Passion

De Spinoza et Nous.
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Une passion (passio) est un affect passif, c'est-à-dire "une idée confuse par laquelle l'âme affirme que le corps ou quelqu'une de ses parties a une puissance d'exister plus grande ou plus petite que celle qu'il avait auparavant. Cette puissance étant donnée, l'âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu'à telle autre."[1].

Une idée confuse ici est une idée inadéquate, essentiellement imaginaire et souvent abstraite, par laquelle l'âme affirme une augmentation ou une diminution de la force d'exister du corps qui lui correspond.

Éprouver une passion, c'est pâtir, c'est-à-dire être passif dans ce que nous éprouvons. Ainsi, lorsqu'un renforcement ou un affaiblissement se produit dans notre corps ou l'idée que nous nous en faisons (ce qui est une affection), et que nous en avons conscience, il s'agira d'affects de joie ou de tristesse. Si nous ne comprenons pas pourquoi nous éprouvons cet état qui nous envahit, nous ne pourrons en être la cause suffisante, nous n'en serons qu'en partie la cause[2]. Ainsi n'étant que cause partielle du changement de puissance qui nous caractérise, nous serons passifs, nous ne serons pas cause adéquate de notre affect.

Et donc nous penserons "à telle chose plutôt qu'à telle autre" sans en être vraiment la cause. Par exemple, je me sens particulièrement joyeux en voyant mon camarade être ridiculisé en public. Sachant que je pense que cette humiliation qu'il subit est pour moi cause de joie, j'aurais tendance à aimer le voir humilié. Mais, surtout si je ne prends pas particulièrement le temps d'y réfléchir, je ne saurai pas pour autant pourquoi cette mésaventure me fait tant jouir. Donc je n'aurai bien qu'une idée confuse de ce qui fait que je me sens renforcé en voyant mon bon ami rabaissé et affaibli : est-ce parce que je me réjouis qu'ainsi il devient plus fort, sachant que le ridicule ne tue pas et que "ce qui ne tue pas rend plus fort" ? Ou bien est-ce que je lui voue une haine secrète, enviant certaines qualités qu'il possède réellement alors que je ne fais que prétendre les posséder ? Si je dois répondre sérieusement, je serai donc facilement dans la confusion.

On le voit ici, un affect est en quelques sorte la vie d'une idée, qui s'affirme, grandit ou diminue en nous, souvent malgré nous, souvent aussi en conflits avec d'autres de nos idées. Car les idées ne sont pas des peintures muettes sur la toile vierge que serait notre âme et que seule notre volonté mettrait en mouvement[3], ce sont des êtres vivants qui se renforcent ou s'affaiblissent, au même titre que notre corps. Et pour cause, notre âme n'est que l'idée de notre corps[4]. De même qu'un mouvement est un état du corps en tant qu'il est vivant, une idée est un état de l'âme. Si une idée est claire et distincte, c'est-à-dire adéquate et complète, elle donnera lieu à un affect actif, autrement une action ou une vertu, qui ne pourra qu'être conforme à notre nature, parce que cet affect lui correspondra totalement. Si c'est une idée inadéquate, incomplète, comme dans l'exemple précédent, cela donnera lieu à une passion.

A la différence de Descartes, Spinoza ne considère donc pas que l'âme est passive par rapport au corps, qui lui imposerait son fonctionnement sans qu'elle le comprenne : l'âme et le corps ne sont qu'une seule et même chose[5]. S'il y a passivité de l'âme chez Spinoza, c'est par rapport aux idées qui la constituent.

Reposant sur une incompréhension de la Nature et de soi-même, les passions sont subies plutôt qu'elles ne marquent la force d'âme de celui qui en est affecté, elles sont ainsi des affects passifs ayant pour conséquence naturelle la servitude. Elles sont opposées aux actions et aux vertus mais ne sont pas toujours mauvaises.

Notes

  1. Définition générale des passions
  2. Éthique III, Définition 2
  3. Scolie de la prop. 43, partie II
  4. Ethique II, prop. 13
  5. Ethique II, prop. 7
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