http://spinozaetnous.org/w/index.php?title=Sp%C3%A9cial:Nouvelles_pages&feed=atom&hideliu=&hidepatrolled=&hidebots=&hideredirs=&limit=50&namespace=0 Spinoza et Nous - Nouvelles pages [fr] 2024-03-29T05:44:57Z De Spinoza et Nous. MediaWiki 1.18.0 http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_64 Lettre 64 2019-09-29T05:31:12Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 64 | 3= de Spinoza à Schuller | 4=1675 }} &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt; {{Lettr... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 64<br /> | 3= de Spinoza à Schuller<br /> | 4=1675<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très savant et honoré G.H. Schuller,&lt;br /&gt;<br /> B. De Spinoza.<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> [[Lettre 63|RÉPONSE A LA PRÉCÉDENTE]]<br /> <br /> Monsieur,<br /> <br /> Je suis heureux que l’occasion se soit présentée à vous de m’adresser une de ces lettres qui me sont toujours agréables et je vous prie instamment de me procurer souvent ce plaisir, etc.<br /> <br /> Je passe aux difficultés et je vous dirai quant à la première, que l’âme humaine ne peut avoir connaissance que de ce qu’enveloppe l’idée d’un corps existant en acte ou de ce qui peut s’en déduire. Car la puissance d’une chose quelconque se définit par sa seule essence ([[E2P7|Éthique, partie II, proposition 7]]) et l’essence de l’âme ([[E2P13|partie II, proposition 13]]) consiste en cela seul qu’elle est l’idée d’un corps existant en acte. Le pouvoir de connaître appartenant à l’âme ne s’étend donc qu’à ce que cette idée du corps contient en elle-même ou à ce qui en découle. Or cette idée du corps n’enveloppe et n’exprime d’autres attributs de Dieu que l’étendue et la pensée. Car l’objet auquel elle se rapporte, à savoir le corps ([[E2P6|partie II, proposition 6]]) a Dieu pour cause en tant qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue, et non en tant qu’il est considéré sous aucun autre, et par suite ([[E1A6|partie I, axiome 6]]) cette idée du corps enveloppe la connaissance de Dieu en tant seulement qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue. De plus cette idée, en tant qu’elle est un mode de la pensée, a aussi Dieu pour cause ([[E2P6|même proposition]]) en tant qu’il est chose pensante et non en tant qu’il est considéré sous un autre attribut, et par suite ([[E1A6|même axiome]]) l’idée de cette idée enveloppe la connaissance de Dieu en tant qu’il est considéré sous l’attribut de la Pensée et non en tant qu’il est considéré sous un autre.<br /> <br /> L’on voit ainsi que l’âme humaine n’enveloppe et n’exprime point d’autres attributs de Dieu à part ces deux. De ces deux attributs d’ailleurs ou de leurs affections, aucun autre attribut de Dieu ([[E1P10|partie I, proposition 10]]) ne peut être conclu et on ne peut par ces attributs en concevoir aucun autre. D’où cette conclusion que l’âme humaine ne peut parvenir à la connaissance d’aucun attribut de Dieu à part ces deux, ainsi que je l’ai énoncé. Quant à ce que vous ajoutez : existe-t-il autant de mondes qu’il y a d’attributs ? je vous renvoie au [[E2P7S|scolie de la proposition 7, partie II]]. Cette proposition pourrait se démontrer plus facilement par une réduction à l’absurde, et j’ai accoutumé de choisir ce mode de démonstration quand il s’agit d’une proposition négative, parce qu’il est en accord avec la nature des choses. Mais puisque vous n’acceptez qu’une démonstration positive je passe à la deuxième difficulté : est-il possible qu’une chose soit produite par une autre dont elle diffère tant par l’essence que par l’existence ? Et en effet des choses différant ainsi l’une de l’autre semblent n’avoir rien de commun. Mais comme toutes les choses singulières, à part celles qui sont produites par leurs semblables, diffèrent de leur cause tant par l’essence que par l’existence, je ne vois pas ici de difficulté.<br /> <br /> En quel sens j’entends que Dieu est cause efficiente des choses, tant de leur essence que de leur existence, je crois l’avoir suffisamment exprimé dans le [[E1P25S|scolie]] et le [[E1P25C|corollaire de la proposition 25, partie I de l’Éthique]]. L’axiome invoqué dans le [[E1P10S|scolie de la proposition 10, partie I]], ainsi que je l’ai indiqué à la fin de ce scolie, a son origine dans l’idée que nous avons d’un Être absolument infini et non dans celle d’êtres ayant trois, quatre attributs ou davantage.<br /> <br /> Pour les exemples que vous demandez&lt;ref&gt;Sur les [[mode]]s infinis immédiats et les modes infinis médiats, voir la [[Lettre 12]], à Louis Meyer et [[E1P21|Éthique, I, prop. 21, 22 et 23]].&lt;/ref&gt;, ceux du premier genre sont pour la Pensée, l’entendement absolument infini, pour l’Étendue le mouvement et le repos, ceux du deuxième genre la figure de l’univers entier qui demeure toujours la même bien qu’elle change en une infinité de manières. Voyez sur ce point le [[E2L7S|scolie du lemme 7]] qui vient avant la proposition 14, partie II.<br /> <br /> Je crois ainsi, Monsieur, avoir répondu à vos objections et à celles de notre ami. Si vous avez encore quelque doute je vous prie de vouloir bien me le faire connaître pour que je le lève si je peux. Portez-vous bien, etc.<br /> <br /> ''La Haye, le 29 juillet 1675''.<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 63]] | [[Lettres]] | [[Lettre 65]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Les_lois_de_la_nature Comprendre le Traité théologico-politique/Les lois de la nature 2018-11-03T12:30:35Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 6 | 4= Les lois de la nature }} {{Bloc emphas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 6<br /> | 4= Les lois de la nature<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 4<br /> <br /> Chapitre 6<br /> <br /> (...) A l’égard de la première thèse on en fait voir aisément la vérité par le principe démontré au chapitre 4 au sujet de la loi divine : que tout ce que Dieu veut ou détermine, enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. Nous avons conclu en effet de ce que l’entendement de Dieu ne se distingue pas de sa volonté, que c’est tout un de dire que Dieu veut quelque chose et qu’il conçoit quelque chose : la même nécessité qui fait que Dieu par sa nature et sa perfection conçoit une chose comme elle est, fait aussi qu’il la veut comme elle est. Puis donc que nécessairement rien n’est vrai, sinon par un décret divin, il suit de là très clairement que les lois universelles de la nature sont de simples décrets divins découlant de la nécessité et de la perfection de la nature divine. Si donc quelque chose arrivait dans la Nature qui contredit à ses lois universelles, cela contredirait aussi au décret, à l’entendement et à la nature de Dieu ; ou, si l’on admettait que Dieu agit contrairement aux lois de la Nature, on serait obligé d’admettre aussi qu’il agit contrairement à sa propre nature, et rien ne peut être plus absurde. La démonstration pourrait encore se tirer aisément de ce que la puissance de la Nature est la puissance même et la vertu de Dieu, et la puissance de Dieu absolument identique à son essence ; mais j’aime mieux laisser cela de côté quant à présent. <br /> <br /> Il n’arrive donc rien dans la Nature qui contredise à ses lois universelles ; ou même qui ne s’accorde avec ses lois ou n’en soit une conséquence. Tout ce qui arrive en effet, arrive par la volonté et le décret éternel de Dieu ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà montré, rien n’arrive que suivant des lois et des règles enveloppant une nécessité éternelle. La Nature observe donc toujours des lois et des règles qui enveloppent, bien qu’elles ne nous soient pas toutes connues, une nécessité et une vérité éternelles, et par suite un ordre fixe et immuable. Aucune bonne raison n’invite à attribuer à la Nature une puissance et une vertu limitées et à croire que ses lois s’appliquent à certaines choses seulement, non à toutes ; car puisque la vertu et la puissance de la Nature est la vertu même et la puissance de Dieu, que les lois et règles de la Nature sont les décrets même de Dieu, il faut croire sans restriction que la puissance de la Nature est infinie et que ses lois sont assez larges pour s’étendre à tout ce qui est conçu par l’entendement divin. En juger autrement, ne serait-ce pas admettre que Dieu a créé une Nature si impuissante et établi des lois et des règles si stériles, qu’il est souvent obligé de lui venir en aide pour qu’elle se conserve et que les choses tournent selon son vœu ? et j’estime une telle croyance aussi contraire que possible à la raison. De ces principes donc que rien n’arriva dans la nature qui ne suive de ses lois ; que ses lois s’étendent à tout ce que conçoit l’entendement divin ; qu’enfin la Nature observe un ordre fixe et immuable, il suit très clairement que le nom de miracle ne peut s’entendre que par rapport aux opinions des hommes et signifie tout uniment un ouvrage dont nous ne pouvons assigner la cause par l’exemple d’une autre chose accoutumée, ou que du moins ne peut expliquer l’auteur relatant le miracle. <br /> <br /> Je pourrais dire à la vérité qu’un miracle est un événement dont on ne peut assigner la cause par les principes des choses naturelles tels que la Lumière Naturelle les fait connaître ; toutefois, puisque les miracles ont été faits à la mesure de la compréhension du vulgaire, lequel ignorait totalement les principes des choses naturelles, il est certain que les anciens ont tenu pour miracle ce qu’ils ne pouvaient expliquer par le moyen dont le vulgaire a coutume d’user pour expliquer les choses naturelles, c’est-à-dire en recourant à sa mémoire pour se rappeler un cas semblable qu’il se représente sans surprise à l’ordinaire ; le vulgaire en effet estime assez connaître ce qu’il voit sans surprise. Les anciens donc et presque tous les hommes jusqu’au temps présent n’ont eu d’autre règle applicable aux miracles ; il n’est pas douteux en conséquence que les livres saints ne racontent beaucoup de faits prétendus miraculeux dont il serait facile d’assigner la cause par les principes connus des choses naturelles ; nous l’avons déjà indiqué au chapitre 2 en parlant de l’arrêt du soleil au temps de Josué et de sa rétrogradation au temps d’Achaz, mais nous traiterons ce point plus longuement tout à l’heure, ayant promis de nous occuper dans ce chapitre de l’interprétation des miracles.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> '''Les lois de la nature'''<br /> <br /> Le passage essentiel du chapitre 6 est constitué par sa première thèse. L’objet de celle-ci est de montrer qu’il n’arrive rien qui soit contre la nature et qu’elle conserve un ordre éternel, fixe et immuable. Autrement dit il n’y a rien de miraculeux que relativement à l’ignorance, où est le vulgaire, des lois de la nature. La notion de miracle est subjective. La démonstration ne part pas de rien ; elle doit tirer les conséquences du travail qui a été fait précédemment, qui montrait qu’en Dieu l’entendement et la volonté sont une seule et même chose. De là il découle très clairement que la notion de décret divin ne peut désigner proprement que les lois mêmes de la nature et sûrement pas les exceptions, qui d’ailleurs ne peuvent être qu’illusoires. Ce point étant très délicat, puisqu’il établit exactement le contraire de ce que croient et le vulgaire et les théologiens, il exige que certains commentaires en rendent explicites les implications. Sans le fournir dans ce texte l’auteur évoque un argument décisif, celui qui identifie l’essence et la puissance de Dieu. C’est bien lui qui sur le fond permet d’écarter une thèse soutenue de diverses manières par ceux que l’auteur tient pour ses adversaires : afin de laisser une marge à ses interventions miraculeuses, ils arguent que Dieu ne fait pas tout ce que sa puissance lui permet de faire. Mais ils ont tort ; il n’y a pas de défaillance de la nature ; il n’est donc aucun besoin d’y remédier. C’est de là que découle enfin la conclusion que les prétendus miracles ne prouvent qu’une seule chose : que le vulgaire rêve la nature au lieu de la penser.<br /> <br /> Sur cette question de savoir ce qu’est un miracle, il faut d’abord rappeler ce qui a fait l’objet du chapitre 4 : la loi divine, a-t-il établi, enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. En effet la loi divine, expression de la volonté divine, n’est que par abstraction distincte de l’entendement divin. Elle n’en est pas distincte en réalité. En Dieu penser et vouloir sont en effet une seule et même chose. Il n’y a rien qui soit vrai, sinon par la volonté de Dieu. Ainsi s’il est vrai, par exemple, que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil, selon une loi qui a été mise en évidence par Kepler (l’orbite en est elliptique et les aires égales balayées par son rayon le sont en des temps égaux), il ne se peut pas qu’en même temps cette loi soit contredite (comme le croit le naïf Josué). Par là se trouve complètement changé, et très exactement inversé, le sens qu’on peut donner à la notion de volonté divine. Les notions de nécessité et d’éternité ne permettent pas de penser (penser est autre chose que rêver) qu’il pourrait survenir quelque chose, qui en soi serait extraordinaire. Le décret divin ne relève pas de la catégorie du caprice, mais de celle de la loi. Celle-ci ne doit pas être entendue autrement qu’au sens physique du terme.<br /> <br /> Au fond ce que signifie la définition de la loi divine ici rappelée, c’est la loi de la nature, telle qu’elle peut être entendue après Kepler, après Galilée et après Descartes. C’est la loi de la nature telle que peut l’entendre Newton : c’est en 1666, que celui-ci conçoit la loi de la gravitation universelle, qui est donc contemporaine de la composition du TTP. A cette date il faut tirer les implications philosophiques de la conception scientifique nouvelle qui fait son apparition au début du dix-septième siècle. La notion de loi y acquiert une précision qu’elle n’avait pas dans les représentations qui en étaient antérieurement données. Dans l’Antiquité la notion de loi n’exprime qu’une sorte de tendance, qui souffre éventuellement des exceptions, et pas encore une relation quantifiée constante entre plusieurs termes, qui eux mêmes sont variables. Pour utiliser l’expression de Montesquieu, dans l’Antiquité les lois ne sont pas encore des &quot; rapports nécessaires &quot;. C’est seulement dans la première moitié du dix-septième siècle qu’elles le deviennent, dès lors que, sous l’impulsion de Galilée, elles utilisent l’instrument mathématique. Le rapport est constant et lui seul l’est, alors que la valeur des termes qui y entrent est variable. L’idée que l’on se fait de la loi divine ne peut qu’être profondément modifiée par les conceptions scientifiques. La loi divine en effet ne peut plus être le décret qui rompt un ordre préexistant, qui décide d’une exception éclatante, il est le décret qui instaure l’ordre et qui ne peut souffrir ni exception ni remise en cause, car il est fixe et immuable.<br /> <br /> Il s’ensuit en effet que la volonté divine, loin d’être ce qui s’exprime dans des accidents remarquables qui contreviendraient aux lois ordinaires de la nature, est ce qui s’exprime dans les lois ordinaires de la nature, lesquelles d’ailleurs ne souffrent aucun accident. Il ne saurait y avoir d’autres lois. Rien n’est vrai que par le décret de Dieu : ce n’est donc pas le miracle qui révèle la volonté de Dieu, c’est la loi ordinaire de la nature, telle qu’elle peut être découverte et exprimée par un physicien : un ordre fixe et immuable. Fixe et immuable par exemple est l’ordre qui préside à la chute des corps. Contrairement à ce que croyait Aristote (du Ciel), il n’y a pas deux sortes de corps. Lourds ou légers, ils suivent tous la même règle. Il n’y a pas plus de lieu naturel en bas pour les corps graves, qu’il n’y a de lieu naturel en haut pour les corps légers. La nature ne connaît pas le haut et le bas. Dieu lui-même ne connaît pas le haut et le bas. Galilée montre que la pesanteur est une force qui agit identiquement sur tous les corps. Par là il devient impensable non seulement qu’il y ait des corps que leur nature entraînerait vers le haut tandis qu’il y en aurait d’autres que leur nature entraînerait vers le bas mais, et c’est une conséquence beaucoup plus profonde, il devient impensable aussi qu’il y ait une seule circonstance dans laquelle on trouverait un seul corps qui ne serait pas soumis à la loi. Une loi quelconque a une valeur universelle. Il n’y a pas un seul corps qui soit capable d’Ascension. Il n’y a que des ascensions, lesquelles se font par divers moyens. Un corps n’en est capable que s’il déploie une force au moins égale à celle de la pesanteur et appliquée en sens inverse. L’ascension se fait au moyen soit d’une paire d’ailes, soit d’un ballon d’hélium, soit d’un moteur. Cette condition a échappé à ceux qui jurent que Jésus est monté au ciel. Quant à ceux qui jurent qu’il est ressuscité d’entre les morts, il y a manifestement bien d’autres choses qui leur ont échappé.<br /> <br /> Qui veut connaître la volonté de Dieu doit se tourner vers autre chose que ce qui jusqu’à présent a mobilisé l’attention des naïfs, vers autre chose par conséquent que l’extraordinaire. Il n’y a d’ailleurs pas d’extraordinaire, car ce qui est prétendu tel n’est que ce que le vulgaire ne comprend pas, ce dont il ne comprend pas le rapport avec l’ordinaire. Il n’y a d’ailleurs rien d’extraordinaire à ce que quantité de choses restent incomprises du vulgaire. Si les pompes des fontainiers de Florence s’arrêtent de pomper à 10,33 m, ceux qui croient avec Aristote que la nature a horreur du vide (du Ciel) devraient crier au miracle ; mais au lieu de se rendre en procession à la cathédrale Santa Maria del Fiore en chantant &quot;miracolo, miracolo&quot;, ces gens se tournent vers le mal famé Galileo Galilei, qui a échappé au bûcher mais non à la résidence surveillée, pour lui demander l’interprétation de l’événement. Ô siècle païen ! Evangelista Torricelli, son disciple, ne va réduire à rien d’autre que du très ordinaire ce qui se passe à 10,33 m : c’est l’effet de la pression atmosphérique, phénomène quotidien, vulgaire et universel (1643). Pire encore, c’est carrément vers le plus quotidien que se tournera Newton. Il s’intéressera au mouvement ordinaire de la lune, qui tourne autour de la terre et n’y tombe pas. Le miraculeux est-il qu’il osera prétendre qu’elle tombe ? Las, ce sera pour dire qu’elle est soumise elle aussi à la loi d’une gravitation tellement vulgaire qu’elle est universelle. S’il en a l’idée en 1666, il ne publie les Principes mathématiques de la philosophie naturelle qu’en 1686 et Spinoza ne peut assurément en avoir eu connaissance. On pourrait dire cependant que le physicien aura sans le savoir suivi la recommandation du philosophe de s’intéresser à autre chose que ce qui étonne tout le monde, et qu’il a mis en œuvre une démarche beaucoup plus féconde, qui est de s’étonner de ce qui n’est pas étonnant. C’est d’ailleurs où Platon (dans Théétète) et Descartes (dans les Passions de l’âme, article 70) voyaient eux aussi le commencement de la philosophie.<br /> <br /> C’est dans les lois ordinaires de la nature, celles que découvrent les physiciens, qu’il faut chercher les décrets de Dieu. Cette idée n’est d’ailleurs pas absolument hérétique, puisqu’on pourrait presque la trouver chez Saint Thomas d’Aquin et chez Maïmonide. Si l’on ne peut la rencontrer telle quelle chez ces auteurs, qui ne connaissaient de physique qu’aristotélicienne, elle y est du moins sous cette forme que la création toute entière témoigne de l’existence de Dieu et que la connaissance de celle-là est un moyen de parvenir, ne serait-ce que négativement, à l’essence ce celui-ci (Somme théologique, Ia, qu 12, Guide des Egarés, I, 34). Toutefois elle a chez Spinoza d’autres conséquences. Tandis que ses prédécesseurs n’excluaient pas le miracle, c’est à dire une rupture par Dieu de l’ordre qu’il a lui-même institué, le miracle est maintenant totalement impensable. Si Dieu produisait un miracle, il faudrait admettre l’une des deux hypothèses suivantes, aussi absurdes l’une que l’autre. Ou bien, première hypothèse, il agirait contre sa propre nature, car s’il n’y a aucune différence entre sa volonté et son entendement, il n’y a aucun sens à prétendre que sa volonté irait contre ce que son entendement conçoit. Ou bien, seconde hypothèse, il serait dans cette obligation pour avoir créé une Nature impuissante, c’est à dire incapable de se maintenir par elle-même, répondant à des règles si stériles qu’il faudrait y ajouter à chaque instant des interventions nouvelles pour la corriger ou la maintenir. Le verbe créer, aussi peu spinoziste que possible, est effectivement employé à ce sujet et montre que l’auteur se place dans une perspective qui n’est pas celle de sa propre philosophie, mais qui est celle des théologiens. Il ne va pas jusqu’au bout de sa pensée. C’est sur leur propre terrain qu’il veut établir l’absurdité de leur thèse. Chacune de ces deux hypothèses mérite des explications.<br /> <br /> En ce qui concerne la première, on pourrait également, comme il l’indique, tirer une autre démonstration de l’absurdité du miracle par l’idée que la puissance de Dieu est absolument identique à son essence. La démonstration est faite dans l’Ethique I, proposition XVII, scolie. Spinoza ne la donne pas dans le TTP, et pour cause ! c’est qu’alors il ne serait plus dans la perspective des théologiens, mais en contradiction avec eux. Il montrerait alors en effet l’absurdité de l’idée de création. L’emploi qu’il fait ici de l’idée de création (&quot; Dieu a créé une Nature si impuissante et établi des lois et des règles si stériles... &quot; dit la seconde hypothèse) montre que le TTP n’est pas écrit dans la même perspective que l’Ethique et que le combat contre la théologie n’y est mené qu’aussi loin que l’exige la thèse politique de la liberté de pensée, et non jusqu’au terme qu’exige la réflexion philosophique. Donc il &quot; aime mieux laisser cela de côté quant à présent &quot;, c’est à dire qu’il préfère laisser croire qu’il accepte la notion de création. L’Ethique n’est pas publiée, elle n’est pas même achevée au moment où son auteur rédige et publie le TTP. Mais, puisqu’il signale qu’il pourrait dire autre chose, rien n’interdit au lecteur curieux d’éclaircir les sous-entendus. La thèse de la création doit être rejetée parce qu’elle suppose soit que Dieu ne veut pas tout ce que cependant il conçoit, soit que sa puissance est limitée.<br /> <br /> Dans le premier cas Dieu, doté d’un entendement infini, concevrait une infinité de choses, dont il ne voudrait cependant qu’une petite partie. La supposition que son entendement dépasse sa volonté paraît un peu bizarre, mais elle trouve son sens quand on dit que Dieu ne peut pas vouloir le mal. Ainsi certains théologiens se représentent un Dieu qui pense une infinité de mondes possibles et qui les refuse en raison du mal qu’ils enferment. &quot; L’Eternel a créé la terre sur la sagesse &quot;, disent les Proverbes. Cependant ce verset est bien isolé dans un ensemble de textes qui donnent à connaître un Dieu qui décide de tout comme il l’entend. Le verset de Daniel &quot; l’Eternel fait ce qui lui plaît &quot; est bien plus représentatif de l’esprit de la théologie juive. Celui qui admettrait que Dieu rejette les possibles, qu’il conçoit pourtant, parce qu’ils contiennent un mal qu’il ne peut pas leur ôter, admettraient un Dieu impuissant. Mais ce n’est pas le cas des théologiens juifs.<br /> <br /> En fait la vraie raison pour laquelle ceux-ci admettent que Dieu ne crée pas tout ce qu’il conçoit est qu’il leur paraît que cette supposition est moins désobligeante que l’autre, dont elle est alternative, à savoir que si Dieu avait créé tout ce qu’il conçoit il serait au repos, il ne ferait plus rien, il connaîtrait un sabbat éternel. Il aurait aussi épuisé tout son pouvoir. La puissance de Dieu ne serait plus en acte, il n’y aurait plus de puissance de Dieu ! De cette difficulté les kabbalistes essaient de se sortir. En particulier Abraham Herrera (auteur de la Porte du ciel, mort en 1639) tente de la régler par la théorie de la contraction (zimzum), selon laquelle Dieu, qui est infini, se contracte afin de créer ce monde, qui est fini puisqu’il n’y met pas tous les possibles. Ainsi la raison pour laquelle Dieu ne crée pas tous les possibles n’est pas qu’il veut éviter le mal, qui serait attaché malgré lui à certains d’entre eux, mais qu’il se désinfinitise pour se mettre au niveau des hommes. Cependant de quelle manière que s’y prennent les kabbalistes, ils ne sauvegardent la liberté de Dieu que contre sa puissance. Ainsi a-t-on rejoint le second cas, où ce n’est pas parce qu’il s’abstient que Dieu ne crée pas tout ce qu’il conçoit, mais parce qu’il ne le peut pas. Or il n’y a rien de plus absurde que l’idée d’un Dieu impuissant. C’est pourtant le Dieu qu’ont conçu un certain nombre de théologiens. C’est celui que concevra à son tour à la fin de dix-septième siècle Leibniz. Celui-ci en ce sens est l’héritier davantage de la tradition grecque que de la tradition juive et chrétienne. Son Dieu ne peut pas empêcher qu’il y ait du mal dans certains possibles et il doit humblement se contenter de créer le moins mauvais des possibles. Ce Dieu-là n’est qu’un fantoche.<br /> <br /> En ce qui concerne la seconde hypothèse, selon laquelle Dieu devrait intervenir afin de sauver miraculeusement une nature d’abord mal faite, c’est contre une thèse très importante de la théologie que se tourne la démonstration, à savoir la thèse de la création continuée. J’ai raisonné ci-dessus comme le fait souvent l’auteur, en admettant implicitement que la création dont parlent les théologiens aurait été faite en une fois. Mais ce n’est pourtant pas ainsi qu’ils la conçoivent. Ils tiennent pour métaphorique le récit de la Genèse. Ce n’est pas en six jours que Dieu crée le monde, c’est continuellement. On est par conséquent fondé à se demander si les arguments qu’emploie Spinoza contre ses adversaires sont tout à fait pertinents. Peut-il légitimement leur reprocher de penser un Dieu impuissant alors qu’ils conçoivent un Dieu qui au contraire intervient à chaque instant pour soutenir l’existence du monde ? L’argument serait de mauvaise foi. Cependant ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre. L’auteur par la discussion qui précède amène en réalité le débat sur son champ clos. Il ferme toutes les issues avant d’arriver sur son propre terrain. Car cette création continuée l’intéresse dans la mesure où elle s’écarte de l’anthropomorphisme qui conçoit Dieu sur le modèle du potier et où elle substitue à l’acte ponctuel, unique et définitif un rapport éternel. Néanmoins dans le même temps les théologiens continuent de se représenter une sorte de despote qui décide arbitrairement d’une chose quand il aurait aussi bien pu décider le contraire. Ce Dieu-là est doué d’une liberté d’indifférence, il y a de la contingence dans ses choix. C’est parce que les hommes se croient eux-mêmes doués d’un libre arbitre, que très anthropomorphiquement ils l’attribuent superlativement à leur Dieu. Or pour que la conception d’une création continuée soit totalement intelligible, il faudrait que les théologiens admettent en même temps qu’elle n’implique aucune contingence, aucun choix, c’est à dire qu’elle est nécessaire. Il faudrait qu’ils renoncent à attribuer à leur Dieu le libre arbitre. Il faudrait qu’ils renoncent à un Dieu hors de la nature, c’est à dire à un Dieu transcendant. Mais de tels théologiens seraient alors spinozistes ! Lorsqu’il leur reproche de manquer de rigueur Spinoza leur reproche de n’avoir fait vers les exigences de la raison que la moitié du chemin, c’est à dire de n’être qu’à moitié spinozistes.<br /> <br /> Des explications qui précèdent quant aux lois de la nature il suit très clairement qu’on ne peut parler de miracle que par rapport aux opinions des hommes. Il ne s’agit donc pas d’une notion objective, mais seulement d’une notion subjective. Ils sont incapables de comprendre les choses, c’est à dire de les rapporter aux principes d’explication que fait connaître la lumière naturelle. Ils ne savent pas rapporter les phénomènes aux lois de la nature. A cet égard on trouve un peu plus loin, dans le même chapitre, l’idée que le miracle est un ouvrage de la nature qui passe la compréhension humaine ou est cru la passer. En tant qu’ouvrage de la nature ce qui paraît se soustraire à ses lois ordinaires n’est pourtant susceptible d’être soumis à rien d’autre qu’à elles. C’est d’ailleurs faire beaucoup d’honneur aux hommes que de dire qu’ils ne savent pas interpréter les phénomènes par les lois de la nature. Car ceux-là même qu’ils interprètent, ceux qui ne les étonnent pas, ils ne les rapportent pas à celles-ci, mais ils procèdent seulement à leur égard par rapprochement avec ce qu’ils ont l’habitude de voir. Leur démarche n’est pas scientifique, elle est seulement empirique. Ce qu’ils croient expliquer, mais qu’ils n’expliquent en réalité d’aucune manière, c’est ce qu’ils voient sans surprise. C’est au contraire ce qu’ils voient avec surprise qu’ils appellent un miracle. Mais quoi qu’il en soit des sujets qui étonnent le vulgaire et de ceux qui ne l’étonnent pas, quiconque voit les choses selon les lois de la nature peut expliquer ce que d’autres tiennent pour miraculeux. On a déjà vu dans le chapitre 2 l’auteur donner une explication des prétendus miracles de Josué et de Isaïe. Les lois de la nature permettent de dire que si le jour a paru au premier plus long qu’il n’aurait dû être, ce n’est pas parce que le soleil était arrêté dans sa course, ni même parce que la terre l’était dans sa rotation. L’une et l’autre chose sont également impossibles. La lueur du jour s’est maintenue tardivement parce que suspendus dans l’air les grêlons, dont le texte parle au verset précédent, réfractaient la lumière solaire. Les lois de la nature permettent encore de dire que si l’ombre a reculé sur le cadran solaire du roi Achaz, ce n’est pas parce que le soleil a rétrogradé dans sa course ni la terre tourné en sens inverse de sa rotation normale. L’une et l’autre choses sont également impossibles. L’ombre s’est déplacée parce qu’il y a eu un phénomène de parhélie : le soleil apparent semblait occuper dans le ciel une place autre que celle qu’il occupait en réalité et qu’il ne pouvait pas ne pas occuper.<br /> <br /> La conclusion de toute cette thèse fondamentale du chapitre 6 est formulée énergiquement dans l’énoncé de la seconde environ une page plus bas : &quot; Tant s’en faut que les miracles nous montrent l’existence de Dieu, au contraire ils nous en feraient douter &quot;. Les théologiens font des miracles un signe par lequel se manifeste Dieu. Ils dénoncent violemment celui qui ne se laisse pas abuser, parce qu’il nourrirait l’incroyance. Mais c’est tout le contraire de ce qu’ils prétendent. Celui qui réfléchit à l’ordre de la nature, et particulièrement celui qui y réfléchit sur la base des travaux de Galilée, ne peut concevoir qu’il y ait des exceptions à cet ordre. Il s’agit de la loi de la chute des corps, du principe de l’inertie et du système copernicien en tant qu’expressions d’un rapport fixe et immuable davantage que du système copernicien en tant que système de représentation du monde adoptant un point de référence plutôt qu’un autre. Si la notion de Dieu a un sens elle ne peut désigner quoi que ce soit au-delà de cet ordre naturel, ni en deçà de lui. Elle ne peut désigner ni un despote qui décrète arbitrairement cet ordre plutôt qu’un autre, ni un fantoche qui lui est soumis. Le Dieu qui fait des miracles n’est en effet qu’un Dieu anthropomorphe, un Dieu conçu sur le modèle du charlatan qui fait de temps à autre un tour pour épater les gogos et sauver sa réputation illusoire de puissance. Croire aux miracles serait admettre que l’ordre de la nature n’est pas l’ordre de la nature. L’auteur est donc bien en droit d’écrire en conclusion du deuxième point de ce chapitre: &quot; la foi au miracle nous ferait douter de tout et nous conduirait à l’athéisme &quot;. Celui-ci doit être conçu comme l’adhésion à l’idée qu’il n’y a dans la nature aucun ordre, d’où il découle que tout se vaut et que tout est permis. C’est cette accusation dont il doit se garder comme de la peste. Il fait ici plus fort : sa doctrine est donnée pour le meilleur rempart contre l’athéisme.<br /> <br /> La philosophie la plus rigoureuse sur le plan moral n’est donc pas celle qui soumet les hommes à la crainte d’un être transcendant. C’est au contraire celle qui identifie Dieu à la nature. <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin|Le commandement divin]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/La vraie foi|La vraie foi]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Le_commandement_divin Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin 2018-10-31T18:58:51Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 4 | 4= Le commandement divin }} {{Bloc emphas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 4<br /> | 4= Le commandement divin<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 4<br /> <br /> (...) Ce qu’il faut admettre au sujet de la première question se déduit facilement de la nature de la volonté de Dieu, qui ne se distingue de l’entendement divin que relativement à notre raison, c’est-à-dire que la volonté de Dieu et son entendement sont en réalité une seule et même chose et ne se distinguent que relativement aux pensées que nous formons au sujet de l’entendement divin. Par exemple, quand nous avons égard seulement à ce que la nature du triangle est contenue de toute éternité dans la nature de Dieu comme une vérité éternelle, alors nous disons que Dieu a l’idée du triangle, ou conçoit par l’entendement la nature du triangle. Quand ensuite nous avons égard à ce que la nature du triangle est contenue dans la nature de Dieu par la seule nécessité de cette nature et non par la nécessité de l’essence et de la nature du triangle, et même que la nécessité de l’essence et des propriétés du triangle, en tant que conçues comme vérités éternelles, dépend de la seule nécessité de la nature divine et de l’entendement divin, non de la nature du triangle, alors nous appelons volonté ou décret de Dieu cela même que précédemment nous avons appelé entendement de Dieu. Ainsi, relativement à Dieu, c’est tout un de dire que Dieu a de toute éternité voulu et décrété que les trois angles d’un triangle fussent égaux à deux droits, ou que Dieu a conçu cette vérité par son entendement. <br /> <br /> Il suit de là que les affirmations et les négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle. Si donc par exemple Dieu a dit à Adam : je ne veux pas que tu manges le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, il impliquerait contradiction qu’Adam pût en manger, et il serait par suite impossible qu’Adam en mangeât. Puisque cependant l’Écriture raconte que Dieu l’a interdit à Adam et que néanmoins Adam en a mangé, on devra dire nécessairement que Dieu a révélé à Adam le mal qui serait pour lui la conséquence nécessaire de cette manducation, mais non la nécessité de la conséquence de ce mal. Par là il arriva qu’Adam a perçu cette révélation non comme une vérité éternelle et nécessaire, mais comme une loi, c’est-à-dire comme une règle instituant qu’un certain profit ou un dommage sera la conséquence d’une certaine action, non par une nécessité inhérente à la nature même de l’action, mais en vertu du bon plaisir et du commandement absolu d’un prince. Ainsi, pour Adam seulement et par suite de son défaut de connaissance, cette révélation devint une loi et Dieu se posa en législateur et en prince. <br /> <br /> Pour cette même cause et par suite d’un défaut de connaissance, le Décalogue fut une loi pour les Hébreux seulement ; ne connaissant pas en effet l’existence de Dieu comme une vérité éternelle, cela même qui leur fut révélé dans le Décalogue, à savoir que Dieu existe et doit seul être adoré, ils durent le percevoir comme une loi ; si Dieu leur avait parlé immédiatement sans user d’intermédiaires corporels d’aucune sorte, ils ne l’eussent pas perçu comme une loi, mais comme une vérité éternelle. Ce que nous disons d’Adam et des Israélites, on doit le dire aussi de tous les Prophètes qui ont écrit des lois au nom de Dieu ; ils n’ont pas perçu les décrets de Dieu adéquatement, comme on perçoit des vérités éternelles. Il faut dire par exemple de Moïse aussi qu’il a perçu par une révélation, ou tiré des principes à lui révélés, la façon dont le peuple d’Israël pouvait le mieux s’unir dans une certaine région du monde et former une société nouvelle, autrement dit constituer un État ; de même la façon dont ce peuple pouvait le mieux être contraint à l’obéissance. Il n’a pas perçu en revanche et aucune révélation ne lui a fait connaître que cette façon fut la meilleure, il n’a pas su davantage que, par l’obéissance commune du peuple réuni dans telle région, le but que visaient les Israélites serait nécessairement atteint. Il n’a donc pas perçu toutes ces choses comme des vérités éternelles, mais comme des choses commandées et instituées et les a prescrites comme des lois voulues par Dieu. De là vint qu’on se représenta Dieu comme un régulateur, un législateur, un roi, alors que tous ces attributs appartiennent à la nature humaine seulement et doivent être entièrement écartés de celle de Dieu.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> '''Le commandement divin'''<br /> <br /> On dit en parlant des dix commandements, et plus largement de toutes les obligations auxquelles les Juifs sont soumis par la Torah (Exode, Lévitique et Deutéronome en particulier), que c’est la Loi de Dieu, la loi divine. Et certes on entend par là généralement que Dieu, agissant comme le fait un monarque, a dicté aux hommes ses volontés. Cette manière de s’exprimer est évidemment anthropomorphique. Il convient donc de déterminer dans quelle mesure on peut légitimement dire que Dieu est législateur. La réponse est que ça ne peut pas être affirmé proprement, mais que ce n’est qu’une manière de parler et que celle-ci est relative à l’incapacité des Juifs (y compris Moïse) d’avoir de Dieu une idée adéquate. Dieu n’est législateur, dans un sens où il serait comparable à un roi, que dans l’imagination des prophètes. Ce qui est essentiel à ce sujet dans le chapitre 4 est développé au premier point de la démonstration : &quot; si par la Lumière naturelle nous pouvons concevoir Dieu comme un législateur ou un prince prescrivant des lois aux hommes &quot;. Le mouvement des idées en est d’une grande simplicité. Ce passage affirme (il ne le démontre pas, mais cela n’est pas nécessaire, puisque l’idée appartient aux théologiens) qu’en Dieu l’entendement et la volonté ne sont qu’une seule et même chose. Dire que Dieu conçoit une certaine chose c’est dire qu’il la veut. Au-delà de l’énonciation de ce principe, il y a des exemples de son application: 1° ce n’est pas en roi que Dieu interdit à Adam de manger le fruit de l’arbre de la science ; 2° ce n’est pas en roi que Dieu dicte le Décalogue aux Israélites ou la loi à Moïse. Par contre c’est en tant que tel qu’ils le perçoivent. La suite (p. 97) place Jésus en dehors du rang des prophètes et en fait la bouche même de Dieu : on ne peut donc dire que Dieu lui apparaît comme un roi. Les applications données ici, loin d’être quelconques, concernent les plus fondamentales des lois divines, et il faut comprendre que ce passage, fidèle à l’esprit du chapitre 2, vise à se mettre au diapason des théologiens tout en ne dérogeant en rien à la philosophie de l’auteur et en rejetant ce qu’il appelle les superstitions.<br /> <br /> C’est dans la première partie de l’[[E1P17S|Éthique, proposition XVII, scolie]], qu’est discuté ce qu’on peut appeler entendement et volonté chez Dieu. Afin de bien apprécier cette discussion il faut avoir en vue que l’auteur n’y livre en aucune manière le fond de sa pensée. Celui-ci est que ni l’entendement ni la volonté ne peuvent proprement être dits appartenir à Dieu. Mais il se contente de se ranger avec les théologiens, avec Maïmonide et avec Descartes contre ceux, que rejoindra Leibniz, qui séparent en Dieu entendement et volonté, comme ils sont séparés en l’homme. Il se donne ce point d’appui afin de lutter contre l’anthropomorphisme. Et c’est aussi tout ce qu’il cherche dans ce chapitre du TTP : montrer que Dieu n’est pas avec la loi divine dans le rapport où un roi est avec ses décrets. Mais admettre que l’entendement et la volonté de Dieu sont une seule et même chose n’est pas encore dire que ces mots n’ont aucun sens relativement à Dieu. Or si Maïmonide et les théologiens admettent que l’entendement et la volonté de Dieu sont une seule et même chose, à la fois ils ruinent l’analogie anthropomorphique de Dieu avec l’homme et ils la supposent. Pourquoi cette position, qui manque de rigueur ? Afin de reconnaître à Dieu la création et le choix, dont il suit que sa nature est impénétrable.<br /> <br /> Spinoza n’est pas plus d’accord, au fond, avec Maïmonide et Descartes qu’avec les prédécesseurs de Leibniz, théologiens inspirés de la tradition hellénique plus que par la tradition juive. A ces derniers il n’accorde certes pas que le décret de Dieu soit contraint par la nature des choses, mais il n’accorde pas non plus aux premiers que le décret de Dieu pourrait être autre (choix et création). En Dieu l’entendement et la volonté ne sont pas seulement autres qu’en l’homme, ils n’existent pas. D’ailleurs ce passage du chapitre 4 du TTP ne dit nullement que Dieu veuille librement (ce qui pourrait être spinoziste, mais n’en serait pas moins équivoque), il dit que &quot; les affirmations et les négations de Dieu &quot;, qui de ce fait ne sont rien moins que des choix, &quot; enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle &quot;. Dieu est donc libre au sens où il est causa sui, mais ça n’a rien à voir avec le libre arbitre. La loi divine n’est donc pas un décret royal, ce qui impliquerait un arbitraire, l’intervention d’un libre arbitre ; elle enveloppe une nécessité, c’est une vérité éternelle. On ne sera pas surpris que ni Adam ni même Moïse n’aient été capables de se représenter cela.<br /> <br /> La réponse qu’on peut légitimement apporter à la question de savoir si Dieu est proprement législateur se déduit facilement de ce qu’on vient de dire : il faut certes être d’accord sur la nature de la volonté divine. Or précisément Spinoza ne conteste pas ce que disent de celle-ci les théologiens. La formule est prudente puisqu’elle ne concerne pas directement la nature de Dieu. Mais il n’a aucune raison de multiplier ses ennuis lorsque ce n’est pas absolument indispensable. Or il ne lui est pas ici absolument indispensable de faire la clarté sur la nature de Dieu pour savoir s’il est législateur ou non. Il lui suffit d’établir que son entendement et sa volonté ne sont pas les nôtres, ce que les théologiens conçoivent eux-mêmes, du moins lorsqu’ils s’inscrivent dans la lignée de Maïmonide et de Descartes. Il distingue entre ses adversaires. Il y a ceux qui s’éloignent tellement de la vérité qu’il ne peut en aucun cas être d’accord avec eux, et il y a ceux qui ont au moins le mérite de ne pas dire que des choses fausses. Il s’appuie sur les seconds pour combattre les premiers. Mais le tour de ceux-là viendra aussi. Leur compte sera réglé quand il le faudra.<br /> <br /> Il s’en tiendra donc ici à combattre l’anthropomorphisme le plus grossier, celui qui attribue à Dieu un entendement et une volonté séparés l’un de l’autre. Cette distinction, dit-il, n’a de sens que relativement à notre raison (''respectu nostrae rationis'') et non pas en réalité (in se revera), c’est à dire relativement à Dieu (''respectu Dei''). Cette subtilité est tout à fait scolastique, elle n’est pas de son invention. C’est l’habitude de l’École en effet de reconnaître deux sortes de distinctions. Il y a d’une part des choses qui ne sont distinguées que par abstraction, distinguées par la raison, l’École les dit ''rationaliter distincta'' ; et il y a d’autre part des choses qui sont effectivement distinctes, distinguées dans la réalité, l’École les dit ''realiter distincta''. En employant ce langage on est sûr au dix-septième siècle de se faire entendre. Par exemple entre la figure et la couleur d’un objet la distinction, que nous faisons pourtant très clairement et distinctement, n’est que rationnelle. La figure en effet ne saurait exister en réalité sans la couleur, ni la couleur sans la figure. Tandis qu’entre l’âme et le corps, selon la conception que s’en font Descartes et beaucoup d’autres, la distinction est réelle : ils croient en effet concevoir des âmes sans corps comme ils croient concevoir des corps sans âme (Méditations). Eh bien, la distinction entre l’entendement de Dieu et sa volonté, quoique certains la tiennent pour réelle, n’est elle non plus que rationnelle. Ce n’est pas parce que nous la comprenons qu’elle est réelle. Nous comprenons la distinction entre la figure et la couleur, et nous comprenons aussi qu’elle n’est pas réelle. Nous ne comprenons d’ailleurs la distinction entre l’entendement et la volonté de Dieu que par la projection sur Dieu de ce qui ne concerne que l’homme, c’est à dire que nous ne la comprenons qu’illusoirement, par la part d’anthropomorphisme qu’elle renferme.<br /> <br /> Assurément il peut être toujours commode de dire que Dieu pense le triangle et qu’il veut le triangle, alors que nous savons bien que cette distinction n’est qu’une abstraction. C’est la même chose que nous disons alors, mais en nous plaçant successivement à deux points de vue différents. Soit en effet nous nous proposons de faire entendre que la nature du triangle est une vérité éternelle, en ce sens que personne ne peut nier que la somme de ses angles soit égale à deux droits, et nous disons alors que le triangle est pensé par l’entendement de Dieu. Soit nous souhaitons faire entendre une proposition complètement différente, à savoir que si c’est une vérité éternelle ce n’est pas parce qu’il y a une vérité qui dépasse Dieu, mais parce que la vérité exprime l’essence de Dieu, et nous disons alors que le triangle est décrété par la volonté de Dieu. Mais il est clair que ce n’est qu’une distinction de raison et que ce que nous appelons la première fois l’entendement de Dieu et ce que nous appelons la seconde fois la volonté de Dieu sont en réalité, en Dieu, une seule et même chose. Notre raison est attentive à une chose puis à l’autre. Relativement à ce qui fait l’objet de notre attention la distinction est fondée. Mais relativement à ce qui constitue l’essence de la chose considérée, il n’en va pas de même. C’est pourquoi les choses ''rationaliter distincta'' ne sont pas nécessairement ''realiter distincta''.<br /> <br /> En énonçant la seconde proposition, complètement différente de la première, l’auteur a pris position dans un débat d’une très grande portée. Le lecteur s’aperçoit d’ailleurs que l’accord admis avec Maïmonide et avec Descartes était tout provisoire. Il ne s’agit plus ici de savoir ce que sont l’entendement et la volonté de Dieu, mais ce qu’est le rapport entre lui et les vérités éternelles. La proposition selon laquelle la somme des angles du triangle est nécessairement égale à deux droits est-elle une vérité éternelle en ce sens que cette nécessité découle de la nature de Dieu, ou bien parce que cette nécessité découle de la nature du triangle ? Contre ceux qui croient que Dieu doit reconnaître les vérités éternelles, Spinoza affirme avec Descartes que Dieu crée non seulement les existences, mais aussi les essences. Dans sa correspondance de l’année 1630 avec Mersenne (Lettres du 15/04, du 06/05 et du 27/05), Descartes expose très vigoureusement que Dieu ne saurait être asservi à des nécessités qui le dépasseraient. Il s’en prend très clairement à une conception d’inspiration hellénique, qui abaisse Dieu au niveau &quot; d’un Jupiter ou Saturne &quot;. Ces divinités en effet ne sont pas aussi dominatrices qu’une connaissance superficielle de la mythologie pourrait le laisser croire. Une étude plus approfondie des auteurs anciens nous apprend que Jupiter retarde autant qu’il le peut le duel entre Achille et Hector parce qu’il ne peut empêcher qu’Achille, son préféré, ne meure peu de temps après avoir tué Hector. Elle nous apprend qu’il ne peut empêcher que son fils Hercule ne soit contraint à des travaux impossibles. Autrement dit les olympiens sont soumis à des forces telles que le destin et la mort. Cela ne saurait être reconnu de Dieu. Jusqu’à ce point l’auteur peut être d’accord avec son illustre prédécesseur.<br /> <br /> Mais tandis que Descartes voit en Dieu un despote (il dit un roi, mais l’idée qu’il se fait de celui-ci est telle que, loin d’obéir à la loi, il est au-dessus d’elle ; Descartes ignore manifestement ou veut ignorer la philosophie politique, cf. les mêmes Lettres à Mersenne) qui décrète ce qui lui plaît, dans la mesure où la vérité du triangle n’appartient pas à son essence, et qui pourrait par conséquent aussi bien décréter le contraire, Spinoza s’oppose aussi à cette conception. Tant en parlant de l’entendement qu’en parlant de la volonté de Dieu, il écrit très précisément que la nature du triangle est contenue dans la nature de Dieu. Ainsi en même temps qu’il est faux de prétendre que Dieu serait soumis aux vérités éternelles, il est faux aussi de prétendre qu’il les peut changer ou qu’il eût pu les faire autres. Le rapport de Dieu aux vérités éternelles n’est pas celui d’un despote à ses décrets, il n’enferme aucun arbitraire. En fait, aussi longtemps qu’on ne se représente pas le Dieu substance de la philosophie spinoziste, on ne peut comprendre quel est son rapport aux vérités éternelles. Il est vrai que si l’on en avait, comme beaucoup, une représentation qui le fît transcendant, il ne resterait plus qu’à choisir entre l’absolument transcendant, qui le met dans son rapport aux lois à la place du despote, et le relativement transcendant, qui le soumet aux lois absolument transcendantes. Mais il est l’être lui-même, la substance, la nature, et c’est pourquoi les lois ne relèvent ni de son caprice ni d’un ordre qui le dépasse. Les lois ne sont rien d’autre que sa propre essence. Relativement à un entendement et à une volonté anthropomorphes cela est inintelligible, mais relativement à Dieu ce sont inversement l’entendement et la volonté qui sont choses inintelligibles.<br /> <br /> Quant à l’essence du triangle, si elle lie nécessairement la somme de ses angles à deux droits, ce n’est ni par l’arbitraire d’un Dieu despote, ni par l’arbitraire de quelque puissance despotique à laquelle le Dieu est soumis. Relativement à notre entendement tout se passe donc comme si, lorsque Dieu a décrété une telle relation, il était impossible qu’elle ne soit pas. Il en va de même évidemment de tout autre décret de Dieu. C’est en ce sens que l’on peut dire que les affirmations et négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle. Ce que Dieu décrète ne peut pas ne pas être. Les vérités éternelles ne sont rien d’autre que sa nature. D’où l’emploi du verbe envelopper (''involvere'') et non de quelque autre verbe qui signifierait la causalité, la détermination, pour désigner le rapport de Dieu aux vérités. Mais ce n’est pas pour parler du triangle que l’auteur écrit ce chapitre : c’est pour parler de la façon dont s’exprime dans la nature la volonté de Dieu. Cependant ce n’était nullement une digression de considérer l’essence du triangle. Il fallait expliquer que la volonté de Dieu se manifeste non dans des phénomènes extraordinaires, anarchiques, anormaux, mais au contraire dans des lois régulières, dans les rapports nécessaires.<br /> <br /> Franchie cette étape de la démonstration, la voie est déblayée pour aborder comme il le faut l’expression de la loi divine dans les textes bibliques. Le premier exemple en est l’interdiction faite à Adam de manger le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal : Adam peut comprendre quel mal résultera pour lui de la consommation, mais non que ce mal en découlera nécessairement. Adam croit que ce mal est l’effet du bon plaisir d’un roi, non l’effet d’une nécessité inhérente à la nature même de son action. On retrouve ici ce qui a déjà été dit des prophètes : c’est à la mesure des capacités de leur entendement que leur sont dictées les vérités qui doivent leur être révélées. Ainsi doit être révélé à Adam le mal qui résulte pour lui du fait de manger du fruit défendu. Mais comme Adam ne peut concevoir quelle nécessité lie la consommation au mal, à ce rapport se substitue pour lui un autre rapport qui les lie par l’intermédiaire d’un commandement princier. Un tel principe exégétique est-il de nature à satisfaire les théologiens ? Il sauve la vérité de l’Écriture en la relativisant, en la mettant en rapport avec les capacités de ses rédacteurs. Par là il est évident que l’affirmation qu’elle est dictée par Dieu perd beaucoup de sa vigueur. L’Écriture est désacralisée. Les théologiens n’y trouvent pas leur compte.<br /> <br /> De même il est douteux qu’ils se satisfassent de l’interprétation du mythe adamique qui est donnée quelques pages plus loin relativement à la question de savoir ce qu’enseigne l’Écriture de la loi divine. Spinoza suit ici l’inclination qu’il condamne pourtant ailleurs d’une manière très générale, l’inclination à prendre pour allégorique le récit biblique. Ainsi cet arbre n’est pas un arbre, ce fruit n’est pas un fruit, ce serpent n’est pas un serpent. La science du bien et du mal serait la soumission à une volonté étrangère de celui qui ne se résout pas par lui-même à faire le bien, simplement parce qu’il est le bien, et qui ferait le mal s’il n’était contraint et forcé de faire le bien. Le sens de l’histoire d’Adam serait d’incliner les hommes à la sagesse, qui est la seule voie de la liberté, et de les détourner des calculs serviles qui soumettent le bien à l’intérêt. Je crains que les théologiens au contraire ne cherchent à obtenir l’obéissance des croyants à la loi que parce que cette loi est la volonté d’un despote, une volonté qui est inintelligible à eux. Tandis que l’auteur cherche à mettre en accord l’enseignement du Livre avec la raison, ce qui rend le Livre inutile aux sages, les théologiens développent un goût particulier pour les commandements absurdes, parce que ceux-ci seuls leur donnent du pouvoir.<br /> <br /> Le second exemple est celui du Décalogue et il permet de passer du cas particulier à la règle générale valable pour toute la loi divine telle qu’elle est rapportée dans l’ensemble de tout le texte sacré. Les Juifs de l’époque de Moïse n’avaient nullement assimilé le sens de l’histoire d’Adam. Et pour cause ! L’ensemble de la Torah date de ce temps et le récit de la Genèse comme celui de l’Exode ont longtemps (jusqu’au chapitre 8 du présent TTP) été attribués à Moïse lui-même. Les Juifs sont donc en ce temps-là incapables de sagesse, incapables de se conduire par la raison. Ils ne comprennent pas par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal, ils n’aspirent pas même à se déterminer librement. C’est pourquoi le Décalogue au lieu de leur apparaître comme l’expression de la raison leur apparaît comme une loi, c’est à dire comme un commandement dicté par la volonté d’un être supérieur, transcendant à eux. Mais le Décalogue n’est un décret que pour des gens incapables de se déterminer librement. Ceci ne veut pas dire que ceux qui sont capables de se déterminer librement n’ont que faire du Décalogue, mais qu’ils sont avec lui dans un rapport qui n’est pas celui de la loi, en tout cas pas celui de la loi conçue comme décret arbitraire du despote. C’est pour eux une vérité éternelle. C’est en effet une vérité éternelle que Dieu existe, c’est à dire que l’être est, c’est une vérité éternelle que lui seul doit être respecté, c’est à dire que l’idolâtrie est sacrilège, ou que le meurtre est sacrilège et... pour ma part c’est tout ce que je vois là de vérité éternelle. Si les Juifs avaient été capables de se représenter Dieu pour ce qu’il est, ils n’auraient pas eu besoin pour accéder à la connaissance du rapport nécessaire qui existe entre le vice et le malheur, qui est une vérité éternelle, de passer par l’intermédiaire de la loi.<br /> <br /> Mais en réalité les Juifs ne comprennent pas la nature de Dieu, ils ne la comprennent pas comme une vérité éternelle. C’est pourquoi ils conçoivent 1° comme une loi régalienne, 2° destinée à eux seuls, que Dieu existe et qu’il faut l’adorer. La connaissance de Dieu ayant été révélée à Moïse de la manière que l’on sait, par des tables gravées dans le marbre sur le mont Sinaï, les Juifs se sont non seulement imaginé que Dieu était guide, législateur, roi, miséricordieux et juste (autant d’attributs qui ne sont qu’anthropomorphiques), mais ils ont encore cru qu’il ne l’était que pour eux ! ! Or cela n’est pas vrai seulement du peuple juif, mais ça l’est aussi des prophètes et même de Moïse, dont l’auteur a montré dans le chapitre 2 qu’ils avaient, ce dernier comme les autres, sur Dieu des opinions très ordinaires. Aussi Moïse, les prophètes et le peuple juif ont-ils perçu comme l’objet d’une révélation, non comme une nécessité (c’est à dire une vérité éternelle) que le peuple juif devait former un État, qu’il le ferait sur la terre promise et avec telle législation. Il croit ces choses à lui spécialement prescrites par Dieu comme par des décrets royaux. C’est la seule signification qu’on puisse rationnellement donner à cette idée que le peuple juif est élu de Yahweh. Il n’y a donc pour l’auteur sur la surface de la terre aucun peuple privilégié dans ses rapports avec Dieu, il n’y a pour lui pas de peuple élu. Ceci ne peut bien évidemment que susciter la colère des théologiens juifs. Mais qu’en est-il de la réaction des théologiens chrétiens ? Elle ne peut pas être plus favorable, attendu que la notion même d’ancien Testament est celle d’une loi ancienne, qui tout en étant inférieure à la nouvelle est en tout état de cause bien préférable au paganisme qui prévalait dans le monde avant le christianisme.<br /> <br /> Aussi si la tentative du chapitre est bien celle de trouver avec les théologiens un terrain d’accord, elle paraît bien vaine. Même si l’auteur n’exprime pas toute sa pensée dans ce traité, ce qu’il en laisse apercevoir suffit amplement à fâcher ceux qui ne peuvent être que ses adversaires. Sa manière d’interpréter la loi est profondément hérétique. Elle ne l’est pas seulement parce qu’elle substitue à un commandement régalien une vérité éternelle, mais plus profondément parce que, ce faisant, elle change le rapport de Dieu lui-même à la loi divine. La loi n’est pas divine parce que Dieu la veut, mais on ne peut pas dire non plus que Dieu la veut parce qu’elle est divine. Ce n’est encore qu’une façon approximative et anthropomorphique de parler. Car au fond Dieu ne veut rien du tout, Dieu n’a pas de volonté. Ce qui se trouve par là bouleversé c’est le rapport des hommes eux-mêmes à la loi. En effet si la loi était la loi parce que Dieu la voulait telle, il s’ensuivrait que la loi serait inintelligible, que l’entendement humain ne pourrait pas la penser par ses propres moyens et qu’il lui faudrait nécessairement l’intermédiaire de la Révélation pour l’atteindre. La voie et la carrière seraient ainsi ouvertes à l’ambition des théologiens, gardiens de la Révélation, de régenter les conduites humaines. A l’inverse si la loi est la loi parce qu’elle est une vérité éternelle, il appartient à l’entendement humain de la penser, de la saisir par ses propres moyens. Cela met à la retraite d’office tous les théologiens du monde. En tout cas ça leur ôte toute légitimité à l’égard des hommes sages, de ceux qui sont capables de se servir de leur raison et de comprendre que la vertu est à elle-même sa propre récompense. Le débat sous-jacent à ce chapitre, dans lequel l’auteur oppose sa conception du rapport de Dieu avec la loi à la conception de Descartes, est donc un débat de longue portée. Il y a deux philosophies radicalement et diamétralement opposées. L’une ne reconnaît au-dessus de l’esprit aucune autorité; à vrai dire pour elle il n’y a pas d’autre Dieu que l’esprit. Cette philosophie est la philosophie libre. L’autre reconnaît au-dessus de l’esprit un Dieu qui peut faire que le blanc soit noir et le noir blanc ; elle soumet l’esprit à un souverain despote, et conséquemment elle se soumet elle-même à la théologie. Le choix de Spinoza est fermement en faveur de la première. <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse|L'exégèse]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/Les lois de la nature|Les lois de la nature]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/L%27ex%C3%A9g%C3%A8se Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse 2018-10-31T15:06:24Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 2 | 4= L'exégèse }} {{Bloc emphase| :'''Pas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 2<br /> | 4= L'exégèse<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 2<br /> <br /> (...) Avec une surprenante précipitation tout le monde s’est persuadé que les Prophètes ont eu la science de tout ce que l’entendement humain peut saisir, et, bien que certains passages de l’Ecriture nous disent de la façon la plus claire que les Prophètes ont ignoré certaines choses, on aime mieux déclarer qu’on n’entend pas ces passages que d’accorder que les Prophètes aient ignoré quelque chose, ou bien l’on s’efforce de torturer le texte de l’Ecriture pour lui faire dire ce que manifestement il ne veut pas dire. Certes, si l’on use de pareille liberté, c’en est fait de toute l’Ecriture : nous essayerons vainement de démontrer quelque chose par l’Ecriture, si l’on se permet de ranger les textes les plus clairs au nombre des choses obscures et impénétrables, on de les interpréter à sa fantaisie. Rien par exemple de plus clair dans l’Ecriture que ce fait : Josué, et peut-être aussi l’auteur qui a écrit son histoire, a cru que le soleil se mouvait autour de la terre, que la terre était immobile et que le soleil s’est arrêté pendant quelque temps. Beaucoup cependant ne voulant pas accorder qu’il puisse y avoir aucun changement dans les cieux, expliquent ce passage de telle sorte qu’il semble ne rien dire de semblable ; d’autres, qui ont appris à philosopher plus correctement, connaissant que la terre se meut et que le soleil au contraire est immobile, font des efforts désespérés pour tirer cette vérité de l’Ecriture en dépit de ses réclamations manifestes. Je les admire en vérité. Je vous le demande : sommes-nous tenus de croire que Josué, un soldat, était versé dans l’Astronomie ? Qu’un miracle n’a pu lui être révélé, ou que la lumière du soleil n’a pu demeurer plus longtemps que de coutume au-dessus de l’horizon, sans que lui Josué connût, la cause de ce phénomène ? Pour ma part, l’une et l’autre interprétations me semblent ridicules ; j’aime donc mieux dire ouvertement que Josué a ignoré la vraie cause de cette prolongation de la lumière, qu’avec toute la foule présente il a cru que le soleil se mouvait autour de la terre et, ce jour-là, s’était arrêté quelque temps, et ne remarqua point que la grande quantité de glace alors en suspension dans l’air (voir Josué, chap. X, v.11) ou quelque autre cause semblable que nous ne recherchons pas ici, avait pu produire une réfraction inaccoutumée. De même le signe de la rétrogradation de l’ombre fut révélé à Isaïe par un moyen à sa portée, savoir par la rétrogradation du soleil ; car il croyait lui aussi que le soleil se meut et que la terre est immobile et n’eut jamais, même en songe, aucune idée des parhélies. Nous pouvons l’admettre sans aucun scrupule, car le signe pouvait réellement apparaître et être prédit au roi par Isaïe bien que le Prophète en ignorât la vraie cause. Il faut en dire autant de la construction de Salomon, si du moins elle fut révélée par Dieu ; autrement dit, toutes les mesures en furent révélées à Salomon par des moyens à sa portée et en rapport avec ses opinions, car n’étant pas tenus de croire que Salomon fût mathématicien, il nous est permis d’affirmer qu’il ignorait le rapport de la circonférence au diamètre du cercle et pensait avec la foule des ouvriers qu’ils sont l’un à l’autre comme 3 à 1 ; que si l’on peut dire que nous n’entendons pas le texte du livre I des Rois (chap. VII, v. 23), alors, en vérité je ne sais pas ce que nous pouvons connaître par l’Ecriture ; car la construction est simplement décrite en cet endroit et d’une façon purement historique. Si maintenant l’on croyait pouvoir supposer que l’Ecriture l’a entendu différemment, mais, pour quelque raison inconnue de nous, n’a pas voulu l’écrire comme elle l’entendait, alors il ne s’ensuit rien de moins qu’un renversement total de l’Ecriture ; car chacun pourra à aussi bon droit en dire autant de tous les passages de l’Ecriture et tout ce que la malice humaine peut inventer d’absurde et de mauvais, il sera permis dès lors de le soutenir et mettre en pratique sous le couvert de l’Ecriture. Ce que nous admettons ne contient d’ailleurs aucune impiété ; car Salomon, Isaïe, Josué, encore que Prophètes, furent des hommes, et l’on doit juger que rien d’humain ne leur fut étranger. Par un moyen à la portée de Noé il lui fut révélé que Dieu détruirait le genre humain. Noé croyait en effet que, hors la Palestine, le monde était inhabité. Et non seulement des choses de cette sorte, mais d’autres de plus d’importance, les Prophètes ont pu les ignorer, et les ont effectivement ignorées sans que la piété en souffrît, car ils n’ont rien enseigné de particulier sur les attributs de Dieu, mais ils avaient à son sujet des opinions tout à fait vulgaires, et les révélations qu’ils eurent sont en rapport avec ces opinions, comme je le montrerai bientôt par beaucoup de témoignages de l’Ecriture. On voit donc aisément que ce n’est pas à cause de l’élévation et de l’excellence de leur génie, mais pour leur piété et leur constance d’âme qu’ils sont loués et tenus en si haute estime.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> Le passage qu’on prend ici en considération établit une proposition décisive de l’exégèse spinoziste : l’Écriture ne contient aucune révélation sur les questions qui relèvent de la spéculation, car les prophètes partagent les préjugés communs aux hommes de leur époque, mais seulement sur les règles pratiques qui conduisent la vie des hommes. Les exemples qui sont donnés (Josué, Isaïe, Salomon) sont à la fois très opportunément choisis et très lumineux. Ils sont introduits par une brève remarque sur le postulat nécessaire au travail exégétique.<br /> <br /> L’exégèse est l’interprétation des textes, et singulièrement des textes bibliques. Ainsi dans beaucoup de cas des interprétations allégoriques en sont elles entreprises. Jésus lui-même expliquait certains passages de l’ancien Testament en leur donnant un sens nouveau. L’Évangile selon Luc, par exemple, le montre sur le chemin d’Emmaüs expliquant tout ce qui le concerne dans les propos de Moïse et ceux des prophètes (Luc XXIV, 27). Il découvre par là dans le texte ancien un sens nouveau, que personne évidemment ne pouvait avoir vu avant lui. Toutefois l’exégèse se porte souvent vers des textes soit anodins soit scandaleux. Elle a sa motivation dans le caractère prosaïque de nombreux passages, dont l’esprit religieux a du mal à accepter qu’ils veuillent dire la seule chose que pourtant ils disent. L’exégèse consiste à &quot; découvrir &quot; un second sens, un sens caché derrière leur sens littéral.<br /> <br /> Ce dont parle cependant ce chapitre est quelque peu différent. L’interprétation des textes vise à faire admettre que ceux-ci, parce qu’ils sont la parole divine, ne peuvent se tromper et que les prophètes dont les déclarations sont rapportées n’ont pu méconnaître ce que pourtant les sciences à leur époque n’avaient pas établi. On voit bien quel est l’enjeu de ces tentatives. Ou bien l’on refuse d’y trouver l’expression d’erreurs et de préjugés assurément humains et l’on refuse par conséquent que les textes ne veuillent dire que ce qu’ils disent. Ou bien l’on admet que les textes ne veulent dire que ce qu’ils disent et l’on y trouve évidemment quantités d’erreurs et de préjugés, qui ne peuvent être attribués sans blasphème à une inspiration divine. Il semble à de nombreux théologiens que la première solution soit seule susceptible de sauvegarder l’autorité des prophètes. Ce n’est pourtant pas l’avis de l’auteur.<br /> <br /> Celui-ci pose en effet une distinction que tous les autres, sans doute emportés par &quot; une surprenante précipitation &quot;, ont négligée. Il faut mettre d’un côté tout ce qui a rapport à la spéculation, c’est à dire à la connaissance, que ce soit celle des lois de la nature ou de l’esprit humain, lequel n’est lui-même qu’une partie de la nature, tout ce qui relève de la science. Il faut mettre de l’autre ce qui au contraire renvoie à la piété, c’est à dire à la moralité. Dans le premier domaine les prophètes ne peuvent rien nous dire, ils n’ont d’ailleurs rien à nous en dire, ils ne sont pas inspirés par Dieu. Ils partagent avec les autres hommes les opinions ordinaires de leur époque. Il est vain de vouloir ici se livrer à une interprétation qui leur prêterait des idées plus avancées. C’est en outre sans aucun intérêt, puisque par définition une telle interprétation ne serait possible qu’à celui qui disposerait par la science de la vérité ainsi cachée dans l’Écriture. Il aurait peut-être la satisfaction de trouver dans l’Écriture ce qu’il trouve dans la nature, mais ce n’est qu’en celle-ci et non en celle-là qu’il le découvrirait. Dans le second domaine au contraire se trouve l’intérêt de la prophétie, l’expression de commandements qui sont ceux de la foi, qui doivent régler la vie des hommes, qui leur sont inaccessibles par toute autre voie (à moins qu’ils ne soient des sages), et qu’ils ne respectent que parce qu’ils leur sont dictés par l’autorité divine (à moins encore qu’ils ne soient des sages). C’est là que les prophètes sont inspirés par Dieu. C’est là aussi que leur autorité a un grand rôle à jouer et qu’elle ne doit pas être sapée par des interprétations. Car si l’on s’autorise à faire dire aux Livres sacrés ce qu’ils ne veulent pas dire, il n’y a pas de limite entre le domaine de la spéculation et celui des commandements pratiques. S’il est légitime d’interpréter dans l’un, cela est légitime aussi dans l’autre.<br /> <br /> Il faut donc tenir fermement sur cette position qui consiste à dire qu’en aucun cas l’Écriture ne doit être interprétée, que les prophètes ont dit ce qu’ils ont dit, et n’ont rien dit d’autre, et que leur compétence (en quelque sorte) ne s’étend qu’aux lois de la piété. Il est évident cependant qu’on va devoir sur ce seul terrain se livrer à un gros travail d’éclaircissement afin de montrer que la piété ne commande pas toutes ces gesticulations et toutes ces incantations qu’on lui attribue ordinairement, qu’elle ne commande surtout pas d’égorger ceux qui n’ont pas les mêmes momeries et pitreries.<br /> <br /> En un temps où le bûcher menace encore les coperniciens, il y a évidemment quelque raison de prendre pour premier exemple Josué, puisque l’un des arguments que le tribunal de la Très Sainte Inquisition avait utilisés contre Galilée, dans le procès qu’elle lui avait intenté en 1633, était que sa théorie fût contradictoire avec le Livre de Josué. Son chapitre X rapporte en effet une grande bataille qui eut lieu à Gabaon, où Josué triompha des Amorrhéens.<br /> <br /> Il les attaque par surprise. Il les poursuit. Le ciel se met de la partie, puisqu’une averse de gros grêlons tue plus d’ennemis que les Juifs n’en tuent par l’épée (verset 11). Peut être va-t-il cependant s’en sauver quelques uns. &quot; Alors Josué parla à Yahweh, en ce jour où Yahweh livra l’Amorrhéen aux fils d’Israël; il dit en présence des fils d’Israël : Soleil arrête toi sur Gabaon, et toi, Lune, sur la vallée d’Ayalon ! Et le soleil et la lune s’arrêtèrent, jusqu’à ce que la nation se fut vengée de ses ennemis &quot; (versets 12-13). Jamais auparavant ni depuis il n’y eut de jour aussi long (verset 14).<br /> <br /> Ce récit est parfaitement clair et l’Inquisition avait raison de l’opposer à Galilée : il repose explicitement sur une vue assimilable à la conception ptoléméenne du monde, d’après laquelle la terre est au centre, tandis qu’autour d’elle sur des orbites plus ou moins éloignées tournent la lune, le soleil et des planètes, que d’ailleurs la Bible ne mentionne nulle part, comme le remarque le Florentin (cf. sa Lettre du 21/12/1613 à Benedetto Castelli). Ce récit en outre compare expressément le soleil à la lune, celui-là devant comme celle-ci stationner sur son orbite aussi longtemps que Josué en a besoin pour éclairer son massacre.<br /> <br /> Le chef des Juifs, tout successeur de Moïse qu’il soit, n’a nullement été averti par Dieu d’avoir à exposer le système copernicien. Il ne le connaît pas. Et ça n’a d’ailleurs aucune importance, l’objet de l’Ecriture n’étant pas de nous instruire dans les sciences. C’est ce que beaucoup comprennent mal. Ils ont d’ailleurs deux attitudes différentes en face de ce qu’ils croient être un problème. Les uns refusent d’admettre le prolongement du jour, lequel est apparemment miraculeux, et torturent le texte afin de lui faire dire qu’il n’y a rien eu de tel. Ils contestent qu’un fait historique puisse être ici rapporté et donnent du texte une interprétation qui en renverse le sens. Vraisemblablement faut-il voir dans ceux-ci des disciples de Maïmonide, qui s’autorisent comme lui des interprétations allégoriques à chaque fois que le texte leur paraît être en contradiction avec ce qu’exige la raison. Dans le Guide des égarés, II, 35, le philosophe juif estime en effet que le miracle n’a pas été vu de tout Israël et que cette journée ne fut pour ses participants que &quot; comme le plus long des jours d’été dans ces contrées &quot;. Toujours est-il que selon ces interprètes, et contrairement à ce que dit le texte, il ne se serait passé rien d’exceptionnel ce jour-là. Les autres au contraire ne contestent pas le caractère extraordinaire de l’événement, ils reconnaissent la valeur historique du texte, c’est en cela qu’ils philosophent plus droitement, mais ils tentent de l’intégrer dans une conception copernicienne. Ils ont adopté l’héliocentrisme (ils ne peuvent être que des contemporains de l’auteur) et ils voudraient que cette vérité fût reconnue de la Bible elle-même. Ils veulent bien que le jour se soit prolongé, mais ils ne veulent pas que Josué croie à la rotation du soleil autour de la terre. Ils essaient de faire dire à l’Ecriture que c’est la rotation de la terre sur elle-même qui s’est arrêtée. &quot; Je les admire en vérité &quot;, cela s’applique aux uns et aux autres : l’auteur plaisante de leurs vains efforts pour faire admettre que le Livre de Josué dit autre chose qu’il ne dit.<br /> <br /> Pourtant il serait beaucoup plus simple de reconnaître que Josué n’était rien d’autre qu’un soldat, qu’à ce titre rien ne lui donnait de lumière particulière en matière d’astronomie, et que par conséquent il n’avait sur ce sujet pas d’autres idées que celles de ses contemporains. Josué croyait que la terre était immobile et que le soleil tournait autour d’elle. C’est à partir de cette conviction qu’il exprime ce qui survient d’extraordinaire ce jour-là. Adhérant au géocentrisme d’autant plus étroitement qu’il ne pouvait imaginer autre chose, et voyant se prolonger le jour, il pense que le soleil s’est arrêté dans sa course et que l’astre de la nuit ne s’est substitué à lui qu’avec quelque retard. La véritable cause du phénomène, qui n’est miraculeux qu’en apparence, a fort bien pu lui échapper aussi bien qu’elle a échappé aux autres observateurs, qui ne sont pas plus météorologues qu’astronomes. A cet égard une supposition possible, quoique ce ne soit pas la seule et que rien ne la garantisse, est que la glace en suspension dans l’air réfléchit ou réfracte la lumière de l’astre déjà couché. Cette hypothèse ne conteste pas la valeur de témoignage qu’a le texte, mais elle vise à expliquer l’événement par une cause naturelle, la suspension des lois de la nature étant une chose absolument impossible, comme le montrera le chapitre 6. Elle a aussi l’avantage de se rapporter à ce qui est écrit (verset 11) de l’averse de grêle qui s’abattit sur les ennemis. Non seulement elle permet de ne pas sacrifier le texte au respect des lois de la nature, mais elle est attentive à tout ce qui est écrit.<br /> <br /> Le second exemple se rapporte au prophète Isaïe. Dans le Livre des Rois, II, chapitre XX, Isaïe après avoir annoncé au roi qu’il devait se préparer à mourir, &quot; Mets ta maison en ordre car tu vas mourir et ne vivras plus &quot;, sur ordre de Yahweh, &quot; Retourne dire à Ezéchias (...) dans trois jours tu monteras au temple de Yahweh &quot;, le guérit de sa maladie. Il rend 15 années de vie à Ezéchias: &quot; Et j’ajouterai quinze années à tes jours &quot; (versets 1-7). Celui-ci assurément ne demande pas mieux. Mais enfin il est un peu méfiant et il demande au prophète de faire un miracle pour lui prouver que sa prophétie est vraie: &quot; Quel sera le signe que Yahweh me guérira et que je monterai dans trois jours au temple ? &quot; Il demande un miracle, qui consistera en ce que le soleil devra revenir en arrière: &quot; Je veux que l’ombre revienne en arrière de dix degrés &quot; (versets 8-10). Le début de ce chapitre a montré que cette pratique est absolument constante dans l’Écriture et que le signe est une exigence qui naît de l’infériorité de la prophétie à l’égard de la connaissance naturelle, laquelle enveloppe sa certitude en elle-même. La prophétie ne l’enveloppe pas, elle ne lui est donc donnée que de l’extérieur, par un signe. Le signe que produit Isaïe est le recul de l’ombre du gnomon sur le cadran solaire (verset 11). Il faut être attentif à deux choses. La première est qu’Isaïe partage avec Ezéchias et avec tous les Juifs de l’époque la conception géocentrique du monde et que pour lui aussi le recul de l’ombre n’est miraculeux que parce qu’il croit que le soleil, responsable de cette ombre, tourne autour de la terre dans un certain sens : d’est en ouest. Que l’ombre recule sur le cadran solaire signifie à ses yeux que le soleil a inversé le sens de sa rotation. Mais certes ça ne peut pas être comme ça que s’explique en vérité le recul de l’ombre. Aussi la seconde chose qu’il faut remarquer est une explication du phénomène qui renvoie à des lois naturelles. La parhélie, dit le Robert, est l’&quot; image du soleil, dite aussi faux soleil, due au phénomène de réfraction qui produit en même temps le halo &quot;. Ainsi le soleil paraît-il occuper dans le ciel une place légèrement différente de celle qu’il occupe en réalité et cela peut effectivement expliquer que l’ombre occupe elle aussi sur le cadran une place légèrement différente de celle qu’elle devrait occuper. Je ne sais si le recours aux phénomènes météoriques paraîtra convaincant. Mais ce qui est certain c’est que, comme le dit l’auteur, le prophète n’en a jamais eu aucune idée même en songe !<br /> <br /> Le troisième exemple est donné par la construction d’un grand bassin dans le temple de Salomon. La référence est ici encore le Livre des Rois, I, chapitre VII, verset 23 : Salomon fait construire le temple et il y place, vraisemblablement pour laver le sol du sang des sacrifices, une représentation en bronze de la mer. &quot; Il fit également la mer en fonte de bronze : dix coudées de bord à bord, parfaitement circulaire, sa hauteur était de cinq coudées et une corde de trente coudées en mesurait le tour &quot;. C’est une cuvette de bronze destinée à être remplie d’eau. Le texte biblique est parfaitement clair, il n’est affecté d’aucune équivoque, il établit entre la circonférence (quinze mètres) et le diamètre (cinq mètres) un rapport de 3. Salomon ignore manifestement le nombre pi. Il était sage sans doute, mais nullement mathématicien. On peut admettre que Dieu a révélé à Salomon les dimensions du bassin et qu’il l’a fait par des moyens accessibles à l’esprit du roi, qui partageait l’estimation commune du rapport de la circonférence au diamètre. Dieu parle aux hommes le langage qu’ils peuvent entendre. S’il avait demandé à Salomon que le rapport fût égal à pi, il n’y aurait jamais eu de bassin dans son temple. Sans doute certains commentateurs seront choqués que la science de l’homme sage ne s’étendît pas jusque là. Mais ils auront tort de chercher à faire dire au Livre des Rois autre chose que ce qu’il dit très clairement.<br /> <br /> Il se peut que certains passages de la Bible soient obscurs et qu’on puisse s’interroger sur leur sens. Mais ce n’est le cas d’aucun de ceux qui sont cités dans ce passage du chapitre 2 du TTP. Ils sont limpides et univoques. C’est particulièrement évident de celui qui concerne le bassin du temple. Vouloir sauver la sagesse de Salomon en prétendant qu’il faut l’entendre autrement qu’il ne paraît c’est ouvrir la porte à la mauvaise foi. Or une fois celle-ci autorisée sur un tel point, rien ne peut plus l’empêcher de s’exercer sur n’importe quel autre. &quot; Il ne s’ensuit rien de moins qu’un renversement total de l’Écriture &quot;. Le renversement dont parle ici l’auteur est celui du message moral des textes bibliques. &quot; ''Quicquid absurdum et malum humana malitia excogitare potest'' &quot;, ce que la méchanceté des hommes pourra inventer de plus absurde et de plus mauvais se trouvera autorisé par l’Ecriture. Pourquoi se retiendrait-on de prétendre que le texte fourni par Moïse des dix commandements veut dire autre chose que ce qu’il dit ? Pourquoi se retiendrait-on d’en donner une interprétation allégorique qui n’interdît pas le meurtre, le vol et l’idolâtrie ? Au nom de quoi serait-il impossible de prétendre qu’en disant &quot;aimez-vous les uns les autres&quot; Jésus avait en réalité voulu dire tout à fait autre chose et que par conséquent il est tout à fait pieux de donner libre cours à la haine ? Il est à craindre assurément qu’on ne puisse faire appel à la seule raison des hommes et qu’en levant la barrière qui s’oppose à ces débordements on les rende possibles.<br /> <br /> Il faut donc maintenir comme le fait l’auteur, que le texte ne veut rien dire d’autre que ce qu’il dit. C’est là le principe premier de l’exégèse spinoziste. Certains la trouveront impie et voudront la condamner. C’est parce qu’ils considèrent, à tort, que les personnages cités sont divins et qu’ils aiment donc à leur attribuer une science infuse. Mais Josué, Isaïe et Salomon furent des hommes. On remarquera que l’auteur s’abstient de citer ici parmi les prophètes Moïse et Jésus, sur le compte desquels il soulèverait sans profit la polémique. Les chrétiens tiennent le second pour Dieu lui-même et les Juifs accordent au premier un statut tout spécial en lui reconnaissant un rapport unique avec Dieu. Mais rien ne s’oppose à ce que ceux qui sont cités soient reconnus ignares &quot; ''et nihil humani ab ipsis alienum'' &quot;. La justification est assez plaisante, car le vers latin de Térence qui est ici utilisé sert plus habituellement à justifier une connaissance qu’une méconnaissance. A eux donc Dieu parle avec des moyens tels qu’ils puissent l’entendre. C’est encore le cas avec Noé. L’exemple est ajouté ici comme celui d’un homme particulièrement fruste à qui il serait ridicule de supposer des connaissances qui le dépassaient manifestement. Il ne s’agit pas même d’astronomie ni de mathématiques, il ne s’agit que de géographie. Dieu lui dit : &quot; Je vais amener les eaux du déluge sur la terre, afin de détruire toute chair ayant souffle de vie sous le ciel. Tout ce qui est sur la terre périra &quot; (Genèse, VI, 17). Pourtant le déluge n’a pas inondé autre chose que la région où vivait le patriarche. Mais Noé dans sa simplicité ne croyait pas qu’il y eût d’autres pays que celui qu’il habitait. Il identifiait son pays et la terre. Dieu voulant lui annoncer l’inondation de la région lui déclare que la terre périra. Sans doute est-il complètement indifférent que Noé ne soit pas géographe, que Salomon ne soit pas mathématicien, etc.<br /> <br /> Mais il y a des questions sur lesquelles la même indifférence ne va pas de soi. Et c’est pourtant à elles que Spinoza veut en venir. Les auteurs des livres sacrés n’étaient pas philosophes et il y a des questions qui ne relèvent que de la philosophie sur lesquelles ils se sont pourtant prononcés. Si l’on croit que c’est la Révélation qui les a éclairés sur elles, il faut admettre qu’elle l’a fait par des moyens qui étaient à leur portée. Ainsi en va-t-il de ce qu’ils croient de Dieu. La nature de Dieu est une question qui relève de la philosophie et de rien d’autre. Ce que disent à son sujet les Écritures ne peut pas être pris au pied de la lettre. C’est à dire que ce ne peut être pris pour une vérité philosophique devant laquelle les philosophes doivent s’incliner. Il faut donc soit en rire, soit en donner une interprétation. Outre qu’il ne serait pas très charitable d’en rire, il vaut mieux l’éviter, puisque les hommes ne connaîtraient alors plus aucun frein. Une interprétation est alors nécessaire. Donc Spinoza se livre à une interprétation lui aussi, mais cette interprétation est tout à fait opposée à celle de Maïmonide, puisqu’elle attribue à la Révélation l’intelligence constatée de celui auquel elle s’adresse au lieu d’attribuer à celui auquel elle s’adresse l’intelligence supposée de la Révélation. Il s’agit de se dire non que le texte est tordu parce que celui qui l’énonce ne pouvait vraiment pas penser de telles naïvetés, mais que la Révélation est tordue, parce qu’il fallait qu’elle se fît entendre de quelqu’un qui était vraiment naïf !<br /> <br /> Ainsi fallait-il que la Révélation se fît entendre d’Adam, qui n’avait pas la moindre idée des attributs de Dieu, qui ignorait qu’il fût omniprésent et omniscient, et qui se le représentait comme un père. C’est d’ailleurs encore ainsi que se le représente Abraham : ce n’est pas étonnant puisque c’est le même Livre de la Genèse qui l’atteste. Il fallait encore que la Révélation se fît entendre à Moïse, qui pensait bien que Dieu était éternel (raison pour laquelle il le nomme Yahweh), tout-puissant, singulier et unique, ce qui certes est tout contraire à l’anthropomorphisme physique, mais aussi miséricordieux et bienveillant, ce qui n’est jamais que de l’anthropomorphisme moral. Il croyait même qu’il habitait les cieux et qu’il était plus aisément visible sur la montagne qu’en bas. L’idée que se fait Moïse de Dieu est quelquefois fort compliquée. Quoique Dieu n’ait pas physiquement la forme humaine, il est visible, mais quoiqu’il soit visible on ne peut voir sa face. D’où cet étrange passage d’Exode, XXXIII, 18-23, où à la demande du prophète Yahweh répond: &quot; Tu ne pourras voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre... Tu me verras de dos, mais ma face tu ne pourras la voir &quot;. Ce ne sont pas seulement des opinions vulgaires qu’on relève chez les prophètes concernant Dieu, mais des opinions contradictoires. Jérémie par exemple est convaincu que Dieu peut revenir sur sa parole, ce que Samuel tient pour absolument impossible. Jérémie croit que les hommes peuvent changer leurs mœurs et leur manière de vivre alors que Paul ne professe rien plus clairement que cette impossibilité. Etc., etc. Par là il est montré que les prophètes n’avaient au sujet de Dieu que des opinions tout à fait vulgaires, qu’on ne saurait tenir pour divines.<br /> <br /> La manière dont l’auteur s’y prend est tout à fait remarquable. Il ne conteste pas que les prophètes ont eu une Révélation. Mais il rappelle qu’ils ne sont que des hommes et que la Révélation par suite doit leur parler de manière telle qu’ils puissent la comprendre. C’est pourquoi à celui qui ne croit pas que Dieu soit omniscient et omniprésent il n’apparaît ni comme omniscient ni comme omniprésent ; tandis qu’à celui qui le croit tel il apparaît tel. Autrement dit ce n’est pas parce que Dieu est ceci ou cela que le prophète a la Révélation qu’il est ceci ou cela ; mais c’est parce que le prophète le croit ceci ou cela que la Révélation le lui laisse croire. Autrement dit encore la Révélation ne lui révèle... rien ! Plus exactement en ceci la Révélation ne lui révèle rien, elle n’y est pas engagée. [L'idée semble bien être dans l'air à la fin du dix-septième siècle. Lemaître de Sacy écrit dans sa préface au Livre des Rois (1674) : &quot; l’Écriture sainte diversifie en plusieurs manières ses instructions, pour les proportionner à l'intelligence, et même aux goûts différents, de l'esprit humain &quot; (Bouquins, Robert Laffont, 1990, p. L). En outre selon Philippe Sellier, dans sa préface à la traduction de Sacy, Pascal s'appuyant sur un verset d'Isaïe pense que l'action divine est cachée, discrète en chacune de ses manifestations et que chaque auteur humain a conservé sa personnalité, ses connaissances et ses lacunes, son univers daté, son langage (p. XVIII).]<br /> <br /> Spinoza reste pourtant fidèle à la définition qu’il a donnée de la prophétie. S’il n’y a pas de prophétie quant à la nature de Dieu, il y en a bien par ailleurs. Quoique Dieu n’ait révélé aux prophètes aucune connaissance certaine ni des mathématiques, ni de l’astronomie, ni même de la théologie, il leur en a donné pour ce qui concerne la conduite de la vie, laquelle seule constitue la fin et la substance de la Révélation. Dieu révèle au prophète une vérité par des moyens accessibles à l’imagination du prophète. Autrement dit les images contenant un enseignement moral n’ont en elles-mêmes aucune vérité. Pourtant ce sont ces images qui passent pour prophétie et non l’enseignement moral qu’elles emballent. Même si l’auteur ne voit pas comment ils sont parvenus aux préceptes qu’ils énoncent, il reconnaît leur piété et leur constance d’âme. Mais il est clair que la raison par laquelle il leur donne raison n’est pas qu’ils sont éclairés par la Révélation. Au contraire, c’est parce qu’il leur donne raison qu’il veut bien admettre qu’ils sont éclairés par la Révélation. Ce n’est pas parce que l’Écriture est divine qu’elle est vraie. C’est parce qu’elle est vraie qu’elle est divine. <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/La connaissance|La connaissance]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin|Le commandement divin]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/La_connaissance Comprendre le Traité théologico-politique/La connaissance 2018-10-31T15:00:01Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 1 | 4= La connaissance }} {{Bloc emphase| :''... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 1<br /> | 4= La connaissance<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 1<br /> <br /> Une Prophétie ou Révélation est la connaissance certaine, révélée aux hommes par Dieu, d’une chose quelconque. Quant au Prophète, c’est celui qui interprète les choses révélées par Dieu à d’autres personnes incapables d’en avoir une connaissance certaine, et ne pouvant par suite les saisir que par la foi seulement. Prophète en effet se dit chez les Hébreux nabi, c’est-à-dire orateur et interprète, et dans l’Ecriture s’emploie toujours pour interprète de Dieu, comme il ressort du chapitre VII, verset 1, de l’Exode, où Dieu dit à Moïse : Et voici que je te constitue Dieu de Pharaon et Aaron ton frère sera ton prophète, comme s’il disait puisque Aaron, interprétant à Pharaon ce que tu dis, joue le rôle de prophète, tu seras donc comme le Dieu de Pharaon, c’est-à-dire celui qui remplit le rôle de Dieu.<br /> <br /> Nous traiterons des Prophètes dans le chapitre suivant, ici de la Prophétie. Il suit de la définition que j’ai donnée, qu’on peut appeler Prophétie la connaissance naturelle. Car ce que nous connaissons par la lumière naturelle dépend de la seule connaissance de Dieu et de ses décrets éternels. Toutefois cette connaissance naturelle étant commune à tous les hommes, car elle dépend de principes communs à tous, le vulgaire toujours assoiffé de raretés et d’étrangetés, méprisant les dons naturels, n’en fait pas grand cas ; il entend donc l’exclure quand il parle de la connaissance prophétique. La naturelle n’en a pas moins tout autant de droit qu’une autre, quelle qu’elle soit, à s’appeler divine, puisque c’est la nature de Dieu en tant que nous en participons, et les décrets divins qui nous la dictent en quelque sorte. Elle diffère d’ailleurs de celle que tous nomment divine, en ce point seulement que cette dernière s’étend au delà des limites de la première et ne peut s’expliquer par les lois de la nature humaine considérée en elle-même ; mais à l’égard de la certitude qu’enveloppe la connaissance naturelle et de la source d’où elle découle (qui est Dieu), elle ne le cède aucunement à la prophétique. A moins qu’on ne veuille entendre ou plutôt rêver que les prophètes ont bien eu un corps d’homme, mais non une âme humaine et que, par suite, leurs sensations et leur conscience étaient d’une tout autre nature que les nôtres.<br /> <br /> Toute divine cependant qu’est la science naturelle, on ne peut nommer Prophètes ceux qui en sont les propagateurs. Car ce qu’ils enseignent, les autres hommes peuvent le percevoir et le saisir tout aussi bien qu’eux et avec une certitude égale, non par la foi seule.<br /> <br /> Puis donc que notre âme, par cela seul qu’elle contient objectivement la nature de Dieu et en participe, a le pouvoir de former certaines notions expliquant la nature des choses et enseignant l’usage de la vie, nous pouvons à juste titre admettre que la cause première de la révélation est la nature de l’âme conçue précisément comme capable de connaissance naturelle, car tout ce que nous connaissons clairement et distinctement, l’idée de Dieu (nous venons de l’indiquer) et la nature nous le dictent, non avec des paroles sans doute, mais en un mode l’emportant de beaucoup en excellence, et qui s’accorde très bien avec la nature de l’âme, comme l’a indubitablement éprouvé en lui-même quiconque a goûté la certitude de l’entendement.<br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> <br /> <br /> Le prophète étant communément reconnu comme le porte-parole de Dieu, il jouit d’une autorité qu’on ne saurait contester sans du même coup s’exposer à une condamnation de la part des autorités religieuses. On comprend que celui qui cherche à établir la liberté de pensée ait besoin d’examiner ce qu’est la prophétie et de savoir s’il lui est permis de penser autrement que le prophète. Au cas où vous penseriez par exemple que la terre tourne, auriez-vous le droit de le maintenir, alors que le prophète ou l’Écriture, le Livre de Josué en l’occurrence, dit le contraire ? Autrement dit il faut résoudre la question de savoir s’il y a au-dessus de la raison humaine une autorité qui puisse légitimement contraindre celle-ci à confesser ce qu’elle ne comprend pas, voire le contraire de ce qu’elle comprend.<br /> <br /> La question ne se pose pas aujourd’hui dans des termes très différents de ceux d’il y a trois siècles. Assurément trois cent cinquante ans après l’avoir condamné l’Église a admis qu’elle avait eu tort de réduire Galilée au silence. Mais il y a d’autres conflits de l’autorité religieuse avec la raison, dans lesquels elle n’a pas encore fait amende honorable. L’attitude libérale à l’égard des théories transformistes revient plus à quelques prélats éclairés qu’à l’institution ecclésiastique elle-même. Surtout, il y a un terrain sur lequel la sécularisation de la pensée est encore problématique, c’est celui de la morale. Les hommes de science, à commencer par Galilée (voir sa Lettre du 21/12/1613 à Benedetto Castelli), y concèdent trop facilement à l’Église le droit d’exercer sa férule. Aujourd’hui des représentants des Églises, des prêtres, des pasteurs, des rabbins et des mollahs, sont invités es qualités à soutenir leurs thèses dans des organes délibératifs dont l’objet est de légiférer sur les mœurs.<br /> <br /> Or c’est précisément ce que Spinoza ne veut pas. Il ne saurait reconnaître aucun partage des tâches entre la raison et la théologie, il ne peut admettre que la première doive être soumise à la seconde, même en un domaine limité. Au demeurant ce n’est pas un petit domaine que celui des mœurs. Lorsque le chapitre 15 établit que la théologie n’est pas la servante de la raison (est-ce vraiment là ce qui faisait question ?) et que la raison n’est pas la servante de la théologie, c’est l’autorité de la raison sur la question des mœurs, sur celle de la conduite des hommes dans leurs rapports entre eux, sur celle des lois de l’État, qu’il légitime. Le chef de l’État a-t-il le droit de se faire pratiquer une fellation par une secrétaire dans son bureau, voilà une question sur laquelle il appartient de décider à la raison et non aux ayatollahs (fussent-ils procureurs des États-Unis). L’auteur donne la réponse au chapitre 14. Le législateur a-t-il le droit d’établir par une loi positive que les citoyens peuvent avoir des relations sexuelles en dehors du mariage, qu’ils ne sont pas contraints de les nouer dans un seul sexe, qu’ils peuvent prendre des précautions contraceptives, etc. ? voilà une autre question sur laquelle il appartient à la raison et non aux ayatollahs (fussent-ils romains) de décider. La réponse est encore au chapitre 14. Sur les questions de morale la raison est tout autant souveraine que sur la connaissance des lois de la nature.<br /> <br /> Telle est la raison pour laquelle l’auteur discute de la prophétie. Son propos est d’établir qu’il n’y a aucune différence de dignité entre la prophétie ''stricto sensu'' et la connaissance naturelle. Or si cela suffit à empêcher que les éventuels conflits entre elles ne soient réglés à l’avantage de l’une ou de l’autre, ça ne suffit évidemment pas à les empêcher de surgir. C’est pourquoi il faudra montrer plus loin que la prophétie ''stricto sensu'' 1° ne s’exprime que sur les questions pratiques et nullement sur les questions spéculatives, et 2° y délivre un message qui converge avec celui de la raison. Ainsi les conflits ne naissent-ils que de la prétention des théologiens soit de légiférer dans les matières spéculatives, soit en matière pratique de s’écarter de l’enseignement des prophètes ou d’y rajouter des propositions de leur crû.<br /> <br /> C’est pour établir l’égale dignité de la connaissance naturelle avec la prophétie ''stricto sensu'' que Spinoza donne une définition très large de la prophétie (''lato sensu''). Certes si l’on n’y est pas très attentif celle-ci ne paraît pas être particulièrement large, mais plusieurs des termes qui la composent, si ce n’est tous sans exception, méritent un commentaire, à l’issue duquel ce qui est ajouté dans le second § apparaît plus comme un pléonasme que comme une conséquence. Il est vrai que celui qui n’est pas familier de l’''Éthique'' ne verra pas malice dans le premier § et en sera peut-être déçu. &quot; Une Prophétie ou Révélation est la connaissance certaine, révélée aux hommes par Dieu, d’une chose quelconque &quot;. Si c’était pour lire ça, pense le lecteur distrait, il me suffisait d’ouvrir le catéchisme !<br /> <br /> Pourtant le qualificatif, &quot; quelconque &quot;, doit le premier attirer l’attention. Selon les dictionnaires, les prophéties se rapportent à l’avenir ou du moins à des vérités cachées, c’est à dire inaccessibles aux moyens naturels de la connaissance. Elles n’énoncent la volonté de Dieu que relativement à ce qui n’est pas inscrit dans le cours ordinaire des choses. Faut-il une prophétie pour annoncer une saison, par exemple le printemps après l’hiver ? ou le retour du premier croissant après la disparition de la lune dans les ciels nocturnes ? ou même une éclipse ? On ne reconnaît ordinairement de prophétie que relativement à ce que les voies de la connaissance naturelle ne permettent pas d’annoncer. La prophétie n’a d’intérêt que lorsque toute autre voie de connaissance est exclue. Ainsi la vérité à laquelle elle permet d’accéder est-elle par définition une vérité cachée. La variante de vérité cachée qui peut provoquer le mieux l’admiration des foules est l’avenir, d’une part parce qu’il ne suffit pas d’aller pousser sa curiosité dans les petits coins sombres pour la rencontrer, et d’autre part parce que chacun verra bien demain si le propos formulé aujourd’hui est vrai. L’avenir a ce double avantage qu’il n’est pas à la portée du premier venu de le prophétiser et qu’il est à la portée du premier venu d’en vérifier la prophétie. C’est pourquoi en faisant de la prophétie la connaissance d’une chose quelconque l’auteur donne une définition qui l’écarte de ce qui est fait pour épater les gogos, voire qui l’y oppose totalement.<br /> <br /> Deuxièmement cette connaissance est dite certaine. Toute connaissance assurément n’est pas certaine. Le ''Traité de la réforme de l’entendement'', puis l’''Éthique'' II, ont distingué une connaissance du premier genre, connaissance ''ex auditu'' ou ''ab experientia vaga'', qui ne saurait aucunement atteindre la certitude, de la connaissance démonstrative (du second genre) et de l’intuition (du troisième genre), ces deux dernières seules autorisant une certitude. Si la prophétie est la connaissance d’une chose quelconque, elle n’en est pas la connaissance quelconque : il ne suffit pas de se faire d’une chose quelconque une idée confuse, une idée obtenue par ouï-dire ou par expérience vague, pour prophétiser. Ceux qui vaticinent sur un tel fondement sont de faux prophètes, si sensationnelles que soient leurs prédictions. Par contre ceux qui sont accoutumés à se servir de leur raison, tant dans la connaissance de la nature que dans celle des conduites humaines atteignent fort bien par cette voie les mêmes vérités que les premiers ont besoin qu’on leur assène autoritairement. Il apparaît donc que si la prophétie ''lato sensu'' implique la connaissance naturelle aussi bien de la nature que des conduites humaines, la prophétie ''stricto sensu'' n’est destinée qu’à maintenir dans le droit chemin ceux qui sont incapables de se servir de leur raison pour déterminer l’usage qu’ils doivent faire de leur vie. Le rôle de la prophétie étant civique, c’est l’État qui doit avoir autorité en matière théologique.<br /> <br /> Troisièmement la révélation est le fait de Dieu. Cela pourrait paraître contradictoire avec ce qui précède, dans la mesure où le mot semble indiquer une voie surnaturelle. Si l’on se demande ce qui fait indiquer à l’auteur une telle voie, on pourrait être tenté de ne voir dans cette affirmation qu’une concession regrettable, voire une honteuse dissimulation. Mais c’est impossible de sa part : mensonges ou compromis sont inconnus de lui. Il est la franchise et la sérénité incarnées ! Mais de la même manière que le géomètre entend par cercle autre chose que le commun des hommes, qui n’y voient que de la rondeur, le philosophe entend par Dieu autre chose non seulement que ce que dicte l’anthropomorphisme vulgaire, mais autre chose aussi que ce que veulent les théologiens, dont la doctrine, pour être moins vulgaire, n’est cependant qu’à peine moins anthropomorphique. L’''Éthique'' I montre que Dieu n’est pas transcendant, que c’est l’être même, la nature. Dire que la prophétie est une connaissance révélée aux hommes par Dieu, c’est dire que la prophétie est une connaissance qui, sans être donnée toujours par la voie de la raison, est pourtant une connaissance naturelle. Dans l’''Éthique'' II on apprend que la connaissance est l’expression de l’étendue dans la pensée. La connaissance certaine en est en outre l’expression adéquate. La connaissance prophétique ''stricto sensu'' est donc nécessairement un certain rapport avec l’être.<br /> <br /> Il n’est pas indifférent que l’auteur puisse appuyer sa définition sur l’Écriture elle-même, et sur un livre qui n’est pas vraiment quelconque, puisqu’il s’agit de l’un de ceux qui autrefois (jusqu’à la rédaction du chapitre 8 du présent TTP, cf. par exemple Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, 1681) étaient attribués à Moïse lui-même. Cette citation de l’Exode a la particularité d’être métaphorique. Elle règle par une image les rapports qui doivent exister entre le roi des Egyptiens et le chef des Juifs qui sont en captivité chez lui. Moïse tient au pharaon des propos qui ont l’inconvénient d’être inintelligibles. Qu’à cela ne tienne ! Aaron se fera le truchement de son frère auprès du souverain et traduira pour celui-ci en langage intelligible ce que dit celui-là. Il apparaît par cette comparaison d’Aaron avec le prophète que le rôle de la prophétie est d’être une traduction, une interprétation. Elle fait passer un énoncé d’un langage dans un autre, en l’occurrence elle rend une pensée accessible à celui qui n’use pas de sa raison. Mais elle montre aussi ce qu’est le prophète : il n’est qu’un truchement. Lui-même n’est pas un sage, il est seulement inspiré. Aaron en effet ne comprend rien, sans Moïse il est incapable de rien concevoir, il n’est que la bouche par laquelle s’exprime Moïse. Quant à celui-ci la métaphore le tient très manifestement pour Dieu. Il est celui qui révèle, il est la source de la révélation. Autrement dit il est l’être lui-même. C’est donc une place absolument extraordinaire que l’Exode accorde à Moïse, une place qu’aucun autre texte biblique n’accorde à aucun autre prophète. Les commentateurs juifs reconnaissent à Moïse un rapport à Dieu très supérieur à celui des autres prophètes. De fait, Spinoza admet aussi que Moïse se fait de Dieu une idée moins anthropomorphique que ses successeurs. Quoi qu’il en soit de cette distinction, il n’en demeure pas moins que les uns et les autres sont nommés en hébreu &quot; nabi &quot;. Prophète en effet est un mot grec, qui a d’ailleurs le même sens d’interprète d’un dieu. Ils sont seulement une bouche, par laquelle s’exprime le dieu qu’ils servent. Ils n’inventent rien, ils ne conçoivent rien par eux-mêmes, ils ne sont pas capables de justifier ce qu’ils disent. Aaron est si peu capable de justifier ce qu’il tient de son frère, qu’en l’absence de celui-ci il ne voit aucun mal à adorer le veau d’or !<br /> <br /> L’auteur présente comme une suite de sa définition qu’il est possible et légitime d’appeler prophétie la connaissance naturelle. Mais on peut se demander si la définition avait un autre objet que d’autoriser cette conséquence. Il est vrai que si la connaissance naturelle est prophétique, la prophétie ''stricto sensu'' n’est pas pour autant une connaissance naturelle. Cependant, on l’a remarqué ci-dessus, le conflit qui pourrait survenir entre les deux s’en trouve placé dans un cadre qui exclut l’hégémonie de la théologie. Il y a bien en effet dans le second § de ce premier chapitre un plaidoyer pour la reconnaissance des droits de la raison. Cette philosophie est rationaliste. Il n’y a pour elle aucune raison que la raison puisse ignorer. Ce n’est pas seulement à Pascal qu’elle s’oppose. Elle l’ignore vraisemblablement (la publication des Pensées est contemporaine de celle du TTP). C’est surtout à la théologie. Spinoza n’est pas de ceux qui sont prêts à admettre qu’il y ait un ordre de phénomènes qui échapperait à la raison, qu’il y aurait des objets que la raison ne pourrait pas connaître, et que par conséquent une autre voie de connaissance, supérieure à la raison s’imposerait lorsqu’on les vise. Il n’y a pour lui rien qui soit mystérieux, rien qui soit inintelligible, parce que rien n’est transcendant. La transcendance n’a pas de sens. Aussi est-il irréductiblement un adversaire de Maïmonide qui admet (cf. infra ''Guide des égarés'', I, 31) qu’il y a des objets qui sont aussi peu à la portée de l’intelligence de l’homme que certains autres le sont à sa vue. Évidemment c’est principalement de Dieu qu’il peut être question. Si Dieu est transcendant alors effectivement il est inconnaissable, sinon par analogie et impensable sinon par déduction. La conséquence nécessaire de telles prémisses est qu’il revient à la révélation ''stricto sensu'' de parler de Dieu et de parler en son nom, en particulier afin de fixer aux hommes des règles de vie. Mais évoquer un tel Dieu, c’est énoncer des propos vides de sens. Au contraire si l’on veut que les mots soient autre chose qu’un souffle d’air fétide, il faut reconnaître que Dieu n’est pas transcendant, mais immanent, que la pensée et l’étendue sont les deux manières différentes de percevoir un être qui est unique, que par conséquent rien de ce qui est ne saurait échapper à la raison. Dieu n’est ni impensable, ni inconnaissable, il est l’intelligibilité même. Évidemment un tel principe a tout pour déplaire aux amateurs de mystère, à ceux qui fondent leur pouvoir sur l’obscurité.<br /> <br /> L’affirmation que la connaissance naturelle est aussi une prophétie (''lato sensu'') n’est donc pas seulement une manœuvre tactique, qui jouerait un rôle seulement dans une polémique contre la théologie, et qu’on pourrait oublier immédiatement après. C’est au contraire un principe stratégique de la philosophie spinoziste. C’est la reconnaissance de la puissance de la raison. &quot; Ce que nous connaissons par la connaissance naturelle dépend de la seule connaissance de Dieu et de ses décrets éternels &quot;. Il n’existe rien d’autre que Dieu et par conséquent la connaissance de quel objet que ce soit passe nécessairement par la connaissance de Dieu, en qui est tout objet. Il ne suffit pourtant pas de penser adéquatement Dieu, la substance, pour penser adéquatement n’importe quel objet. Il est clair que l’auteur lui-même n’est pas un homme de science et qu’il est loin de prétendre que la connaissance adéquate qu’il a pourtant de Dieu lui donne autorité en matière de Physique ou de quoi que ce soit d’autre. Mais ce que découvre le physicien, tel que Galilée, n’est rien d’autre que les décrets éternels de Dieu. D’une part il aborde la nature avec pour seul préjugé qu’elle est entièrement connaissable, qu’il n’y a en elle aucun mystère, qu’elle est totalement accessible (c’est aussi un principe cartésien), d’autre part il se met humblement à l’école de l’expérience et ne s’imagine pas savoir quoi que ce soit des lois de la nature avant de l’avoir interrogée. Mais réciproquement, lorsqu’il l’a fait parler, il peut bien tenir les lois qu’il a découvertes (e = ½ gt², le principe d’inertie, l’héliocentrisme, etc.) pour les décrets éternels de Dieu. Bien sûr le mot décret n’est employé ici que métaphoriquement. Il ne faut pas concevoir Dieu de manière anthropomorphique, se le représenter comme une personne qui aurait des volontés et des idées. Dieu n’est autre que la nature ; celle-ci est régie par des lois nécessaires : ce sont là les décrets de Dieu.<br /> <br /> La découverte de ces lois est donc la connaissance de Dieu lui-même et elle emporte la certitude. Galilée en effet, pour conserver toujours le même exemple, sur lequel inévitablement l’auteur a dû lui-même beaucoup réfléchir, ne peut établir une vérité telle que celles que je viens de citer sans savoir qu’il établit une vérité. &quot; On ne peut pas former une idée vraie, sans savoir du même coup qu’on forme une idée vraie &quot;, est-il dit dans l’''Éthique'' II. C’est une définition de la certitude. C’est à dire que l’esprit n’a pas la possibilité d’être incertain du rapport (e = ½ gt²) qu’il pense adéquatement. Contrairement à ce que Descartes affirme, mais qu’il ne peut nullement penser, il est impossible de suspendre son jugement lorsqu’on conçoit une idée vraie, tout simplement parce qu’il est impossible de penser à la fois qu’elle est vraie et qu’elle est fausse. Si l’on réfléchit à cela il devient impossible d’imaginer des degrés de certitude. Certains voudraient sans doute qu’il y eût des connaissances les unes plus certaines que les autres, et que la certitude enveloppée par la révélation ''stricto sensu'' fût plus grande que la certitude enveloppée par les mathématiques ou la physique. On voit bien que cette proposition n’a pas de sens. Une âme humaine, fût-elle celle d’un prophète, acquiert la certitude par cela seul qu’elle conçoit adéquatement son objet et celui qui affirmerait que la certitude donnée par la révélation ''stricto sensu'' est supérieure à celle donnée par la révélation ''lato sensu'' ne saurait pas ce qu’il dit, parce qu’il dirait, sans évidemment pouvoir le penser, qu’un prophète a une âme d’une autre sorte que l’âme humaine, qui n’est rien d’autre que l’idée du corps (''Éthique'' II).<br /> <br /> La définition spinozienne de la prophétie autorise donc à comprendre sous ce nom la connaissance naturelle. Permet-elle pour autant de faire de Galilée un prophète ? S’il est légitime de parler de prophétie ''lato sensu'', il ne l’est pas de parler de prophète ''lato sensu''. La raison de cette dissymétrie est dans le rapport des prophètes d’une part, des hommes de science et plus généralement de raison d’autre part, avec ceux à qui ils s’adressent. Les uns et les autres propagent des idées, les uns et les autres enseignent ce qu’ils savent à ceux qui ne le savent pas. Toutefois, et c’est une différence radicale, l’enseignement prophétique n’a rien à voir avec l’enseignement rationnel. Je ne suis pas actuellement en train de prophétiser. Je suis en train de m’expliquer. Et à partir du moment où j’aurai été suffisamment clair dans mes explications non seulement vous saurez que vous ne pouvez pas dire que je suis un prophète, mais vous aurez compris pourquoi. Vous l’aurez en outre compris tout aussi bien que moi et vous serez tout aussi capables que moi d’enseigner ce point de la philosophie du TTP. Le propre de la connaissance rationnelle n’est pas tant qu’elle forme des idées vraies, mais qu’elle sait pourquoi elles sont vraies et qu’elle peut en rendre compte. Partant, celui qui reçoit un tel enseignement se trouve promu à la même position que celui qui le lui donne. De ce point de vue l’idée qui vous est suffisamment expliquée cesse d’être une idée étrangère et devient la vôtre, comme le remarquera aussi Hegel dans un texte bien connu, à propos de la philosophie.<br /> <br /> La différence entre la révélation ''stricto sensu'' et la révélation ''lato sensu'' ne tient donc pas à ce que la première apporterait plus de certitude que la seconde, auquel cas son autorité serait aussi plus grande et lui assurerait la prééminence en cas de conflit. Elle tient à ce que l’une va au-delà des limites que l’autre s’assigne à elle-même. Tandis que la connaissance rationnelle ne s’autorise pas à affirmer ce qu’elle ne comprend pas, il est clair que la prophétie, ''stricto sensu'', se le permet. Bachelard exprime à ce sujet une règle commune à tous les rationalistes : &quot; L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement &quot; (''la Formation de l’esprit scientifique'', chapitre premier). L’homme de science, le philosophe savent très bien qu’en allant au-delà de ce qu’ils peuvent comprendre ils sortent de leur discipline propre et même de la raison. C’est très explicitement par exemple que Platon passe de la dialectique au mythe. Par contre le prophète tient son logement dans cette zone de la pensée où il ne peut rendre raison de ce qu’il dit. A ce propos se pose un problème : comment l’auteur peut-il à la fois situer ici le prophète et reconnaître qu’il atteint la certitude ? Il faut admettre que le TTP tout entier exprime autre chose que sa conviction, et qu’il est tout entier situé dans une perspective polémique, où, voulant bien admettre que la prophétie soit autre chose qu’une tromperie, il cherche à établir que ceux qui en sont les propagateurs n’y gagnent cependant aucune prédominance sur la raison. On pourrait aussi penser que le TTP est une sorte de raccourci, qui permettrait de passer de la première partie de l’''Éthique'' à la fin de ce livre avec ses résultats politiques (quatrième partie) en faisant l’économie de la théorie de la connaissance, vraiment très difficile, développée dans l’''Éthique'' II.<br /> <br /> C’est par ce qu’est l’homme en lui-même que s’explique la connaissance rationnelle. A contrario, puisque ce ne saurait être le cas de la connaissance prophétique ''stricto sensu'', on se demande par quoi celle-ci peut bien s’expliquer. Mais, je viens de donner les éléments nécessaires pour le comprendre, il n’y a qu’une alternative : ou l’on admet le mystère, ou l’on n’y voit qu’une supercherie. Car relativement à la révélation ''lato sensu'', là où il n’y a pas de supercherie, c’est la nature de l’âme qui est la cause première de la révélation. &quot; L’âme contient objectivement la nature de Dieu et en participe &quot; est-il écrit ici et c’est aussi la doctrine de l’Éthique II. Je ne peux ici l’expliquer et je renvoie les curieux à ce dernier livre. Il suffit ici de comprendre que cette proposition est entièrement liée à la conception de Dieu qui a été indiquée ci-dessus et qu’elle est évidemment scandaleuse pour les théologiens. De la même façon la citation de Jean qui est mise en exergue de l’œuvre est très polémique : elle utilise l’apôtre en le détournant au profit de la philosophie de l’auteur qui veut lui faire dire que nous n’avons nul besoin que l’esprit de Dieu nous vienne par une voie transcendante.<br /> <br /> Il y a là une manière de désacraliser la prophétie, dont Freud, lui aussi Juif athée, saura se souvenir lorsqu’il interprétera les rêves: ils ne sont pas un message des dieux, mais ils expriment une pensée qu’on ne saurait justifier. <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/La superstition|La superstition]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse|L'exégèse]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Col%C3%A8re Colère 2018-10-26T20:25:41Z <p>Hedgehog3301 : /* la Colère est un Désir */</p> <hr /> <div><br /> ''Les Propositions sont issues de l’[[Éthique]]''<br /> <br /> ==== La Colère est un Désir ====<br /> Spinoza parle pour la première fois de la Colère dans le Scolie du corollaire 2 de la Proposition 40, Partie 3: « l’effort pour faire subir un mal à celui que nous haïssons se nomme Colère... » d’où l’on voit que la Colère n’est rien de plus qu’une propriété de la [[Haine]], car celui qui hait, s’efforce d'éloigner et de détruire l’objet de sa Haine (Scolie de la Proposition 13, Partie 3) ou de l’attrister (Proposition 23, Partie 3) c’est à dire de lui faire subir un mal.<br /> <br /> La définition est reprise dans les Définitions des Affects comme ceci: « La Colère est un ''Désir'' par lequel nous sommes incités, par la [[Haine]], à faire subir un mal à celui que nous haïssons » Spinoza explicite ici la Colère comme Désir (ce qui est la même chose qu’un effort) et qui est subordonnée à la Haine. Donc conformément à la Proposition 45 de la Partie 4, la Colère devra être supprimée par le Sage et être compensée par l’Amour, c’est à dire par la Générosité (Proposition 46, Partie 4).</div> Hedgehog3301 http://spinozaetnous.org/wiki/Descartes Descartes 2018-10-26T19:52:27Z <p>Hedgehog3301 : Page créée avec « == Descartes == René Descartes est un philosophe et mathématicien français né à La Haye-en-Tourraine en 1596, et mort à Stockholm en 1650 (a 53 ans). On lui doit ce... »</p> <hr /> <div>== Descartes ==<br /> <br /> René Descartes est un philosophe et mathématicien français né à La Haye-en-Tourraine en 1596, et mort à Stockholm en 1650 (a 53 ans). On lui doit certaines découvertes en mathématique et en physique (repère cartésien et lois de Snell-Descartes)mais il est plus connu pour sa doctrine philosophique et énonce le célèbre ''Je pense, donc je suis'' (Cogito, ergo sum).<br /> <br /> Il est l’auteur des Méditations Métaphysiques qui servent de base à sa conception de la Philosophie et de sa compréhension du Monde. C’est également de cet ouvrage que Spinoza a tiré les propositions des Principes de la Philosophie de Descartes démontrés selon l’ordre géométrique, méthode qu’avait déjà utilisée Descartes dans les Secondes Réponses aux Objections.</div> Hedgehog3301 http://spinozaetnous.org/wiki/Haine Haine 2018-10-26T19:33:12Z <p>Hedgehog3301 : /* La Haine comme Affect */</p> <hr /> <div>== Haine ==<br /> <br /> ''Sauf mention contraire toutes les propositions citées sont issues de la Partie 3 de L’Ethique''<br /> <br /> ==== La Haine comme Affect ====<br /> La Haine (''Odium'') est un Affect de Tristesse (''Tristitia'') du Corps et de l’Esprit en rapport avec une idée extérieure comme cause. Spinoza la définit au Scolie de la Proposition 13 « la Haine n’est rien d’autre qu’une Tristesse avec l’idée d’une cause extérieure » et montre qu’il s’agit d’une modalité du Désir, car « celui qui hait s’efforce d’éloigner et de détruire l’objet de sa Haine ».<br /> <br /> ==== La Haine comme Effort ====<br /> La Haine est donc, avec l’Amour, l’une des deux modalités selon lesquelles on tend vers quelque chose, comme le montre la Proposition 28 « Nous nous efforçons de promouvoir l’avènement de tout ce que nous imaginons qui conduit à la Joie, mais nous nous efforçons d'éloigner ou de détruire tout ce qui s’y oppose,... » car d’après la démonstration « ... l’effort de l’Esprit, c’est à dire la puissance qu’il a en pensant, est par nature égal et contemporain de l’effort du Corps... ».<br /> <br /> ==== La Haine chez le Sage ====<br /> En tant qu’affect né d’une Tristesse, la Haine est une passion (Proposition 59), c’est à dire qu’elle découle d'idées inadéquates, d’une connaissance mutilée (Proposition 3). De plus, la Haine peut être accrue par une Haine réciproque, mais peut au contraire être effacée par l’Amour et remplacée par lui (Proposition 43). Donc Spinoza en déduira dans la Partie 4 la nécessité pour l’homme Sage de ne pas être affecté, et de n’affecter personne de Haine (Propositions 45 et 46 de la Partie 4) mais bien de compenser cette passion par un Amour qui soit action (Générosité). Par là sont également supprimés les Affects d’Envie, de Raillerie, de Colère, de Vengeance, de Mépris, de Jalousie et tous ceux qui se rapportent à la Haine.</div> Hedgehog3301