Sur la traduction de Mens

De Spinoza et Nous.
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- "Anima" est employé pour désigner le fait qu'il y a de l'animation, en d'autres termes de la vie : [[Éthique II#Proposition 13|E2P13]]S : "toutes choses sont animées à des degrés divers" ; cf. aussi les concepts de ''fluctuatio animi'' (fluctuations de l'âme) ou ''animositas'' (fermeté d'âme). Ce que Spinoza conteste, ce qu'il existe en chaque individu un principe unique et séparé de vie, ce qui est le sens traditionnel de "âme".
 
- "Anima" est employé pour désigner le fait qu'il y a de l'animation, en d'autres termes de la vie : [[Éthique II#Proposition 13|E2P13]]S : "toutes choses sont animées à des degrés divers" ; cf. aussi les concepts de ''fluctuatio animi'' (fluctuations de l'âme) ou ''animositas'' (fermeté d'âme). Ce que Spinoza conteste, ce qu'il existe en chaque individu un principe unique et séparé de vie, ce qui est le sens traditionnel de "âme".
  
- "Spiritus" est également un terme qui renvoie au "''nephesh''" hébreux, le "souffle", le principe de vie et de mouvement. Dans l’''Éthique'', on trouve cette occurrence du mot ''spiritus'' : "...''patriarchae postea recuperaverunt, ducti spiritu Christi, hoc est, Dei idea...''" ([[Éthique IV#Proposition 68|E4P68]]S) : "les patriarches ont recouvré la liberté perdue par les premiers hommes, conduits par l'esprit du Christ". Esprit apparaît ici comme une idée qui pousse, inspire à un certain type d'action, comme lorsqu'on parle de l'esprit des lois : "c'est-à-dire par l'idée de Dieu, qui seule peut faire que l'homme soit libre et qu'il désire pour les autres le bien qu'il désire pour soi-même". Or Dieu est la vie, autrement dit la force qui fait persévérer chaque être dans son existence (voir [[Pensées métaphysiques - Deuxième partie, chapitre VI : De la vie de Dieu|Pensées Métaphysiques II,6]] - [[éthique III#Proposition 6|E3P6, dém.]]), autrement dit encore la Nature est le seul et unique "esprit" ou principe d'animation de tout ce qui est animé. Le [[Traité théologico-politique/Chapitre I|TTP ch. I]] confirme cet usage de "''Spiritus''".
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- "Spiritus" est également un terme qui renvoie au "''nephesh''" hébreux, le "souffle", le principe de vie et de mouvement. Dans l’''Éthique'', on trouve cette occurrence du mot ''spiritus'' : "...''patriarchae postea recuperaverunt, ducti spiritu Christi, hoc est, Dei idea...''" ([[Éthique IV#Proposition 68|E4P68]]S) : "les patriarches ont recouvré la liberté perdue par les premiers hommes, conduits par l'esprit du Christ". Esprit apparaît ici comme une idée qui pousse, inspire à un certain type d'action, comme lorsqu'on parle de l'esprit des lois : "c'est-à-dire par l'idée de Dieu, qui seule peut faire que l'homme soit libre et qu'il désire pour les autres le bien qu'il désire pour soi-même". Or Dieu est la vie, autrement dit la force qui fait persévérer chaque être dans son existence (voir [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Pensées Métaphysiques II,6]] - [[éthique III#Proposition 6|E3P6, dém.]]), autrement dit encore la Nature est le seul et unique "esprit" ou principe d'animation de tout ce qui est animé. Le [[Traité théologico-politique/Chapitre I|TTP ch. I]] confirme cet usage de "''Spiritus''".
  
 
== Raisons philosophiques ==
 
== Raisons philosophiques ==

Version actuelle en date du 7 janvier 2017 à 03:39

Le terme latin Mens est habituellement traduit par "âme" ou "esprit", nous proposons sur ce site, dans les traductions récentes(et donc pas celles de Saisset ou d'autres traducteurs) de traduire ce terme par Mental pour les raisons qui suivent.

[modifier] Raisons terminologiques

- Spinoza connaît "spiritus" et "anima" qui se rendent naturellement par "esprit" et "âme". Même quand il répond à un correspondant au sujet de l'âme chez Descartes, il répond en terme de "mens" plutôt qu’anima.

- "Anima" est employé pour désigner le fait qu'il y a de l'animation, en d'autres termes de la vie : E2P13S : "toutes choses sont animées à des degrés divers" ; cf. aussi les concepts de fluctuatio animi (fluctuations de l'âme) ou animositas (fermeté d'âme). Ce que Spinoza conteste, ce qu'il existe en chaque individu un principe unique et séparé de vie, ce qui est le sens traditionnel de "âme".

- "Spiritus" est également un terme qui renvoie au "nephesh" hébreux, le "souffle", le principe de vie et de mouvement. Dans l’Éthique, on trouve cette occurrence du mot spiritus : "...patriarchae postea recuperaverunt, ducti spiritu Christi, hoc est, Dei idea..." (E4P68S) : "les patriarches ont recouvré la liberté perdue par les premiers hommes, conduits par l'esprit du Christ". Esprit apparaît ici comme une idée qui pousse, inspire à un certain type d'action, comme lorsqu'on parle de l'esprit des lois : "c'est-à-dire par l'idée de Dieu, qui seule peut faire que l'homme soit libre et qu'il désire pour les autres le bien qu'il désire pour soi-même". Or Dieu est la vie, autrement dit la force qui fait persévérer chaque être dans son existence (voir Pensées Métaphysiques II,6 - E3P6, dém.), autrement dit encore la Nature est le seul et unique "esprit" ou principe d'animation de tout ce qui est animé. Le TTP ch. I confirme cet usage de "Spiritus".

[modifier] Raisons philosophiques

- Pierre Macherey écrit : "En tout état de cause, il paraît préférable d'écarter le terme "esprit" en raison de ses connotations spiritualistes, qui tendent implicitement à restituer une valeur substantielle aux déterminations proprement mentales de l'âme humaine an contradiction absolue avec le raisonnement de Spinoza, qui, pour l'essentiel va consister à montrer que "l'âme" n'est rien d'autre qu'une affection ou un mode de la pensée, dépendant donc de celle-ci en tant qu'elle constitue un genre d'être ou un attribut de la substance, autonome par rapport à tous les autres genres d'être à travers lesquels la substance exprime aussi sa nature." (Introduction à l’Éthique de Spinoza - La seconde partie - la réalité mentale" PUF,1997)

- En conséquence, traduire "mens" par "âme" ou "esprit", c'est non seulement donner une signification substantiel à un terme que Spinoza a pris soin d'isoler de toute référence de cet ordre, mais c'est également perdre une partie de la richesse de sa philosophie de la vie. C'est aussi, à chaque fois qu'on lit "esprit" ou "âme" quand Spinoza dit "mens" une occasion de contre-sens. Quand je lis "L'esprit humain ne perçoit pas seulement les affections du corps, mais aussi les idées de ces affections.", je suis tenté de conférer à cet "esprit" une valeur d'unité et de vie intrinsèques, ce que Spinoza prend pourtant soin d'éviter (voir ci-dessous).

- Pierre Macherey propose "régime mental" pour traduire mens (p. 5 de la troisième partie de son Introduction à l'Éthique de Spinoza. Nous proposons plus simplement encore de traduire "mens" par l'adjectif substantivé "mental" qui dans l'usage est beaucoup plus proche de ce que Spinoza désigne : l'idée du corps - cette idée n'étant pas en elle-même principe de vie et d'unité de l'individu. En effet, cet usage désigne un "ensemble de représentations intellectuelles propres à un individu ou un groupe".

- A ceux comme Charles Ramond qui disent que le terme "mental" est vraiment trop peu élégant et qu'il frise le "ridicule" en philosophie, je répond que ce sentiment est simplement dû au fait que le terme "mental" n'est que peu usité dans la langue philosophique française. Mais le but de Spinoza en écrivant sa philosophie n'était pas de complaire aux habitudes langagières académiques françaises. A la limite, un terme qui choque un peu les habitudes intellectuelles n'est pas une chose de peu d'intérêt en philosophie dans la mesure où cela permet d'éveiller la vigilance, la capacité à remettre en question ce qu'on lit ("Caute"). D'autre part, les traducteurs ont rechigné pendant longtemps à employer "affect" pour traduire "affectus", sous prétexte que ce n'était "pas français" ou "inélégant". On préférait l'imprécision de "passion", laissant de côté la distinction entre affect passif et affect actif (étant donc amenés à supposer des passions actives !) ou pire le contre-sens "affection", confondant affectus et affectio - "sentiment" était le choix le moins préjudiciable, mais du coup on perdait la parenté d'affect et d'affection... Finalement, Bernard Pautrat s'est le premier résolu à l'évidence : traduire affectus par affect.

[modifier] Objections diverses

Où, dans l’Éthique, Spinoza conteste-t-il "l'intuition" que nous avons de l'unité intrinsèque de notre "esprit" ?

- Le "mental" chez Spinoza n'est pas un ensemble a priori uni, précisément parce que ce mental ne saurait être un principe d'unité, l'unique substance de la nature ayant ce rôle. Cela n'empêche donc pas qu'il y ait quelque unité chez l'individu, notamment par le biais de son essence, le conatus. Mais "mens" n'est pas en soi une unité ni un principe d'unité pour la simple raison que "mens" n'est rien d'autre que l'idée du corps (E2P13). Or "le corps humain se compose de plusieurs individus (de nature diverse), dont chacun est lui-même fort composé." (E2, postulat I). Par conséquent, "mens" est lui-même essentiellement composé d'un grand nombre d'idées d'individus, il n'est pas quelque chose de réellement un. S'il y a une certaine unité de l'individu, ce n'est pas le mental qui la lui confère, mais le conatus, c'est-à-dire Dieu en tant qu'il exprime sa puissance d'exister dans un mode donné.

Mais dans Éth. II, 18, Spinoza ne dit-il pas : " Si le corps humain a été affecté par deux ou plusieurs corps en même temps, lorsque l'esprit, dans la suite, imaginera l'un deux, il se souviendra aussitôt des autres " et 20 : " De l'esprit humain il y a aussi en Dieu l'idée ou connaissance. Elle suit en Dieu et se rapporte à Dieu, de la même façon que l'idée ou connaissance du corps humain. " ?

- Justement ces passages montrent que "mens" n'est pas en soi une unité. La mémoire est association d'images diverses et changeantes avec le temps. L'évidence, c'est que l'idée spontanée que j'ai de mon corps est aussi changeante que l'est mon corps. Quant à l'idée du mental humain qu'il y a dans l'entendement infini, elle ne tient son unité qu'eu égard à l'ensemble des choses qui existent par ailleurs. Dieu en a une connaissance adéquate parce qu'il ne la sépare pas de la série infinie de ses causes et effets. Mais cela n'empêche pas qu'il subsiste dans ce mental quelque chose d'éternel : la puissance d'exister et d'être affecté, l'essence de l'individu dont le mental est aussi l'idée.

N'avons nous pas cependant une intuition indubitable que nous sommes sujet de nos pensées, ce même sujet qui opère la synthèse de nos perceptions et pensées successives que nous appelons le "moi" ?

- La seule chose que vous intuitionnez, que vous appelez le "moi", c'est - et d'une certaine façon vous le dites très bien - la pensée des états successifs qui n'est pas une pensée de votre "mens" individuel, mais une pensée de la pensée. Il n'y a rien d'individuel dans ce que vous désignez, or ce que Spinoza appelle "mens" est individuel, c'est l'idée d'un corps. La seule unité que Spinoza admet, c'est celle de la substance et de ses modes, en d'autres termes de Dieu, du monde et des hommes. Rien de tel dans l'univers spinozien qu'une collection de petites unités ou monades refermées sur elles-mêmes qu'on nomme "esprits" ou "âmes". Spinoza n'est pas Leibniz.

Henrique Diaz, article publié la première fois en août 2002.
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