que vous n’avez pu que décider de deux choses l’une : ou quelque chose de mal est, ou aucune privation d’un état meilleur ne peut être. Car qu’il n’y ait pas de mal et qu’on soit privé d’une condition meilleure me semble contradictoire.
Mais vous direz que par la privation d’un état plus parfait nous tombons en fait dans un moindre bien mais non dans un mal absolu ; mais (Appendice, partie I, chap. 3) vous m’avez enseigné qu’il ne faut pas disputer sur les mots . C’est pourquoi je ne dispute pas maintenant si le mal doit être dit absolu ou non, mais seulement s’il est juste de nommer, et si on le doit, la chute d’un état meilleur dans un état pire chez nous « état pire » ou « état mauvais ». Si vous répliquez : cet état mauvais contient encore beaucoup de bon, je vous demande alors si un homme qui, par son imprudence, a été cause de sa privation d’un état plus parfait, et par conséquent est maintenant moindre qu’auparavant, peut être appelé « mauvais ». Mais pour réfuter le raisonnement précédent, puisque aucune difficulté à ce sujet n’est au-dessus de vous, vous affirmez : « En fait le mal qui est, et a été dans Adam, n’est pas réellement quelque chose de positif, et c’est à notre égard, mais non à celui de l’entendement de Dieu, qu’il est dit tel : à l’égard du nôtre c’est privatio* (sed tantum quatenus eo optima libertate, quae ad nostram naturam spectat, et in nostra potestate est, nos nosmet privamus* [mais seulement en tant que par lui nous nous privons nous-mêmes de la liberté la meilleure qui regarde notre nature et est en notre pouvoir]) mais à l’égard de Dieu negatio*. » Mais examinons maintenant si ce que vous appellez « mal », si du moins il n’est mal qu’à notre égard, n’est pas un mal ; ensuite si le mal, dans votre acception, ne peut qu’être dit negatio * à l’égard de Dieu.
Sur le premier point, il me semble avoir d’une certaine façon répondu plus haut : et quoique je concède qu’être moins parfait qu’un autre être ne peut poser en moi aucun mal, pour ce que je ne peux réclamer du Créateur un état meilleur et faire que mon état diffère gradibus* [en degré], je ne peux cependant pour cela concéder et reconnaître, si maintenant je suis plus imparfait qu’avant et que je me suis créé mon imperfection par ma faute, que en cela je ne suis pas pire pour autant ; si, dis-je, je me considère avant que je tombe jamais dans l’imperfection, et que je me compare alors à d’autres dotés d’une plus grande perfection que moi, cette perfection moindre ne sera pas un mal, mais un moindre bien gradibus *. Mais si je me compare moi après ma chute d’un état plus parfait, dont je me suis privé par ma propre imprudence, avec ma première forme, dans laquelle je suis sorti de la main de mon Créateur, où j’étais plus parfait, je ne peux que me juger de moindre valeur qu’avant : car ce n’est pas le Créateur mais moi qui me suis diminué ainsi ; en effet, les forces pour me préserver de l’erreur, ainsi que vous le reconnaissez, j’en disposais.
Quant au second point – à savoir si le mal que vous affirmez consister en la privation d’un état meilleur, que non seulement Adam mais aussi nous tous avons perdu par une action fort soudaine et désordonnée –, si ce mal, dis-je, eu égard à Dieu est pure négation. Et pour examiner cela sainement, il nous faut voir comment vous définissez l’homme et le faites dépendant de Dieu avant toute erreur, et comment vous concevez l’homme après cette erreur. Avant cette erreur vous établissez qu’il n’appartient pas plus à son essence [wesen, essentiae] que la quantité que l’entendement et la puissance de Dieu ne lui ont attribué et ne lui fournissent vraiment, c’est-à-dire (si je ne me trompe pas sur votre opinion) que l’homme ne peut avoir ni plus ni moins de perfection que Dieu n’a mis en lui d’essence (wesen, essentiae) ; mais c’est faire l’homme dépendant de Dieu à la façon des éléments, des pierres, des herbes, etc. Et si tel est votre sentiment, je ne comprends [verstaen] pas ce que veut dire dans les Principes I, 15 : « Cum autem voluntas libera sit ad se determinandum : sequitur nos potestatem habere facultatem assentiendi intra limites intellectus continendi, ac proinde efficiendi, ne in errorem incidamus*. [Mais que la volonté soit libre de se déterminer a pour conséquence que nous avons le pouvoir de contenir la faculté d’adhérer dans les limites de l’entendement et ainsi de faire que nous ne tombions pas dans l’erreur.] » Ne semble-t-il pas contradictoire de faire la volonté si libre qu’elle puisse se préserver de l’erreur et en même temps dépendante de Dieu de sorte qu’elle ne peut présenter ni plus ni moins de perfection que la quantité d’essence que Dieu lui a donnée ? Pour le second point – comment vous définissez l’homme après l’erreur – vous dites que l’homme, par une action fort soudaine, en fait en ne contenant pas sa volonté dans les limites de l’entendement, s’est privé d’une condition plus parfaite : mais il me semble que, dans votre lettre et dans les Principes, vous n’avez pas expliqué les deux extrêmes de cette privation : ce qu’il possédait avant la privation et ce qu’il a conservé après la perte de cet état parfait (comme vous l’appelez). Il est bien dit dans les Principes (I, 15) ce que nous avons perdu mais non ce que nous avons retenu : « Tota igitur imperfectio erroris in sola optima libertatis privatione consistet, quae error vocatur *. [Toute l’imperfection de l’erreur consiste donc dans la seule privation de la liberté la meilleure, qui est appelée erreur.] » Examinons par quelle raison cela est établi par vous. Vous établissez non seulement qu’il y a en nous autant de différentes façons de penser – que nous nommons les unes de vouloir, les autres de comprendre – mais encore qu’il y a entre elles un ordre tel que nous ne pouvons vouloir les choses avant que nous les ayons comprises clairement ; vous affirmez en outre que, si nous contenons notre volonté dans les limites de l’entendement, nous ne nous tromperons jamais, et qu’enfin il est en notre pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement. Quand j’agite cela sérieusement dans mon esprit, il faut que l’un ou l’autre soit vrai : ou tout ce qui est posé est fabriqué, ou Dieu a imprimé cet ordre en nous. S’il l’a imprimé, n’est-il pas absurde d’affirmer que cela a été fait sans but et que Dieu n’exige pas que nous observions et suivions cet ordre, car cela poserait en Dieu une contradiction ? Et si nous devons observer l’ordre posé en nous, comment pouvons-nous et être et demeurer si dépendants de Dieu ? Car si personne ne produit [levert] ni plus ni moins de perfection que ce qu’il a reçu [ontfangen] d’essence [wesen, essentiae], et si cette force ne peut être connue que par ses effets, celui qui étend sa volonté au-delà des limites de l’entendement n’a pas reçu tant de forces de Dieu, sinon il en tirerait un effet, et par conséquent celui qui se trompe [doolt, errat] n’a pas reçu de Dieu la perfection de ne pas se tromper, autrement il ne se tromperait jamais. Car selon vous il a été donné autant d’essence [wesen, essentiae] qu’il a été produit de perfection. Ensuite, si Dieu nous a attribué assez d’essence que nous puissions observer cet ordre, comme vous affirmez que nous pouvons le faire, et si nous produisons autant de perfection que nous avons obtenu d’essence, comment se fait-il que nous transgressions l’ordre, comment se fait-il que nous puissions le transgresser et que nous ne contenions pas toujours la volonté dans les limites de l’entendement ? Troisièmement, si je dépends de Dieu – j’ai montré plus haut que vous le soutenez – au point que je ne puisse contenir la volonté ni dans ni hors les limites de l’entendement, si ce n’est qu’il m’a donné auparavant tant d’essence et a d’abord déterminé par sa volonté l’un des deux, comment alors, si nous examinons cela plus à fond, puis-je user de la liberté de la volonté ? Est-ce que ça ne pose pas, semble-t-il, contradiction en Dieu de nous prescrire l’ordre de contenir notre volonté dans les limites de notre entendement et de ne pas fournir assez d’essence, ou de perfections, pour l’observer ; et si, à votre sentiment, il nous a concédé tant de perfection, nous ne pouvons en tout cas jamais nous tromper, car autant nous possédons d’essence, autant il faut produire de perfection et toujours montrer dans nos opérations les forces concédées : mais nos erreurs sont un argument que nous ne possédons pas une puissance de ce genre aussi dépendante de Dieu que vous l’affirmez ; au point que, de deux choses l’une : ou nous ne dépendons pas tellement de Dieu, ou nous n’avons pas en nous la puissance de ne pas nous tromper ; or, comme vous l’établissez, nous avons la puissance de ne pas nous tromper. Ergo * nous ne dépendons pas tellement de Dieu.
De ce qui vient d’être dit il paraît maintenant évident qu’il est impossible que le mal ou être privé d’un état meilleur soit négation eu égard à Dieu. Car que signifie « être privé » ou « perdre un état plus parfait » ? sinon passer d’une perfection plus grande à une moins grande [4] , et par conséquent d’une essence plus grande à une moins grande, et être établi par Dieu dans une mesure certaine [certâ] de perfection et d’essence ? est-ce que ce n’est pas vouloir dire que nous ne pouvons acquérir un état autre – en dehors de la connaissance parfaite qu’il a –, s’il n’a pas décidé et voulu autrement ? Peut-il se faire qu’une créature produite par l’Etre omniscient et suprêmement parfait, dont il a voulu qu’elle contienne tel état d’essence, que dis-je, avec laquelle Dieu concourt continuellement pour la conserver dans cet état ; peut-il se faire, j’insiste, qu’elle décline en essence, c’est-à-dire qu’elle devienne moindre en perfection en dehors de la connaissance que Dieu a ? Cette chose implique contradiction, semble-t-il. N’est-il pas absurde de dire qu’Adam a perdu une condition plus parfaite et conséquemment qu’il a été incapable de suivre l’ordre que Dieu avait déposé dans son âme (animâ) et que Dieu n’a eu aucune connaissance de la qualité et de la quantité de perfection qu’Adam avait sacrifiées ? Peut-on comprendre que Dieu constitue un être dépendant de sorte qu’il ne produise pas d’œuvre de ce genre et qui perd ensuite, à cause de cette œuvre, un état plus parfait et que cependant Dieu n’en ait aucune connaissance (alors qu’il en est cause absolue) ? Je concède qu’entre l’acte et le mal adhérent à l’acte il y a distinction, sed malum respectu Dei est negatio* [mais que le mal soit négation eu égard à Dieu] surpasse ma compréhension. Que Dieu connaisse l’acte, le détermine et concoure avec lui, et cependant qu’il ne connaisse pas le mal qui est dans cet acte et son issue, me semble impossible en Dieu. Regardez avec moi que Dieu concourt à mon acte quand je procrée avec mon épouse, car c’est quelque chose de positif, et par conséquent Dieu en a une science claire, mais en tant que j’abuse de cet acte, et que je fais mon affaire avec une autre épouse contre la foi donnée et mon serment, le mal accompagne cet acte. Qu’y a-t-il donc ici de négatif eu égard à Dieu ? ce n’est pas que je fasse l’acte de procréer, car en tant qu’il est positif, Dieu y concourt. C’est seulement que le mal qui accompagne cet acte est que moi, contre mon engagement et le commandement de Dieu, je couche avec une autre avec qui ce n’est pas permis. Mais vraiment peut-on saisir que Dieu connaisse nos actions, y concoure et cependant ignore avec qui nous commettons cette action, d’autant plus que Dieu concourt également à l’action de cette femme avec qui je fais mon affaire ? Avoir ce sentiment de Dieu me paraît dur. Regardez l’acte de tuer : en tant qu’acte positif, Dieu y concourt, mais l’effet de cet acte, à savoir la destruction d’un être et la dissolution d’une créature de Dieu, il l’ignorerait ? comme si son œuvre propre était inconnue à Dieu. (Je crains de ne pas bien percevoir votre opinion : vos concepts sont trop pénétrants pour que vous commettiez une erreur aussi affreuse.) Vous allez peut-être insister : ces actes, comme je les pose, sont purement bons et aucun mal ne les accompagne ; mais alors, je ne peux saisir ce que vous nommez le mal qui est la conséquence de la privation d’une condition plus parfaite ; et donc le monde serait posé dans une éternelle et perpétuelle confusion, et nous serions rendus semblables aux bêtes. Voyez, je vous demande, quelle utilité ces sentiments apportent au monde.
Vous rejetez la description commune de l’homme et vous attribuez à chaque homme autant de perfection que Dieu lui a distribué pour qu’il opère. Mais par cette raison vous me semblez établir que les impies comme les pieux honorent également Dieu par leurs œuvres. Pourquoi ? parce que les uns et les autres ne peuvent produire des œuvres plus parfaites que la quantité d’essence qui leur a été donnée et qu’ils montrent par leurs effets. Et vous ne paraissez pas satisfaire à ma question dans votre seconde réponse, en disant : « Plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants, leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants. Les méchants, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les bons au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant. » Chez les uns et les autres cependant il est vrai qu’il ne peuvent opérer plus, car d’autant plus de perfection que fait celui-ci par rapport à celui-là, d’autant plus d’essence (wesen) le premier a reçu par rapport à l’autre. Est-ce que donc les impies (godloose), avec leur perfection exiguë, n’honorent pas Dieu tout comme les pieux (godsalige) ? Car, suivant votre position (stellinge), Dieu ne réclame rien de plus des impies qu’il ne leur a du reste conféré d’essence, mais en fait, il ne leur a pas donné plus d’essence, comme il ressort de leurs effets. Ergo * il ne leur en demande pas plus. Et si chacun en l’espèce ne fait ni plus ni moins que Dieu veut, pourquoi celui qui opère peu, mais cependant autant que ce que Dieu exige de lui, ne serait pas reçu par Dieu comme le bon (godsalige) ? En outre, de même que, par le mal qui accompagne l’acte, nous perdons, par notre imprudence, à votre sentiment, un état plus parfait, de même ici vous semblez établir que, en contenant la volonté dans les limites de l’entendement, non seulement donc nous demeurons aussi parfaits que nous le sommes, mais encore que, en servant, nous devenons plus parfaits ; et cela implique contradiction, j’en suis convaincu : si nous dépendons de Dieu seulement à un point tel que nous ne pouvons effectuer ni plus ni moins de perfection qu’autant que nous avons reçu d’essence, c’est-à-dire qu’autant que Dieu a voulu, comment alors devenons-nous pires par notre imprudence, meilleurs par notre prudence ? Vous semblez donc n’établir rien d’autre que, si l’homme est tel que vous le décrivez, les impies par leurs œuvres honorent Dieu tout comme les pieux par les leurs, et pour cette raison nous sommes rendus dépendants de Dieu comme les éléments, les herbes, les pierres, etc. A quoi donc sert notre entendement ? à quoi le pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement ? pour quelle raison cet ordre a-t-il été fixé en nous ? Et voyez – je vous le demande d’autre part – de quoi nous sommes privés, de la méditation, et inquiète et grave (seriâ, ernstige), pour nous rendre parfaits selon la règle de la perfection de Dieu et l’ordre imprimé en nous : nous nous privons nous-mêmes de la prière et des soupirs vers Dieu, grâce auxquels – nous l’avons souvent perçu – nous avons reçu d’extraordinaires* consolations ; nous nous privons de toute religion, et de toute l’espérance et satisfaction [acquiescentiâ, vergenoeginge] que nous espérons des prières et de la religion. En effet, si Dieu n’a aucune connaissance du mal, on ne peut pas vraiment croire qu’il punira le mal. Quelles raisons donc reste-t-il de ne pas perpétrer tous les forfaits que vous voudrez (si j’arrive à échapper à la justice) ? pourquoi ne pas m’enrichir par des moyens douteux ? pourquoi, sans risque, ne pas assouvir tous les désirs auxquels me traîne ma chair ? Vous direz : parce que la vertu est à aimer pour elle-même. Mais comment puis-je aimer la vertu ? moi qui n’ai pas reçu autant d’essence et de perfection ; et si je peux tirer autant de satisfaction [acquiescentiae, vergenoeginge] de l’un que de l’autre, pourquoi je me forcerais à contenir ma volonté dans les limites de mon entendement ? pourquoi je ne ferais pas ce vers quoi me poussent mes pulsions [affectus] ? pourquoi je ne tuerais pas sans être vu un homme qui m’a fait du tort ? Voilà les opportunités que nous donnerions à tous les impies et à l’impiété ! Nous nous rendrions nous semblables à des troncs, et toutes nos actions à des mouvements d’horloges.
Vu ce que je viens de dire, il me semble très dur que ce ne soit qu’improprement que nous pouvons dire que nous péchons contre Dieu : à quoi donc nous sert la puissance de contenir la volonté dans les limites de l’entendement, si, quand nous l’outrepassons, nous péchons contre cet ordre ? Vous répondrez peut-être que ce n’est pas un péché en Dieu mais en nous-mêmes, car si nous sommes dits proprement pécher envers Dieu, il faudra dire aussi que quelque chose se fait contre la volonté de Dieu, ce qui selon vous est impossible, ergo* le péché non plus. Pourtant, l’un ou l’autre est nécessairement vrai : ou Dieu veut, ou Dieu ne veut pas. S’il veut, comment eu égard à nous un mal peut-il être ? S’il ne veut pas, cela, à votre avis, ne peut se faire. Mais quoique ce dernier point, comme le porte votre sentiment, implique contradiction, il semble pourtant très dangereux d’admettre les absurdités du premier point. Qui sait, si je cherchais sans repos, si on ne pourrait pas trouver un remède pour concilier ces points d’une façon ou d’une autre.
Je vais terminer l’examen* de votre lettre selon ma première règle générale avant d’en arriver à l’examen selon la seconde règle : je vais encore vous opposer deux points qui regardent votre lettre et ce que vous avez écrit dans les Principes partie I, prop. 15. Le premier est affirmas, nos potestatem volendi et judicandi, intra limites intellectus retinere potest * [votre affirmation : « il nous est possible de retenir le pouvoir de vouloir et de juger dans les limites de l’entendement »], ce que je ne peux absolument pas concéder. Car si c’était vrai, parmi d’innombrables hommes, on en trouverait au moins un qui se montrerait pourvu de ce pouvoir : même lui pourrait expérimenter en lui, quelles que soient les forces qu’il y consacre, qu’il ne peut atteindre son but. Et si quelqu’un doute de cette affaire, qu’il s’examine chaque fois que les passions vainquent sa raison, alors même qu’il lutte de toutes ses forces. Mais vous direz que si nous n’y arrivons pas, ce n’est pas parce que ça nous est impossible, mais parce que nous n’y mettons pas assez de soin ; je vous redemande : si c’est possible, qu’on trouve au moins un homme parmi tant de milliers, mais pas un seul parmi tous les hommes ayant existé ou existant n’oserait se glorifier de ne pas être tombé dans des erreurs. Et quels arguments plus certains de cela peut-on apporter que ces exemples ? S’il y en avait peu, il y en aurait un : en fait, comme il n’y en a aucun, il n’y a pas non plus de preuve. Vous allez insister en disant : s’il peut arriver une fois que je puisse faire, en suspendant mon jugement et en contenant ma volonté dans les bornes de l’entendement, que je ne me trompe pas, pourquoi, en y mettant assez de soin, ne pourrais-je le faire toujours ? Je réponds que je ne peux pas voir que nous ayons aujourd’hui assez de forces pour y persévérer toujours ; en une heure, quand j’y consacre toutes mes forces, je peux parcourir deux milles, mais je ne peux le faire toujours ; ainsi, je peux me préserver une fois de l’erreur en m’appliquant beaucoup, mais les forces me manquent pour toujours y arriver. Il est clair, me semble-t-il, qu’au premier homme, produit de la main du parfait Artisan, ont été fournies ces forces ; mais (comme avec vous je le pense) en n’usant pas assez, ou en abusant, de ces forces, il a perdu son état parfait de faire ce qui auparavant était de son libre choix. Et c’est par bien des raisons que je confirmerais cela, mais je ne veux pas abuser. Et mon opinion est que c’est en cette affaire que se situe toute l’essence de l’Ecriture sainte, qui pour cela ne peut qu’être en honneur parmi nous, parce qu’elle nous enseigne ce que notre entendement naturel confirme si clairement, à savoir que la chute [afval, lapsum] de notre perfection première s’est faite par notre imprudence [onvoorsichticheyt]. Quoi donc de plus nécessaire que le relèvement de cette chute autant qu’il est possible ? Et ramener l’homme déchu à Dieu est également l’unique but de l’Ecriture sainte.
Ensuite vient dans les Principes partie I, prop. 15, affirmas res clare et distincte intelligere, repugnare naturae hominis* [votre affirmation : « comprendre les choses clairement et distinctement contredit la nature de l’homme »], d’où vous concluez cependant : « il vaut beaucoup mieux adhérer aux choses même confuses et exercer sa liberté que demeurer toujours indifférent, c’est-à-dire au stade le plus bas de la liberté. » En moi une obscurité empêche que je vous concède la conclusion : car un jugement suspendu nous conserve dans l’état où nous avons été créés par le Créateur, mais adhérer aux choses confusément c’est adhérer à des choses non comprises et ainsi adhérer aussi facilement au vrai qu’au faux. Et si (comme Monsieur Descartes* l’enseigne quelque part) en adhérant nous ne faisons pas usage de l’ordre que Dieu a constitué entre notre entendement et notre volonté, à savoir n’adhérer qu’à ce qui est clairement perçu, quoique à l’occasion nous tombions sur la vérité, cependant, parce que nous n’embrassons pas le vrai selon l’ordre que Dieu a voulu, nous péchons ; et par conséquent, de même que le refus d’adhérer nous conserve dans l’état dans lequel nous avons été constitués par Dieu, de même une adhésion confuse rend pire notre état ; en effet, elle pose le fondement de l’erreur, par lequel nous perdons donc un état parfait. Mais je vous entends dire : est-ce qu’il ne vaut pas mieux, pour nous rendre plus parfaits, d’adhérer plutôt que constamment ne pas adhérer à des choses même confuses et demeurer au plus bas niveau [laegsten trap] de perfection et de liberté ? Mais outre que nous avons nié cela et que nous avons montré d’une certaine façon que cela ne nous rend pas meilleurs mais beaucoup moins bons, il nous semble en plus impossible et presque contradictoire que Dieu étende la connaissance des choses déterminées par lui plus loin que celle qu’il nous a donnée, bien pire, que Dieu alors implique la cause absolue de nos erreurs. Et n’est pas contraire à cela que nous ne puissions accuser Dieu de ne pas nous avoir accordé plus qu’il ne nous a accordé, car il n’y est pas tenu. Il est bien vrai que Dieu n’est pas tenu de donner plus qu’il n’a donné, mais la suprême perfection de Dieu infère également que les créatures procédant de lui n’impliquent aucune contradiction, ce qui semblerait alors en être la conséquence. Car nulle part dans la nature créée, excepté dans notre entendement, nous ne découvrons la science. Pour quelle autre fin nous aurait-il été concédé sinon pour contempler et connaître les œuvres de Dieu ? Et qu’est-ce qui semble en être conséquence de manière évidente que l’harmonie qu’il ne peut qu’y avoir entre les choses à connaître et notre entendement ?
Si j’examine votre lettre, sur les points que nous venons de voir, selon ma seconde règle générale, notre désaccord va être plus grand que selon la première. Car, me semble-t-il (si je me trompe, prouvez-le moi), vous ne souscrivez pas à l’infaillible vérité et divinité de l’Ecriture sainte, dont moi je suis convaincu. Il est vrai pourtant que vous dites croire que Dieu a révélé le contenu de l’Ecriture sainte aux prophètes, mais d’une façon imparfaite de sorte que, si c’est le cas, comme vous l’affirmez, cela impliquerait contradiction en Dieu. Car si Dieu a manifesté sa Parole et sa volonté aux hommes, c’est dans un but précis et clairement qu’il les leur a manifestées. Maintenant, si les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole qu’ils ont reçue, cela, soit Dieu l’a voulu, soit non. S’il a voulu qu’ils en fabriquent une parabole, c’est-à-dire qu’ils s’écartent de son esprit, Dieu a été cause de cette erreur et a voulu quelque chose qui le contredisait. S’il ne l’a pas voulu, il était impossible que les prophètes en fabriquent une parabole. On peut donc croire, si on suppose que Dieu a donné sa Parole aux prophètes, qu’il la leur a donnée de sorte qu’ils ne se trompent pas en la recevant, car Dieu, en révélant sa Parole, ne pouvait qu’avoir un but précis, et ne pouvait se proposer pour but d’induire les hommes en erreur, car ce serait en Dieu contradiction. De plus l’homme ne pouvait pas se tromper contre la volonté de Dieu, car cela ne peut se faire, selon vous. Par-dessus tout, je ne peux croire de Dieu suprêmement parfait qu’il permette qu’un autre sens que celui qu’il a voulu ait été attribué par les prophètes à sa Parole, donné à eux pour être expliquée au peuple ; car si nous affirmons que Dieu a concédé sa Parole aux prophètes, nous assurons en même temps que Dieu, d’une façon extraordinaire, est apparu aux prophètes ou a parlé avec eux. Si maintenant les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole transmise, c’est-à-dire lui ont attribué un autre sens que celui que Dieu avait voulu, c’est qu’il le leur avait complètement fait savoir. Cela est encore une contradiction impossible, tant à l’égard des prophètes qu’à l’égard de Dieu, qu’ils aient pu donner un autre sens que celui que Dieu a voulu qu’ils donnent.
Ainsi vous ne prouvez pas vraiment, comme vous le voudriez, que Dieu a révélé sa Parole, à savoir qu’il a révélé le salut et la perdition, qu’il a décidé à cette fin de certains moyens, et que salut et perdition ne sont que les effets de ces moyens. Car vraiment, si les prophètes avaient reçu la Parole de Dieu dans ce sens, quelles raisons avaient-ils de lui en assigner un autre ? Mais vous n’apportez aucune preuve qui nous convaincrait de placer votre sentiment au-dessus de celui des prophètes. Si vraiment vous estimez prouver que sans cela cette Parole inclut de nombreuses imperfections et contradictions, je dis que vous n’avez fait que le dire, sans le prouver. Et qui sait, si l’un et l’autre sens ont été produits, si l’un ou l’autre n’inclut pas moins d’imperfections ? Enfin l’Etre suprêmement parfait percevait bien ce que le peuple saisirait et quelle était la meilleure méthode pour l’instruire.
Quant au second membre de votre première question, vous vous demandez pourquoi Dieu a ordonné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre, alors qu’il avait décidé le contraire ; et vous répondez que Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel . Si on affirme que Dieu a interdit quelque chose à Adam, pour quelles raisons je croirais la façon de prohiber que vous apportez plutôt que celle que donnent les prophètes, auxquels Dieu lui-même a révélé la façon de prohiber ? Vous direz : ma raison de cette prohibition est plus naturelle et convient donc plus à la vérité et à Dieu. Mais tout cela, je le nie. Je ne saisis pas que Dieu nous a révélé à travers l’entendement naturel que le poison est létal ; et je ne vois pas les raisons qui me feraient jamais savoir que quelque chose est empoisonné sinon en ayant vu ou entendu parler des mauvais effets du poison chez d’autres. Que des hommes, parce qu’ils ne connaissent pas un poison, en mangent sans le savoir et en meurent, l’expérience quotidienne nous l’apprend. Vous direz : si les hommes savaient que c’est un poison et donc que c’est mauvais, cela ne leur serait pas caché ; mais je réponds : personne n’a connaissance d’un poison ou ne peut en avoir sinon qui a vu ou entendu parler de quelqu’un qui s’est condamné en en consommant ; et si nous supposons que nous n’ayons jamais entendu parler de, ni vu quelqu’un se faire du tort en en consommant, non seulement nous l’ignorerions encore maintenant, mais aussi nous en ferions usage sans crainte d’être condamnés, vérités enseignées tous les jours.
Qu’est-ce qui donne le plus de délectation dans cette vie à un entendement honnête [5] que la contemplation de cette parfaite Divinité ? Car tout comme il est le plus parfait, ainsi encore il ne peut qu’impliquer le plus parfait qui peut tomber dans notre entendement fini. Et dans la vie il n’y a rien que j’échangerais contre cette délectation. En celle-ci, excité d’un céleste appétit, je peux passer beaucoup de temps ; mais en même temps je suis affecté de tristesse quand je considère les nombreuses choses dont manque mon entendement fini : mais j’apaise la tristesse que je possède, qui m’est plus chère que la vie, parce qu’ensuite j’existerai et persisterai et que je contemplerai cette Divinité d’une très grande perfection. Quand je considère la vie brève et fugitive où à chaque moment je m’attends à la mort, si je devais croire que j’aurai une fin et que je serai privé de la sainte et très éminente contemplation, je serais certainement, de toutes les créatures auxquelles manque la connaissance de leur fin, la plus malheureuse. Assurément la crainte de la mort avant le décès me rendrait malheureux, et après lui complètement réduit à néant, et par conséquent je serais malheureux parce que je serais privé de cette divine contemplation. Vraiment vos opinions me semblent conduire au point où là je cesse d’être et cesserai pour l’éternité – alors qu’à l’inverse cette Parole et la volonté de Dieu me réconfortent par le témoignage interne de mon âme que, après cette vie, dans un état plus parfait, je me réjouirai un jour en contemplant la Divinité suprêmement parfaite. Assurément cette espérance, même si un jour elle se découvrait fausse, me rend cependant bienheureux tant que j’espère. L’unique chose que, par les prières, les soupirs et les offrandes je demande à Dieu, et lui demanderai (plût au ciel qu’il soit permis de plus contribuer à cela !) tant que mon âme commandera à mes membres, c’est qu’il lui plaise de me rendre par sa bonté si bienheureux que, quand ce corps sera dissous, je demeure un être intellectuel pour contempler sa très parfaite Divinité, et n’obtiendrais-je que cela, il m’est égal comment ici on croit, ce dont on se convainc les uns les autres, si quelque chose est fondé par l’entendement naturel et peut être perçu par lui, ou pas. Cela, cela seulement est mon vœu, mon désir, ma prière continuelle, que Dieu confirme cette certitude en mon âme et, si je la possède (ah ! que je serais très malheureux si j’en étais déchu !), à cause de ce désir mon âme s’exclame, comme le cerf brame sur les rives des eaux, ainsi mon âme vous désire, ô Dieu vivant : ah ! quand viendra le jour où je serai avec vous et vous contemplerai [6]. Si je n’obtiens que cela, je posséderai tout l’effort de mon âme et son désir. Parce que en fait notre œuvre déplaira à Dieu, cette espérance, à votre sentiment, je ne la vois pas, et je ne comprends pas que Dieu (si toutefois il est permis de parler de lui de manière humaine), s’il ne prend aucun plaisir à notre œuvre et à notre louange, nous ait produits et conservés. Si en fait je me trompe sur votre sentiment, je vous demande de m’expliquer. Mais je me suis attardé, et vous ai peut-être retardé, plus longtemps que de coutume ; comme je vois que le papier me manque, je vais terminer. J’ai hâte de voir votre solution de ces points. Peut-être ici et là j’ai retiré de votre lettre quelque conclusion qui sans doute ne sera pas votre opinion, mais sur cela je désire entendre votre explication.
J’ai été récemment occupé à l’étude de quelques-uns des attributa Dei* [attributs de Dieu], où votre Appendice ne m’a pas peu aidé. J’ai expliqué plus amplement votre pensée qui, semble-t-il, ne présente que des demonstrationes*, et donc je suis surpris que dans la Préface soit affirmé que votre sentiment n’est pas celui-là, mais que vous vous étiez engagé à enseigner, comme vous l’aviez promis, la philosophie de Descartes à votre élève ; et que vous gardiez pour vous une tout autre opinion tant sur Dieu que sur l’âme, spécialement sur la volonté de l’âme : je vois aussi dans cette Préface que vous allez bientôt publier des Cogitata metaphysica* plus prolixes : et je désire avidement ces deux choses, car j’en espère quelque chose de singulier. Mais mon habitude ne me porte pas à exalter quelqu’un par des louanges.
J’ai écrit ceci sincèrement et avec une amitié non feinte, comme vous le demandiez dans votre lettre et pour trouver la vérité. Excusez mon trop de prolixité, ce n’était pas mon intention. Je ne récuse pas votre intention de m’écrire « dans la langue dans laquelle vous avez été élevé », s’il s’agit du latin ou du français ; mais votre réponse à celle-ci, je vous demande de la faire dans la même langue, parce que j’y percevrais mieux votre pensée, ce qui peut-être ne serait pas le cas en latin. Vous m’attacherez ainsi à vous, et moi je serai, et resterai,
Monsieur,
Votre très attaché et très dévoué
G. de Blyenbergh


Dordrecht, 16 janvier 1665


Dans votre réponse, je souhaite être instruit plus longuement de ce que vous entendez par négation en Dieu.


Lettre 21




Au très savant et très distingué

Guillaume de Blyenbergh

B. d. S.



Monsieur et ami,

Quand j’ai lu votre première lettre, j’ai cru que nos opinions concordaient presque ; mais par la seconde, qui m’a été délivrée le 21 de ce mois, je comprends qu’il en va tout autrement, et je vois que non seulement nous sommes de loin en désaccord sur les points à tirer des premiers principes, mais encore sur ces principes mêmes : à un point tel que je ne crois pas que nous pourrions nous instruire l’un l’autre par nos lettres. Car je vois qu’aucune démonstration, même la plus solide selon les lois de la démonstration, ne vaut pour vous si elle ne convient pas avec l’interprétation [explicatione] que vous-même ou d’autres théologiens que vous connaissez attribuent à l’Ecriture sainte. Mais si vous estimez que Dieu parle plus clairement et plus efficacement par l’Ecriture sainte que par la lumière naturelle de l’entendement, qu’il nous a également concédée et conserve assidûment par sa sagesse divine de manière ferme et incorruptible, c’est que vous avez des raisons valables pour plier l’entendement aux opinions que vous attribuez à l’Ecriture sainte de sorte que moi-même je ne pourrais pas faire autrement. En ce qui me regarde, parce que je proclame sans ambages que je ne comprends pas la sainte Ecriture, quoique j’y aie consacré quelques années, et parce que je suis certain, quand j’ai rencontré une solide démonstration, que je ne peux pas tomber dans des pensées qui me feraient jamais en douter, je me satisfais [acquiesco] complètement de ce que me montre l’entendement, sans aucune inquiétude qu’il me trompe en cela et que l’Ecriture sainte, bien que je ne l’aie pas étudiée à fond, puisse y contredire ; parce que la vérité ne contredit [repugnat] pas à la vérité, comme je l’ai déjà indiqué clairement dans mon Appendice (je ne peux indiquer le chapitre, n’ayant pas ce livre ici à la campagne [7]) ; et le fruit que j’ai déjà retiré de l’entendement naturel, même si une fois je le trouvais être faux [8], me rendrait heureux, parce que j’en jouis et m’applique à traverser la vie non dans l’abattement et la plainte, mais dans l’apaisement [tranquillitate], la joie et la bonne humeur [hilaritate], et je m’élève ainsi d’un degré. Je connais alors – ce qui me fournit la satisfaction la plus haute et l’apaisement de l’âme – que tout arrive ainsi par la puissance de l’Etre au plus haut point parfait et son immuable décision.
Pour en revenir à votre lettre, je vous dis que je vous remercie du fond du cœur de m’avoir ouvert à temps votre façon de philosopher ; mais que vous m’attribuiez telle ou telle chose que vous voulez tirer de ma lettre, je ne vous en remercie pas du tout. Quelle matière, je demande, ma lettre a fournie pour que vous m’attribuiez les opinions suivantes : les hommes sont semblables aux bêtes, les hommes meurent et disparaissent comme les bêtes, nos œuvres déplaisent à Dieu, etc. (il se peut que nous soyons complètement en désaccord sur ce dernier point, puisque je ne vous comprends pas autrement que si vous entendiez que Dieu se réjouit à nos œuvres, comme quelqu’un qui, ayant poursuivi un but, voit la chose réussir selon son vœu.) Quant à moi en tout cas, j’ai dit clairement que les bons honorent Dieu et deviennent plus parfaits en l’honorant assidûment, et qu’ils aiment Dieu ; est-ce que c’est là les rendre semblables aux bêtes, ou qu’ils périssent comme les bêtes, ou encore que leurs œuvres ne plaisent pas à Dieu ? Si vous aviez lu mes écrits avec plus d’attention, vous auriez clairement pénétré que notre désaccord tient uniquement en ceci : si Dieu, comme Dieu, c’est-à-dire absolument, en ne lui assignant aucun attribut humain, communique aux bons les perfections qu’ils reçoivent (comme moi je l’entends), ou comme un juge, ce que vous affirmez à la fin ; et pour cette raison, vous plaidez que les impies, parce que, selon la décision de Dieu, tout ce qu’ils peuvent ils le font, servent Dieu comme les pieux [9]. Mais en fait cela n’est pas du tout la conséquence de ce que j’ai écrit : parce que je n’introduis pas Dieu comme un juge, pour cela j’estime les œuvres à la qualité de l’œuvre, et non à la puissance de l’opérateur, et la sanction qui est conséquence de l’œuvre en est conséquence aussi nécessairement que la nature du triangle a pour conséquence que ses trois angles ne peuvent qu’être égaux à deux droits. Et ce chacun le comprendra qui fait attention à ce que notre suprême béatitude consiste en l’amour envers Dieu et que cet amour découle nécessairement de la connaissance de Dieu, ce qui a tant de valeur pour nous. Et cela peut se démontrer facilement de façon générale si seulement on fait attention à la nature de la décision de Dieu, comme je l’ai expliqué dans mon Appendice : mais j’avoue que tous ceux qui confondent la nature divine avec l’humaine sont incapables de comprendre ça.
Mon intention était de finir ici cette lettre pour ne pas vous être grandement pénible en ces choses qui (comme il ressort de la déclaration de dévouement à la fin de votre lettre) ne vous servent qu’à plaisanter et à rire, mais ne sont d’aucun usage. Mais pour ne pas complètement rejeter votre demande, je vais m’avancer jusqu’à expliquer les mots « négation » et « privation », et brièvement ce qui est nécessaire pour développer plus clairement le sens de ma lettre précédente.
Je dis donc d’abord que la privation n’est pas l’acte de priver, mais seulement la carence [carentiam] pure et simple, qui en soi n’est rien : ce n’est qu’un être de raison, ou un mode de penser, que nous formons quand nous comparons les choses entre elles. Nous disons, par exemple, qu’un aveugle est privé de la vue parce que nous l’imaginons facilement voyant, soit que cette imagination naisse de ce que nous le comparons avec d’autres qui voient, soit de ce que nous comparons son état présent avec son état passé quand il voyait ; et quand nous considérons cet homme sous ce rapport, en comparant sa nature avec la nature d’autres ou avec sa nature passée, nous affirmons alors que la vision appartient à sa nature et nous disons donc qu’il en est privé. Mais quand on considère la décision de Dieu et sa nature, nous ne pouvons pas plus affirmer de cet homme que d’une pierre qu’il a été privé (orbatum) de la vue parce que, à ce moment, la vision n’appartient [competit] pas plus sans contradiction à cet homme qu’à la pierre, car à cet homme il n’appartient rien de plus, et n’est sien, que ce que l’entendement et la volonté de Dieu lui ont accordé. Et ainsi Dieu n’est pas plus cause du non-voir de celui-ci que du non-voir de la pierre, ce qui est négation pure. De même aussi, quand nous faisons attention à la nature d’un homme conduit par un appétit sensuel et que nous comparons son appétit présent avec celui qui est chez les bons, ou avec celui qu’il avait à un autre moment, nous affirmons que cet homme est privé d’un appétit meilleur parce que alors nous jugeons que l’appétit de la vertu lui appartient [competere], ce que nous ne pouvons faire si nous prêtons attention à la nature de la décision et de l’entendement divins ; car à cet égard cet appétit n’appartient [pertinet] pas plus à la nature de cet homme à ce moment-là qu’à la nature du diable ou de la pierre, et pour cela à cet égard ce n’est pas privation mais négation d’un appétit meilleur. Ainsi, la privation n’est rien d’autre que nier d’une chose quelque chose que nous jugeons appartenir à sa nature, et la négation rien d’autre que nier d’une chose quelque chose parce que celui-ci n’appartient pas à sa nature. Et ainsi il est clair que l’appétit d’Adam pour les choses terrestres n’était mauvais qu’à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu. Car bien que Dieu connût l’état passé et présent d’Adam, il n’entendait pas pour cela qu’Adam fût privé de son état passé, c’est-à-dire que son passé appartînt [pertinere] à sa nature, car alors Dieu comprendrait quelque chose contre sa volonté, c’est-à-dire contre son entendement propre. Si vous aviez bien perçu cela, et en même temps que je ne concède pas cette liberté que Descartes a assignée à l’âme, comme L. M. [Louis Meyer] dans la Préface en témoigne en mon nom, alors vous n’auriez pas trouvé dans mes textes la moindre contradiction. Mais je vois que j’aurais bien mieux fait, si dans ma première lettre j’avais répondu dans les termes de Descartes, de dire que nous ne pouvons savoir comment notre liberté et tout ce qui en dépend s’accordent avec la providence et la liberté de Dieu (comme je l’ai fait dans l’Appendice en divers endroits [10]), au point que, à partir de la création de Dieu, nous ne pouvons trouver aucune contradiction dans notre liberté, parce que nous ne pouvons pas saisir comment Dieu a créé les choses et (ce qui est la même chose) comment il les conserve. Mais je pensais que vous aviez lu la Préface et que, si je ne répondais pas selon le sentiment de mon âme, je pécherais contre l’amitié que j’offrais franchement. Mais je ne me soucie point de cela.
Parce que je vois cependant que vous n’avez pas bien perçu la pensée de Descartes sur ce point, je vous demande de faire attention à ces deux choses :
Premièrement, ni moi ni Descartes n’avons jamais dit qu’il appartînt à notre nature de contenir notre volonté dans les limites de l’entendement , mais seulement que Dieu nous a donné un entendement déterminé et une volonté indéterminée, de sorte cependant que nous ignorions à quelle fin il nous a créés ; en outre, qu’une volonté de ce genre, indéterminée, ou parfaite, ne nous rend pas seulement plus parfaits, mais aussi, comme je vais vous le dire dans la suite, nous est très nécessaire.
Deuxièmement, notre liberté ne se situe pas dans une quelconque contingence ni dans une quelconque indifférence, mais dans une façon d’affirmer et de nier, au point que plus nous affirmons ou nions une chose avec moins d’indifférence, plus nous sommes libres : par exemple, si la nature de Dieu nous est connue, alors nécessairement affirmer que Dieu existe est conséquence de notre nature tout comme de la nature du triangle découle que ses trois angles sont égaux à deux droits ; et cependant nous ne sommes jamais plus libres que quand nous affirmons une chose de cette façon. Mais parce que cette nécessité n’est rien d’autre que la décision de Dieu, comme je l’ai montré dans mon Appendice, on peut en comprendre d’une certaine façon comment nous faisons une chose librement et en sommes cause, nonobstant que nous la faisons nécessairement et selon la décision de Dieu. Cela, dis-je, nous pouvons le comprendre d’une certaine façon quand nous affirmons ce que nous percevons clairement et distinctement, mais quand nous adhérons à quelque chose que nous ne saisissons pas clairement et distinctement, c’est-à-dire quand nous permettons que la volonté se porte hors des limites de notre entendement, alors nous ne pouvons percevoir pareillement cette nécessité et les décisions de Dieu mais quand même notre liberté, que notre volonté inclut toujours (à l’égard de laquelle seulement nos œuvres sont appelées bonnes ou mauvaises), et si alors nous nous efforçons [conamur] de concilier notre liberté avec la décision de Dieu et la création continuelle, nous confondons ce que nous comprenons clairement et distinctement avec ce que nous ne percevons pas et nous nous y efforçons donc en vain. Il nous suffit donc de savoir que nous sommes libres et que nous pouvons l’être nonobstant la décision de Dieu, et que nous sommes cause du mal parce que aucun acte, si ce n’est eu égard à notre liberté, ne peut être nommé « mauvais ». Voilà en ce qui regarde Descartes, pour vous démontrer que ses écrits ne souffrent aucune contradiction en cette partie.
Je vais me tourner maintenant vers ce qui me concerne, et rappellerai d’abord l’utilité principale qui naît de mon opinion : notre entendement offre à Dieu âme et corps hors de toute superstition, et je ne nie pas que les prières ne nous soient très utiles, car mon entendement est trop petit pour déterminer tous les moyens que Dieu a pour conduire (perducat) les hommes à l’amour de lui, c’est-à-dire au salut ; tant s’en faut donc que cette opinion soit nocive, au contraire, pour ceux qui ne sont pas encombrés de préjugés ou de puérile superstition, elle est un moyen unique de parvenir au plus haut degré de béatitude [summum beatitudinis gradum].
Et que vous disiez que, en faisant les hommes dépendants de Dieu, je les rends semblables à des éléments, des herbes et des pierres , cela montre suffisamment que vous comprenez complètement à l’envers mon opinion et que vous confondez les choses qui regardent l’entendement avec l’imagination . car si vous aviez perçu par l’entendement pur ce qu’est dépendre de Dieu, vous ne penseriez certes pas que les choses, en tant qu’elles dépendent de Dieu, sont mortes, corporelles et imparfaites (qui a jamais osé parler de l’Etre suprêmement parfait aussi bassement ?), au contraire, vous saisiriez que, pour cette raison, et en tant qu’elles dépendent de Dieu, elles sont parfaites. A un point tel que cette dépendance et nécessaire opération, c’est à travers la décision de Dieu que nous les comprenons le mieux, quand nous prêtons attention non aux troncs et aux herbes, mais à ce qui est le plus intelligible et aux choses créées les plus parfaites, comme il ressort (apparet) clairement du deuxième point de la pensée de Descartes que nous avons rappelé tout à l’heure, ce à quoi vous auriez dû faire attention.
Je ne puis taire mon très grand étonnement quand vous dites : si Dieu ne punissait pas la faute (c’est-à-dire en tant que juge, d’une peine qui ne soit pas la conséquence de la faute même, car cela seul est notre question) quelle raison empêcherait quelqu’un de perpétrer avidement des crimes ? Certes qui par terreur de la peine s’abstient de telles choses (ce que je n’espère pas de vous), par aucune raison n’opère par amour et n’a pas du tout de vertu. Quant à moi, je m’en abstiens, ou m’applique à m’en abstenir, parce qu’ils contredisent [pugnant] expressément ma nature singulière et me feraient m’écarter de l’amour et de la connaissance de Dieu.
En outre si vous aviez un peu fait attention à la nature humaine et à la décision de Dieu comme je les ai expliquées dans mon Appendice, vous auriez perçu et donc su comment les choses doivent être déduites avant de parvenir à une conclusion, vous ne diriez pas inconsidérément que mon opinion est de nous rendre semblables à des troncs, etc., et vous ne m’auriez pas imputé toutes les absurdités que vous vous imaginez.
Aux deux points que vous dites, avant d’en venir à votre seconde règle, ne pas pouvoir comprendre, je réponds d’abord que Descartes suffit pour résoudre votre problème, à savoir que, si vous faites seulement attention à votre nature, vous expérimentez que vous pouvez suspendre votre jugement ; mais si vous dites que vous n’expérimentez pas en vous-même que nous obtenons de la raison assez de forces aujourd’hui pour pouvoir rendre continuelle cette suspension, cela serait la même chose pour Descartes que si nous ne pouvions voir aujourd’hui que, tant que nous existons, nous serons toujours choses pensantes, ou retiendrons la nature de chose pensante, ce qui évidemment implique contradiction.
Sur le second point, je dis que, si nous ne pouvions pas étendre notre volonté hors les limites de notre entendement très limité, nous serions très malheureux qu’il ne soit pas en notre pouvoir ou de manger un morceau de pain, ou de faire un pas, ou de se tenir debout, car tout cela est incertain et fort périlleux.
Je passe maintenant à votre seconde règle, et j’affirme que, sans attribuer à l’Ecriture la vérité que vous vous croyez y être, je crois cependant que moi, je lui assigne autant sinon plus d’autorité ; et beaucoup plus prudemment que d’autres, je prends garde à ne pas y ajouter de puériles et absurdes opinions (sententias), ce que ne peut accomplir que celui qui entend bien la philosophie ou qui a des révélations divines ; au point que me touchent très peu les explications que des théologiens vulgaires apportent de l’Ecriture, surtout s’ils sont de cette farine à toujours la prendre selon la lettre et dans son sens extérieur ; et jamais, sauf chez les sociniens, je n’ai vu théologien si grossier fût-il qui ne percevait pas que l’Ecriture sainte parlait très fréquemment de Dieu à la manière humaine et exprimait sa signification en paraboles ; quant à la contradiction que en vain (à mon avis) vous vous efforcez de montrer, je crois que par parabole vous entendez complètement autre chose qu’ordinairement, car qui a jamais entendu dire que celui qui exprime ses conceptions par paraboles s’écarte de son sentiment ? Quand Michée dit au roi Achab qu’il a vu Dieu assis sur son trône, les armées célestes se tenant à sa droite et à sa gauche, et que Dieu y cherchait quelqu’un pour tromper Achab [11], cela était certes une parabole, par laquelle le prophète exprimait assez l’essentiel de ce qu’à cette occasion (ce n’était pas celle d’enseigner les dogmes sublimes de la théologie) il devait manifester au nom de Dieu ; de sorte qu’en aucune façon il ne s’est écarté de son sentiment. De même pour cette raison les autres prophètes ont manifesté au peuple la Parole de Dieu sur l’ordre de Dieu, par les moyens les meilleurs, mais pas en tant que Dieu les demandait, afin de conduire le peuple au but premier de l’Ecriture, qui, selon ce que dit le Christ lui-même, consiste en fait en l’amour de Dieu par-dessus tout et aussi celui de son prochain. Les sublimes spéculations, je crois, touchent peu l’Ecriture. En ce qui me regarde, je n’ai jamais appris ni pu apprendre aucun des attributs éternels de Dieu dans la sainte Ecriture.
Pour ce qui touche votre cinquième argument [argumentum] (à savoir que les prophètes ont manifesté la parole de Dieu de cette façon parce que la vérité n’est pas contraire à la vérité), il ne me reste (comme en jugeront ceux qui ont perçu la méthode de démonstration) qu’à démontrer que l’Ecriture, comme elle est, est la vraie Parole révélée de Dieu. Je ne peux en avoir une démonstration mathématique, sinon par révélation divine. Et donc j’ai dit : « “je crois”, mais non à la manière mathématique, “je sais”, que tout ce que Dieu a révélé aux prophètes, etc. », parce que je crois fermement, mais je ne sais pas mathématiquement, que les prophètes ont été les confidents intimes de Dieu et ses fidèles envoyés, donc en ce que j’ai affirmé il n’y a aucune contradiction, alors qu’au contraire on n’en trouve pas peu dans l’autre bord.
Le reste de votre lettre, quand vous dites : Enfin l’être souverainement parfait, etc. , ensuite ce que vous rapportez contre l’exemple du poison , et enfin ce qui regarde l’Appendice et ce qui suit , je dis que cela ne concerne pas la question présente.
Pour ce qui touche la préface de L. M., où certes on montre aussi ce qu’il reste encore à prouver par Descartes pour former une solide démonstration du libre arbitre, et où on ajoute que je couve un sentiment contraire, et comment je le couve, je l’indiquerai peut-être en son temps, pour le moment je n’en ai pas l’intention.
Mais l’ouvrage sur Descartes, je n’y ai plus pensé et ne m’en suis plus occupé depuis sa sortie en langue flamande, et ce non sans une raison qu’il serait trop long de rapporter ici. Il ne me reste donc plus qu’à, etc.

[28 janvier 1665]


Lettre 22




Au très célèbre

B. d. S.

Guillaume de Blyenbergh



Monsieur et cher ami,

J’ai reçu en son temps votre lettre écrite le 28 janvier ; d’autres occupations que les études m’ont empêché de vous répondre plus vite : et parce que ici et là elle comportait des reproches acerbes, je ne savais trop quoi en penser : car dans la première, du 5 janvier, vous m’aviez si généreusement offert votre amitié cordiale, en ajoutant la prière instante que non seulement ma première lettre mais aussi les suivantes seraient grandement bienvenues, bien plus vous réclamiez si généreusement de moi que j’expose les difficultés que je pourrais encore soulever, que dans ma lettre du 16 janvier je me suis montré un peu plus prolixe. J’en attendais une réponse amicale et instruite, selon votre demande et votre promesse, mais j’en ai reçu au contraire une qui ne fleurait pas trop l’amitié : aucune démonstration, même la plus claire, ne vaut pour moi, je ne comprends pas la pensée Cartesii* [de Descartes], je confonds les choses spirituelles avec les terrestres, etc., au point que nos lettres ne pourront plus longtemps servir à notre instruction mutuelle. A quoi je réponds amicalement que je crois fermement que vous vous y entendez mieux que moi sur ces choses et que vous êtes plus habitué à distinguer les choses corporelles des spirituelles ; en effet en métaphysique, où moi je débute, vous êtes monté au plus haut degré [trap], et c’est pour m’instruire que je recherchais votre faveur ; mais je ne pensais pas que mes objections, faites librement, causeraient une telle irritation. Je vous remercie du fond du cœur d’avoir pris une telle peine pour écrire vos deux lettres, surtout la seconde : plus que par la première, j’y ai perçu plus clairement votre pensée, et pourtant je ne peux y adhérer si les difficultés que j’y trouve encore ne sont pas levées, ce qui ne peut vous donner aucune cause d’irritation. Car c’est montrer un vice dans notre entendement, si nous adhérons à la vérité sans un fondement nécessaire : bien que vos concepts soient vrais, il n’est pas permis d’y adhérer tant que en moi demeurent des raisons d’obscurité ou de doute, même si mes doutes ne naissent pas de ce que vous exposez mais de l’imperfection de mon entendement. Et parce que ça vous le savez très bien, vous ne devez pas le prendre mal si je forme encore quelques objections : je m’efforce de faire ainsi tant que je ne perçois pas clairement une chose, car je n’ai pas d’autre but que de trouver la vérité, non de déformer votre pensée, et donc je vous demande de répondre amicalement à ce peu de mots.
Vous dites : « Rien n’appartient plus à l’essence d’une chose que ce que la volonté et la puissance divines lui ont accordé, et lui attribuent réellement ; et quand nous prêtons attention à la nature d’un homme conduit par l’appétit de la volupté [wellust], et que nous comparons cet appétit présent avec celui qui est chez les bons, ou avec celui qu’il a eu à un autre moment, nous affirmons que cet homme est privé d’un appétit meilleur parce que, alors, nous jugeons que l’appétit de cette vertu lui appartient, ce que nous ne pouvons faire si nous faisons attention à la nature de la décision et de l’entendement divins, car à cet égard cet appétit meilleur n’appartient pas plus à la nature de cet homme à ce moment qu’à la nature du diable ou d’une pierre, etc. En effet, quoique Dieu connût l’état passé et présent d’Adam, il n’entendait pas pour autant qu’Adam était privé d’un état passé, c’est-à-dire cet état passé n’appartenait pas à sa nature présente », etc. Conséquence claire de ces mots, semble-t-il : selon votre sentiment, rien d’autre n’appartient à l’essence que ce qu’a la chose au moment où elle est perçue , c’est-à-dire si me tient le désir [begeerte, desiderium] de la volupté [welluste], ce désir appartient à mon essence à ce moment-là, et s’il ne me tient pas, ce non-désir appartient à mon essence au moment où je ne désire pas. Conséquence infaillible : eu égard à Dieu, j’inclus alors dans mes œuvres (qui diffèrent seulement gradibus*) autant de perfection quand je suis tenu par le désir de voluptés que quand je ne le suis pas ; quand je commets des crimes de tout genre que quand je pratique la vertu et la justice. Car n’appartient à mon essence à ce moment-là qu’autant que j’opère : en effet, je ne peux opérer, selon votre position, ni plus ni moins que la quantité de perfection que j’ai réellement reçue, parce que la volonté [wyl, cupiditas] des voluptés [wellusten] et des crimes appartient à mon essence au moment où je les commets, et à ce moment-là je la reçois, mais pas la plus grande, de la puissance divine : donc la puissance divine exige seulement des œuvres de ce genre. Et ainsi, voici la claire conséquence de votre position, semble-t-il : Dieu veut les crimes par la seule et même raison qu’il veut ce que vous marquez du nom de « vertu ». Supposons maintenant que Dieu, comme Dieu et non comme juge, distribue, autant qu’il veut, telles ou telles qualité et quantité d’essence aux pieux et aux impies pour qu’ils agissent ; quelles raisons y a-t-il pour qu’il ne veuille pas l’œuvre de l’un de la même façon que celle de l’autre ? Car, parce qu’il concède à chacun telle qualité pour son œuvre, la conséquence est que, à ceux à qui il a moins distribué, par la même raison, il demande autant qu’à ceux à qui il a donné plus ; et par conséquent, Dieu, eu égard à lui-même, exige de la même façon une plus grande ou plus petite perfection de nos œuvres, le désir des voluptés et des vertus. Et donc celui qui commet des crimes ne peut nécessairement que les commettre, puisque rien d’autre ne regarde son essence à ce moment-là ; et celui qui pratique la vertu pratique donc la vertu parce que la puissance de Dieu a voulu que cela appartienne à son essence à ce moment-là ? De nouveau il me semble que Dieu veut également et de la même façon les crimes et la vertu et, en tant qu’il veut les uns et l’autre, il est cause et de ceux-là et de celle-ci, et donc tous ne peuvent qu’être bien reçus de lui. Ce qui de Dieu est dur à concevoir.
Vous dites, je vois bien, que les bons honorent Dieu, mais de vos écrits je ne perçois rien d’autre que ceci : servir Dieu, c’est seulement effectuer les œuvres que Dieu a voulu que nous fassions ; vous écrivez la même chose des méchants [godloose] et des libidineux [wellustige] ; quelle est donc la différence, eu égard à Dieu, entre les bons et les méchants ? Vous ajoutez encore que les bons servent Dieu et deviennent continuellement plus parfaits en servant, mais je ne perçois pas ce que vous entendez par ce « devenir plus parfaits » ni ce que signifie ce « devenir continuellement plus parfaits ». Car et les méchants et les bons [godloose en vroomen] obtiennent leur essence [wesen] et aussi la conservation, ou création continuelle, de leur essence de Dieu, comme Dieu et non comme juge, et les uns comme les autres de la même façon exécutent sa volonté selon la décision de Dieu. Quelle peut donc être la différence, eu égard à Dieu, entre les deux ? Car ce « devenir continuellement plus parfaits » découle non de l’œuvre mais de la volonté de Dieu, et donc les méchants, s’ils se rendent plus imparfaits par leurs œuvres, cela ne découle pas des œuvres, mais de la seule volonté de Dieu ; ainsi les deux n’exécutent que la volonté de Dieu : il ne peut donc y avoir de rupture [discrimen] entre les deux, par raison de Dieu [?]. Quelles sont donc les raisons pour que ceux-ci deviennent continuellement plus parfaits par leurs œuvres mais ceux-là moindres ?
Mais pourtant vous semblez établir une rupture entre l’œuvre des uns et celle des autres en ce que la première inclut plus de perfection que la seconde. En cela je suis vraiment certain que repose ou votre erreur ou la mienne : car dans vos écrits je ne peux trouver aucune règle selon quoi une chose n’est dite plus ou moins parfaite que quand elle a plus ou moins d’essence. Si maintenant la règle de la perfection est celle-là, les crimes sont donc, eu égard à Dieu, aussi bien reçus que les œuvres des bons, car Dieu, comme Dieu, c’est-à-dire eu égard à lui-même, les veut de la même façon, parce que les deux découlent de la décision de Dieu. Si telle était la seule règle de perfection, les erreurs ne pourraient être dites telles qu’improprement, mais en réalité il n’y aurait aucune erreur ni aucun crime : et tout ce qui est n’embrasse que l’essence telle que Dieu l’a donnée, essence qui toujours, de quelque manière qu’elle se trouve, implique une perfection. Je ne peux percevoir cela clairement, je l’avoue ; vous, donnez votre réponse à moi qui cherche : tuer plaît-il à Dieu comme distribuer des aumônes ? commettre un vol, eu égard à Dieu, est-il aussi bon qu’être juste ? Si vous le niez, quelles sont donc vos raisons ? Si vous l’affirmez, existe-t-il des raisons pour moi qui me porteraient vers cette œuvre que vous appelez « vertu » plus que vers une autre ? Quelle loi interdit plus la seconde que la première ? Si vous la nommez « loi de vertu », je dois certainement reconnaître que je n’en trouve chez vous aucune selon laquelle la vertu régnerait [moderanda] et qui la ferait connaître. Car chaque chose qui est dépend sans qu’on puisse l’en séparer de la volonté de Dieu, et par conséquent l’une ou l’autre sont vertueuses. Et je ne saisis pas ce qu’est pour vous la vertu ou la loi de vertu ; je ne comprends donc pas non plus que vous souteniez que nous devons opérer par amour de la vertu. Vous dites bien que vous vous abstenez des crimes et des vices parce qu’ils contredisent à votre nature singulière et vous éloignent de la connaissance et de l’amour divins ; mais dans tous vos écrits, je ne trouve ni règle ni preuve de cela. Bien plus, excusez-moi si je dis que le contraire semble en être conséquence. Vous vous abstenez de ce que j’appelle des vices parce qu’ils contredisent votre nature singulière, mais non parce que ce sont des vices ; vous vous en abstenez comme on laisse une nourriture qui dégoûte notre nature. Certes celui qui s’abstient du mal parce qu’il dégoûte sa nature ne peut guère se glorifier de vertu.
Ici encore on peut reposer la question : s’il y a une âme [animus] à la nature singulière de qui ne contredit pas mais convient de s’adonner aux voluptés et aux crimes, existe-t-il, dis-je, une raison de vertu [een reden van deucht] qui l’amènerait à pratiquer la vertu et à s’abstenir du mal ? Mais comment pourrait-il se faire que quelqu’un écarte le désir de volupté, alors que ce désir serait de son essence à ce moment-là, qu’il l’a reçu à l’instant de Dieu et ne peut s’en séparer ?
Je ne vois pas non plus dans vos écrits la conséquence suivante : ces actions que je désigne du nom de « crimes » vous éloigneraient [12] de la connaissance et de l’amour de Dieu. Car vous n’avez exécuté la volonté de Dieu et ne pouviez faire plus que parce que rien de plus n’avait été donné par la volonté et la puissance divines que ce qui constituait votre essence à ce moment-là. Ainsi comment une œuvre déterminée et dépendante (een geconstitueert en dependent werk) vous ferait errer loin (afdwalen, aberrare) de l’amour divin ? errer (afdwalen) c’est être sans ordre (verwart, confusum), c’est ne pas être dépendant (dependent, dependens), ce qui selon vous est impossible à soutenir (stellinge onmogelijk). Car être cause de ceci ou de cela, de plus ou de moins de perfection, cela nous l’avons reçu immédiatement de Dieu pour notre être à tel moment. : comment donc pouvons-nous errer (afdwalen) ? ou bien alors je ne saisis pas ce qu’on entend (verstaen) par « erreur » [afdwalinge]. Mais cependant, ici, et ici seulement, doit reposer la cause de mon incompréhension (error, misverstant) ou de la vôtre.
J’aurais encore beaucoup à dire et à demander : 1) Si les substances intellectuelles dépendent de Dieu d’une autre façon que celles d’où la vie est absente, car, bien que les êtres intellectuels impliquent plus d’essence que ceux qui sont dépourvus de vie, est-ce que les uns et les autres n’ont pas besoin de Dieu et de la décision de Dieu de conserver leur mouvement quant au genre et tel ou tel mouvement quant à l’espèce et, par conséquent, en tant qu’ils en dépendent, n’en dépendent par une et même raison ? 2) Parce que vous ne concédez pas à l’âme (ziel, animae) la liberté que Cartesius* lui a assignée, quelle est donc la différence entre la dépendance des substances intellectuelles et de celles sans âme (zieloose) ? et si elles n’ont aucune liberté de vouloir, comment concevez-vous qu’elles dépendent de Dieu ? et de quelle manière une âme dépend-elle de Dieu ? 3) Si notre âme [anima] n’est pas dotée de cette liberté, notre action n’est-elle pas proprement l’action de Dieu et notre volonté proprement la volonté de Dieu ? Je pourrais encore vous questionner, mais je n’ose trop vous en demander : je me contente d’attendre votre réponse sous peu aux précédents points afin que par ce moyen je puisse mieux entendre votre sentiment pour ensuite en débattre avec vous. En effet, dès que j’aurai reçu votre réponse, en allant à Leyde, j’irai vous saluer en passant, si cela vous convient. Dans cette attente, et en vous saluant, je vous dis de tout cœur que je reste
Votre très fidèle et très dévoué
Guillaume de Blyenbergh.


Dordrecht, 19 février 1665


Dans mon trop de hâte j’ai oublié cette question : ne pouvons-nous par notre prudence empêcher ce qui autrement nous arriverait ?


Lettre 23




Au très savant et très distingué

Guillaume de Blyenbergh

B. d. S.



Monsieur et ami,

J’ai reçu cette semaine deux lettres de vous : la seconde, rédigée le 9 mars, ne servait qu’à me rappeler la première, écrite le 19 février et qui m’avait été envoyée à Schiedam. Dans celle-ci je vois que vous vous interrogez sur ce que j’aurais dit : « aucune démonstration ne tient chez vous, etc. », comme si j’avais parlé eu égard à mes raisons, qui ne vous auraient pas tout de suite satisfait, ce qui était loin de mon idée : je me rapportais à vos propres paroles, qui sont : « Et si, après une longue investigation, il arrivait que ma science naturelle semble contredire (pugnare) ce Verbe ou ne pas convenir assez, etc., ce Verbe a chez moi tant d’autorité que les concepts que j’estime percevoir clairement me seraient plutôt suspects, etc. » Cela pour répéter brièvement vos paroles, et je ne crois donc pas vous avoir fourni aucune cause de colère, d’autant plus que j’ai fourni comme raison les points sur lesquels je montrais notre grand désaccord.
En outre, parce que, à la fin de votre deuxième lette, vous écriviez n’espérer et ne souhaiter que persévérer dans la foi et l’espérance, et que les autres points portant sur l’entendement naturel, qui nous convaincraient l’un l’autre, vous étaient indifférents, j’avais pensé – et j’y pense encore – que mes futures lettres ne vous seraient d’aucun usage et que, pour cela, il serait mieux pour moi de ne pas négliger mes travaux (que, autrement, je serais forcé d’interrompre un certain temps) pour des choses qui ne peuvent donner aucun fruit. Et cela ne contredit pas ma première lettre, car je vous y considérais comme un pur philosophe qui (comme l’accordent beaucoup qui s’affirment chrétiens) n’a aucune autre pierre de touche de la vérité que l’entendement naturel, mais non comme un théologien. Mais vous m’avez appris qu’il en était autrement tout en me montrant que les fondations sur lesquelles j’avais l’intention de construire notre amitié n’étaient pas établies comme je le pensais.
Enfin pour ce qui touche les autres choses, cela arrive souvent dans une discussion sans pour autant franchir les limites de la courtoisie, et pour cette raison je vous pardonne celles de votre dernière lettre et aussi de votre deuxième comme non hostiles. Voilà pour votre irritation, pour vous montrer que je ne vous en ai donné aucune cause et encore moins que je peux supporter les reproches de qui que ce soit. Maintenant, je me tourne vers vos objections pour y répondre.
J’affirme donc d’abord que Dieu est absolument et véritablement cause de toutes choses qui ont de l’essence, quelles qu’elles soient. Si maintenant vous pouvez démontrer que le mal, l’erreur, les crimes, etc., sont quelque chose qui exprime une essence, je vous accorderai entièrement que Dieu est cause des crimes, du mal, de l’erreur, etc. Il me semble avoir suffisamment montré que ce qui pose la forme du mal, de l’erreur, du crime, ne consiste pas en quelque chose qui exprime de l’essence, et donc qu’il ne peut être dit que Dieu en est cause. Néron, par exemple : son matricide, en tant qu’il comprenait quelque chose de positif, n’était pas un crime, car Oreste a fait la même action extérieure et en même temps eu l’intention de tuer sa mère, et cependant il n’est pas accusé comme Néron. Quel est donc le crime de Néron ? Pas autre chose que, par cette action, il a montré qu’il était sans reconnaissance, sans pitié et sans obéissance. Et il est certain qu’aucun de ces qualificatifs n’exprime quelque chose d’une essence, et qu’ainsi Dieu n’en a pas non plus été cause, quoiqu’il le fût de l’acte et de l’intention de Néron.
En outre, je voudrais remarquer ici que nous, quand nous parlons philosophiquement, ne devons pas employer le style de la théologie : car, parce que la théologie représente souvent Dieu, et non à mauvais escient, comme un homme parfait, il est donc admis qu’en théologie on dise que Dieu désire quelque chose, que Dieu est affecté de dégoût par les œuvres des méchants et de délectation par celles des bons ; mais en philosophie, où nous percevons clairement que les attributs qui rendent l’homme parfait peuvent aussi peu être attribués et assignés à Dieu que si nous attribuions à l’homme ceux qui font la perfection d’un éléphant ou d’un âne, ces termes et leurs semblables n’ont aucune place ici et il n’est pas permis de les utiliser sans une suprême confusion de nos concepts. C’est pourquoi, en parlant philosophiquement, on ne peut dire que Dieu demande quelque chose à quelqu’un ni que quelqu’un le dégoûte ou le réjouit : tout cela sont bien sûr des attributa* humains qui n’ont pas place en Dieu.
J’aurais voulu remarquer cependant que, bien que les œuvres des bons (c’est-à-dire de ceux qui ont l’idée claire de Dieu à laquelle toutes leurs œuvres comme toutes leurs pensées sont rattachées) et des méchants (c’est-à-dire de ceux qui ne possèdent pas l’idée de Dieu, mais seulement des idées des choses terrestres auxquelles toutes leurs œuvres et leurs pensées sont rattachées), et enfin de tous ceux qui sont, découlent nécessairement des lois éternelles et de la décision de Dieu, et qu’elles dépendent continuellement de Dieu, elles diffèrent les unes des autres cependant non seulement gradibus* mais aussi en essence : en effet quoique la souris et l’ange, ainsi que la tristesse et la joie dépendent de Dieu, cependant la souris ne peut être une espèce d’ange, ni la tristesse une espèce de joie. Par ces quelques mots, je pense avoir répondu à vos objections (si je les ai bien comprises ; le fait est que je me demande parfois si les conclusions que vous en déduisez ne diffèrent pas de la proposition même que vous entreprenez de démontrer).
Mais cela sera plus clairement évident si je réponds à partir de ces fondements à vos questions : 1) tuer est-il reçu par Dieu comme distribuer des aumônes ? 2) voler est-il, eu égard à Dieu, aussi bon qu’être juste ? 3) enfin, s’il existe quelqu’un à la nature singulière de qui ne contredirait pas (non pugnaret) mais conviendrait d’obéir à ses pulsions (libidinibus) et de perpétrer des crimes, en lui, j’insiste, y a-t-il une raison de vertu (ratio virtutis) qui le persuaderait de faire le bien et de renoncer au mal ?
A la première je donne cette réponse : moi (en parlant philosophiquement) je ne sais pas ce que vous voulez dire par ces mots « est reçu par Dieu ». Si vous demandez si Dieu a l’un en haine mais estime l’autre, si l’un outrage Dieu et si l’autre le comble, je réponds non. Si maintenant la question est : les hommes qui tuent et ceux qui distribuent des aumônes sont-ils également bons et parfaits, je réponds encore non.
La deuxième question je vous la renvoie : si bon eu égard à Dieu infère que le juste fournit quelque chose de bon à Dieu et le voleur quelque chose de mal, je réponds que ni le juste ni le voleur ne peuvent être cause d’agrément ou de dégoût chez Dieu ; mais si on cherche si l’œuvre de l’un et de l’autre, en tant qu’elle est quelque chose de réel et est causée par Dieu, est également parfaite ? je réponds : si nous faisons attention seulement aux œuvres et à telle façon de faire, il peut se faire que les deux soient également parfaites. Si vous demandez alors si le voleur et le juste sont également parfaits et bienheureux, je réponds non. Car par juste j’entends qui désire [cupit] constamment que chacun possède ce qui est à lui, désir [cupiditatem] que dans mon « Ethica* » (pas encore éditée) je démontre tirer nécessairement son origine chez les pieux de la connaissance claire qu’ils ont d’eux-mêmes et de Dieu. Et parce que le voleur n’a pas un désir de ce genre, lui fait nécessairement défaut la connaissance de Dieu et de lui-même, c’est-à-dire la principale, celle qui nous rend hommes. Si pourtant vous demandez encore ce qui peut vous pousser à faire cette œuvre que je nomme « vertu » plutôt qu’une autre, je dis que je ne peux pas savoir quelle est la voie, parmi une infinité, dont Dieu se sert pour vous déterminer à cette œuvre. Peut-être que Dieu a imprimé clairement en vous l’idée de lui, de façon à ce que vous livriez le monde à l’oubli par amour pour lui et que vous aimiez les autres hommes comme vous-même ; et il est évident qu’à la constitution d’une telle âme contredisent toutes les autres choses qu’on appelle mauvaises et qui pour cette raison ne peuvent être dans cet individu. D’ailleurs ce n’est pas ici le lieu d’expliquer les fondements de l’Ethique ni de démontrer tout ce que je dis, parce que je n’en suis qu’à donner réponse à vos questions, et à les éloigner et les écarter.
Enfin pour ce qui touche à la troisième question, elle suppose contradiction et me semble comme si on demandait : Si le mieux qui convenait à la nature de quelqu’un était de se pendre, y aurait-il des raisons pour qu’il ne se pende pas ? Vraiment, s’il était possible qu’il y ait une telle nature, alors j’affirme (que je concède ou non le libre arbitre) : si quelqu’un voyait qu’il peut vivre plus commodément sur la potence qu’installé à sa table, il agirait très stupidement [seer geklyk, stultissimè] s’il ne se pendait pas ; et celui qui verrait clairement qu’il pourrait jouir d’une vie, autrement dit d’une essence, plus parfaite et meilleure en perpétrant des crimes qu’en suivant la vertu, alors il serait stupide [gek, stultus] s’il ne les commettait pas. Car les crimes, eu égard à une nature humaine aussi perverse [verkeerde, perversae], seraient vertu [deugt, virtus].
Pour l’autre question que vous avez ajoutée à la fin de votre lettre, parce que nous pouvons bien en une heure en poser cent de ce genre, sans pourtant parvenir à la solution d’aucune, et que vous ne me pressez pas vraiment d’y répondre, je n’y répondrai pas : pour le moment, je vous dis seulement, etc.

Voorburg, 13 mars 1665


Lettre 24




Au très célèbre

B. d. S.

Guillaume de Blyenbergh



Monsieur et ami,

Quand j’ai eu l’honneur de vous voir, je n’ai pas eu le temps de prolonger, et ma mémoire m’a encore moins permis de lui confier ce dont nous avions parlé, bien que, dès que je vous eus quitté, j’eusse rassemblé toutes les forces de ma mémoire pour retenir ce que j’avais entendu. Parvenu au lieu le plus proche, je me suis efforcé de confier vos opinions au papier, mais je me suis alors rendu compte qu’en fait je n’avais pas retenu le quart de ce dont nous avions traité, de sorte qu’il faut m’excuser si, encore une fois, je vous suis pénible en vous interrogeant sur certains points que je n’ai pas bien perçus ou pas bien retenus. Je souhaiterais avoir la possibilité de vous rendre cette peine par quelque bienfait.
Tout d’abord : comment puis-je, en lisant les Principes et les Pensées métaphysiques, faire la différence entre votre sentiment et celui de Descartes ?
Deuxièmement : s’il y a proprement de l’erreur, et en quoi elle consiste ?
Troisièmement : par quelle raison vous établissez que la volonté n’est pas libre.
Quatrièmement : ce que vous entendez par ces mots que L. M. [Louis Meyer] a écrits en votre nom dans la Préface. « Comme notre auteur admet qu’il y a une substance pensante dans la nature des choses, il nie cependant qu’elle constitue l’essence de l’âme humaine ; mais il tient que, de la même façon que l’Etendue n’est (dé)terminée par aucunes limites, la Pensée non plus n’est (dé)terminée par aucunes limites ; et ainsi, tout comme le corps humain n’est pas absolument, mais seulement selon les lois de la nature étendue, une étendue déterminée d’une façon certaine par le mouvement et le repos, de même l’âme humaine n’est pas absolument, mais seulement selon les lois de la nature pensante, une pensée déterminée d’une façon certaine par les idées, et qui – nécessaire conclusion – est donnée quand le corps humain commence à exister [13]. » D’où la conséquence, semble-t-il, que, de même que le corps humain est composé de milliers de corps, de même encore l’âme humaine consiste en milliers de pensées ; et que, tout comme le corps humain se dissout en les milliers d’éléments dont il était composé, ainsi encore notre âme, quand elle quitte le corps, se dissout en les si nombreuses pensées en lesquelles elle consistait ; et de même que les parties dissoutes de notre corps ne demeurent pas plus longtemps unies, mais que d’autres corps s’insinuent entre elles, la conséquence est donc là encore, semble-t-il, que, une fois notre âme dissoute, ces pensées innombrables en lesquelles elle consistait ne sont pas plus longtemps combinées mais divisées : et que, tout comme les corps dissous demeurent quand même des corps, mais non humains, par la mort également notre substance pensante est dissoute en fait de sorte que les pensées, ou les substance pensantes, demeurent, mais pas telles qu’était leur essence quand elles étaient dites « âme humaine ». D’où il me semble que c’est comme si vous souteniez que la substance pensante de l’homme se transforme et, comme les corps, se dissout, bien mieux, que certaines périssent complètement, comme vous l’affirmiez des impies (si ma mémoire est bonne), et ne conservent aucune pensée de reste. Et, tout comme M. Descartes, selon L. M., présuppose seulement que l’âme est une substance absolument pensante, ainsi vous et L. M. me donnez l’impression de présupposer la plus grande partie : c’est pourquoi je ne perçois pas clairement votre pensée dans cette affaire.
Cinquièmement : tant dans notre discours* [discussion] que dans votre dernière lettre du 13 mars, vous soutenez que de la connaissance claire de Dieu et de nous-mêmes naît la fermeté avec laquelle nous désirons que n’importe qui ait ce qui est sien. Mais il reste à expliquer par quelle raison la connaissance de Dieu et de nous-mêmes produit en nous la volonté ferme que chacun possède ce qui est sien, c’est-à-dire par quelle voie cela découle de la connaissance de Dieu, ou bien nous engage à aimer la vertu et à ne pas effectuer les œuvres que nous nommons « vices » ; et d’où procède (puisque tuer et voler, selon vous, comprennent quelque chose d’aussi positif que donner l’aumône) que commettre les premiers n’implique pas autant de perfection, de béatitude et de satisfaction que donner l’aumône. Vous direz peut-être, comme vous l’avez signalé dans votre dernière du 13 mars, que cette question regarde l’Ethique et qu’elle y est soulevée par vous , mais comme sans élucidation de cette question comme des précédentes, je ne peux pas moi percevoir votre pensée, bien plus, qu’il subsiste toujours des absurdités que je ne peux concilier, je vous demande amicalement de me répondre plus longuement ; surtout d’exposer et d’expliquer les definitiones, postulata et axiomata principaux sur lesquels se fonde votre Ethique, et cette dernière question en premier. Peut-être que vous vous excuserez parce que ce travail va vous prendre du temps, mais je vous supplie de satisfaire encore une fois à ma demande car, sans la solution de cette ultime question, je ne percevrai jamais correctement votre pensée. Je souhaiterais vous payer généreusement de votre peine. Je n’ose vous prescrire un délai de deux ou trois semaines, je vous prie seulement de me donner votre réponse avant votre départ pour Amsterdam. Quand vous l’aurez fait, je vous serai infiniment reconnaissant et je vous montrerai que je suis et demeure,
Monsieur,
Votre très dévoué
Guillaume de Blyenbergh.

Dordrecht, 27 mars 1665.



Lettre 27




Au très instruit et très distingué

Guillaume de Blyenbergh

B. d. S.



Monsieur et ami,

Quand on m’a remis votre lettre du 27 mars, j’allais partir pour Amsterdam. C’est pourquoi, après en avoir parcouru la moitié, je l’ai laissée à la maison pour vous répondre à mon retour, car je pensais qu’elle ne contenait que des questions regardant notre première discussion. Mais après l’avoir lue je me suis aperçu que son sujet était tout autre, et que vous y souhaitiez non seulement la preuve de ce que j’ai pris soin d’écrire dans la Préface de mes Principes de Descartes démontrés géométriquement – à seule fin d’indiquer mon opinion à tous sans la prouver et en convaincre les hommes –, mais que vous souhaitiez aussi une grande partie de l’Ethique qui, ce qui est évident pour n’importe qui, ne peut être fondée que par la métaphysique et la physique. Pour cette raison, je n’ai pas pu me résoudre à satisfaire à vos questions, mais j’ai voulu attendre une occasion de vous demander amicalement en personne de renoncer à votre réclamation, de vous donner la raison de mon refus et enfin de vous montrer que vos questions ne donnent pas la solution de notre première discussion, mais au contraire qu’une grande partie dépend de la solution de notre litige. Loin donc que mon opinion regardant la nécessité des choses ne puisse être perçue sans elles [vos questions], c’est au contraire celles-ci qui ne peuvent être perçues avant que mon opinion ne soit précédemment comprise. Avant en fait qu’une occasion se présente, on m’a livré cette semaine encore une de vos lettres qui semblait montrer quelque dépit de mon trop de retard. Et ainsi la nécessité m’a forcé à vous écrire ces quelques mots pour vous informer de mon propos et de ma décision. J’espère que, tout bien pesé, vous allez de vous-même renoncer à votre demande et cependant me conserver votre bienveillance. Pour ma part je montrerai de toutes mes forces que je suis
Votre […]
B. de Spinoza

Voorburg, le 3 juin 1665


Notes

  1. Les termes et expressions en italiques suivis d'un astérisque sont en latin ou en français dans le texte néerlandais original.
  2. gerustheyt (tranquillitas) : ce terme disparaît chez Appuhn qui traduit : « Il veut, par la science, parvenir non aux honneurs et aux richesses, mais à la possession seule de la vérité qui en est en quelque sorte l’effet. »
  3. Spinoza omet ce terme dans sa traduction latine.
  4. « Quid enim significat privari, aut perfectiorem statum amittere ? nonne est à majori ad minorem perfectionem, et per consequens à majori ad minorem essentiam transire ?want wat is dat geseijt berooft te werde, of een volmakter stant verliese, is dat niet van meer tot min volmaektheijt en bij gevolch van meer tot min wesentlijckheijt over gaen » : cette formule de Blyenbergh deviendra dans l'Ethique la définition de la tristesse. Voir Ethica III, prop. 11, schol. + Affectuum Definitiones, 3, Explicatio, où Spinoza prend soin de préciser que la tristesse n'est pas une privation.
  5. rechtschapen verstant : expression rendue dans les Opera posthuma par candidum atque erectum animum, traduction suivie par Appuhn (« une âme candide et droite »). Francès (Pléiade, Gallimard) traduit mieux par « entendement bien fait » et Curley par upright intellect (The Collected Works of Spinoza, vol. 1, Princeton University Press, 2e ed., 1988, p. 373).
  6. Citation du Psaume 42-43, 2-3, classique dans le christianisme pour exprimer le désir et l’espérance de Dieu. Blyenbergh reprend mot pour mot la traduction néerlandaise de la Bible.
  7. Il s'agit des Cogitata metaphysica II, VIII, dernière section.
  8. « vel semel falsum esse deprehenderem » : Appuhn, suivi en cela par Francès, traduit par  : « sans jamais l’avoir trouvé une seule fois en défaut ». Saisset, effectuant un contresens inverse, disait : « Et si je venais à penser une seule fois que je n’ai recueilli jusqu’à ce moment du travail de ma raison d’autre fruit que l’erreur, cela suffirait pour me rendre entièrement malheureux », ajoutant en note : « Je lis infortunatum au lieu de fortunatum, qui me paraît en contradiction directe avec la pensée de Spinoza. » En anglais, Curley, dans son excellente édition-traduction de Spinoza, traduit correctement par : « And if even once I found that the fruits which I have already gathered from the natural intellect were false, they would still make me happy, since I enjoy them and seek to pass my life, not in sorrow and sighing, but in peace, joy and cheerfulness. By so doing, I climb a step higher » (op. cit., p. 376).
  9. « et ea de causa defendis impios, quia juxta Dei decretum, quicquid possunt, faciunt, Deo aeque, ac pios servire ». Appuhn, suivi en cela par Francès (Pléiade, p. 1147), traduit par : « pour cette raison, vous ne voulez pas que les impies, parce qu’ils agissent contrairement au commandement de Dieu, servent Dieu comme les pieux ». Saisset, lui, traduisait moins inexactement par : « Là-dessus vous vous faites l’avocat des impies, parce qu’ils font, dites-vous, tout ce que les décrets de Dieu leur donnent la possibilité de faire, et servent Dieu à l’égal des bons. » Curley, op. cit., p. 376 : « That is why you defend the impious, because, in accordance with God's decree, they do whatever they can, and serve God as much as the pious do. »
  10. Ainsi en Cogitata metaphysica I, III, dernière section.
  11. Voir Bible, 1 Rois 22, 19 s.
  12. afdwalen – même racine que afdwaling, rendu en latin par error.
  13. Ici, Blyenbergh reprend mot pour mot la traduction par Balling des Principia, ce qui signifie qu'il avait les textes latin et néerlandais à sa disposition.
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