Article Spinoza du Dictionnaire historique et critique de Bayle/D

De Spinoza et Nous.
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[M. Stoupp insulte mal à propos les ministres de Hollande, sur ce qu’ils n’avaient pas répondu au Tractatus Theologico-Politicus.]

Il est auteur de quelques lettres intitulées : La Religion des Hollandais. Ce livre fut composé à Utrecht, l’an 1673, pendant que les Français en étaient les maîtres. M. Stoupp y était alors en qualité de lieutenant colonel d’un régiment suisse. Il s’éleva depuis jusqu'à la charge de brigadier ; et il serait monté plus haut, s’il n’avait été tué à la journée de Steinkerque[1]. Il avait été autrefois ministre, et il avait servi l’église de la Savoie, à Londres, au temps de Cromwell. Il affecta, dans les lettres dont je parle, de décrire odieusement la multitude de sectes qu’on voit en Hollande. Voici ce qu’il dit du spinozisme : « Je ne croirais pas vous avoir parlé de toutes les religions de ce pays si je ne vous avais dit un mot d’un homme illustre et savant qui, à ce que l’on m’a assuré, a un grand nombre de sectateurs qui sont entièrement attachés à ses sentiments. C’est un homme qui est né juif, qui s’appelle Spinoza, qui n’a point abjuré la religion des juifs, ni embrassé la religion chrétienne : aussi il est très-méchant juif, et n’est pas meilleur chrétien. Il a fait depuis quelques années un livre en latin, dont le titre est Tractatus Theologico-Politicus, dans lequel il semble d’avoir pour but principal de détruire toutes les religions, et particulièrement la judaïque et la chrétienne, et d’introduire l’athéisme, le libertinage et la liberté de toutes les religions. Il soutient qu’elles ont toutes été inventées pour l’utilité que le public en reçoit, afin que tous les citoyens vivent honnêtement et obéissent à leur magistrat, et qu’ils s’adonnent à la vertu, non pour l’espérance d’aucune récompense après la mort, mais pour l’excellence de la vertu en elle-même, et pour les avantages que ceux qui la suivent en reçoivent dès cette vie : il ne dit pas ouvertement, dans ce livre, l’opinion qu’il a de la divinité ; mais il ne laisse pas de l’insinuer et de la découvrir, au lieu que dans les discours il dit hautement que Dieu n’est pas un être doué d’intelligence, infiniment parfait, et heureux comme nous nous l’imaginons ; mais que ce n’est autre chose que cette vertu de la Nature qui est répandue dans toutes les créatures. Ce Spinoza vit dans ce pays ; il a demeuré quelque temps à la Haye, où il était visité par tous les esprits curieux, et même par des filles de qualité, qui se piquent d’avoir de l’esprit au-dessus de leur sexe. Ses sectateurs n’osent pas se découvrir, parce que son livre renverse absolument les fondements de toutes les religions, et qu’il a été condamné par un décret public des États, et qu’on a défendu de le vendre, bien qu’on ne laisse pas de le vendre publiquement. Entre tous les théologiens qui sont dans ce pays, il ne s’en est trouvé aucun qui ait osé écrire contre les opinions que cet auteur avance dans son Traité. J’en suis d’autant plus surpris que l’auteur, faisant paraître une grande connaissance de la langue hébraïque, de toutes les cérémonies de la religion judaïque, de toutes les coutumes des juifs, et de la philosophie, les théologiens ne sauraient dire que ce livre ne mérite point qu’ils prennent la peine de le réfuter ; s’ils continuent dans le silence, on ne pourra s’empêcher de dire ou qu’ils n’ont point de charité en laissant sans réponse un livre si pernicieux, ou qu’ils approuvent les sentiments de cet auteur, ou qu’ils n’ont pas le courage et la force de les combattre[2]. »

Vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’au lieu que dans la première édition de ce Dictionnaire je rapportai ce passage selon la version que j’en avais faite sur l’Italien, je le donne dans celle-ci selon les paroles de l’original, telles que M. Desmaizeaux[3] a eu la bonté de me les communiquer. Il m’assure qu’il n’a rien changé dans la ponctuation de l’auteur, et qu’il a suivi son orthographe autant qu’il lui a été possible.

On imprima une réponse à ces Lettres de M. Stoupp, l’an 1675. Elle a pour titre : La véritable Religion des Hollandais, avec une Apologie pour la religion des États-Généraux des Provinces Unies…, par Jean Brun[4]. Voici le précis de ce qui concerne Spinoza dans cette réponse[5] : « Je crois que Stoupp se trompe, quand il dit qu’il n’a point abjuré la religion des juifs, puisqu’il ne renonce pas seulement à leurs sentiments, s’étant soustrait de toutes leurs observations et de leurs cérémonies ; mais aussi qu’il mange et boit tout ce qu’on lui propose, fût-ce même du lard, et du vin qui viendrait de la cave du Pape, sans s’informer s’il est Casher ou Nesech. Il est vrai qu’il ne fait pas profession d’aucune autre, et il semble être fort indifférent pour les religions, si Dieu ne lui touche le cœur. S’il soutient toutes les opinions comme Stoupp les lui attribue, ou s’il ne les soutient pas je ne le rechercherai pas ; et Stoupp se serait passé, avec plus d’édification, d’en parler. Il s’en pourra justifier lui-même, s’il veut. Je n’examinerai pas non plus s’il est l’auteur du livre qui a pour titre Tractatus Theologico-Politicus. Au moins l’on m’assure qu’il ne le veut pas reconnaître pour son fruit ; et si l’on doit croire au titre, il n’est pas imprimé en ces provinces, mais à Hambourg. Mais prenons que ce méchant livre soit imprimé en Hollande, messieurs les États ont tâché de l’étouffer en sa naissance et l’ont condamné, et en ont défendu le débit, par un décret public, dès aussitôt qu’il vit le jour en leur pays, comme Stoupp lui-même le confesse en la page 67. Je sais bien qu’il s’est vendu en Angleterre, en Allemagne, en France, et même en Suisse, aussi-bien qu’en Hollande ; mais je ne sais pas s’il a été défendu en ces pays-là. Messieurs les États, encore présentement que je suis occupé à écrire ceci, témoignent leur piété, et le défendent de nouveau avec plusieurs autres de cette trempe. » Quant aux plaintes et aux reproches qu’on n’eût pas réfuté ce livre, l’auteur répond :
1°. que puisqu’il a été imprimé à Hambourg, au moins comme porte le titre, on devrait plutôt se plaindre des théologiens de cette ville-là que des Hollandais[6] ;
2°. que ce pernicieux écrit tendant à la subversion de tout le christianisme, les catholiques romains, et les luthériens, n’étaient pas moins obligés de s’y opposer que les réformés ; et, entre les réformés, les théologiens de l’Allemagne, de France, d’Angleterre et de Suisse, se devraient avoir acquittés de leur devoir aussi bien que les théologiens de Hollande[7] ;
3°. qu’on peut faire les mêmes reproches à M. Stoupp. Pourquoi ne l’a-t-il pas réfuté lui-même ?
4°.Que le livre de Spinoza n’est pas plus pernicieux que le sien ; car si l’un enseigne l’athéisme ouvertement, l’autre le fait couvertement. L’un montre autant d’indifférence pour les religions que l’autre. L’ennemi caché qui nous vient attaquer à la sourdine et sous apparence d’amitié, est beaucoup plus dangereux que celui qui nous attaque ouvertement. Il faut crier contre l’ennemi caché, pour en avertir un chacun ; au lieu que tout le monde est sur ses gardes contre l’ennemi manifeste. C’est peut-être pour ce sujet que les théologiens, tant Suisses que Hollandais, ont jugé qu’il n’était pas nécessaire de se presser tant pour réfuter Spinoza, croyant que l’horreur de sa doctrine se réfute assez d’elle-même, d’autant plus qu’il n’y a rien de nouveau dans ce Traité, tout ce qu’il contient ayant été mille fois recuit par les profanes, sans avoir pourtant, grâce à Dieu, fait grand mal à l’église[8].
5°. Que lui, Jean Brun, a couché plusieurs remarques contre ce détestable livre, sur le papier, qu’il aurait peut-être publiées si les malheurs de la guerre ne l’en avait empêché. Quoique je croie néanmoins, continue-t-il, avoir employé mon temps plus utilement à d’autres ouvrages, je ne l’ai même jamais jugé si pernicieux que le libellé diffamatoire de Stoupp.[9]
6°. Qu’enfin le Traité de Spinoza a été réfuté par un excellent homme, en Hollande, qui était très-bon théologien, aussi bien que grand philosophe, c’est à savoir par M. Mansfeldt, professeur en sa vie, à Utrecht. Cette réfutation sans doute aurait paru plus tôt, si l’auteur n’eût été prévenu par la mort. Et je m’assure qu’il aurait été réfuté longtemps par d’autres, si Stoupp avec ses complices, par cette sanglante guerre, n’y avaient mis des obstacles[10]. On verra ci-dessous[11] le titre de quelques autres réponses faites à ce livre de Spinoza.

Notes et références

  1. Au commencement du mois d’août 1692.
  2. Religion des Hollandais, lettre III, pag. 65 et suiv.
  3. Dont il est parlé tom. XII, pag. 459, citation (90) de l’article RAMUS.
  4. Il était alors ministre et professeur en théologie à Nimègue. Il l’est présentement à Groningue. Son nom en latin est Braunius, et a paru à la tête de plusieurs livres.
  5. Pag. 158.
  6. Pag. 160.
  7. Là même, pag. 161.
  8. Là même, pag. 162.
  9. Là même, pag. 163.
  10. Là même, pag. 164.
  11. Dans la remarque (M).
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