http://spinozaetnous.org/w/api.php?action=feedcontributions&user=Henrique&feedformat=atom Spinoza et Nous - Contributions de l’utilisateur [fr] 2024-03-29T11:30:25Z Contributions de l’utilisateur MediaWiki 1.18.0 http://spinozaetnous.org/wiki/Mode Mode 2019-09-29T05:32:48Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>Un '''mode''' (''modus'') est, dans la langue scolastique, une façon d'être, un état d'une [[substance]]. Si un cheval est une substance, le trot ou le galop sont ses modes. Fidèle à sa [[Définition#Exemple de définition génétique|démarche génétique]], Spinoza définit alors un mode comme [[affection]] d'une substance, c'est-à-dire ce qui est en autre chose, par quoi cela est conçu. Le galop n'est rien sans le cheval qui galope, il est &quot;en autre chose&quot;, à savoir le cheval. <br /> <br /> Comme il n'y a selon Spinoza qu'une seule substance, tout ce qui existe excepté la substance doit être conçu comme mode de cette substance, comme autant de manières d'être de cette substance, existant et ne pouvant exister qu'en cette substance.<br /> Un [[Attribut]] exprime la substance telle qu'elle est en soi, un mode l'exprime secondairement, comme une propriété suit d'un principe, de façon indissociable mais cependant distincte. N'existant qu'au sein de la substance, un mode ne saurait être cause de soi, son [[essence]] n'enveloppe pas l'[[existence]]. Un mode donné doit son essence de mode à la substance et son existence à l'existence d'un attribut, si c'est un mode infini ([[E1P23]]) et à l'existence d'autres modes finis, si c'est un mode fini ([[E1P28]]). <br /> <br /> Il existe dans le système spinoziste un mode infini [[immédiat]] pour chaque attribut, l'entendement absolument infini pour la pensée et le mouvement/repos pour l'étendue. Il existe aussi un mode infini médiat (suivant non de l'infinité de l'attribut mais de l'infinité des modes) : la figure totale de l'univers pour l'étendue et probablement (Spinoza ne le précise pas explicitement) la compréhension infinie de cette figure pour la pensée. Cf. [[Lettre 64]] à Schuller.<br /> <br /> Pour exprimer le rapport de la substance à ses modes, on pourra tenter l'image de l'océan et de ses vagues... qui comme toute image a ses limites. L'océan serait la substance, les courants et les vagues ses modes finis. Chaque vague peut être considérée individuellement selon sa durée et son extension particulières, mais elle n'a d'existence et d'essence que par l'océan dont elle est une expression. L'océan et ses courants ou vagues ne peuvent être séparés qu'abstraitement. Le &quot;mode infini immédiat&quot; de cet océan-substance serait le rapport de mouvement et de repos qui caractérise la totalité de cet océan, s'exprimant donc de façon singulière en chaque vague. Le mode infini médiat serait le résultat global du mouvement et du repos des vagues de l'océan. Mais il ne faut pas voir là un processus, en fait tout cela s'imbrique en même temps, le &quot;résultat&quot; qu'est le mode infini médiat n'est pas chronologique mais seulement logique.<br /> <br /> [[Catégorie:Ontologie]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_64 Lettre 64 2019-09-29T05:31:12Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 64 | 3= de Spinoza à Schuller | 4=1675 }} &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt; {{Lettr... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 64<br /> | 3= de Spinoza à Schuller<br /> | 4=1675<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très savant et honoré G.H. Schuller,&lt;br /&gt;<br /> B. De Spinoza.<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> [[Lettre 63|RÉPONSE A LA PRÉCÉDENTE]]<br /> <br /> Monsieur,<br /> <br /> Je suis heureux que l’occasion se soit présentée à vous de m’adresser une de ces lettres qui me sont toujours agréables et je vous prie instamment de me procurer souvent ce plaisir, etc.<br /> <br /> Je passe aux difficultés et je vous dirai quant à la première, que l’âme humaine ne peut avoir connaissance que de ce qu’enveloppe l’idée d’un corps existant en acte ou de ce qui peut s’en déduire. Car la puissance d’une chose quelconque se définit par sa seule essence ([[E2P7|Éthique, partie II, proposition 7]]) et l’essence de l’âme ([[E2P13|partie II, proposition 13]]) consiste en cela seul qu’elle est l’idée d’un corps existant en acte. Le pouvoir de connaître appartenant à l’âme ne s’étend donc qu’à ce que cette idée du corps contient en elle-même ou à ce qui en découle. Or cette idée du corps n’enveloppe et n’exprime d’autres attributs de Dieu que l’étendue et la pensée. Car l’objet auquel elle se rapporte, à savoir le corps ([[E2P6|partie II, proposition 6]]) a Dieu pour cause en tant qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue, et non en tant qu’il est considéré sous aucun autre, et par suite ([[E1A6|partie I, axiome 6]]) cette idée du corps enveloppe la connaissance de Dieu en tant seulement qu’il est considéré sous l’attribut de l’étendue. De plus cette idée, en tant qu’elle est un mode de la pensée, a aussi Dieu pour cause ([[E2P6|même proposition]]) en tant qu’il est chose pensante et non en tant qu’il est considéré sous un autre attribut, et par suite ([[E1A6|même axiome]]) l’idée de cette idée enveloppe la connaissance de Dieu en tant qu’il est considéré sous l’attribut de la Pensée et non en tant qu’il est considéré sous un autre.<br /> <br /> L’on voit ainsi que l’âme humaine n’enveloppe et n’exprime point d’autres attributs de Dieu à part ces deux. De ces deux attributs d’ailleurs ou de leurs affections, aucun autre attribut de Dieu ([[E1P10|partie I, proposition 10]]) ne peut être conclu et on ne peut par ces attributs en concevoir aucun autre. D’où cette conclusion que l’âme humaine ne peut parvenir à la connaissance d’aucun attribut de Dieu à part ces deux, ainsi que je l’ai énoncé. Quant à ce que vous ajoutez : existe-t-il autant de mondes qu’il y a d’attributs ? je vous renvoie au [[E2P7S|scolie de la proposition 7, partie II]]. Cette proposition pourrait se démontrer plus facilement par une réduction à l’absurde, et j’ai accoutumé de choisir ce mode de démonstration quand il s’agit d’une proposition négative, parce qu’il est en accord avec la nature des choses. Mais puisque vous n’acceptez qu’une démonstration positive je passe à la deuxième difficulté : est-il possible qu’une chose soit produite par une autre dont elle diffère tant par l’essence que par l’existence ? Et en effet des choses différant ainsi l’une de l’autre semblent n’avoir rien de commun. Mais comme toutes les choses singulières, à part celles qui sont produites par leurs semblables, diffèrent de leur cause tant par l’essence que par l’existence, je ne vois pas ici de difficulté.<br /> <br /> En quel sens j’entends que Dieu est cause efficiente des choses, tant de leur essence que de leur existence, je crois l’avoir suffisamment exprimé dans le [[E1P25S|scolie]] et le [[E1P25C|corollaire de la proposition 25, partie I de l’Éthique]]. L’axiome invoqué dans le [[E1P10S|scolie de la proposition 10, partie I]], ainsi que je l’ai indiqué à la fin de ce scolie, a son origine dans l’idée que nous avons d’un Être absolument infini et non dans celle d’êtres ayant trois, quatre attributs ou davantage.<br /> <br /> Pour les exemples que vous demandez&lt;ref&gt;Sur les [[mode]]s infinis immédiats et les modes infinis médiats, voir la [[Lettre 12]], à Louis Meyer et [[E1P21|Éthique, I, prop. 21, 22 et 23]].&lt;/ref&gt;, ceux du premier genre sont pour la Pensée, l’entendement absolument infini, pour l’Étendue le mouvement et le repos, ceux du deuxième genre la figure de l’univers entier qui demeure toujours la même bien qu’elle change en une infinité de manières. Voyez sur ce point le [[E2L7S|scolie du lemme 7]] qui vient avant la proposition 14, partie II.<br /> <br /> Je crois ainsi, Monsieur, avoir répondu à vos objections et à celles de notre ami. Si vous avez encore quelque doute je vous prie de vouloir bien me le faire connaître pour que je le lève si je peux. Portez-vous bien, etc.<br /> <br /> ''La Haye, le 29 juillet 1675''.<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 63]] | [[Lettres]] | [[Lettre 65]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Les_lois_de_la_nature Comprendre le Traité théologico-politique/Les lois de la nature 2018-11-03T12:30:35Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 6 | 4= Les lois de la nature }} {{Bloc emphas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 6<br /> | 4= Les lois de la nature<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 4<br /> <br /> Chapitre 6<br /> <br /> (...) A l’égard de la première thèse on en fait voir aisément la vérité par le principe démontré au chapitre 4 au sujet de la loi divine : que tout ce que Dieu veut ou détermine, enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. Nous avons conclu en effet de ce que l’entendement de Dieu ne se distingue pas de sa volonté, que c’est tout un de dire que Dieu veut quelque chose et qu’il conçoit quelque chose : la même nécessité qui fait que Dieu par sa nature et sa perfection conçoit une chose comme elle est, fait aussi qu’il la veut comme elle est. Puis donc que nécessairement rien n’est vrai, sinon par un décret divin, il suit de là très clairement que les lois universelles de la nature sont de simples décrets divins découlant de la nécessité et de la perfection de la nature divine. Si donc quelque chose arrivait dans la Nature qui contredit à ses lois universelles, cela contredirait aussi au décret, à l’entendement et à la nature de Dieu ; ou, si l’on admettait que Dieu agit contrairement aux lois de la Nature, on serait obligé d’admettre aussi qu’il agit contrairement à sa propre nature, et rien ne peut être plus absurde. La démonstration pourrait encore se tirer aisément de ce que la puissance de la Nature est la puissance même et la vertu de Dieu, et la puissance de Dieu absolument identique à son essence ; mais j’aime mieux laisser cela de côté quant à présent. <br /> <br /> Il n’arrive donc rien dans la Nature qui contredise à ses lois universelles ; ou même qui ne s’accorde avec ses lois ou n’en soit une conséquence. Tout ce qui arrive en effet, arrive par la volonté et le décret éternel de Dieu ; c’est-à-dire, comme nous l’avons déjà montré, rien n’arrive que suivant des lois et des règles enveloppant une nécessité éternelle. La Nature observe donc toujours des lois et des règles qui enveloppent, bien qu’elles ne nous soient pas toutes connues, une nécessité et une vérité éternelles, et par suite un ordre fixe et immuable. Aucune bonne raison n’invite à attribuer à la Nature une puissance et une vertu limitées et à croire que ses lois s’appliquent à certaines choses seulement, non à toutes ; car puisque la vertu et la puissance de la Nature est la vertu même et la puissance de Dieu, que les lois et règles de la Nature sont les décrets même de Dieu, il faut croire sans restriction que la puissance de la Nature est infinie et que ses lois sont assez larges pour s’étendre à tout ce qui est conçu par l’entendement divin. En juger autrement, ne serait-ce pas admettre que Dieu a créé une Nature si impuissante et établi des lois et des règles si stériles, qu’il est souvent obligé de lui venir en aide pour qu’elle se conserve et que les choses tournent selon son vœu ? et j’estime une telle croyance aussi contraire que possible à la raison. De ces principes donc que rien n’arriva dans la nature qui ne suive de ses lois ; que ses lois s’étendent à tout ce que conçoit l’entendement divin ; qu’enfin la Nature observe un ordre fixe et immuable, il suit très clairement que le nom de miracle ne peut s’entendre que par rapport aux opinions des hommes et signifie tout uniment un ouvrage dont nous ne pouvons assigner la cause par l’exemple d’une autre chose accoutumée, ou que du moins ne peut expliquer l’auteur relatant le miracle. <br /> <br /> Je pourrais dire à la vérité qu’un miracle est un événement dont on ne peut assigner la cause par les principes des choses naturelles tels que la Lumière Naturelle les fait connaître ; toutefois, puisque les miracles ont été faits à la mesure de la compréhension du vulgaire, lequel ignorait totalement les principes des choses naturelles, il est certain que les anciens ont tenu pour miracle ce qu’ils ne pouvaient expliquer par le moyen dont le vulgaire a coutume d’user pour expliquer les choses naturelles, c’est-à-dire en recourant à sa mémoire pour se rappeler un cas semblable qu’il se représente sans surprise à l’ordinaire ; le vulgaire en effet estime assez connaître ce qu’il voit sans surprise. Les anciens donc et presque tous les hommes jusqu’au temps présent n’ont eu d’autre règle applicable aux miracles ; il n’est pas douteux en conséquence que les livres saints ne racontent beaucoup de faits prétendus miraculeux dont il serait facile d’assigner la cause par les principes connus des choses naturelles ; nous l’avons déjà indiqué au chapitre 2 en parlant de l’arrêt du soleil au temps de Josué et de sa rétrogradation au temps d’Achaz, mais nous traiterons ce point plus longuement tout à l’heure, ayant promis de nous occuper dans ce chapitre de l’interprétation des miracles.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> '''Les lois de la nature'''<br /> <br /> Le passage essentiel du chapitre 6 est constitué par sa première thèse. L’objet de celle-ci est de montrer qu’il n’arrive rien qui soit contre la nature et qu’elle conserve un ordre éternel, fixe et immuable. Autrement dit il n’y a rien de miraculeux que relativement à l’ignorance, où est le vulgaire, des lois de la nature. La notion de miracle est subjective. La démonstration ne part pas de rien ; elle doit tirer les conséquences du travail qui a été fait précédemment, qui montrait qu’en Dieu l’entendement et la volonté sont une seule et même chose. De là il découle très clairement que la notion de décret divin ne peut désigner proprement que les lois mêmes de la nature et sûrement pas les exceptions, qui d’ailleurs ne peuvent être qu’illusoires. Ce point étant très délicat, puisqu’il établit exactement le contraire de ce que croient et le vulgaire et les théologiens, il exige que certains commentaires en rendent explicites les implications. Sans le fournir dans ce texte l’auteur évoque un argument décisif, celui qui identifie l’essence et la puissance de Dieu. C’est bien lui qui sur le fond permet d’écarter une thèse soutenue de diverses manières par ceux que l’auteur tient pour ses adversaires : afin de laisser une marge à ses interventions miraculeuses, ils arguent que Dieu ne fait pas tout ce que sa puissance lui permet de faire. Mais ils ont tort ; il n’y a pas de défaillance de la nature ; il n’est donc aucun besoin d’y remédier. C’est de là que découle enfin la conclusion que les prétendus miracles ne prouvent qu’une seule chose : que le vulgaire rêve la nature au lieu de la penser.<br /> <br /> Sur cette question de savoir ce qu’est un miracle, il faut d’abord rappeler ce qui a fait l’objet du chapitre 4 : la loi divine, a-t-il établi, enveloppe une nécessité et une vérité éternelles. En effet la loi divine, expression de la volonté divine, n’est que par abstraction distincte de l’entendement divin. Elle n’en est pas distincte en réalité. En Dieu penser et vouloir sont en effet une seule et même chose. Il n’y a rien qui soit vrai, sinon par la volonté de Dieu. Ainsi s’il est vrai, par exemple, que la terre tourne sur elle-même et autour du soleil, selon une loi qui a été mise en évidence par Kepler (l’orbite en est elliptique et les aires égales balayées par son rayon le sont en des temps égaux), il ne se peut pas qu’en même temps cette loi soit contredite (comme le croit le naïf Josué). Par là se trouve complètement changé, et très exactement inversé, le sens qu’on peut donner à la notion de volonté divine. Les notions de nécessité et d’éternité ne permettent pas de penser (penser est autre chose que rêver) qu’il pourrait survenir quelque chose, qui en soi serait extraordinaire. Le décret divin ne relève pas de la catégorie du caprice, mais de celle de la loi. Celle-ci ne doit pas être entendue autrement qu’au sens physique du terme.<br /> <br /> Au fond ce que signifie la définition de la loi divine ici rappelée, c’est la loi de la nature, telle qu’elle peut être entendue après Kepler, après Galilée et après Descartes. C’est la loi de la nature telle que peut l’entendre Newton : c’est en 1666, que celui-ci conçoit la loi de la gravitation universelle, qui est donc contemporaine de la composition du TTP. A cette date il faut tirer les implications philosophiques de la conception scientifique nouvelle qui fait son apparition au début du dix-septième siècle. La notion de loi y acquiert une précision qu’elle n’avait pas dans les représentations qui en étaient antérieurement données. Dans l’Antiquité la notion de loi n’exprime qu’une sorte de tendance, qui souffre éventuellement des exceptions, et pas encore une relation quantifiée constante entre plusieurs termes, qui eux mêmes sont variables. Pour utiliser l’expression de Montesquieu, dans l’Antiquité les lois ne sont pas encore des &quot; rapports nécessaires &quot;. C’est seulement dans la première moitié du dix-septième siècle qu’elles le deviennent, dès lors que, sous l’impulsion de Galilée, elles utilisent l’instrument mathématique. Le rapport est constant et lui seul l’est, alors que la valeur des termes qui y entrent est variable. L’idée que l’on se fait de la loi divine ne peut qu’être profondément modifiée par les conceptions scientifiques. La loi divine en effet ne peut plus être le décret qui rompt un ordre préexistant, qui décide d’une exception éclatante, il est le décret qui instaure l’ordre et qui ne peut souffrir ni exception ni remise en cause, car il est fixe et immuable.<br /> <br /> Il s’ensuit en effet que la volonté divine, loin d’être ce qui s’exprime dans des accidents remarquables qui contreviendraient aux lois ordinaires de la nature, est ce qui s’exprime dans les lois ordinaires de la nature, lesquelles d’ailleurs ne souffrent aucun accident. Il ne saurait y avoir d’autres lois. Rien n’est vrai que par le décret de Dieu : ce n’est donc pas le miracle qui révèle la volonté de Dieu, c’est la loi ordinaire de la nature, telle qu’elle peut être découverte et exprimée par un physicien : un ordre fixe et immuable. Fixe et immuable par exemple est l’ordre qui préside à la chute des corps. Contrairement à ce que croyait Aristote (du Ciel), il n’y a pas deux sortes de corps. Lourds ou légers, ils suivent tous la même règle. Il n’y a pas plus de lieu naturel en bas pour les corps graves, qu’il n’y a de lieu naturel en haut pour les corps légers. La nature ne connaît pas le haut et le bas. Dieu lui-même ne connaît pas le haut et le bas. Galilée montre que la pesanteur est une force qui agit identiquement sur tous les corps. Par là il devient impensable non seulement qu’il y ait des corps que leur nature entraînerait vers le haut tandis qu’il y en aurait d’autres que leur nature entraînerait vers le bas mais, et c’est une conséquence beaucoup plus profonde, il devient impensable aussi qu’il y ait une seule circonstance dans laquelle on trouverait un seul corps qui ne serait pas soumis à la loi. Une loi quelconque a une valeur universelle. Il n’y a pas un seul corps qui soit capable d’Ascension. Il n’y a que des ascensions, lesquelles se font par divers moyens. Un corps n’en est capable que s’il déploie une force au moins égale à celle de la pesanteur et appliquée en sens inverse. L’ascension se fait au moyen soit d’une paire d’ailes, soit d’un ballon d’hélium, soit d’un moteur. Cette condition a échappé à ceux qui jurent que Jésus est monté au ciel. Quant à ceux qui jurent qu’il est ressuscité d’entre les morts, il y a manifestement bien d’autres choses qui leur ont échappé.<br /> <br /> Qui veut connaître la volonté de Dieu doit se tourner vers autre chose que ce qui jusqu’à présent a mobilisé l’attention des naïfs, vers autre chose par conséquent que l’extraordinaire. Il n’y a d’ailleurs pas d’extraordinaire, car ce qui est prétendu tel n’est que ce que le vulgaire ne comprend pas, ce dont il ne comprend pas le rapport avec l’ordinaire. Il n’y a d’ailleurs rien d’extraordinaire à ce que quantité de choses restent incomprises du vulgaire. Si les pompes des fontainiers de Florence s’arrêtent de pomper à 10,33 m, ceux qui croient avec Aristote que la nature a horreur du vide (du Ciel) devraient crier au miracle ; mais au lieu de se rendre en procession à la cathédrale Santa Maria del Fiore en chantant &quot;miracolo, miracolo&quot;, ces gens se tournent vers le mal famé Galileo Galilei, qui a échappé au bûcher mais non à la résidence surveillée, pour lui demander l’interprétation de l’événement. Ô siècle païen ! Evangelista Torricelli, son disciple, ne va réduire à rien d’autre que du très ordinaire ce qui se passe à 10,33 m : c’est l’effet de la pression atmosphérique, phénomène quotidien, vulgaire et universel (1643). Pire encore, c’est carrément vers le plus quotidien que se tournera Newton. Il s’intéressera au mouvement ordinaire de la lune, qui tourne autour de la terre et n’y tombe pas. Le miraculeux est-il qu’il osera prétendre qu’elle tombe ? Las, ce sera pour dire qu’elle est soumise elle aussi à la loi d’une gravitation tellement vulgaire qu’elle est universelle. S’il en a l’idée en 1666, il ne publie les Principes mathématiques de la philosophie naturelle qu’en 1686 et Spinoza ne peut assurément en avoir eu connaissance. On pourrait dire cependant que le physicien aura sans le savoir suivi la recommandation du philosophe de s’intéresser à autre chose que ce qui étonne tout le monde, et qu’il a mis en œuvre une démarche beaucoup plus féconde, qui est de s’étonner de ce qui n’est pas étonnant. C’est d’ailleurs où Platon (dans Théétète) et Descartes (dans les Passions de l’âme, article 70) voyaient eux aussi le commencement de la philosophie.<br /> <br /> C’est dans les lois ordinaires de la nature, celles que découvrent les physiciens, qu’il faut chercher les décrets de Dieu. Cette idée n’est d’ailleurs pas absolument hérétique, puisqu’on pourrait presque la trouver chez Saint Thomas d’Aquin et chez Maïmonide. Si l’on ne peut la rencontrer telle quelle chez ces auteurs, qui ne connaissaient de physique qu’aristotélicienne, elle y est du moins sous cette forme que la création toute entière témoigne de l’existence de Dieu et que la connaissance de celle-là est un moyen de parvenir, ne serait-ce que négativement, à l’essence ce celui-ci (Somme théologique, Ia, qu 12, Guide des Egarés, I, 34). Toutefois elle a chez Spinoza d’autres conséquences. Tandis que ses prédécesseurs n’excluaient pas le miracle, c’est à dire une rupture par Dieu de l’ordre qu’il a lui-même institué, le miracle est maintenant totalement impensable. Si Dieu produisait un miracle, il faudrait admettre l’une des deux hypothèses suivantes, aussi absurdes l’une que l’autre. Ou bien, première hypothèse, il agirait contre sa propre nature, car s’il n’y a aucune différence entre sa volonté et son entendement, il n’y a aucun sens à prétendre que sa volonté irait contre ce que son entendement conçoit. Ou bien, seconde hypothèse, il serait dans cette obligation pour avoir créé une Nature impuissante, c’est à dire incapable de se maintenir par elle-même, répondant à des règles si stériles qu’il faudrait y ajouter à chaque instant des interventions nouvelles pour la corriger ou la maintenir. Le verbe créer, aussi peu spinoziste que possible, est effectivement employé à ce sujet et montre que l’auteur se place dans une perspective qui n’est pas celle de sa propre philosophie, mais qui est celle des théologiens. Il ne va pas jusqu’au bout de sa pensée. C’est sur leur propre terrain qu’il veut établir l’absurdité de leur thèse. Chacune de ces deux hypothèses mérite des explications.<br /> <br /> En ce qui concerne la première, on pourrait également, comme il l’indique, tirer une autre démonstration de l’absurdité du miracle par l’idée que la puissance de Dieu est absolument identique à son essence. La démonstration est faite dans l’Ethique I, proposition XVII, scolie. Spinoza ne la donne pas dans le TTP, et pour cause ! c’est qu’alors il ne serait plus dans la perspective des théologiens, mais en contradiction avec eux. Il montrerait alors en effet l’absurdité de l’idée de création. L’emploi qu’il fait ici de l’idée de création (&quot; Dieu a créé une Nature si impuissante et établi des lois et des règles si stériles... &quot; dit la seconde hypothèse) montre que le TTP n’est pas écrit dans la même perspective que l’Ethique et que le combat contre la théologie n’y est mené qu’aussi loin que l’exige la thèse politique de la liberté de pensée, et non jusqu’au terme qu’exige la réflexion philosophique. Donc il &quot; aime mieux laisser cela de côté quant à présent &quot;, c’est à dire qu’il préfère laisser croire qu’il accepte la notion de création. L’Ethique n’est pas publiée, elle n’est pas même achevée au moment où son auteur rédige et publie le TTP. Mais, puisqu’il signale qu’il pourrait dire autre chose, rien n’interdit au lecteur curieux d’éclaircir les sous-entendus. La thèse de la création doit être rejetée parce qu’elle suppose soit que Dieu ne veut pas tout ce que cependant il conçoit, soit que sa puissance est limitée.<br /> <br /> Dans le premier cas Dieu, doté d’un entendement infini, concevrait une infinité de choses, dont il ne voudrait cependant qu’une petite partie. La supposition que son entendement dépasse sa volonté paraît un peu bizarre, mais elle trouve son sens quand on dit que Dieu ne peut pas vouloir le mal. Ainsi certains théologiens se représentent un Dieu qui pense une infinité de mondes possibles et qui les refuse en raison du mal qu’ils enferment. &quot; L’Eternel a créé la terre sur la sagesse &quot;, disent les Proverbes. Cependant ce verset est bien isolé dans un ensemble de textes qui donnent à connaître un Dieu qui décide de tout comme il l’entend. Le verset de Daniel &quot; l’Eternel fait ce qui lui plaît &quot; est bien plus représentatif de l’esprit de la théologie juive. Celui qui admettrait que Dieu rejette les possibles, qu’il conçoit pourtant, parce qu’ils contiennent un mal qu’il ne peut pas leur ôter, admettraient un Dieu impuissant. Mais ce n’est pas le cas des théologiens juifs.<br /> <br /> En fait la vraie raison pour laquelle ceux-ci admettent que Dieu ne crée pas tout ce qu’il conçoit est qu’il leur paraît que cette supposition est moins désobligeante que l’autre, dont elle est alternative, à savoir que si Dieu avait créé tout ce qu’il conçoit il serait au repos, il ne ferait plus rien, il connaîtrait un sabbat éternel. Il aurait aussi épuisé tout son pouvoir. La puissance de Dieu ne serait plus en acte, il n’y aurait plus de puissance de Dieu ! De cette difficulté les kabbalistes essaient de se sortir. En particulier Abraham Herrera (auteur de la Porte du ciel, mort en 1639) tente de la régler par la théorie de la contraction (zimzum), selon laquelle Dieu, qui est infini, se contracte afin de créer ce monde, qui est fini puisqu’il n’y met pas tous les possibles. Ainsi la raison pour laquelle Dieu ne crée pas tous les possibles n’est pas qu’il veut éviter le mal, qui serait attaché malgré lui à certains d’entre eux, mais qu’il se désinfinitise pour se mettre au niveau des hommes. Cependant de quelle manière que s’y prennent les kabbalistes, ils ne sauvegardent la liberté de Dieu que contre sa puissance. Ainsi a-t-on rejoint le second cas, où ce n’est pas parce qu’il s’abstient que Dieu ne crée pas tout ce qu’il conçoit, mais parce qu’il ne le peut pas. Or il n’y a rien de plus absurde que l’idée d’un Dieu impuissant. C’est pourtant le Dieu qu’ont conçu un certain nombre de théologiens. C’est celui que concevra à son tour à la fin de dix-septième siècle Leibniz. Celui-ci en ce sens est l’héritier davantage de la tradition grecque que de la tradition juive et chrétienne. Son Dieu ne peut pas empêcher qu’il y ait du mal dans certains possibles et il doit humblement se contenter de créer le moins mauvais des possibles. Ce Dieu-là n’est qu’un fantoche.<br /> <br /> En ce qui concerne la seconde hypothèse, selon laquelle Dieu devrait intervenir afin de sauver miraculeusement une nature d’abord mal faite, c’est contre une thèse très importante de la théologie que se tourne la démonstration, à savoir la thèse de la création continuée. J’ai raisonné ci-dessus comme le fait souvent l’auteur, en admettant implicitement que la création dont parlent les théologiens aurait été faite en une fois. Mais ce n’est pourtant pas ainsi qu’ils la conçoivent. Ils tiennent pour métaphorique le récit de la Genèse. Ce n’est pas en six jours que Dieu crée le monde, c’est continuellement. On est par conséquent fondé à se demander si les arguments qu’emploie Spinoza contre ses adversaires sont tout à fait pertinents. Peut-il légitimement leur reprocher de penser un Dieu impuissant alors qu’ils conçoivent un Dieu qui au contraire intervient à chaque instant pour soutenir l’existence du monde ? L’argument serait de mauvaise foi. Cependant ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre. L’auteur par la discussion qui précède amène en réalité le débat sur son champ clos. Il ferme toutes les issues avant d’arriver sur son propre terrain. Car cette création continuée l’intéresse dans la mesure où elle s’écarte de l’anthropomorphisme qui conçoit Dieu sur le modèle du potier et où elle substitue à l’acte ponctuel, unique et définitif un rapport éternel. Néanmoins dans le même temps les théologiens continuent de se représenter une sorte de despote qui décide arbitrairement d’une chose quand il aurait aussi bien pu décider le contraire. Ce Dieu-là est doué d’une liberté d’indifférence, il y a de la contingence dans ses choix. C’est parce que les hommes se croient eux-mêmes doués d’un libre arbitre, que très anthropomorphiquement ils l’attribuent superlativement à leur Dieu. Or pour que la conception d’une création continuée soit totalement intelligible, il faudrait que les théologiens admettent en même temps qu’elle n’implique aucune contingence, aucun choix, c’est à dire qu’elle est nécessaire. Il faudrait qu’ils renoncent à attribuer à leur Dieu le libre arbitre. Il faudrait qu’ils renoncent à un Dieu hors de la nature, c’est à dire à un Dieu transcendant. Mais de tels théologiens seraient alors spinozistes ! Lorsqu’il leur reproche de manquer de rigueur Spinoza leur reproche de n’avoir fait vers les exigences de la raison que la moitié du chemin, c’est à dire de n’être qu’à moitié spinozistes.<br /> <br /> Des explications qui précèdent quant aux lois de la nature il suit très clairement qu’on ne peut parler de miracle que par rapport aux opinions des hommes. Il ne s’agit donc pas d’une notion objective, mais seulement d’une notion subjective. Ils sont incapables de comprendre les choses, c’est à dire de les rapporter aux principes d’explication que fait connaître la lumière naturelle. Ils ne savent pas rapporter les phénomènes aux lois de la nature. A cet égard on trouve un peu plus loin, dans le même chapitre, l’idée que le miracle est un ouvrage de la nature qui passe la compréhension humaine ou est cru la passer. En tant qu’ouvrage de la nature ce qui paraît se soustraire à ses lois ordinaires n’est pourtant susceptible d’être soumis à rien d’autre qu’à elles. C’est d’ailleurs faire beaucoup d’honneur aux hommes que de dire qu’ils ne savent pas interpréter les phénomènes par les lois de la nature. Car ceux-là même qu’ils interprètent, ceux qui ne les étonnent pas, ils ne les rapportent pas à celles-ci, mais ils procèdent seulement à leur égard par rapprochement avec ce qu’ils ont l’habitude de voir. Leur démarche n’est pas scientifique, elle est seulement empirique. Ce qu’ils croient expliquer, mais qu’ils n’expliquent en réalité d’aucune manière, c’est ce qu’ils voient sans surprise. C’est au contraire ce qu’ils voient avec surprise qu’ils appellent un miracle. Mais quoi qu’il en soit des sujets qui étonnent le vulgaire et de ceux qui ne l’étonnent pas, quiconque voit les choses selon les lois de la nature peut expliquer ce que d’autres tiennent pour miraculeux. On a déjà vu dans le chapitre 2 l’auteur donner une explication des prétendus miracles de Josué et de Isaïe. Les lois de la nature permettent de dire que si le jour a paru au premier plus long qu’il n’aurait dû être, ce n’est pas parce que le soleil était arrêté dans sa course, ni même parce que la terre l’était dans sa rotation. L’une et l’autre chose sont également impossibles. La lueur du jour s’est maintenue tardivement parce que suspendus dans l’air les grêlons, dont le texte parle au verset précédent, réfractaient la lumière solaire. Les lois de la nature permettent encore de dire que si l’ombre a reculé sur le cadran solaire du roi Achaz, ce n’est pas parce que le soleil a rétrogradé dans sa course ni la terre tourné en sens inverse de sa rotation normale. L’une et l’autre choses sont également impossibles. L’ombre s’est déplacée parce qu’il y a eu un phénomène de parhélie : le soleil apparent semblait occuper dans le ciel une place autre que celle qu’il occupait en réalité et qu’il ne pouvait pas ne pas occuper.<br /> <br /> La conclusion de toute cette thèse fondamentale du chapitre 6 est formulée énergiquement dans l’énoncé de la seconde environ une page plus bas : &quot; Tant s’en faut que les miracles nous montrent l’existence de Dieu, au contraire ils nous en feraient douter &quot;. Les théologiens font des miracles un signe par lequel se manifeste Dieu. Ils dénoncent violemment celui qui ne se laisse pas abuser, parce qu’il nourrirait l’incroyance. Mais c’est tout le contraire de ce qu’ils prétendent. Celui qui réfléchit à l’ordre de la nature, et particulièrement celui qui y réfléchit sur la base des travaux de Galilée, ne peut concevoir qu’il y ait des exceptions à cet ordre. Il s’agit de la loi de la chute des corps, du principe de l’inertie et du système copernicien en tant qu’expressions d’un rapport fixe et immuable davantage que du système copernicien en tant que système de représentation du monde adoptant un point de référence plutôt qu’un autre. Si la notion de Dieu a un sens elle ne peut désigner quoi que ce soit au-delà de cet ordre naturel, ni en deçà de lui. Elle ne peut désigner ni un despote qui décrète arbitrairement cet ordre plutôt qu’un autre, ni un fantoche qui lui est soumis. Le Dieu qui fait des miracles n’est en effet qu’un Dieu anthropomorphe, un Dieu conçu sur le modèle du charlatan qui fait de temps à autre un tour pour épater les gogos et sauver sa réputation illusoire de puissance. Croire aux miracles serait admettre que l’ordre de la nature n’est pas l’ordre de la nature. L’auteur est donc bien en droit d’écrire en conclusion du deuxième point de ce chapitre: &quot; la foi au miracle nous ferait douter de tout et nous conduirait à l’athéisme &quot;. Celui-ci doit être conçu comme l’adhésion à l’idée qu’il n’y a dans la nature aucun ordre, d’où il découle que tout se vaut et que tout est permis. C’est cette accusation dont il doit se garder comme de la peste. Il fait ici plus fort : sa doctrine est donnée pour le meilleur rempart contre l’athéisme.<br /> <br /> La philosophie la plus rigoureuse sur le plan moral n’est donc pas celle qui soumet les hommes à la crainte d’un être transcendant. C’est au contraire celle qui identifie Dieu à la nature. <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin|Le commandement divin]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/La vraie foi|La vraie foi]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Le_commandement_divin Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin 2018-10-31T18:58:51Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 4 | 4= Le commandement divin }} {{Bloc emphas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 4<br /> | 4= Le commandement divin<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 4<br /> <br /> (...) Ce qu’il faut admettre au sujet de la première question se déduit facilement de la nature de la volonté de Dieu, qui ne se distingue de l’entendement divin que relativement à notre raison, c’est-à-dire que la volonté de Dieu et son entendement sont en réalité une seule et même chose et ne se distinguent que relativement aux pensées que nous formons au sujet de l’entendement divin. Par exemple, quand nous avons égard seulement à ce que la nature du triangle est contenue de toute éternité dans la nature de Dieu comme une vérité éternelle, alors nous disons que Dieu a l’idée du triangle, ou conçoit par l’entendement la nature du triangle. Quand ensuite nous avons égard à ce que la nature du triangle est contenue dans la nature de Dieu par la seule nécessité de cette nature et non par la nécessité de l’essence et de la nature du triangle, et même que la nécessité de l’essence et des propriétés du triangle, en tant que conçues comme vérités éternelles, dépend de la seule nécessité de la nature divine et de l’entendement divin, non de la nature du triangle, alors nous appelons volonté ou décret de Dieu cela même que précédemment nous avons appelé entendement de Dieu. Ainsi, relativement à Dieu, c’est tout un de dire que Dieu a de toute éternité voulu et décrété que les trois angles d’un triangle fussent égaux à deux droits, ou que Dieu a conçu cette vérité par son entendement. <br /> <br /> Il suit de là que les affirmations et les négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle. Si donc par exemple Dieu a dit à Adam : je ne veux pas que tu manges le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, il impliquerait contradiction qu’Adam pût en manger, et il serait par suite impossible qu’Adam en mangeât. Puisque cependant l’Écriture raconte que Dieu l’a interdit à Adam et que néanmoins Adam en a mangé, on devra dire nécessairement que Dieu a révélé à Adam le mal qui serait pour lui la conséquence nécessaire de cette manducation, mais non la nécessité de la conséquence de ce mal. Par là il arriva qu’Adam a perçu cette révélation non comme une vérité éternelle et nécessaire, mais comme une loi, c’est-à-dire comme une règle instituant qu’un certain profit ou un dommage sera la conséquence d’une certaine action, non par une nécessité inhérente à la nature même de l’action, mais en vertu du bon plaisir et du commandement absolu d’un prince. Ainsi, pour Adam seulement et par suite de son défaut de connaissance, cette révélation devint une loi et Dieu se posa en législateur et en prince. <br /> <br /> Pour cette même cause et par suite d’un défaut de connaissance, le Décalogue fut une loi pour les Hébreux seulement ; ne connaissant pas en effet l’existence de Dieu comme une vérité éternelle, cela même qui leur fut révélé dans le Décalogue, à savoir que Dieu existe et doit seul être adoré, ils durent le percevoir comme une loi ; si Dieu leur avait parlé immédiatement sans user d’intermédiaires corporels d’aucune sorte, ils ne l’eussent pas perçu comme une loi, mais comme une vérité éternelle. Ce que nous disons d’Adam et des Israélites, on doit le dire aussi de tous les Prophètes qui ont écrit des lois au nom de Dieu ; ils n’ont pas perçu les décrets de Dieu adéquatement, comme on perçoit des vérités éternelles. Il faut dire par exemple de Moïse aussi qu’il a perçu par une révélation, ou tiré des principes à lui révélés, la façon dont le peuple d’Israël pouvait le mieux s’unir dans une certaine région du monde et former une société nouvelle, autrement dit constituer un État ; de même la façon dont ce peuple pouvait le mieux être contraint à l’obéissance. Il n’a pas perçu en revanche et aucune révélation ne lui a fait connaître que cette façon fut la meilleure, il n’a pas su davantage que, par l’obéissance commune du peuple réuni dans telle région, le but que visaient les Israélites serait nécessairement atteint. Il n’a donc pas perçu toutes ces choses comme des vérités éternelles, mais comme des choses commandées et instituées et les a prescrites comme des lois voulues par Dieu. De là vint qu’on se représenta Dieu comme un régulateur, un législateur, un roi, alors que tous ces attributs appartiennent à la nature humaine seulement et doivent être entièrement écartés de celle de Dieu.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> '''Le commandement divin'''<br /> <br /> On dit en parlant des dix commandements, et plus largement de toutes les obligations auxquelles les Juifs sont soumis par la Torah (Exode, Lévitique et Deutéronome en particulier), que c’est la Loi de Dieu, la loi divine. Et certes on entend par là généralement que Dieu, agissant comme le fait un monarque, a dicté aux hommes ses volontés. Cette manière de s’exprimer est évidemment anthropomorphique. Il convient donc de déterminer dans quelle mesure on peut légitimement dire que Dieu est législateur. La réponse est que ça ne peut pas être affirmé proprement, mais que ce n’est qu’une manière de parler et que celle-ci est relative à l’incapacité des Juifs (y compris Moïse) d’avoir de Dieu une idée adéquate. Dieu n’est législateur, dans un sens où il serait comparable à un roi, que dans l’imagination des prophètes. Ce qui est essentiel à ce sujet dans le chapitre 4 est développé au premier point de la démonstration : &quot; si par la Lumière naturelle nous pouvons concevoir Dieu comme un législateur ou un prince prescrivant des lois aux hommes &quot;. Le mouvement des idées en est d’une grande simplicité. Ce passage affirme (il ne le démontre pas, mais cela n’est pas nécessaire, puisque l’idée appartient aux théologiens) qu’en Dieu l’entendement et la volonté ne sont qu’une seule et même chose. Dire que Dieu conçoit une certaine chose c’est dire qu’il la veut. Au-delà de l’énonciation de ce principe, il y a des exemples de son application: 1° ce n’est pas en roi que Dieu interdit à Adam de manger le fruit de l’arbre de la science ; 2° ce n’est pas en roi que Dieu dicte le Décalogue aux Israélites ou la loi à Moïse. Par contre c’est en tant que tel qu’ils le perçoivent. La suite (p. 97) place Jésus en dehors du rang des prophètes et en fait la bouche même de Dieu : on ne peut donc dire que Dieu lui apparaît comme un roi. Les applications données ici, loin d’être quelconques, concernent les plus fondamentales des lois divines, et il faut comprendre que ce passage, fidèle à l’esprit du chapitre 2, vise à se mettre au diapason des théologiens tout en ne dérogeant en rien à la philosophie de l’auteur et en rejetant ce qu’il appelle les superstitions.<br /> <br /> C’est dans la première partie de l’[[E1P17S|Éthique, proposition XVII, scolie]], qu’est discuté ce qu’on peut appeler entendement et volonté chez Dieu. Afin de bien apprécier cette discussion il faut avoir en vue que l’auteur n’y livre en aucune manière le fond de sa pensée. Celui-ci est que ni l’entendement ni la volonté ne peuvent proprement être dits appartenir à Dieu. Mais il se contente de se ranger avec les théologiens, avec Maïmonide et avec Descartes contre ceux, que rejoindra Leibniz, qui séparent en Dieu entendement et volonté, comme ils sont séparés en l’homme. Il se donne ce point d’appui afin de lutter contre l’anthropomorphisme. Et c’est aussi tout ce qu’il cherche dans ce chapitre du TTP : montrer que Dieu n’est pas avec la loi divine dans le rapport où un roi est avec ses décrets. Mais admettre que l’entendement et la volonté de Dieu sont une seule et même chose n’est pas encore dire que ces mots n’ont aucun sens relativement à Dieu. Or si Maïmonide et les théologiens admettent que l’entendement et la volonté de Dieu sont une seule et même chose, à la fois ils ruinent l’analogie anthropomorphique de Dieu avec l’homme et ils la supposent. Pourquoi cette position, qui manque de rigueur ? Afin de reconnaître à Dieu la création et le choix, dont il suit que sa nature est impénétrable.<br /> <br /> Spinoza n’est pas plus d’accord, au fond, avec Maïmonide et Descartes qu’avec les prédécesseurs de Leibniz, théologiens inspirés de la tradition hellénique plus que par la tradition juive. A ces derniers il n’accorde certes pas que le décret de Dieu soit contraint par la nature des choses, mais il n’accorde pas non plus aux premiers que le décret de Dieu pourrait être autre (choix et création). En Dieu l’entendement et la volonté ne sont pas seulement autres qu’en l’homme, ils n’existent pas. D’ailleurs ce passage du chapitre 4 du TTP ne dit nullement que Dieu veuille librement (ce qui pourrait être spinoziste, mais n’en serait pas moins équivoque), il dit que &quot; les affirmations et les négations de Dieu &quot;, qui de ce fait ne sont rien moins que des choix, &quot; enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle &quot;. Dieu est donc libre au sens où il est causa sui, mais ça n’a rien à voir avec le libre arbitre. La loi divine n’est donc pas un décret royal, ce qui impliquerait un arbitraire, l’intervention d’un libre arbitre ; elle enveloppe une nécessité, c’est une vérité éternelle. On ne sera pas surpris que ni Adam ni même Moïse n’aient été capables de se représenter cela.<br /> <br /> La réponse qu’on peut légitimement apporter à la question de savoir si Dieu est proprement législateur se déduit facilement de ce qu’on vient de dire : il faut certes être d’accord sur la nature de la volonté divine. Or précisément Spinoza ne conteste pas ce que disent de celle-ci les théologiens. La formule est prudente puisqu’elle ne concerne pas directement la nature de Dieu. Mais il n’a aucune raison de multiplier ses ennuis lorsque ce n’est pas absolument indispensable. Or il ne lui est pas ici absolument indispensable de faire la clarté sur la nature de Dieu pour savoir s’il est législateur ou non. Il lui suffit d’établir que son entendement et sa volonté ne sont pas les nôtres, ce que les théologiens conçoivent eux-mêmes, du moins lorsqu’ils s’inscrivent dans la lignée de Maïmonide et de Descartes. Il distingue entre ses adversaires. Il y a ceux qui s’éloignent tellement de la vérité qu’il ne peut en aucun cas être d’accord avec eux, et il y a ceux qui ont au moins le mérite de ne pas dire que des choses fausses. Il s’appuie sur les seconds pour combattre les premiers. Mais le tour de ceux-là viendra aussi. Leur compte sera réglé quand il le faudra.<br /> <br /> Il s’en tiendra donc ici à combattre l’anthropomorphisme le plus grossier, celui qui attribue à Dieu un entendement et une volonté séparés l’un de l’autre. Cette distinction, dit-il, n’a de sens que relativement à notre raison (''respectu nostrae rationis'') et non pas en réalité (in se revera), c’est à dire relativement à Dieu (''respectu Dei''). Cette subtilité est tout à fait scolastique, elle n’est pas de son invention. C’est l’habitude de l’École en effet de reconnaître deux sortes de distinctions. Il y a d’une part des choses qui ne sont distinguées que par abstraction, distinguées par la raison, l’École les dit ''rationaliter distincta'' ; et il y a d’autre part des choses qui sont effectivement distinctes, distinguées dans la réalité, l’École les dit ''realiter distincta''. En employant ce langage on est sûr au dix-septième siècle de se faire entendre. Par exemple entre la figure et la couleur d’un objet la distinction, que nous faisons pourtant très clairement et distinctement, n’est que rationnelle. La figure en effet ne saurait exister en réalité sans la couleur, ni la couleur sans la figure. Tandis qu’entre l’âme et le corps, selon la conception que s’en font Descartes et beaucoup d’autres, la distinction est réelle : ils croient en effet concevoir des âmes sans corps comme ils croient concevoir des corps sans âme (Méditations). Eh bien, la distinction entre l’entendement de Dieu et sa volonté, quoique certains la tiennent pour réelle, n’est elle non plus que rationnelle. Ce n’est pas parce que nous la comprenons qu’elle est réelle. Nous comprenons la distinction entre la figure et la couleur, et nous comprenons aussi qu’elle n’est pas réelle. Nous ne comprenons d’ailleurs la distinction entre l’entendement et la volonté de Dieu que par la projection sur Dieu de ce qui ne concerne que l’homme, c’est à dire que nous ne la comprenons qu’illusoirement, par la part d’anthropomorphisme qu’elle renferme.<br /> <br /> Assurément il peut être toujours commode de dire que Dieu pense le triangle et qu’il veut le triangle, alors que nous savons bien que cette distinction n’est qu’une abstraction. C’est la même chose que nous disons alors, mais en nous plaçant successivement à deux points de vue différents. Soit en effet nous nous proposons de faire entendre que la nature du triangle est une vérité éternelle, en ce sens que personne ne peut nier que la somme de ses angles soit égale à deux droits, et nous disons alors que le triangle est pensé par l’entendement de Dieu. Soit nous souhaitons faire entendre une proposition complètement différente, à savoir que si c’est une vérité éternelle ce n’est pas parce qu’il y a une vérité qui dépasse Dieu, mais parce que la vérité exprime l’essence de Dieu, et nous disons alors que le triangle est décrété par la volonté de Dieu. Mais il est clair que ce n’est qu’une distinction de raison et que ce que nous appelons la première fois l’entendement de Dieu et ce que nous appelons la seconde fois la volonté de Dieu sont en réalité, en Dieu, une seule et même chose. Notre raison est attentive à une chose puis à l’autre. Relativement à ce qui fait l’objet de notre attention la distinction est fondée. Mais relativement à ce qui constitue l’essence de la chose considérée, il n’en va pas de même. C’est pourquoi les choses ''rationaliter distincta'' ne sont pas nécessairement ''realiter distincta''.<br /> <br /> En énonçant la seconde proposition, complètement différente de la première, l’auteur a pris position dans un débat d’une très grande portée. Le lecteur s’aperçoit d’ailleurs que l’accord admis avec Maïmonide et avec Descartes était tout provisoire. Il ne s’agit plus ici de savoir ce que sont l’entendement et la volonté de Dieu, mais ce qu’est le rapport entre lui et les vérités éternelles. La proposition selon laquelle la somme des angles du triangle est nécessairement égale à deux droits est-elle une vérité éternelle en ce sens que cette nécessité découle de la nature de Dieu, ou bien parce que cette nécessité découle de la nature du triangle ? Contre ceux qui croient que Dieu doit reconnaître les vérités éternelles, Spinoza affirme avec Descartes que Dieu crée non seulement les existences, mais aussi les essences. Dans sa correspondance de l’année 1630 avec Mersenne (Lettres du 15/04, du 06/05 et du 27/05), Descartes expose très vigoureusement que Dieu ne saurait être asservi à des nécessités qui le dépasseraient. Il s’en prend très clairement à une conception d’inspiration hellénique, qui abaisse Dieu au niveau &quot; d’un Jupiter ou Saturne &quot;. Ces divinités en effet ne sont pas aussi dominatrices qu’une connaissance superficielle de la mythologie pourrait le laisser croire. Une étude plus approfondie des auteurs anciens nous apprend que Jupiter retarde autant qu’il le peut le duel entre Achille et Hector parce qu’il ne peut empêcher qu’Achille, son préféré, ne meure peu de temps après avoir tué Hector. Elle nous apprend qu’il ne peut empêcher que son fils Hercule ne soit contraint à des travaux impossibles. Autrement dit les olympiens sont soumis à des forces telles que le destin et la mort. Cela ne saurait être reconnu de Dieu. Jusqu’à ce point l’auteur peut être d’accord avec son illustre prédécesseur.<br /> <br /> Mais tandis que Descartes voit en Dieu un despote (il dit un roi, mais l’idée qu’il se fait de celui-ci est telle que, loin d’obéir à la loi, il est au-dessus d’elle ; Descartes ignore manifestement ou veut ignorer la philosophie politique, cf. les mêmes Lettres à Mersenne) qui décrète ce qui lui plaît, dans la mesure où la vérité du triangle n’appartient pas à son essence, et qui pourrait par conséquent aussi bien décréter le contraire, Spinoza s’oppose aussi à cette conception. Tant en parlant de l’entendement qu’en parlant de la volonté de Dieu, il écrit très précisément que la nature du triangle est contenue dans la nature de Dieu. Ainsi en même temps qu’il est faux de prétendre que Dieu serait soumis aux vérités éternelles, il est faux aussi de prétendre qu’il les peut changer ou qu’il eût pu les faire autres. Le rapport de Dieu aux vérités éternelles n’est pas celui d’un despote à ses décrets, il n’enferme aucun arbitraire. En fait, aussi longtemps qu’on ne se représente pas le Dieu substance de la philosophie spinoziste, on ne peut comprendre quel est son rapport aux vérités éternelles. Il est vrai que si l’on en avait, comme beaucoup, une représentation qui le fît transcendant, il ne resterait plus qu’à choisir entre l’absolument transcendant, qui le met dans son rapport aux lois à la place du despote, et le relativement transcendant, qui le soumet aux lois absolument transcendantes. Mais il est l’être lui-même, la substance, la nature, et c’est pourquoi les lois ne relèvent ni de son caprice ni d’un ordre qui le dépasse. Les lois ne sont rien d’autre que sa propre essence. Relativement à un entendement et à une volonté anthropomorphes cela est inintelligible, mais relativement à Dieu ce sont inversement l’entendement et la volonté qui sont choses inintelligibles.<br /> <br /> Quant à l’essence du triangle, si elle lie nécessairement la somme de ses angles à deux droits, ce n’est ni par l’arbitraire d’un Dieu despote, ni par l’arbitraire de quelque puissance despotique à laquelle le Dieu est soumis. Relativement à notre entendement tout se passe donc comme si, lorsque Dieu a décrété une telle relation, il était impossible qu’elle ne soit pas. Il en va de même évidemment de tout autre décret de Dieu. C’est en ce sens que l’on peut dire que les affirmations et négations de Dieu enveloppent toujours une nécessité, autrement dit une vérité éternelle. Ce que Dieu décrète ne peut pas ne pas être. Les vérités éternelles ne sont rien d’autre que sa nature. D’où l’emploi du verbe envelopper (''involvere'') et non de quelque autre verbe qui signifierait la causalité, la détermination, pour désigner le rapport de Dieu aux vérités. Mais ce n’est pas pour parler du triangle que l’auteur écrit ce chapitre : c’est pour parler de la façon dont s’exprime dans la nature la volonté de Dieu. Cependant ce n’était nullement une digression de considérer l’essence du triangle. Il fallait expliquer que la volonté de Dieu se manifeste non dans des phénomènes extraordinaires, anarchiques, anormaux, mais au contraire dans des lois régulières, dans les rapports nécessaires.<br /> <br /> Franchie cette étape de la démonstration, la voie est déblayée pour aborder comme il le faut l’expression de la loi divine dans les textes bibliques. Le premier exemple en est l’interdiction faite à Adam de manger le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal : Adam peut comprendre quel mal résultera pour lui de la consommation, mais non que ce mal en découlera nécessairement. Adam croit que ce mal est l’effet du bon plaisir d’un roi, non l’effet d’une nécessité inhérente à la nature même de son action. On retrouve ici ce qui a déjà été dit des prophètes : c’est à la mesure des capacités de leur entendement que leur sont dictées les vérités qui doivent leur être révélées. Ainsi doit être révélé à Adam le mal qui résulte pour lui du fait de manger du fruit défendu. Mais comme Adam ne peut concevoir quelle nécessité lie la consommation au mal, à ce rapport se substitue pour lui un autre rapport qui les lie par l’intermédiaire d’un commandement princier. Un tel principe exégétique est-il de nature à satisfaire les théologiens ? Il sauve la vérité de l’Écriture en la relativisant, en la mettant en rapport avec les capacités de ses rédacteurs. Par là il est évident que l’affirmation qu’elle est dictée par Dieu perd beaucoup de sa vigueur. L’Écriture est désacralisée. Les théologiens n’y trouvent pas leur compte.<br /> <br /> De même il est douteux qu’ils se satisfassent de l’interprétation du mythe adamique qui est donnée quelques pages plus loin relativement à la question de savoir ce qu’enseigne l’Écriture de la loi divine. Spinoza suit ici l’inclination qu’il condamne pourtant ailleurs d’une manière très générale, l’inclination à prendre pour allégorique le récit biblique. Ainsi cet arbre n’est pas un arbre, ce fruit n’est pas un fruit, ce serpent n’est pas un serpent. La science du bien et du mal serait la soumission à une volonté étrangère de celui qui ne se résout pas par lui-même à faire le bien, simplement parce qu’il est le bien, et qui ferait le mal s’il n’était contraint et forcé de faire le bien. Le sens de l’histoire d’Adam serait d’incliner les hommes à la sagesse, qui est la seule voie de la liberté, et de les détourner des calculs serviles qui soumettent le bien à l’intérêt. Je crains que les théologiens au contraire ne cherchent à obtenir l’obéissance des croyants à la loi que parce que cette loi est la volonté d’un despote, une volonté qui est inintelligible à eux. Tandis que l’auteur cherche à mettre en accord l’enseignement du Livre avec la raison, ce qui rend le Livre inutile aux sages, les théologiens développent un goût particulier pour les commandements absurdes, parce que ceux-ci seuls leur donnent du pouvoir.<br /> <br /> Le second exemple est celui du Décalogue et il permet de passer du cas particulier à la règle générale valable pour toute la loi divine telle qu’elle est rapportée dans l’ensemble de tout le texte sacré. Les Juifs de l’époque de Moïse n’avaient nullement assimilé le sens de l’histoire d’Adam. Et pour cause ! L’ensemble de la Torah date de ce temps et le récit de la Genèse comme celui de l’Exode ont longtemps (jusqu’au chapitre 8 du présent TTP) été attribués à Moïse lui-même. Les Juifs sont donc en ce temps-là incapables de sagesse, incapables de se conduire par la raison. Ils ne comprennent pas par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal, ils n’aspirent pas même à se déterminer librement. C’est pourquoi le Décalogue au lieu de leur apparaître comme l’expression de la raison leur apparaît comme une loi, c’est à dire comme un commandement dicté par la volonté d’un être supérieur, transcendant à eux. Mais le Décalogue n’est un décret que pour des gens incapables de se déterminer librement. Ceci ne veut pas dire que ceux qui sont capables de se déterminer librement n’ont que faire du Décalogue, mais qu’ils sont avec lui dans un rapport qui n’est pas celui de la loi, en tout cas pas celui de la loi conçue comme décret arbitraire du despote. C’est pour eux une vérité éternelle. C’est en effet une vérité éternelle que Dieu existe, c’est à dire que l’être est, c’est une vérité éternelle que lui seul doit être respecté, c’est à dire que l’idolâtrie est sacrilège, ou que le meurtre est sacrilège et... pour ma part c’est tout ce que je vois là de vérité éternelle. Si les Juifs avaient été capables de se représenter Dieu pour ce qu’il est, ils n’auraient pas eu besoin pour accéder à la connaissance du rapport nécessaire qui existe entre le vice et le malheur, qui est une vérité éternelle, de passer par l’intermédiaire de la loi.<br /> <br /> Mais en réalité les Juifs ne comprennent pas la nature de Dieu, ils ne la comprennent pas comme une vérité éternelle. C’est pourquoi ils conçoivent 1° comme une loi régalienne, 2° destinée à eux seuls, que Dieu existe et qu’il faut l’adorer. La connaissance de Dieu ayant été révélée à Moïse de la manière que l’on sait, par des tables gravées dans le marbre sur le mont Sinaï, les Juifs se sont non seulement imaginé que Dieu était guide, législateur, roi, miséricordieux et juste (autant d’attributs qui ne sont qu’anthropomorphiques), mais ils ont encore cru qu’il ne l’était que pour eux ! ! Or cela n’est pas vrai seulement du peuple juif, mais ça l’est aussi des prophètes et même de Moïse, dont l’auteur a montré dans le chapitre 2 qu’ils avaient, ce dernier comme les autres, sur Dieu des opinions très ordinaires. Aussi Moïse, les prophètes et le peuple juif ont-ils perçu comme l’objet d’une révélation, non comme une nécessité (c’est à dire une vérité éternelle) que le peuple juif devait former un État, qu’il le ferait sur la terre promise et avec telle législation. Il croit ces choses à lui spécialement prescrites par Dieu comme par des décrets royaux. C’est la seule signification qu’on puisse rationnellement donner à cette idée que le peuple juif est élu de Yahweh. Il n’y a donc pour l’auteur sur la surface de la terre aucun peuple privilégié dans ses rapports avec Dieu, il n’y a pour lui pas de peuple élu. Ceci ne peut bien évidemment que susciter la colère des théologiens juifs. Mais qu’en est-il de la réaction des théologiens chrétiens ? Elle ne peut pas être plus favorable, attendu que la notion même d’ancien Testament est celle d’une loi ancienne, qui tout en étant inférieure à la nouvelle est en tout état de cause bien préférable au paganisme qui prévalait dans le monde avant le christianisme.<br /> <br /> Aussi si la tentative du chapitre est bien celle de trouver avec les théologiens un terrain d’accord, elle paraît bien vaine. Même si l’auteur n’exprime pas toute sa pensée dans ce traité, ce qu’il en laisse apercevoir suffit amplement à fâcher ceux qui ne peuvent être que ses adversaires. Sa manière d’interpréter la loi est profondément hérétique. Elle ne l’est pas seulement parce qu’elle substitue à un commandement régalien une vérité éternelle, mais plus profondément parce que, ce faisant, elle change le rapport de Dieu lui-même à la loi divine. La loi n’est pas divine parce que Dieu la veut, mais on ne peut pas dire non plus que Dieu la veut parce qu’elle est divine. Ce n’est encore qu’une façon approximative et anthropomorphique de parler. Car au fond Dieu ne veut rien du tout, Dieu n’a pas de volonté. Ce qui se trouve par là bouleversé c’est le rapport des hommes eux-mêmes à la loi. En effet si la loi était la loi parce que Dieu la voulait telle, il s’ensuivrait que la loi serait inintelligible, que l’entendement humain ne pourrait pas la penser par ses propres moyens et qu’il lui faudrait nécessairement l’intermédiaire de la Révélation pour l’atteindre. La voie et la carrière seraient ainsi ouvertes à l’ambition des théologiens, gardiens de la Révélation, de régenter les conduites humaines. A l’inverse si la loi est la loi parce qu’elle est une vérité éternelle, il appartient à l’entendement humain de la penser, de la saisir par ses propres moyens. Cela met à la retraite d’office tous les théologiens du monde. En tout cas ça leur ôte toute légitimité à l’égard des hommes sages, de ceux qui sont capables de se servir de leur raison et de comprendre que la vertu est à elle-même sa propre récompense. Le débat sous-jacent à ce chapitre, dans lequel l’auteur oppose sa conception du rapport de Dieu avec la loi à la conception de Descartes, est donc un débat de longue portée. Il y a deux philosophies radicalement et diamétralement opposées. L’une ne reconnaît au-dessus de l’esprit aucune autorité; à vrai dire pour elle il n’y a pas d’autre Dieu que l’esprit. Cette philosophie est la philosophie libre. L’autre reconnaît au-dessus de l’esprit un Dieu qui peut faire que le blanc soit noir et le noir blanc ; elle soumet l’esprit à un souverain despote, et conséquemment elle se soumet elle-même à la théologie. Le choix de Spinoza est fermement en faveur de la première. <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse|L'exégèse]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/Les lois de la nature|Les lois de la nature]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/L%27ex%C3%A9g%C3%A8se Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse 2018-10-31T15:06:24Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 2 | 4= L'exégèse }} {{Bloc emphase| :'''Pas... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 2<br /> | 4= L'exégèse<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 2<br /> <br /> (...) Avec une surprenante précipitation tout le monde s’est persuadé que les Prophètes ont eu la science de tout ce que l’entendement humain peut saisir, et, bien que certains passages de l’Ecriture nous disent de la façon la plus claire que les Prophètes ont ignoré certaines choses, on aime mieux déclarer qu’on n’entend pas ces passages que d’accorder que les Prophètes aient ignoré quelque chose, ou bien l’on s’efforce de torturer le texte de l’Ecriture pour lui faire dire ce que manifestement il ne veut pas dire. Certes, si l’on use de pareille liberté, c’en est fait de toute l’Ecriture : nous essayerons vainement de démontrer quelque chose par l’Ecriture, si l’on se permet de ranger les textes les plus clairs au nombre des choses obscures et impénétrables, on de les interpréter à sa fantaisie. Rien par exemple de plus clair dans l’Ecriture que ce fait : Josué, et peut-être aussi l’auteur qui a écrit son histoire, a cru que le soleil se mouvait autour de la terre, que la terre était immobile et que le soleil s’est arrêté pendant quelque temps. Beaucoup cependant ne voulant pas accorder qu’il puisse y avoir aucun changement dans les cieux, expliquent ce passage de telle sorte qu’il semble ne rien dire de semblable ; d’autres, qui ont appris à philosopher plus correctement, connaissant que la terre se meut et que le soleil au contraire est immobile, font des efforts désespérés pour tirer cette vérité de l’Ecriture en dépit de ses réclamations manifestes. Je les admire en vérité. Je vous le demande : sommes-nous tenus de croire que Josué, un soldat, était versé dans l’Astronomie ? Qu’un miracle n’a pu lui être révélé, ou que la lumière du soleil n’a pu demeurer plus longtemps que de coutume au-dessus de l’horizon, sans que lui Josué connût, la cause de ce phénomène ? Pour ma part, l’une et l’autre interprétations me semblent ridicules ; j’aime donc mieux dire ouvertement que Josué a ignoré la vraie cause de cette prolongation de la lumière, qu’avec toute la foule présente il a cru que le soleil se mouvait autour de la terre et, ce jour-là, s’était arrêté quelque temps, et ne remarqua point que la grande quantité de glace alors en suspension dans l’air (voir Josué, chap. X, v.11) ou quelque autre cause semblable que nous ne recherchons pas ici, avait pu produire une réfraction inaccoutumée. De même le signe de la rétrogradation de l’ombre fut révélé à Isaïe par un moyen à sa portée, savoir par la rétrogradation du soleil ; car il croyait lui aussi que le soleil se meut et que la terre est immobile et n’eut jamais, même en songe, aucune idée des parhélies. Nous pouvons l’admettre sans aucun scrupule, car le signe pouvait réellement apparaître et être prédit au roi par Isaïe bien que le Prophète en ignorât la vraie cause. Il faut en dire autant de la construction de Salomon, si du moins elle fut révélée par Dieu ; autrement dit, toutes les mesures en furent révélées à Salomon par des moyens à sa portée et en rapport avec ses opinions, car n’étant pas tenus de croire que Salomon fût mathématicien, il nous est permis d’affirmer qu’il ignorait le rapport de la circonférence au diamètre du cercle et pensait avec la foule des ouvriers qu’ils sont l’un à l’autre comme 3 à 1 ; que si l’on peut dire que nous n’entendons pas le texte du livre I des Rois (chap. VII, v. 23), alors, en vérité je ne sais pas ce que nous pouvons connaître par l’Ecriture ; car la construction est simplement décrite en cet endroit et d’une façon purement historique. Si maintenant l’on croyait pouvoir supposer que l’Ecriture l’a entendu différemment, mais, pour quelque raison inconnue de nous, n’a pas voulu l’écrire comme elle l’entendait, alors il ne s’ensuit rien de moins qu’un renversement total de l’Ecriture ; car chacun pourra à aussi bon droit en dire autant de tous les passages de l’Ecriture et tout ce que la malice humaine peut inventer d’absurde et de mauvais, il sera permis dès lors de le soutenir et mettre en pratique sous le couvert de l’Ecriture. Ce que nous admettons ne contient d’ailleurs aucune impiété ; car Salomon, Isaïe, Josué, encore que Prophètes, furent des hommes, et l’on doit juger que rien d’humain ne leur fut étranger. Par un moyen à la portée de Noé il lui fut révélé que Dieu détruirait le genre humain. Noé croyait en effet que, hors la Palestine, le monde était inhabité. Et non seulement des choses de cette sorte, mais d’autres de plus d’importance, les Prophètes ont pu les ignorer, et les ont effectivement ignorées sans que la piété en souffrît, car ils n’ont rien enseigné de particulier sur les attributs de Dieu, mais ils avaient à son sujet des opinions tout à fait vulgaires, et les révélations qu’ils eurent sont en rapport avec ces opinions, comme je le montrerai bientôt par beaucoup de témoignages de l’Ecriture. On voit donc aisément que ce n’est pas à cause de l’élévation et de l’excellence de leur génie, mais pour leur piété et leur constance d’âme qu’ils sont loués et tenus en si haute estime.<br /> <br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> Le passage qu’on prend ici en considération établit une proposition décisive de l’exégèse spinoziste : l’Écriture ne contient aucune révélation sur les questions qui relèvent de la spéculation, car les prophètes partagent les préjugés communs aux hommes de leur époque, mais seulement sur les règles pratiques qui conduisent la vie des hommes. Les exemples qui sont donnés (Josué, Isaïe, Salomon) sont à la fois très opportunément choisis et très lumineux. Ils sont introduits par une brève remarque sur le postulat nécessaire au travail exégétique.<br /> <br /> L’exégèse est l’interprétation des textes, et singulièrement des textes bibliques. Ainsi dans beaucoup de cas des interprétations allégoriques en sont elles entreprises. Jésus lui-même expliquait certains passages de l’ancien Testament en leur donnant un sens nouveau. L’Évangile selon Luc, par exemple, le montre sur le chemin d’Emmaüs expliquant tout ce qui le concerne dans les propos de Moïse et ceux des prophètes (Luc XXIV, 27). Il découvre par là dans le texte ancien un sens nouveau, que personne évidemment ne pouvait avoir vu avant lui. Toutefois l’exégèse se porte souvent vers des textes soit anodins soit scandaleux. Elle a sa motivation dans le caractère prosaïque de nombreux passages, dont l’esprit religieux a du mal à accepter qu’ils veuillent dire la seule chose que pourtant ils disent. L’exégèse consiste à &quot; découvrir &quot; un second sens, un sens caché derrière leur sens littéral.<br /> <br /> Ce dont parle cependant ce chapitre est quelque peu différent. L’interprétation des textes vise à faire admettre que ceux-ci, parce qu’ils sont la parole divine, ne peuvent se tromper et que les prophètes dont les déclarations sont rapportées n’ont pu méconnaître ce que pourtant les sciences à leur époque n’avaient pas établi. On voit bien quel est l’enjeu de ces tentatives. Ou bien l’on refuse d’y trouver l’expression d’erreurs et de préjugés assurément humains et l’on refuse par conséquent que les textes ne veuillent dire que ce qu’ils disent. Ou bien l’on admet que les textes ne veulent dire que ce qu’ils disent et l’on y trouve évidemment quantités d’erreurs et de préjugés, qui ne peuvent être attribués sans blasphème à une inspiration divine. Il semble à de nombreux théologiens que la première solution soit seule susceptible de sauvegarder l’autorité des prophètes. Ce n’est pourtant pas l’avis de l’auteur.<br /> <br /> Celui-ci pose en effet une distinction que tous les autres, sans doute emportés par &quot; une surprenante précipitation &quot;, ont négligée. Il faut mettre d’un côté tout ce qui a rapport à la spéculation, c’est à dire à la connaissance, que ce soit celle des lois de la nature ou de l’esprit humain, lequel n’est lui-même qu’une partie de la nature, tout ce qui relève de la science. Il faut mettre de l’autre ce qui au contraire renvoie à la piété, c’est à dire à la moralité. Dans le premier domaine les prophètes ne peuvent rien nous dire, ils n’ont d’ailleurs rien à nous en dire, ils ne sont pas inspirés par Dieu. Ils partagent avec les autres hommes les opinions ordinaires de leur époque. Il est vain de vouloir ici se livrer à une interprétation qui leur prêterait des idées plus avancées. C’est en outre sans aucun intérêt, puisque par définition une telle interprétation ne serait possible qu’à celui qui disposerait par la science de la vérité ainsi cachée dans l’Écriture. Il aurait peut-être la satisfaction de trouver dans l’Écriture ce qu’il trouve dans la nature, mais ce n’est qu’en celle-ci et non en celle-là qu’il le découvrirait. Dans le second domaine au contraire se trouve l’intérêt de la prophétie, l’expression de commandements qui sont ceux de la foi, qui doivent régler la vie des hommes, qui leur sont inaccessibles par toute autre voie (à moins qu’ils ne soient des sages), et qu’ils ne respectent que parce qu’ils leur sont dictés par l’autorité divine (à moins encore qu’ils ne soient des sages). C’est là que les prophètes sont inspirés par Dieu. C’est là aussi que leur autorité a un grand rôle à jouer et qu’elle ne doit pas être sapée par des interprétations. Car si l’on s’autorise à faire dire aux Livres sacrés ce qu’ils ne veulent pas dire, il n’y a pas de limite entre le domaine de la spéculation et celui des commandements pratiques. S’il est légitime d’interpréter dans l’un, cela est légitime aussi dans l’autre.<br /> <br /> Il faut donc tenir fermement sur cette position qui consiste à dire qu’en aucun cas l’Écriture ne doit être interprétée, que les prophètes ont dit ce qu’ils ont dit, et n’ont rien dit d’autre, et que leur compétence (en quelque sorte) ne s’étend qu’aux lois de la piété. Il est évident cependant qu’on va devoir sur ce seul terrain se livrer à un gros travail d’éclaircissement afin de montrer que la piété ne commande pas toutes ces gesticulations et toutes ces incantations qu’on lui attribue ordinairement, qu’elle ne commande surtout pas d’égorger ceux qui n’ont pas les mêmes momeries et pitreries.<br /> <br /> En un temps où le bûcher menace encore les coperniciens, il y a évidemment quelque raison de prendre pour premier exemple Josué, puisque l’un des arguments que le tribunal de la Très Sainte Inquisition avait utilisés contre Galilée, dans le procès qu’elle lui avait intenté en 1633, était que sa théorie fût contradictoire avec le Livre de Josué. Son chapitre X rapporte en effet une grande bataille qui eut lieu à Gabaon, où Josué triompha des Amorrhéens.<br /> <br /> Il les attaque par surprise. Il les poursuit. Le ciel se met de la partie, puisqu’une averse de gros grêlons tue plus d’ennemis que les Juifs n’en tuent par l’épée (verset 11). Peut être va-t-il cependant s’en sauver quelques uns. &quot; Alors Josué parla à Yahweh, en ce jour où Yahweh livra l’Amorrhéen aux fils d’Israël; il dit en présence des fils d’Israël : Soleil arrête toi sur Gabaon, et toi, Lune, sur la vallée d’Ayalon ! Et le soleil et la lune s’arrêtèrent, jusqu’à ce que la nation se fut vengée de ses ennemis &quot; (versets 12-13). Jamais auparavant ni depuis il n’y eut de jour aussi long (verset 14).<br /> <br /> Ce récit est parfaitement clair et l’Inquisition avait raison de l’opposer à Galilée : il repose explicitement sur une vue assimilable à la conception ptoléméenne du monde, d’après laquelle la terre est au centre, tandis qu’autour d’elle sur des orbites plus ou moins éloignées tournent la lune, le soleil et des planètes, que d’ailleurs la Bible ne mentionne nulle part, comme le remarque le Florentin (cf. sa Lettre du 21/12/1613 à Benedetto Castelli). Ce récit en outre compare expressément le soleil à la lune, celui-là devant comme celle-ci stationner sur son orbite aussi longtemps que Josué en a besoin pour éclairer son massacre.<br /> <br /> Le chef des Juifs, tout successeur de Moïse qu’il soit, n’a nullement été averti par Dieu d’avoir à exposer le système copernicien. Il ne le connaît pas. Et ça n’a d’ailleurs aucune importance, l’objet de l’Ecriture n’étant pas de nous instruire dans les sciences. C’est ce que beaucoup comprennent mal. Ils ont d’ailleurs deux attitudes différentes en face de ce qu’ils croient être un problème. Les uns refusent d’admettre le prolongement du jour, lequel est apparemment miraculeux, et torturent le texte afin de lui faire dire qu’il n’y a rien eu de tel. Ils contestent qu’un fait historique puisse être ici rapporté et donnent du texte une interprétation qui en renverse le sens. Vraisemblablement faut-il voir dans ceux-ci des disciples de Maïmonide, qui s’autorisent comme lui des interprétations allégoriques à chaque fois que le texte leur paraît être en contradiction avec ce qu’exige la raison. Dans le Guide des égarés, II, 35, le philosophe juif estime en effet que le miracle n’a pas été vu de tout Israël et que cette journée ne fut pour ses participants que &quot; comme le plus long des jours d’été dans ces contrées &quot;. Toujours est-il que selon ces interprètes, et contrairement à ce que dit le texte, il ne se serait passé rien d’exceptionnel ce jour-là. Les autres au contraire ne contestent pas le caractère extraordinaire de l’événement, ils reconnaissent la valeur historique du texte, c’est en cela qu’ils philosophent plus droitement, mais ils tentent de l’intégrer dans une conception copernicienne. Ils ont adopté l’héliocentrisme (ils ne peuvent être que des contemporains de l’auteur) et ils voudraient que cette vérité fût reconnue de la Bible elle-même. Ils veulent bien que le jour se soit prolongé, mais ils ne veulent pas que Josué croie à la rotation du soleil autour de la terre. Ils essaient de faire dire à l’Ecriture que c’est la rotation de la terre sur elle-même qui s’est arrêtée. &quot; Je les admire en vérité &quot;, cela s’applique aux uns et aux autres : l’auteur plaisante de leurs vains efforts pour faire admettre que le Livre de Josué dit autre chose qu’il ne dit.<br /> <br /> Pourtant il serait beaucoup plus simple de reconnaître que Josué n’était rien d’autre qu’un soldat, qu’à ce titre rien ne lui donnait de lumière particulière en matière d’astronomie, et que par conséquent il n’avait sur ce sujet pas d’autres idées que celles de ses contemporains. Josué croyait que la terre était immobile et que le soleil tournait autour d’elle. C’est à partir de cette conviction qu’il exprime ce qui survient d’extraordinaire ce jour-là. Adhérant au géocentrisme d’autant plus étroitement qu’il ne pouvait imaginer autre chose, et voyant se prolonger le jour, il pense que le soleil s’est arrêté dans sa course et que l’astre de la nuit ne s’est substitué à lui qu’avec quelque retard. La véritable cause du phénomène, qui n’est miraculeux qu’en apparence, a fort bien pu lui échapper aussi bien qu’elle a échappé aux autres observateurs, qui ne sont pas plus météorologues qu’astronomes. A cet égard une supposition possible, quoique ce ne soit pas la seule et que rien ne la garantisse, est que la glace en suspension dans l’air réfléchit ou réfracte la lumière de l’astre déjà couché. Cette hypothèse ne conteste pas la valeur de témoignage qu’a le texte, mais elle vise à expliquer l’événement par une cause naturelle, la suspension des lois de la nature étant une chose absolument impossible, comme le montrera le chapitre 6. Elle a aussi l’avantage de se rapporter à ce qui est écrit (verset 11) de l’averse de grêle qui s’abattit sur les ennemis. Non seulement elle permet de ne pas sacrifier le texte au respect des lois de la nature, mais elle est attentive à tout ce qui est écrit.<br /> <br /> Le second exemple se rapporte au prophète Isaïe. Dans le Livre des Rois, II, chapitre XX, Isaïe après avoir annoncé au roi qu’il devait se préparer à mourir, &quot; Mets ta maison en ordre car tu vas mourir et ne vivras plus &quot;, sur ordre de Yahweh, &quot; Retourne dire à Ezéchias (...) dans trois jours tu monteras au temple de Yahweh &quot;, le guérit de sa maladie. Il rend 15 années de vie à Ezéchias: &quot; Et j’ajouterai quinze années à tes jours &quot; (versets 1-7). Celui-ci assurément ne demande pas mieux. Mais enfin il est un peu méfiant et il demande au prophète de faire un miracle pour lui prouver que sa prophétie est vraie: &quot; Quel sera le signe que Yahweh me guérira et que je monterai dans trois jours au temple ? &quot; Il demande un miracle, qui consistera en ce que le soleil devra revenir en arrière: &quot; Je veux que l’ombre revienne en arrière de dix degrés &quot; (versets 8-10). Le début de ce chapitre a montré que cette pratique est absolument constante dans l’Écriture et que le signe est une exigence qui naît de l’infériorité de la prophétie à l’égard de la connaissance naturelle, laquelle enveloppe sa certitude en elle-même. La prophétie ne l’enveloppe pas, elle ne lui est donc donnée que de l’extérieur, par un signe. Le signe que produit Isaïe est le recul de l’ombre du gnomon sur le cadran solaire (verset 11). Il faut être attentif à deux choses. La première est qu’Isaïe partage avec Ezéchias et avec tous les Juifs de l’époque la conception géocentrique du monde et que pour lui aussi le recul de l’ombre n’est miraculeux que parce qu’il croit que le soleil, responsable de cette ombre, tourne autour de la terre dans un certain sens : d’est en ouest. Que l’ombre recule sur le cadran solaire signifie à ses yeux que le soleil a inversé le sens de sa rotation. Mais certes ça ne peut pas être comme ça que s’explique en vérité le recul de l’ombre. Aussi la seconde chose qu’il faut remarquer est une explication du phénomène qui renvoie à des lois naturelles. La parhélie, dit le Robert, est l’&quot; image du soleil, dite aussi faux soleil, due au phénomène de réfraction qui produit en même temps le halo &quot;. Ainsi le soleil paraît-il occuper dans le ciel une place légèrement différente de celle qu’il occupe en réalité et cela peut effectivement expliquer que l’ombre occupe elle aussi sur le cadran une place légèrement différente de celle qu’elle devrait occuper. Je ne sais si le recours aux phénomènes météoriques paraîtra convaincant. Mais ce qui est certain c’est que, comme le dit l’auteur, le prophète n’en a jamais eu aucune idée même en songe !<br /> <br /> Le troisième exemple est donné par la construction d’un grand bassin dans le temple de Salomon. La référence est ici encore le Livre des Rois, I, chapitre VII, verset 23 : Salomon fait construire le temple et il y place, vraisemblablement pour laver le sol du sang des sacrifices, une représentation en bronze de la mer. &quot; Il fit également la mer en fonte de bronze : dix coudées de bord à bord, parfaitement circulaire, sa hauteur était de cinq coudées et une corde de trente coudées en mesurait le tour &quot;. C’est une cuvette de bronze destinée à être remplie d’eau. Le texte biblique est parfaitement clair, il n’est affecté d’aucune équivoque, il établit entre la circonférence (quinze mètres) et le diamètre (cinq mètres) un rapport de 3. Salomon ignore manifestement le nombre pi. Il était sage sans doute, mais nullement mathématicien. On peut admettre que Dieu a révélé à Salomon les dimensions du bassin et qu’il l’a fait par des moyens accessibles à l’esprit du roi, qui partageait l’estimation commune du rapport de la circonférence au diamètre. Dieu parle aux hommes le langage qu’ils peuvent entendre. S’il avait demandé à Salomon que le rapport fût égal à pi, il n’y aurait jamais eu de bassin dans son temple. Sans doute certains commentateurs seront choqués que la science de l’homme sage ne s’étendît pas jusque là. Mais ils auront tort de chercher à faire dire au Livre des Rois autre chose que ce qu’il dit très clairement.<br /> <br /> Il se peut que certains passages de la Bible soient obscurs et qu’on puisse s’interroger sur leur sens. Mais ce n’est le cas d’aucun de ceux qui sont cités dans ce passage du chapitre 2 du TTP. Ils sont limpides et univoques. C’est particulièrement évident de celui qui concerne le bassin du temple. Vouloir sauver la sagesse de Salomon en prétendant qu’il faut l’entendre autrement qu’il ne paraît c’est ouvrir la porte à la mauvaise foi. Or une fois celle-ci autorisée sur un tel point, rien ne peut plus l’empêcher de s’exercer sur n’importe quel autre. &quot; Il ne s’ensuit rien de moins qu’un renversement total de l’Écriture &quot;. Le renversement dont parle ici l’auteur est celui du message moral des textes bibliques. &quot; ''Quicquid absurdum et malum humana malitia excogitare potest'' &quot;, ce que la méchanceté des hommes pourra inventer de plus absurde et de plus mauvais se trouvera autorisé par l’Ecriture. Pourquoi se retiendrait-on de prétendre que le texte fourni par Moïse des dix commandements veut dire autre chose que ce qu’il dit ? Pourquoi se retiendrait-on d’en donner une interprétation allégorique qui n’interdît pas le meurtre, le vol et l’idolâtrie ? Au nom de quoi serait-il impossible de prétendre qu’en disant &quot;aimez-vous les uns les autres&quot; Jésus avait en réalité voulu dire tout à fait autre chose et que par conséquent il est tout à fait pieux de donner libre cours à la haine ? Il est à craindre assurément qu’on ne puisse faire appel à la seule raison des hommes et qu’en levant la barrière qui s’oppose à ces débordements on les rende possibles.<br /> <br /> Il faut donc maintenir comme le fait l’auteur, que le texte ne veut rien dire d’autre que ce qu’il dit. C’est là le principe premier de l’exégèse spinoziste. Certains la trouveront impie et voudront la condamner. C’est parce qu’ils considèrent, à tort, que les personnages cités sont divins et qu’ils aiment donc à leur attribuer une science infuse. Mais Josué, Isaïe et Salomon furent des hommes. On remarquera que l’auteur s’abstient de citer ici parmi les prophètes Moïse et Jésus, sur le compte desquels il soulèverait sans profit la polémique. Les chrétiens tiennent le second pour Dieu lui-même et les Juifs accordent au premier un statut tout spécial en lui reconnaissant un rapport unique avec Dieu. Mais rien ne s’oppose à ce que ceux qui sont cités soient reconnus ignares &quot; ''et nihil humani ab ipsis alienum'' &quot;. La justification est assez plaisante, car le vers latin de Térence qui est ici utilisé sert plus habituellement à justifier une connaissance qu’une méconnaissance. A eux donc Dieu parle avec des moyens tels qu’ils puissent l’entendre. C’est encore le cas avec Noé. L’exemple est ajouté ici comme celui d’un homme particulièrement fruste à qui il serait ridicule de supposer des connaissances qui le dépassaient manifestement. Il ne s’agit pas même d’astronomie ni de mathématiques, il ne s’agit que de géographie. Dieu lui dit : &quot; Je vais amener les eaux du déluge sur la terre, afin de détruire toute chair ayant souffle de vie sous le ciel. Tout ce qui est sur la terre périra &quot; (Genèse, VI, 17). Pourtant le déluge n’a pas inondé autre chose que la région où vivait le patriarche. Mais Noé dans sa simplicité ne croyait pas qu’il y eût d’autres pays que celui qu’il habitait. Il identifiait son pays et la terre. Dieu voulant lui annoncer l’inondation de la région lui déclare que la terre périra. Sans doute est-il complètement indifférent que Noé ne soit pas géographe, que Salomon ne soit pas mathématicien, etc.<br /> <br /> Mais il y a des questions sur lesquelles la même indifférence ne va pas de soi. Et c’est pourtant à elles que Spinoza veut en venir. Les auteurs des livres sacrés n’étaient pas philosophes et il y a des questions qui ne relèvent que de la philosophie sur lesquelles ils se sont pourtant prononcés. Si l’on croit que c’est la Révélation qui les a éclairés sur elles, il faut admettre qu’elle l’a fait par des moyens qui étaient à leur portée. Ainsi en va-t-il de ce qu’ils croient de Dieu. La nature de Dieu est une question qui relève de la philosophie et de rien d’autre. Ce que disent à son sujet les Écritures ne peut pas être pris au pied de la lettre. C’est à dire que ce ne peut être pris pour une vérité philosophique devant laquelle les philosophes doivent s’incliner. Il faut donc soit en rire, soit en donner une interprétation. Outre qu’il ne serait pas très charitable d’en rire, il vaut mieux l’éviter, puisque les hommes ne connaîtraient alors plus aucun frein. Une interprétation est alors nécessaire. Donc Spinoza se livre à une interprétation lui aussi, mais cette interprétation est tout à fait opposée à celle de Maïmonide, puisqu’elle attribue à la Révélation l’intelligence constatée de celui auquel elle s’adresse au lieu d’attribuer à celui auquel elle s’adresse l’intelligence supposée de la Révélation. Il s’agit de se dire non que le texte est tordu parce que celui qui l’énonce ne pouvait vraiment pas penser de telles naïvetés, mais que la Révélation est tordue, parce qu’il fallait qu’elle se fît entendre de quelqu’un qui était vraiment naïf !<br /> <br /> Ainsi fallait-il que la Révélation se fît entendre d’Adam, qui n’avait pas la moindre idée des attributs de Dieu, qui ignorait qu’il fût omniprésent et omniscient, et qui se le représentait comme un père. C’est d’ailleurs encore ainsi que se le représente Abraham : ce n’est pas étonnant puisque c’est le même Livre de la Genèse qui l’atteste. Il fallait encore que la Révélation se fît entendre à Moïse, qui pensait bien que Dieu était éternel (raison pour laquelle il le nomme Yahweh), tout-puissant, singulier et unique, ce qui certes est tout contraire à l’anthropomorphisme physique, mais aussi miséricordieux et bienveillant, ce qui n’est jamais que de l’anthropomorphisme moral. Il croyait même qu’il habitait les cieux et qu’il était plus aisément visible sur la montagne qu’en bas. L’idée que se fait Moïse de Dieu est quelquefois fort compliquée. Quoique Dieu n’ait pas physiquement la forme humaine, il est visible, mais quoiqu’il soit visible on ne peut voir sa face. D’où cet étrange passage d’Exode, XXXIII, 18-23, où à la demande du prophète Yahweh répond: &quot; Tu ne pourras voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre... Tu me verras de dos, mais ma face tu ne pourras la voir &quot;. Ce ne sont pas seulement des opinions vulgaires qu’on relève chez les prophètes concernant Dieu, mais des opinions contradictoires. Jérémie par exemple est convaincu que Dieu peut revenir sur sa parole, ce que Samuel tient pour absolument impossible. Jérémie croit que les hommes peuvent changer leurs mœurs et leur manière de vivre alors que Paul ne professe rien plus clairement que cette impossibilité. Etc., etc. Par là il est montré que les prophètes n’avaient au sujet de Dieu que des opinions tout à fait vulgaires, qu’on ne saurait tenir pour divines.<br /> <br /> La manière dont l’auteur s’y prend est tout à fait remarquable. Il ne conteste pas que les prophètes ont eu une Révélation. Mais il rappelle qu’ils ne sont que des hommes et que la Révélation par suite doit leur parler de manière telle qu’ils puissent la comprendre. C’est pourquoi à celui qui ne croit pas que Dieu soit omniscient et omniprésent il n’apparaît ni comme omniscient ni comme omniprésent ; tandis qu’à celui qui le croit tel il apparaît tel. Autrement dit ce n’est pas parce que Dieu est ceci ou cela que le prophète a la Révélation qu’il est ceci ou cela ; mais c’est parce que le prophète le croit ceci ou cela que la Révélation le lui laisse croire. Autrement dit encore la Révélation ne lui révèle... rien ! Plus exactement en ceci la Révélation ne lui révèle rien, elle n’y est pas engagée. [L'idée semble bien être dans l'air à la fin du dix-septième siècle. Lemaître de Sacy écrit dans sa préface au Livre des Rois (1674) : &quot; l’Écriture sainte diversifie en plusieurs manières ses instructions, pour les proportionner à l'intelligence, et même aux goûts différents, de l'esprit humain &quot; (Bouquins, Robert Laffont, 1990, p. L). En outre selon Philippe Sellier, dans sa préface à la traduction de Sacy, Pascal s'appuyant sur un verset d'Isaïe pense que l'action divine est cachée, discrète en chacune de ses manifestations et que chaque auteur humain a conservé sa personnalité, ses connaissances et ses lacunes, son univers daté, son langage (p. XVIII).]<br /> <br /> Spinoza reste pourtant fidèle à la définition qu’il a donnée de la prophétie. S’il n’y a pas de prophétie quant à la nature de Dieu, il y en a bien par ailleurs. Quoique Dieu n’ait révélé aux prophètes aucune connaissance certaine ni des mathématiques, ni de l’astronomie, ni même de la théologie, il leur en a donné pour ce qui concerne la conduite de la vie, laquelle seule constitue la fin et la substance de la Révélation. Dieu révèle au prophète une vérité par des moyens accessibles à l’imagination du prophète. Autrement dit les images contenant un enseignement moral n’ont en elles-mêmes aucune vérité. Pourtant ce sont ces images qui passent pour prophétie et non l’enseignement moral qu’elles emballent. Même si l’auteur ne voit pas comment ils sont parvenus aux préceptes qu’ils énoncent, il reconnaît leur piété et leur constance d’âme. Mais il est clair que la raison par laquelle il leur donne raison n’est pas qu’ils sont éclairés par la Révélation. Au contraire, c’est parce qu’il leur donne raison qu’il veut bien admettre qu’ils sont éclairés par la Révélation. Ce n’est pas parce que l’Écriture est divine qu’elle est vraie. C’est parce qu’elle est vraie qu’elle est divine. <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/La connaissance|La connaissance]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/Le commandement divin|Le commandement divin]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Comprendre_le_Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/La_connaissance Comprendre le Traité théologico-politique/La connaissance 2018-10-31T15:00:01Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Comprendre le Traité théologico-politique | 2= Yves Dorion | 3= étude du chapitre 1 | 4= La connaissance }} {{Bloc emphase| :''... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Comprendre le Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Yves Dorion<br /> | 3= étude du chapitre 1<br /> | 4= La connaissance<br /> }}<br /> <br /> {{Bloc emphase|<br /> :'''Passage étudié'''<br /> Chapitre 1<br /> <br /> Une Prophétie ou Révélation est la connaissance certaine, révélée aux hommes par Dieu, d’une chose quelconque. Quant au Prophète, c’est celui qui interprète les choses révélées par Dieu à d’autres personnes incapables d’en avoir une connaissance certaine, et ne pouvant par suite les saisir que par la foi seulement. Prophète en effet se dit chez les Hébreux nabi, c’est-à-dire orateur et interprète, et dans l’Ecriture s’emploie toujours pour interprète de Dieu, comme il ressort du chapitre VII, verset 1, de l’Exode, où Dieu dit à Moïse : Et voici que je te constitue Dieu de Pharaon et Aaron ton frère sera ton prophète, comme s’il disait puisque Aaron, interprétant à Pharaon ce que tu dis, joue le rôle de prophète, tu seras donc comme le Dieu de Pharaon, c’est-à-dire celui qui remplit le rôle de Dieu.<br /> <br /> Nous traiterons des Prophètes dans le chapitre suivant, ici de la Prophétie. Il suit de la définition que j’ai donnée, qu’on peut appeler Prophétie la connaissance naturelle. Car ce que nous connaissons par la lumière naturelle dépend de la seule connaissance de Dieu et de ses décrets éternels. Toutefois cette connaissance naturelle étant commune à tous les hommes, car elle dépend de principes communs à tous, le vulgaire toujours assoiffé de raretés et d’étrangetés, méprisant les dons naturels, n’en fait pas grand cas ; il entend donc l’exclure quand il parle de la connaissance prophétique. La naturelle n’en a pas moins tout autant de droit qu’une autre, quelle qu’elle soit, à s’appeler divine, puisque c’est la nature de Dieu en tant que nous en participons, et les décrets divins qui nous la dictent en quelque sorte. Elle diffère d’ailleurs de celle que tous nomment divine, en ce point seulement que cette dernière s’étend au delà des limites de la première et ne peut s’expliquer par les lois de la nature humaine considérée en elle-même ; mais à l’égard de la certitude qu’enveloppe la connaissance naturelle et de la source d’où elle découle (qui est Dieu), elle ne le cède aucunement à la prophétique. A moins qu’on ne veuille entendre ou plutôt rêver que les prophètes ont bien eu un corps d’homme, mais non une âme humaine et que, par suite, leurs sensations et leur conscience étaient d’une tout autre nature que les nôtres.<br /> <br /> Toute divine cependant qu’est la science naturelle, on ne peut nommer Prophètes ceux qui en sont les propagateurs. Car ce qu’ils enseignent, les autres hommes peuvent le percevoir et le saisir tout aussi bien qu’eux et avec une certitude égale, non par la foi seule.<br /> <br /> Puis donc que notre âme, par cela seul qu’elle contient objectivement la nature de Dieu et en participe, a le pouvoir de former certaines notions expliquant la nature des choses et enseignant l’usage de la vie, nous pouvons à juste titre admettre que la cause première de la révélation est la nature de l’âme conçue précisément comme capable de connaissance naturelle, car tout ce que nous connaissons clairement et distinctement, l’idée de Dieu (nous venons de l’indiquer) et la nature nous le dictent, non avec des paroles sans doute, mais en un mode l’emportant de beaucoup en excellence, et qui s’accorde très bien avec la nature de l’âme, comme l’a indubitablement éprouvé en lui-même quiconque a goûté la certitude de l’entendement.<br /> |bord=1px solid gray;|espacement=2em}} <br /> <br /> <br /> <br /> Le prophète étant communément reconnu comme le porte-parole de Dieu, il jouit d’une autorité qu’on ne saurait contester sans du même coup s’exposer à une condamnation de la part des autorités religieuses. On comprend que celui qui cherche à établir la liberté de pensée ait besoin d’examiner ce qu’est la prophétie et de savoir s’il lui est permis de penser autrement que le prophète. Au cas où vous penseriez par exemple que la terre tourne, auriez-vous le droit de le maintenir, alors que le prophète ou l’Écriture, le Livre de Josué en l’occurrence, dit le contraire ? Autrement dit il faut résoudre la question de savoir s’il y a au-dessus de la raison humaine une autorité qui puisse légitimement contraindre celle-ci à confesser ce qu’elle ne comprend pas, voire le contraire de ce qu’elle comprend.<br /> <br /> La question ne se pose pas aujourd’hui dans des termes très différents de ceux d’il y a trois siècles. Assurément trois cent cinquante ans après l’avoir condamné l’Église a admis qu’elle avait eu tort de réduire Galilée au silence. Mais il y a d’autres conflits de l’autorité religieuse avec la raison, dans lesquels elle n’a pas encore fait amende honorable. L’attitude libérale à l’égard des théories transformistes revient plus à quelques prélats éclairés qu’à l’institution ecclésiastique elle-même. Surtout, il y a un terrain sur lequel la sécularisation de la pensée est encore problématique, c’est celui de la morale. Les hommes de science, à commencer par Galilée (voir sa Lettre du 21/12/1613 à Benedetto Castelli), y concèdent trop facilement à l’Église le droit d’exercer sa férule. Aujourd’hui des représentants des Églises, des prêtres, des pasteurs, des rabbins et des mollahs, sont invités es qualités à soutenir leurs thèses dans des organes délibératifs dont l’objet est de légiférer sur les mœurs.<br /> <br /> Or c’est précisément ce que Spinoza ne veut pas. Il ne saurait reconnaître aucun partage des tâches entre la raison et la théologie, il ne peut admettre que la première doive être soumise à la seconde, même en un domaine limité. Au demeurant ce n’est pas un petit domaine que celui des mœurs. Lorsque le chapitre 15 établit que la théologie n’est pas la servante de la raison (est-ce vraiment là ce qui faisait question ?) et que la raison n’est pas la servante de la théologie, c’est l’autorité de la raison sur la question des mœurs, sur celle de la conduite des hommes dans leurs rapports entre eux, sur celle des lois de l’État, qu’il légitime. Le chef de l’État a-t-il le droit de se faire pratiquer une fellation par une secrétaire dans son bureau, voilà une question sur laquelle il appartient de décider à la raison et non aux ayatollahs (fussent-ils procureurs des États-Unis). L’auteur donne la réponse au chapitre 14. Le législateur a-t-il le droit d’établir par une loi positive que les citoyens peuvent avoir des relations sexuelles en dehors du mariage, qu’ils ne sont pas contraints de les nouer dans un seul sexe, qu’ils peuvent prendre des précautions contraceptives, etc. ? voilà une autre question sur laquelle il appartient à la raison et non aux ayatollahs (fussent-ils romains) de décider. La réponse est encore au chapitre 14. Sur les questions de morale la raison est tout autant souveraine que sur la connaissance des lois de la nature.<br /> <br /> Telle est la raison pour laquelle l’auteur discute de la prophétie. Son propos est d’établir qu’il n’y a aucune différence de dignité entre la prophétie ''stricto sensu'' et la connaissance naturelle. Or si cela suffit à empêcher que les éventuels conflits entre elles ne soient réglés à l’avantage de l’une ou de l’autre, ça ne suffit évidemment pas à les empêcher de surgir. C’est pourquoi il faudra montrer plus loin que la prophétie ''stricto sensu'' 1° ne s’exprime que sur les questions pratiques et nullement sur les questions spéculatives, et 2° y délivre un message qui converge avec celui de la raison. Ainsi les conflits ne naissent-ils que de la prétention des théologiens soit de légiférer dans les matières spéculatives, soit en matière pratique de s’écarter de l’enseignement des prophètes ou d’y rajouter des propositions de leur crû.<br /> <br /> C’est pour établir l’égale dignité de la connaissance naturelle avec la prophétie ''stricto sensu'' que Spinoza donne une définition très large de la prophétie (''lato sensu''). Certes si l’on n’y est pas très attentif celle-ci ne paraît pas être particulièrement large, mais plusieurs des termes qui la composent, si ce n’est tous sans exception, méritent un commentaire, à l’issue duquel ce qui est ajouté dans le second § apparaît plus comme un pléonasme que comme une conséquence. Il est vrai que celui qui n’est pas familier de l’''Éthique'' ne verra pas malice dans le premier § et en sera peut-être déçu. &quot; Une Prophétie ou Révélation est la connaissance certaine, révélée aux hommes par Dieu, d’une chose quelconque &quot;. Si c’était pour lire ça, pense le lecteur distrait, il me suffisait d’ouvrir le catéchisme !<br /> <br /> Pourtant le qualificatif, &quot; quelconque &quot;, doit le premier attirer l’attention. Selon les dictionnaires, les prophéties se rapportent à l’avenir ou du moins à des vérités cachées, c’est à dire inaccessibles aux moyens naturels de la connaissance. Elles n’énoncent la volonté de Dieu que relativement à ce qui n’est pas inscrit dans le cours ordinaire des choses. Faut-il une prophétie pour annoncer une saison, par exemple le printemps après l’hiver ? ou le retour du premier croissant après la disparition de la lune dans les ciels nocturnes ? ou même une éclipse ? On ne reconnaît ordinairement de prophétie que relativement à ce que les voies de la connaissance naturelle ne permettent pas d’annoncer. La prophétie n’a d’intérêt que lorsque toute autre voie de connaissance est exclue. Ainsi la vérité à laquelle elle permet d’accéder est-elle par définition une vérité cachée. La variante de vérité cachée qui peut provoquer le mieux l’admiration des foules est l’avenir, d’une part parce qu’il ne suffit pas d’aller pousser sa curiosité dans les petits coins sombres pour la rencontrer, et d’autre part parce que chacun verra bien demain si le propos formulé aujourd’hui est vrai. L’avenir a ce double avantage qu’il n’est pas à la portée du premier venu de le prophétiser et qu’il est à la portée du premier venu d’en vérifier la prophétie. C’est pourquoi en faisant de la prophétie la connaissance d’une chose quelconque l’auteur donne une définition qui l’écarte de ce qui est fait pour épater les gogos, voire qui l’y oppose totalement.<br /> <br /> Deuxièmement cette connaissance est dite certaine. Toute connaissance assurément n’est pas certaine. Le ''Traité de la réforme de l’entendement'', puis l’''Éthique'' II, ont distingué une connaissance du premier genre, connaissance ''ex auditu'' ou ''ab experientia vaga'', qui ne saurait aucunement atteindre la certitude, de la connaissance démonstrative (du second genre) et de l’intuition (du troisième genre), ces deux dernières seules autorisant une certitude. Si la prophétie est la connaissance d’une chose quelconque, elle n’en est pas la connaissance quelconque : il ne suffit pas de se faire d’une chose quelconque une idée confuse, une idée obtenue par ouï-dire ou par expérience vague, pour prophétiser. Ceux qui vaticinent sur un tel fondement sont de faux prophètes, si sensationnelles que soient leurs prédictions. Par contre ceux qui sont accoutumés à se servir de leur raison, tant dans la connaissance de la nature que dans celle des conduites humaines atteignent fort bien par cette voie les mêmes vérités que les premiers ont besoin qu’on leur assène autoritairement. Il apparaît donc que si la prophétie ''lato sensu'' implique la connaissance naturelle aussi bien de la nature que des conduites humaines, la prophétie ''stricto sensu'' n’est destinée qu’à maintenir dans le droit chemin ceux qui sont incapables de se servir de leur raison pour déterminer l’usage qu’ils doivent faire de leur vie. Le rôle de la prophétie étant civique, c’est l’État qui doit avoir autorité en matière théologique.<br /> <br /> Troisièmement la révélation est le fait de Dieu. Cela pourrait paraître contradictoire avec ce qui précède, dans la mesure où le mot semble indiquer une voie surnaturelle. Si l’on se demande ce qui fait indiquer à l’auteur une telle voie, on pourrait être tenté de ne voir dans cette affirmation qu’une concession regrettable, voire une honteuse dissimulation. Mais c’est impossible de sa part : mensonges ou compromis sont inconnus de lui. Il est la franchise et la sérénité incarnées ! Mais de la même manière que le géomètre entend par cercle autre chose que le commun des hommes, qui n’y voient que de la rondeur, le philosophe entend par Dieu autre chose non seulement que ce que dicte l’anthropomorphisme vulgaire, mais autre chose aussi que ce que veulent les théologiens, dont la doctrine, pour être moins vulgaire, n’est cependant qu’à peine moins anthropomorphique. L’''Éthique'' I montre que Dieu n’est pas transcendant, que c’est l’être même, la nature. Dire que la prophétie est une connaissance révélée aux hommes par Dieu, c’est dire que la prophétie est une connaissance qui, sans être donnée toujours par la voie de la raison, est pourtant une connaissance naturelle. Dans l’''Éthique'' II on apprend que la connaissance est l’expression de l’étendue dans la pensée. La connaissance certaine en est en outre l’expression adéquate. La connaissance prophétique ''stricto sensu'' est donc nécessairement un certain rapport avec l’être.<br /> <br /> Il n’est pas indifférent que l’auteur puisse appuyer sa définition sur l’Écriture elle-même, et sur un livre qui n’est pas vraiment quelconque, puisqu’il s’agit de l’un de ceux qui autrefois (jusqu’à la rédaction du chapitre 8 du présent TTP, cf. par exemple Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, 1681) étaient attribués à Moïse lui-même. Cette citation de l’Exode a la particularité d’être métaphorique. Elle règle par une image les rapports qui doivent exister entre le roi des Egyptiens et le chef des Juifs qui sont en captivité chez lui. Moïse tient au pharaon des propos qui ont l’inconvénient d’être inintelligibles. Qu’à cela ne tienne ! Aaron se fera le truchement de son frère auprès du souverain et traduira pour celui-ci en langage intelligible ce que dit celui-là. Il apparaît par cette comparaison d’Aaron avec le prophète que le rôle de la prophétie est d’être une traduction, une interprétation. Elle fait passer un énoncé d’un langage dans un autre, en l’occurrence elle rend une pensée accessible à celui qui n’use pas de sa raison. Mais elle montre aussi ce qu’est le prophète : il n’est qu’un truchement. Lui-même n’est pas un sage, il est seulement inspiré. Aaron en effet ne comprend rien, sans Moïse il est incapable de rien concevoir, il n’est que la bouche par laquelle s’exprime Moïse. Quant à celui-ci la métaphore le tient très manifestement pour Dieu. Il est celui qui révèle, il est la source de la révélation. Autrement dit il est l’être lui-même. C’est donc une place absolument extraordinaire que l’Exode accorde à Moïse, une place qu’aucun autre texte biblique n’accorde à aucun autre prophète. Les commentateurs juifs reconnaissent à Moïse un rapport à Dieu très supérieur à celui des autres prophètes. De fait, Spinoza admet aussi que Moïse se fait de Dieu une idée moins anthropomorphique que ses successeurs. Quoi qu’il en soit de cette distinction, il n’en demeure pas moins que les uns et les autres sont nommés en hébreu &quot; nabi &quot;. Prophète en effet est un mot grec, qui a d’ailleurs le même sens d’interprète d’un dieu. Ils sont seulement une bouche, par laquelle s’exprime le dieu qu’ils servent. Ils n’inventent rien, ils ne conçoivent rien par eux-mêmes, ils ne sont pas capables de justifier ce qu’ils disent. Aaron est si peu capable de justifier ce qu’il tient de son frère, qu’en l’absence de celui-ci il ne voit aucun mal à adorer le veau d’or !<br /> <br /> L’auteur présente comme une suite de sa définition qu’il est possible et légitime d’appeler prophétie la connaissance naturelle. Mais on peut se demander si la définition avait un autre objet que d’autoriser cette conséquence. Il est vrai que si la connaissance naturelle est prophétique, la prophétie ''stricto sensu'' n’est pas pour autant une connaissance naturelle. Cependant, on l’a remarqué ci-dessus, le conflit qui pourrait survenir entre les deux s’en trouve placé dans un cadre qui exclut l’hégémonie de la théologie. Il y a bien en effet dans le second § de ce premier chapitre un plaidoyer pour la reconnaissance des droits de la raison. Cette philosophie est rationaliste. Il n’y a pour elle aucune raison que la raison puisse ignorer. Ce n’est pas seulement à Pascal qu’elle s’oppose. Elle l’ignore vraisemblablement (la publication des Pensées est contemporaine de celle du TTP). C’est surtout à la théologie. Spinoza n’est pas de ceux qui sont prêts à admettre qu’il y ait un ordre de phénomènes qui échapperait à la raison, qu’il y aurait des objets que la raison ne pourrait pas connaître, et que par conséquent une autre voie de connaissance, supérieure à la raison s’imposerait lorsqu’on les vise. Il n’y a pour lui rien qui soit mystérieux, rien qui soit inintelligible, parce que rien n’est transcendant. La transcendance n’a pas de sens. Aussi est-il irréductiblement un adversaire de Maïmonide qui admet (cf. infra ''Guide des égarés'', I, 31) qu’il y a des objets qui sont aussi peu à la portée de l’intelligence de l’homme que certains autres le sont à sa vue. Évidemment c’est principalement de Dieu qu’il peut être question. Si Dieu est transcendant alors effectivement il est inconnaissable, sinon par analogie et impensable sinon par déduction. La conséquence nécessaire de telles prémisses est qu’il revient à la révélation ''stricto sensu'' de parler de Dieu et de parler en son nom, en particulier afin de fixer aux hommes des règles de vie. Mais évoquer un tel Dieu, c’est énoncer des propos vides de sens. Au contraire si l’on veut que les mots soient autre chose qu’un souffle d’air fétide, il faut reconnaître que Dieu n’est pas transcendant, mais immanent, que la pensée et l’étendue sont les deux manières différentes de percevoir un être qui est unique, que par conséquent rien de ce qui est ne saurait échapper à la raison. Dieu n’est ni impensable, ni inconnaissable, il est l’intelligibilité même. Évidemment un tel principe a tout pour déplaire aux amateurs de mystère, à ceux qui fondent leur pouvoir sur l’obscurité.<br /> <br /> L’affirmation que la connaissance naturelle est aussi une prophétie (''lato sensu'') n’est donc pas seulement une manœuvre tactique, qui jouerait un rôle seulement dans une polémique contre la théologie, et qu’on pourrait oublier immédiatement après. C’est au contraire un principe stratégique de la philosophie spinoziste. C’est la reconnaissance de la puissance de la raison. &quot; Ce que nous connaissons par la connaissance naturelle dépend de la seule connaissance de Dieu et de ses décrets éternels &quot;. Il n’existe rien d’autre que Dieu et par conséquent la connaissance de quel objet que ce soit passe nécessairement par la connaissance de Dieu, en qui est tout objet. Il ne suffit pourtant pas de penser adéquatement Dieu, la substance, pour penser adéquatement n’importe quel objet. Il est clair que l’auteur lui-même n’est pas un homme de science et qu’il est loin de prétendre que la connaissance adéquate qu’il a pourtant de Dieu lui donne autorité en matière de Physique ou de quoi que ce soit d’autre. Mais ce que découvre le physicien, tel que Galilée, n’est rien d’autre que les décrets éternels de Dieu. D’une part il aborde la nature avec pour seul préjugé qu’elle est entièrement connaissable, qu’il n’y a en elle aucun mystère, qu’elle est totalement accessible (c’est aussi un principe cartésien), d’autre part il se met humblement à l’école de l’expérience et ne s’imagine pas savoir quoi que ce soit des lois de la nature avant de l’avoir interrogée. Mais réciproquement, lorsqu’il l’a fait parler, il peut bien tenir les lois qu’il a découvertes (e = ½ gt², le principe d’inertie, l’héliocentrisme, etc.) pour les décrets éternels de Dieu. Bien sûr le mot décret n’est employé ici que métaphoriquement. Il ne faut pas concevoir Dieu de manière anthropomorphique, se le représenter comme une personne qui aurait des volontés et des idées. Dieu n’est autre que la nature ; celle-ci est régie par des lois nécessaires : ce sont là les décrets de Dieu.<br /> <br /> La découverte de ces lois est donc la connaissance de Dieu lui-même et elle emporte la certitude. Galilée en effet, pour conserver toujours le même exemple, sur lequel inévitablement l’auteur a dû lui-même beaucoup réfléchir, ne peut établir une vérité telle que celles que je viens de citer sans savoir qu’il établit une vérité. &quot; On ne peut pas former une idée vraie, sans savoir du même coup qu’on forme une idée vraie &quot;, est-il dit dans l’''Éthique'' II. C’est une définition de la certitude. C’est à dire que l’esprit n’a pas la possibilité d’être incertain du rapport (e = ½ gt²) qu’il pense adéquatement. Contrairement à ce que Descartes affirme, mais qu’il ne peut nullement penser, il est impossible de suspendre son jugement lorsqu’on conçoit une idée vraie, tout simplement parce qu’il est impossible de penser à la fois qu’elle est vraie et qu’elle est fausse. Si l’on réfléchit à cela il devient impossible d’imaginer des degrés de certitude. Certains voudraient sans doute qu’il y eût des connaissances les unes plus certaines que les autres, et que la certitude enveloppée par la révélation ''stricto sensu'' fût plus grande que la certitude enveloppée par les mathématiques ou la physique. On voit bien que cette proposition n’a pas de sens. Une âme humaine, fût-elle celle d’un prophète, acquiert la certitude par cela seul qu’elle conçoit adéquatement son objet et celui qui affirmerait que la certitude donnée par la révélation ''stricto sensu'' est supérieure à celle donnée par la révélation ''lato sensu'' ne saurait pas ce qu’il dit, parce qu’il dirait, sans évidemment pouvoir le penser, qu’un prophète a une âme d’une autre sorte que l’âme humaine, qui n’est rien d’autre que l’idée du corps (''Éthique'' II).<br /> <br /> La définition spinozienne de la prophétie autorise donc à comprendre sous ce nom la connaissance naturelle. Permet-elle pour autant de faire de Galilée un prophète ? S’il est légitime de parler de prophétie ''lato sensu'', il ne l’est pas de parler de prophète ''lato sensu''. La raison de cette dissymétrie est dans le rapport des prophètes d’une part, des hommes de science et plus généralement de raison d’autre part, avec ceux à qui ils s’adressent. Les uns et les autres propagent des idées, les uns et les autres enseignent ce qu’ils savent à ceux qui ne le savent pas. Toutefois, et c’est une différence radicale, l’enseignement prophétique n’a rien à voir avec l’enseignement rationnel. Je ne suis pas actuellement en train de prophétiser. Je suis en train de m’expliquer. Et à partir du moment où j’aurai été suffisamment clair dans mes explications non seulement vous saurez que vous ne pouvez pas dire que je suis un prophète, mais vous aurez compris pourquoi. Vous l’aurez en outre compris tout aussi bien que moi et vous serez tout aussi capables que moi d’enseigner ce point de la philosophie du TTP. Le propre de la connaissance rationnelle n’est pas tant qu’elle forme des idées vraies, mais qu’elle sait pourquoi elles sont vraies et qu’elle peut en rendre compte. Partant, celui qui reçoit un tel enseignement se trouve promu à la même position que celui qui le lui donne. De ce point de vue l’idée qui vous est suffisamment expliquée cesse d’être une idée étrangère et devient la vôtre, comme le remarquera aussi Hegel dans un texte bien connu, à propos de la philosophie.<br /> <br /> La différence entre la révélation ''stricto sensu'' et la révélation ''lato sensu'' ne tient donc pas à ce que la première apporterait plus de certitude que la seconde, auquel cas son autorité serait aussi plus grande et lui assurerait la prééminence en cas de conflit. Elle tient à ce que l’une va au-delà des limites que l’autre s’assigne à elle-même. Tandis que la connaissance rationnelle ne s’autorise pas à affirmer ce qu’elle ne comprend pas, il est clair que la prophétie, ''stricto sensu'', se le permet. Bachelard exprime à ce sujet une règle commune à tous les rationalistes : &quot; L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement &quot; (''la Formation de l’esprit scientifique'', chapitre premier). L’homme de science, le philosophe savent très bien qu’en allant au-delà de ce qu’ils peuvent comprendre ils sortent de leur discipline propre et même de la raison. C’est très explicitement par exemple que Platon passe de la dialectique au mythe. Par contre le prophète tient son logement dans cette zone de la pensée où il ne peut rendre raison de ce qu’il dit. A ce propos se pose un problème : comment l’auteur peut-il à la fois situer ici le prophète et reconnaître qu’il atteint la certitude ? Il faut admettre que le TTP tout entier exprime autre chose que sa conviction, et qu’il est tout entier situé dans une perspective polémique, où, voulant bien admettre que la prophétie soit autre chose qu’une tromperie, il cherche à établir que ceux qui en sont les propagateurs n’y gagnent cependant aucune prédominance sur la raison. On pourrait aussi penser que le TTP est une sorte de raccourci, qui permettrait de passer de la première partie de l’''Éthique'' à la fin de ce livre avec ses résultats politiques (quatrième partie) en faisant l’économie de la théorie de la connaissance, vraiment très difficile, développée dans l’''Éthique'' II.<br /> <br /> C’est par ce qu’est l’homme en lui-même que s’explique la connaissance rationnelle. A contrario, puisque ce ne saurait être le cas de la connaissance prophétique ''stricto sensu'', on se demande par quoi celle-ci peut bien s’expliquer. Mais, je viens de donner les éléments nécessaires pour le comprendre, il n’y a qu’une alternative : ou l’on admet le mystère, ou l’on n’y voit qu’une supercherie. Car relativement à la révélation ''lato sensu'', là où il n’y a pas de supercherie, c’est la nature de l’âme qui est la cause première de la révélation. &quot; L’âme contient objectivement la nature de Dieu et en participe &quot; est-il écrit ici et c’est aussi la doctrine de l’Éthique II. Je ne peux ici l’expliquer et je renvoie les curieux à ce dernier livre. Il suffit ici de comprendre que cette proposition est entièrement liée à la conception de Dieu qui a été indiquée ci-dessus et qu’elle est évidemment scandaleuse pour les théologiens. De la même façon la citation de Jean qui est mise en exergue de l’œuvre est très polémique : elle utilise l’apôtre en le détournant au profit de la philosophie de l’auteur qui veut lui faire dire que nous n’avons nul besoin que l’esprit de Dieu nous vienne par une voie transcendante.<br /> <br /> Il y a là une manière de désacraliser la prophétie, dont Freud, lui aussi Juif athée, saura se souvenir lorsqu’il interprétera les rêves: ils ne sont pas un message des dieux, mais ils expriment une pensée qu’on ne saurait justifier. <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Comprendre le Traité théologico-politique/La superstition|La superstition]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique]] | [[Comprendre le Traité théologico-politique/L'exégèse|L'exégèse]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/MediaWiki:Sidebar MediaWiki:Sidebar 2018-09-23T14:22:01Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>** mainpage|mainpage<br /> * Découvrir<br /> ** Portail:Premiers pas|Premiers pas<br /> ** FAQ sur la philosophie de Spinoza|FAQ<br /> ** Portail:Biographie|Biographie<br /> ** Portail:Concepts du spinozisme|Concepts du spinozisme<br /> ** Portail:Extraits|Extraits<br /> ** Portail:Autres auteurs|Autres auteurs<br /> ** Portail:Espace pédagogique|Espace pédagogique<br /> ** Portail:Articles|Articles<br /> ** Special:Newpages|Dernières pages<br /> ** randompage-url|randompage<br /> <br /> * Œuvres<br /> ** Traité de la réforme de l'entendement|TRE<br /> ** Éthique démontrée suivant l'ordre géométrique|Éthique<br /> ** Principes de la philosophie de Descartes|PPD<br /> ** Pensées métaphysiques|PM<br /> ** Court traité sur Dieu, l'homme et la béatitude|Court traité<br /> ** Traité théologico-politique|TTP<br /> ** Traité politique|TP<br /> ** Lettres|Lettres<br /> **:Catégorie:Œuvres|Autres œuvres<br /> <br /> * Échanger<br /> ** portal-url|Partager des informations<br /> ** http://www.spinozaetnous.org/forum/|Forum<br /> ** recentchanges-url|recentchanges<br /> ** Aide:Accueil|Aide technique<br /> ** Spinoza et Nous:Actualités techniques|Actualités techniques<br /> ** Spécial:Pages demandées|Pages à créer<br /> ** Spinoza et Nous:Plan|Plan<br /> ** Spécial:Toutes les pages|Toutes les pages<br /> ** http://www.spinozaetnous.org/index.php|Ancien site<br /> ** http://www.spinozaetnous.org/blog/contact/|Contact<br /> <br /> * Ressources<br /> ** Portail:Médiathèque|Médiathèque<br /> ** Bibliographie générale|Bibliographie<br /> ** Liens externes|Liens externes<br /> ** Fils d'information|Fils d'information<br /> ** Téléchargements|Téléchargements</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_II Lettre II 2017-10-13T09:19:48Z <p>Henrique : Page redirigée vers Lettre 2</p> <hr /> <div>#REDIRECT[[Lettre 2]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Liens_externes Liens externes 2017-05-18T08:24:47Z <p>Henrique : /* Œuvres */</p> <hr /> <div>Liens externes pour enrichir la réflexion autour de Spinoza. (à compléter)<br /> <br /> == Sites consacrés à Spinoza ==<br /> <br /> === Découverte ===<br /> <br /> * [http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Spinoza_Philosophie_pratique%C2%A0-2016-1-1-0-1.html Spinoza, philosophie pratique - G.Deleuze] : un complément indispensable des cours audio de G. Deleuze sur Spinoza et une introduction pédagogique à Spinoza et le problème de l'expression. Contient une biographie et un lexique expliqué des principales notions du spinozisme.<br /> *[http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Spinoza_et_le_probl%C3%A8me_de_l%E2%80%99expression-2011-1-1-0-1.html Spinoza et le problème de l'expression - Deleuze] : exploration très poussée du rapport qu'entretiennent la substance, les attributs, et les modes, c'est à dire du processus de l'Etre, ainsi que sur l'évolution que représente l’Éthique par rapport au Court Traité<br /> * [https://www.youtube.com/playlist?list=PLswJLpvfq6DMiv0ByJ5qt4aOM54_6U9C_ Cours audios de Deleuze à Paris VIII] : un grand philosophe parle d'un très grand philosophe.<br /> * [http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=137 Cours retranscrits de Deleuze sur Spinoza par dates] : contient le cours introductif manquant dans la playlist précédente.<br /> <br /> ===Approfondissement ===<br /> * [http://hyperspinoza.caute.lautre.net/ Hyperspinoza] : les œuvres complètes de Spinoza dans la traduction de Ch. Appuhn, des éléments de biographie, de bibliographie et de réflexion autour de l’œuvre.<br /> * [http://spinoza.fr/ Spinoza.fr] : lecture continue et commentée de l’''Éthique'' de Spinoza, proposition par proposition.<br /> * [http://www.spinozaeopera.net/ Association des amis de Spinoza] : actualités éditoriales et universitaires autour de Spinoza.<br /> * [http://alucero-montano.blogspot.fr/ Spinozianas] : essais en espagnol sur la philosophie de Spinoza.<br /> <br /> == Œuvres ==<br /> * [http://users.telenet.be/rwmeijer/spinoza/indexfr.htm La philosophie de Benidictus de Spinoza] : versions latines pour le Web d’œuvres choisies de Spinoza, éditées par l’auteur (''Ethica ordine geometrica demonstrata'', ''Tractatus de Intellectus Emendatio''ne (TIE), ''Tractatus Politicus'', ainsi qu’une selection des ''Epistolae'').<br /> * [http://baptiste.meles.free.fr/spinozabase/ SpinozaBase] : Le texte latin de l'''Éthique'', dans une édition hypertexte accompagnée de cadres de synthèse indiquant les références internes de l’œuvre (définitions, axiomes, propositions etc.) supra ou infra.<br /> * [https://oguastalla.wixsite.com/spinoza-traduction Traductions de Jean Paul Gastala] : traductions personnelles de l'auteur, se voulant les plus proches possibles du latin.<br /> <br /> == Sites d'inspiration spinoziste ==<br /> * [http://edelassus.free.fr/Bienvenue.html Cogitations] : une série d'articles d'Eric Delassus consacrés principalement à l'éthique médicale ou bioéthique considérée d'un point de vue spinoziste.<br /> * [http://sylvainreboul.free.fr/ Le rasoir philosophique] : un professeur de philosophie engagé qui se réfère beaucoup à Spinoza.<br /> <br /> [[Catégorie:Ressources]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/%C3%89thique_II Éthique II 2017-04-14T06:31:16Z <p>Henrique : /* Définition 1 */ premier remplacement de &quot;certaine&quot; par &quot;singulière&quot;</p> <hr /> <div>{{Titre|&lt;big&gt;Éthique&lt;/big&gt; &lt;br /&gt;démontrée suivant l'ordre géométrique|Baruch Spinoza|<br /> 1677 &lt;br /&gt;<br /> '''DEUXIÈME PARTIE''' &lt;br /&gt;<br /> '''DE LA NATURE ET DE L'ORIGINE DE L'ÂME'''&lt;br /&gt;<br /> }}<br /> <br /> __NOTOC__<br /> __NOEDITSECTION__<br /> {{éthique}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> &lt;small&gt;[[Éthique II#Définitions|Définitions]] - [[Éthique II#Axiomes|Axiomes]] - [[Éthique II#Proposition 1|Proposition 1]] - [[Éthique II#Proposition 2|Proposition 2]] - [[Éthique II#Proposition 3|Proposition 3]] - [[Éthique II#Proposition 4|Proposition 4]] - [[Éthique II#Proposition 5|Proposition 5]] - [[Éthique II#Proposition 6|Proposition 6]] - [[Éthique II#Proposition 7|Proposition 7]] - [[Éthique II#Proposition 8|Proposition 8]] - [[Éthique II#Proposition 9|Proposition 9]] - [[Éthique II#Proposition 10|Proposition 10]] - [[Éthique II#Proposition 11|Proposition 11]] - [[Éthique II#Proposition 12|Proposition 12]] - [[Éthique II#Proposition 13|Proposition 13]] - [[Éthique II#Axiomes sur les corps|''Axiomes'']] - [[Éthique II#Lemme 1|Lemme 1]] - [[Éthique II#Lemme 2|Lemme 2]] - [[Éthique II#Lemme 3|Lemme 3]] - [[Éthique II#Axiomes sur les rapports entre les corps|''Axiomes sur les rapports entre les corps'']] - [[Éthique II#Lemme 4|Lemme 4]] - [[Éthique II#Lemme 5|Lemme 5]] - [[Éthique II#Lemme 6|Lemme 6]] - [[Éthique II#Lemme 7|Lemme 7]] - [[Éthique II#Postulats|Postulats]] - [[Éthique II#Proposition 14|Proposition 14]] - [[Éthique II#Proposition 15|Proposition 15]] - [[Éthique II#Proposition 16|Proposition 16]] - [[Éthique II#Proposition 17|Proposition 17]] - [[Éthique II#Proposition 18|Proposition 18]] - [[Éthique II#Proposition 19|Proposition 19]] - [[Éthique II#Proposition 20|Proposition 20]] - [[Éthique II#Proposition 21|Proposition 21]] - [[Éthique II#Proposition 22|Proposition 22]] - [[Éthique II#Proposition 23|Proposition 23]] - [[Éthique II#Proposition 24|Proposition 24]] - [[Éthique II#Proposition 25|Proposition 25]] - [[Éthique II#Proposition 26|Proposition 26]] - [[Éthique II#Proposition 27|Proposition 27]] - [[Éthique II#Proposition 28|Proposition 28]] - [[Éthique II#Proposition 29|Proposition 29]] - [[Éthique II#Proposition 30|Proposition 30]] - [[Éthique II#Proposition 31|Proposition 31]] - [[Éthique II#Proposition 32|Proposition 32]] - [[Éthique II#Proposition 33|Proposition 33]] - [[Éthique II#Proposition 34|Proposition 34]] - [[Éthique II#Proposition 35|Proposition 35]] - [[Éthique II#Proposition 36|Proposition 36]] - [[Éthique II#Proposition 37|Proposition 37]] - [[Éthique II#Proposition 38|Proposition 38]] - [[Éthique II#Proposition 38|Proposition 38]] - [[Éthique II#Proposition 39|Proposition 39]] - [[Éthique II#Proposition 40|Proposition 40]] - [[Éthique II#Proposition 41|Proposition 41]] - [[Éthique II#Proposition 42|Proposition 42]] - [[Éthique II#Proposition 43|Proposition 43]] - [[Éthique II#Proposition 44|Proposition 44]] - [[Éthique II#Proposition 45|Proposition 45]] - [[Éthique II#Proposition 46|Proposition 46]] - [[Éthique II#Proposition 47|Proposition 47]] - [[Éthique II#Proposition 48|Proposition 48]] - [[Éthique II#Proposition 49|Proposition 49]]<br /> &lt;/small&gt;<br /> <br /> == Préambule ==<br /> <br /> '''&lt;font size=&quot;5&quot;&gt;J&lt;/font&gt;'''e passe maintenant à l'explication de cet ordre de choses qui ont dû résulter nécessairement de l'essence de Dieu, l'être éternel et infini. Il n'est pas question de les expliquer toutes ; car il a été démontré (dans la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16 de la première partie]]), qu'il doit y en avoir une infinité, modifiées elles-mêmes à l'infini, mais celles-là seulement qui peuvent nous mener, comme par la main, à la connaissance de l'âme humaine et de son souverain bonheur.<br /> <br /> == Définitions ==<br /> <br /> ====Définition 1 ====<br /> J'entends par ''corps'', un mode qui exprime d'une façon singulière et déterminée l'essence de Dieu, en tant qu'on le considère comme chose étendue (voyez le [[Éthique I#Corollaire de la proposition 25|corollaire de la proposition 25 partie 1]]).<br /> <br /> ====Définition 2 ====<br /> Je dis qu'appartient à l’''essence'' d'une chose ce qui, étant donné, fait que la chose est nécessairement posée et qui, étant ôté, fait que la chose est nécessairement supprimée ; autrement dit, ce sans quoi une chose, et inversement ce qui sans cette chose, ne peut ni être, ni être conçu.<br /> <br /> ====Définition 3 ====<br /> Par ''idée'', j'entends un concept de l'âme, que l'âme forme à titre de chose pensante.<br /> <br /> '''Explication :''' ''Je dis concept plutôt que perception, parce que le nom de perception semble indiquer que l'âme reçoit de l'objet une impression passive, et que concept, au contraire, paraît exprimer l'action de l'âme.''<br /> <br /> ====Définition 4 ====<br /> Par ''idée adéquate'' j'entends une idée qui, considérée en soi et sans regard à son objet, a toutes les propriétés, toutes les dénominations intrinsèques d'une idée vraie.<br /> <br /> '''Explication :''' ''Je dis intrinsèques, afin de mettre à part la propriété ou dénomination extrinsèque d'une idée, savoir, sa convenance avec son objet.''<br /> <br /> ====Définition 5 ====<br /> La ''durée'' est la continuation indéfinie de l'existence<br /> <br /> '''Explication :''' ''Je dis indéfinie, parce qu'elle ne peut jamais être déterminée par la nature même de la chose existante, ni par sa cause efficiente, laquelle pose nécessairement l'existence de la chose, et ne la détruit pas.''<br /> <br /> ====Définition 6 ====<br /> ''Réalité'' et perfection, c'est pour moi la même chose.<br /> <br /> ====Définition 7 ====<br /> Par ''choses singulières'', j'entends les choses qui sont finies et ont une existence déterminée. Que si plusieurs individus concourent à une certaine action de telle façon qu'ils soient tous ensemble la cause d'un même effet, je les considère, sous ce point de vue, comme une seule chose singulière.<br /> <br /> == Axiomes ==<br /> <br /> ====Axiome 1 ====<br /> L'essence de l'homme n'enveloppe pas l'existence nécessaire, en d'autres termes, dans l'ordre de la nature, il peut arriver que tel ou tel homme existe, comme il peut arriver qu'il n'existe pas.<br /> <br /> ====Axiome 2 ====<br /> L'homme pense.<br /> <br /> ====Axiome 3 ====<br /> Les modes de la pensée, tels que l'amour, le désir et les autres affects de l'âme, par quelque nom qu'on les distingue, ne peuvent exister sans qu'il y ait dans l'individu où on les rencontre, l'idée d'une chose aimée, désirée, etc. Mais une idée peut exister sans aucun autre mode de la pensée.<br /> <br /> ====Axiome 4 ====<br /> Nous sentons un certain corps affecté de plusieurs manières.<br /> <br /> ====Axiome 5 ====<br /> Nous ne sentons ni ne percevons d'autres choses singulières que des corps et des modes de la pensée.<br /> <br /> ''Voyez les [[Éthique II#Postulats|postulats qui suivent la proposition 13]].''<br /> <br /> == Propositions ==<br /> <br /> === Proposition 1 ===<br /> <br /> ''La pensée est un attribut de Dieu ; en d'autres termes, Dieu est chose pensante.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Les pensées singulières, je veux dire telle ou telle pensée, sont autant de modes qui expriment la nature de Dieu d'une certaine façon déterminée (par le [[Éthique I#Corollaire de la proposition 25|corollaire de la proposition 25, partie 1]]). Il faut donc que cet attribut dont toutes les pensées singulières enveloppent le concept, et par lequel toutes sont conçues, convienne nécessairement à Dieu (par la [[Éthique I#Définition 5|définition 5. partie 1]]). La pensée est donc un des attributs infinis de Dieu, lequel exprime son infinie et éternelle essence (voyez la [[éthique I#Définition 6|définition 6. partie 1]]) ; en d'autres termes, Dieu est chose pensante. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 1 ====<br /> Cette proposition est également évidente par cela seul qu'un être pensant peut être conçu comme infini. Nous concevons en effet qu'un être pensant, plus il pense de choses, plus il contient de réalité ou de perfection ; par conséquent, un être qui pense une infinité de choses infiniment modifiées est infini par la vertu pensante qui est en lui. Puis donc qu'à ne considérer que la seule pensée, nous concevons un être comme infini, il faut nécessairement (par les définitions [[Éthique I#Définition 4|4]] et [[Éthique I#Définition 6|6]], part. 1) que la pensée soit un des attributs infinis de Dieu, comme nous voulions l'établir.<br /> <br /> === Proposition 2 ===<br /> <br /> ''L'étendue est un attribut de Dieu, en d'autres termes, Dieu est chose étendue.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' La démonstration de cette proposition se fait de la même façon que celle de la [[Éthique II#Proposition 1|proposition précédente]].<br /> <br /> === Proposition 3 ===<br /> <br /> ''Il y a de toute nécessité en Dieu l'idée de son essence, aussi bien que de tout ce qui en résulte nécessairement.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Dieu, en effet (par la [[Éthique II#Proposition 1|proposition 1]] de cette seconde partie), peut penser une infinité de choses infiniment modifiées, ou (ce qui est la même chose, par la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16, partie 1]]) former l'idée de son essence et de tout ce qui en découle nécessairement. Or, tout ce qui est dans la puissance de Dieu est nécessairement (par la [[éthique I#Proposition 35|proposition 35, partie 1]]), donc il y a nécessairement une telle idée et (par la [[éthique I#Proposition 15|proposition 15, part. 1]]) elle est en Dieu seul C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 3 ====<br /> Par la puissance de Dieu, le vulgaire entend sa libre volonté et le droit qu'il possède sur toutes choses, lesquelles sont considérées communément à cause de cela comme contingentes. On dit, en effet, que Dieu a le pouvoir de tout détruire, de tout anéantir ; et l'on compare aussi très-souvent la puissance de Dieu avec celle des rois. Mais nous avons réfuté tout cela dans les [[éthique I#Corollaire 1 de la proposition 32|corollaires 1]] et [[éthique I#Corollaire 2 de la proposition 32|2]] de la proposition 32, partie 1, et nous avons montré dans la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16, partie 1]], que Dieu agit tout aussi nécessairement qu'il se comprend lui-même ; en d'autres termes, de même qu'il résulte de la nécessité de la nature divine (comme on le reconnaît unanimement) que Dieu se comprend lui-même, il résulte de cette même nécessité que Dieu doit faire une infinité de choses infiniment modifiées. De plus, nous avons montré, dans la [[éthique I#Proposition 34|proposition 34, partie 1]], que la puissance de Dieu n'est autre chose que son essence prise comme active, et partant, qu'il nous est tout aussi impossible de concevoir Dieu n'agissant pas, que Dieu n'existant pas. Si même je voulais pousser plus loin ces pensées, je montrerais que cette puissance que le vulgaire imagine en Dieu, non-seulement est une puissance tout humaine (ce qui fait voir que le vulgaire conçoit Dieu comme un homme ou à l'image d'un homme), mais même enveloppe une réelle impuissance. Mais je ne veux point revenir si souvent sur la même chose. Je me borne à prier instamment le lecteur de peser, avec un redoublement d'attention, ce qui a été dit sur cette matière dans la première partie, depuis la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16]] jusqu'à la fin. Car personne ne pourra bien comprendre ce que je veux établir, s'il ne prend le plus grand soin de ne pas confondre la puissance de Dieu avec la puissance et le droit des rois.<br /> <br /> === Proposition 4 ===<br /> <br /> ''L'idée de Dieu, de laquelle découlent une infinité de choses infiniment modifiées, ne peut être qu'unique.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'intelligence infinie n'embrasse rien de plus que les attributs et les affections de Dieu (par la [[éthique I#Proposition 30|proposition 30, partie 1]]). Or, Dieu est unique (par le [[éthique I#Corollaire 1 de la proposition 14|corollaire 1 de la proposition 14, partie 1]]), par conséquent, l'idée de Dieu, de laquelle découlent une infinité de choses infiniment modifiées, ne peut être qu'unique.<br /> <br /> === Proposition 5 ===<br /> <br /> ''L'être formel des idées a pour cause Dieu, en tant seulement que l'on considère Dieu comme une chose pensante et non pas en tant que sa nature s'exprime par un autre attribut ; en d'autres termes, les idées des choses singulières n'ont point pour cause efficiente leurs objets, c'est-à-dire les choses perçues, mais Dieu lui-même, en tant qu'il est une chose pensante.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela résulte évidemment de la [[Éthique II#Proposition 3|proposition 3]] de cette deuxième partie. Nous y sommes arrivés, en effet, à cette conclusion, que Dieu peut former l'idée de son essence et de tout ce qui en découle nécessairement, par cela seul que Dieu est chose pensante, et non pas parce que Dieu est l'objet de sa propre idée. Par conséquent, l'être formel des idées a pour cause Dieu, en tant qu'il est chose pensante. Mais cela se démontre encore autrement. L'être formel des idées est un mode de la pensée, comme cela est évident de soi, un mode par conséquent (en vertu du corollaire de la [[éthique I#Proposition 25|proposition 25, partie 1]]) qui exprime d'une façon déterminée la nature de Dieu en tant que chose pensante ; et par conséquent encore (par la [[éthique I#Proposition 10|proposition 10, partie 1]]), il n'enveloppe le concept d'aucun autre attribut divin que la pensée, et il n'est enfin (par l'[[éthique I#Axiome 4|axiome 4, partie 1]]) l'effet d'aucun attribut autre que celui-là. D'où il suit que l'être formel des idées a pour cause Dieu, en tant qu'il est considéré comme chose pensante, etc. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 6 ===<br /> <br /> ''Les modes d'un attribut, quel qu'il soit, ont Dieu pour cause, en tant que Dieu est considéré sous le point de vue de ce même attribut dont ils sont les modes, et non sous aucun autre point de vue.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Tout attribut, en effet, est conçu par soi indépendamment des autres attributs (par la [[éthique I#Proposition 10|proposition 10, partie 1]]). Par conséquent, les modes de tout attribut enveloppent le concept de cet attribut et non d'aucun autre ; d'où il suit (par l'[[éthique I#Axiome 4|axiome 4, partie 1]]) qu'ils ont pour cause Dieu, en tant qu'on le considère sous le point de vue de ce même attribut dont ils sont les modes et non sous aucun autre point de vue. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 6 ====<br /> Il suit de là que l'être formel de cette sorte de choses qui ne sont pas des modes de la pensée ne découle pas de la nature divine en vertu d'une connaissance antérieure qu'elle a eue de ces choses ; mais les objets des idées résultent des attributs dont ils dépendent et s'en déduisent de la même façon et avec la même nécessité que les idées résultent et se déduisent de l'attribut de la pensée.<br /> <br /> === Proposition 7 ===<br /> <br /> ''L'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des choses.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela résulte évidemment de l'[[éthique I#Axiome 4|axiome 4, partie 1]] ; car l'idée d'une chose causée, quelle qu'elle soit, dépend de la connaissance de sa cause.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 7 ====<br /> Il suit de là que la puissance de penser est égale en Dieu à sa puissance actuelle d'agir. En d'autres termes, tout ce qui suit formellement de l'infinie nature de Dieu, suit objectivement de l'idée de Dieu dans le même ordre et avec la même connexion.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 7 ====<br /> Avant d'aller plus loin, il faut ici se remettre en mémoire ce que nous avons montré plus haut, c'est à savoir que tout ce qui peut être perçu par une intelligence infinie, comme constituant l'essence de la substance, tout cela appartient à une substance unique, et, par conséquent, que la substance pensante et la substance étendue ne font qu'une seule et même substance, laquelle est conçue tantôt sous l'un de ses attributs et tantôt sous l'autre. De même, un mode de l'étendue et l'idée de ce mode ne font qu'une seule et même chose exprimée de deux manières. Et c'est ce qui paraît avoir été aperçu, comme à travers un nuage, par quelques Hébreux qui soutiennent que Dieu, l'intelligence de Dieu, et les choses qu'elle conçoit, ne font qu'un. Par exemple, un cercle qui existe dans la nature et l'idée d'un tel cercle, laquelle est aussi en Dieu, c'est une seule et même chose exprimée par deux attributs différents, et par conséquent, que nous concevions la nature sous l'attribut de l'étendue ou sous celui de la pensée ou sous tel autre attribut que ce puisse être, nous trouverons toujours un seul et même ordre, une seule et même connexion de causes ; en d'autres termes, les mêmes choses résultent réciproquement les unes des autres. Et si j'ai dit que Dieu est cause de l'idée du cercle, par exemple, en tant seulement qu'il est chose pensante, et du cercle, en tant seulement que chose étendue, je ne l'ai pas dit pour une autre raison que celle-ci : c'est que l'être formel de l'idée du cercle ne peut être conçu que par un autre mode de la pensée, pris comme sa cause prochaine, et celui-ci par un autre mode, et ainsi à l'infini ; de telle façon que, si vous considérez les choses comme modes de la pensée, vous devez expliquer l'ordre de toute la nature ou la connexion des causes par le seul attribut de la pensée ; et si vous les considérez comme modes de l'étendue, par le seul attribut de l'étendue, et de même pour tous les autres attributs. C'est pourquoi Dieu est véritablement la cause des choses considérées en elles-mêmes, en tant qu'il est constitué par une infinité d'attributs, et je ne puis en ce moment expliquer ceci plus clairement.<br /> <br /> === Proposition 8 ===<br /> <br /> ''Les idées des choses singulières (ou modes) qui n'existent pas doivent être comprises dans l'idée infinie de Dieu, comme sont contenues dans ses attributs les essences formelles de ces choses.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cette proposition résulte évidemment du [[Éthique II#Scolie de la proposition 7|scolie qui précède]].<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 8 ====<br /> Il suit de là qu'aussi longtemps que les choses singulières n'existent qu'en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c'est-à-dire les idées de ces choses n'existent qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu ; et aussitôt que les choses singulières existent, non plus seulement en tant que comprises dans les attributs de Dieu, mais en tant qu'ayant une durée, les idées de ces choses enveloppent également cette sorte d'existence par laquelle elles ont une durée.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 8 ====<br /> Si quelqu'un désire que je prenne ici un exemple pour que la chose devienne plus claire, j'avoue que je n'en puis fournir aucun qui en donne une explication adéquate, car c'est une chose unique en son espèce ; je vais tâcher pourtant de l'éclaircir autant que possible. Un cercle est tel de sa nature que si plusieurs lignes se [[Image:E_II_p8s.jpg|right|150px]]coupent dans ce cercle, les rectangles formés par leurs segments sont égaux entre eux ; cependant on ne peut dire qu'aucun de ces rectangles existe si ce n'est en tant que le cercle existe ; et l'idée de chacun de ces rectangles n'existe également qu'en tant qu'elle est comprise dans l'idée du cercle. Maintenant, concevez que de tous ces rectangles en nombre infini deux seulement existent, les rectangles E et D. Dès lors, les idées de ces rectangles n'existent plus seulement en tant qu'elles sont comprises dans l'idée du cercle, mais elles existent aussi en tant qu'elles enveloppent l'existence des deux rectangles donnés, ce qui distingue ces idées de celles de tous les autres rectangles.<br /> <br /> === Proposition 9 ===<br /> <br /> ''L'idée d'une chose singulière et qui existe en acte a pour cause Dieu, non pas en tant qu'il est infini, mais en tant qu'on le considère comme affecté de l'idée d'une autre chose singulière et qui existe en acte, idée dont Dieu est également la cause, en tant qu'affecté d'une troisième idée, et ainsi à l'infini.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'idée d'une chose singulière et qui existe en acte est un mode singulier de la pensée, distinct de tous les autres modes (par le corollaire et le scolie de la [[Éthique II#Proposition 8|proposition 8, partie 2]]) ; et par conséquent (par la [[Éthique II#Proposition 6|proposition 6, partie 2]]) elle a pour cause Dieu considéré seulement comme chose pensante ; non pas comme chose absolument pensante (par la [[éthique I#Proposition 28|proposition 28, partie 1]]), mais comme affecté d'un autre mode de la pensée, lequel a aussi pour cause Dieu comme affecté d'un autre mode de la pensée, et ainsi à l'infini. Or l'ordre et la connexion des idées est le même (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) que l'ordre et la connexion des causes. Donc, la cause d'une idée singulière, c'est toujours une autre idée, ou Dieu comme affecté de cette autre idée, laquelle a pour cause Dieu comme affecté d'une troisième idée et ainsi à l'infini. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 9 ====<br /> Tout ce qui arrive dans l'objet singulier d'une idée quelconque, Dieu en a la connaissance, en tant seulement qu'il a l'idée de cet objet.<br /> <br /> '''Démonstration :''' Tout ce qui arrive dans l'objet singulier d'une idée quelconque, Dieu en a l'idée (par la [[Éthique II#Proposition 3|proposition 3, partie 2]]), non pas en tant qu'infini, mais en tant qu'il est affecté de l'idée d'une autre chose singulière (par la [[Éthique II#Proposition 9|proposition précédente]]). Or, l'ordre et la connexion des idées est le même (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) que l'ordre et la connexion des choses. Par conséquent, la connaissance de tout ce qui arrive dans un objet singulier devra se trouver en Dieu, en tant seulement qu'il a l'idée de cet objet. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 10 ===<br /> <br /> ''L'être de la substance n'appartient pas à l'essence de l'homme ; en d'autres termes, ce n'est pas la substance qui constitue la forme ou l'essence de l'homme.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'être de la substance enveloppe, en effet, l'existence nécessaire (par la [[éthique I#Proposition 7|proposition 7, partie 1]]). Par conséquent, si l'être de la substance appartenait à l'essence de l'homme, la substance étant donnée, l'homme serait nécessairement donné (par la [[Éthique II#Définition 2|définition 2, partie 2]]), et de cette façon l'homme existerait nécessairement, ce qui est absurde (par l'[[Éthique II#Axiome 1|axiome 1, partie 2]]). Donc, etc. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 10 ====<br /> Cette proposition se démontre aussi à l'aide de la [[éthique I#Proposition 5|proposition 5, partie 1]], savoir qu'il ne peut exister deux substances de même nature ; car comme plusieurs hommes peuvent exister, ce n'est donc point l'être de la substance qui constitue la forme ou l'essence de l'homme. Notre proposition résulte en outre évidemment des autres propriétés de la substance, je veux dire que la substance est de sa nature infinie, immuable, indivisible, etc., et tout le monde peut saisir aisément cette conséquence.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 10 ====<br /> Il suit de là que ce qui constitue l'essence de l'homme, ce sont certaines modifications des attributs de Dieu. Car l'être de la substance (par la [[Éthique II#Proposition 10|proposition précédente]]) n'appartient pas à l'essence de l'homme. L'essence de l'homme est donc (par la [[éthique I#Proposition 15|proposition 15, partie 1]]) quelque chose qui est en Dieu et ne peut être sans Dieu, autrement dit (par le [[éthique I#Corollaire de la proposition 25|corollaire de la proposition 25, partie 1]]), une affection ou un mode qui exprime la nature de certaine façon déterminée.<br /> <br /> ====Scolie du corollaire de la proposition 10 ====<br /> Tout le monde doit accorder que rien n'existe et ne peut être conçu sans Dieu. Car il est reconnu de tout le monde que Dieu est la cause unique de toutes choses, tant de leur essence que de leur existence ; en d'autres termes, Dieu est la cause des choses, non seulement selon le devenir, mais selon l'être. Et toutefois, si l'on écoute la plupart des philosophes, ce qui appartient à l'essence d'une chose, c'est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue ; ils pensent donc de deux choses l'une, ou bien que la nature de Dieu appartient à l'essence des choses créées, au bien que les choses créées peuvent exister ou être conçues sans Dieu ; mais ce qui est plus certain, c'est qu'ils ne sont pas suffisamment d'accord avec eux-mêmes ; et la raison en est, à mon avis, qu'ils n'ont pas gardé l'ordre philosophique des idées. La nature divine, qu'ils devaient avant tout contempler, parce qu'elle est la première, aussi bien dans l'ordre des connaissances que dans l'ordre des choses, ils l'ont mise la dernière ; et ces choses qu'on appelle objet des sens, ils les ont jugées antérieures à tout le reste. Or voici ce qui est arrivé : pendant qu'ils considéraient les choses naturelles, il n'est rien à quoi ils songeassent moins qu'à la nature divine ; puis, quand ils ont élevé leur esprit à la contemplation de la nature divine, ils ont complètement oublié ces premières imaginations dont ils avaient construit leur science des choses naturelles ; et il est vrai de dire qu'elles ne pouvaient les aider en rien à la connaissance de la nature divine, de façon qu'il ne faut point être surpris de les voir se contredire de temps en temps. Mais je n'insiste pas, mon dessein n'ayant été ici que d'expliquer pourquoi je n'ai pas dit que l'essence d'une chose, c'est ce sans quoi elle ne peut exister ni être conçue. Les choses singulières, en effet, ne peuvent exister ni être conçues sans Dieu ; et cependant Dieu n'appartient point à leur essence. En conséquence, j'ai dit : ce qui constitue l'essence d'une chose, c'est ce dont l'existence emporte celle de la chose, et la destruction sa destruction, en d'autres termes, ce qui est tel que la chose ne peut exister sans lui, ni lui sans la chose.<br /> <br /> === Proposition 11 ===<br /> <br /> ''Le premier fondement de l'être de l'âme humaine n'est autre chose que l'idée d'une chose singulière et qui existe en acte.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Ce qui constitue l'essence de l'homme (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 10|corollaire de la proposition précédente]]), ce sont certains modes des attributs de Dieu, savoir (par l'[[éthique II#Axiome 2|axiome 2, partie 2]]) des modes de la pensée, entre lesquels l'idée est (par l'[[Éthique II#Axiome 3|axiome 3, partie 2]]) de sa nature antérieure à tous les autres, de façon que si elle est donnée, tous les autres modes (ceux auxquels l'idée est antérieure de sa nature) doivent se trouver dans le même individu (par l'[[Éthique II#Axiome 4|axiome 4, partie 2]]). Ainsi donc, l'idée est le premier fondement de l'être de l'âme humaine. Mais cette idée ne peut être celle d'une chose qui n'existe pas actuellement ; car alors (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 8|corollaire de la proposition 8, partie 2]]) l'idée elle-même n'existerait pas actuellement. Ce sera donc l'idée d'une chose actuellement existante, mais non pas d'une chose infinie ; car une chose infinie (par la [[éthique I#Proposition 21|proposition 21]] et la [[éthique I#Proposition 22|proposition 22, partie 1]]), doit toujours exister nécessairement ; or ici, cela serait absurde (par l'[[Éthique II#Axiome 1|axiome 1, partie 2]]). Donc, le premier fondement de l'être de l'âme humaine, c'est l'idée d'une chose singulière et qui existe en acte. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 11 ====<br /> Il suit de là que l'âme humaine est une partie de l'entendement infini de Dieu ; et par conséquent, lorsque nous disons que l'âme humaine perçoit ceci ou cela, nous ne disons pas autre chose sinon que Dieu, non pas en tant qu'infini, mais en tant qu'il s'exprime par la nature de l'âme humaine, ou bien en tant qu'il en constitue l'essence, a telle ou telle idée ; et lorsque nous disons que Dieu a telle ou telle idée, non plus seulement en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine, mais en tant qu'il a en même temps l'idée d'une autre chose, nous disons alors que l'âme humaine perçoit une chose d'une façon partielle ou inadéquate.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 11 ====<br /> Ici les lecteurs vont, sans aucun doute, être arrêtés, et il leur viendra en la mémoire mille choses qui les empêcheront d'avancer ; c'est pourquoi je les prie de poursuivre lentement avec moi leur chemin, et de suspendre leur jugement jusqu'à ce qu'ils aient tout lu.<br /> <br /> === Proposition 12 ===<br /> <br /> ''Tout ce qui arrive dans l'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine doit être perçu par elle ; en d'autres termes, l'âme humaine en aura nécessairement connaissance. Par où j'entends que si l'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine est un corps, il ne pourra rien arriver dans ce corps que l'âme ne le perçoive.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' En effet, tout ce qui arrive dans l'objet d'une idée quelconque, Dieu en a nécessairement connaissance (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 9|corollaire de la proposition 9, partie 2]]), en tant qu'on le considère comme affecté de l'idée de ce même objet, c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie. 2]]), en tant qu'il constitue l'âme d'une certaine chose. Par conséquent, tout ce qui arrive dans l'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, Dieu en a nécessairement connaissance, en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine ; en d'autres termes (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, Partie 2]]), la connaissance de cet objet sera nécessairement dans l'âme, et l'âme le percevra.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 12 ====<br /> Cette proposition devient également évidente et se comprend même plus clairement par le [[Éthique II#Scolie de la proposition 7|scolie de la proposition 7, partie 2]].<br /> <br /> === Proposition 13 ===<br /> <br /> ''L'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps, en d'autres termes, un certain mode de l'étendue, lequel existe en acte et rien de plus.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Si, en effet, le corps n'était pas l'objet de l'âme, les idées des affections du corps ne se trouveraient pas en Dieu, en tant qu'il constitue notre âme, mais en tant qu'il constitue l'âme d'une autre chose, c'est-à-dire (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]) que les idées des affections du corps ne se trouveraient pas dans notre âme. Or (par l'[[Éthique II#Axiome 4|axiome 4, partie 2]]), nous avons l'idée des affections du corps. Donc l'objet de l'idée qui constitue l'âme humaine, c'est le corps, et le corps existant en acte (par la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie 2]]). En outre, si l'âme avait, outre le corps, un autre objet, comme rien n'existe (par la [[éthique I#Proposition 36|proposition 36, partie 1]]) d'où ne résulte quelque effet, il devrait se trouver nécessairement dans notre âme (par la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, part. 2]]) l'idée de quelque effet résultant de cet objet. Or, notre âme ne possède point cette idée (par l'[[Éthique II#Axiome 5|axiome 5, partie 2]]). Donc l'objet de notre âme c'est le corps, le corps comme existant en acte, et rien de plus.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 13 ====<br /> Il suit de là que l'homme est composé d'une âme et d'un corps, et que le corps humain existe tel que nous le sentons.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 13 ====<br /> Ce qui précède fait comprendre, non seulement que l'âme humaine est unie au corps, mais aussi en quoi consiste cette union. Toutefois, on ne s'en formera une idée adéquate et distincte qu'à condition de connaître premièrement la nature de notre corps, tout ce qui a été exposé jusqu'à ce moment étant d'une application générale et ne se rapportant pas plus à l'homme qu'aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu'il l'est aussi de l'idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l'idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l'idée de toute autre chose quelconque. Et toutefois, nous ne voulons pas nier que les idées ne diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes, de sorte que l'une est supérieure à l'autre et contient une réalité plus grande à mesure que l'objet de celle-ci est supérieur à l'objet de celle-là et contient une réalité plus grande. C'est pourquoi, si nous voulons déterminer en quoi l'âme humaine se distingue des autres âmes et par où elle leur est supérieure, il est nécessaire que nous connaissions la nature de son objet, savoir le corps humain. C'est ce que je ne puis faire ici, et cela n'est pas d'ailleurs nécessaire aux démonstrations que je veux établir. Je me borne à dire en général qu'à ''mesure'' qu'un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d'un grand nombre de façons, il est uni à une âme plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses ; et plus les actions d'un corps dépendent de lui seul, en d'autres termes, moins il a besoin du concours des autres corps pour agir, plus l'âme qui lui est unie est propre à la connaissance distincte. Et par là on peut connaître la supériorité d'une âme sur les autres, et apercevoir aussi pour quelle raison nous n'avons de notre corps qu'une connaissance très confuse, et plusieurs autres choses que je déduirai par la suite de celle-là. C'est pour cela que j'ai jugé convenable de les expliquer ici et de les démontrer avec plus de soin encore que je n'ai fait jusqu'à ce moment, et il est nécessaire, afin d'y réussir, de placer ici quelques notions préliminaires touchant la nature des corps.<br /> <br /> === Axiomes sur les corps ===<br /> <br /> ====Axiome 1 sur les corps====<br /> <br /> Tous les corps sont ou en mouvement ou en repos.<br /> <br /> ====Axiome 2 sur les corps====<br /> <br /> Tout corps se meut, tantôt plus lentement, tantôt plus vite.<br /> <br /> === Lemme 1 === <br /> <br /> ''Les corps se distinguent les uns des autres par le mouvement et le repos, la vitesse ou la lenteur, et non par la substance.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' La première partie de ce lemme est de soi évidente ; quant à ce second point que les corps ne diffèrent point par la substance, il résulte des [[éthique I#Proposition 5|propositions 5]] et [[éthique I#Proposition 8|8, part. 1]], et plus clairement encore du [[éthique I#Scolie de la proposition 15|scolie de la proposition 15, part. 1]].<br /> <br /> === Lemme 2 ===<br /> <br /> ''Tous les corps ont quelque chose de commun.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Ils ont d'abord cela de commun qu'ils enveloppent tous le concept d'un seul et même attribut ''(par la [[Éthique II#Définition 1|définition 1, partie 2]])'' ; et de plus, qu'ils peuvent tous se mouvoir, tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et, absolument parlant, tantôt être en mouvement, tantôt en repos.<br /> <br /> === Lemme 3 ===<br /> <br /> ''Un corps qui est en mouvement ou en repos a dû être déterminé au mouvement ou au repos par un autre corps, lequel a été déterminé au mouvement ou au repos par un troisième corps, et ainsi à l'infini.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Les corps sont (par la [[Éthique II#Définition 1|définition 1, partie 2]]) des choses singulières qui se distinguent les unes des autres par le mouvement et le repos (en vertu du [[Éthique II#Lemme 2|lemme précédent]]) ; d'où il suit que chacune d'elles (par la [[éthique I#Proposition 28|proposition 28, partie 1]]) a dû nécessairement être déterminée au mouvement ou au repos par une autre chose singulière, savoir (par la [[Éthique II#Proposition 6|proposition 6, partie 2]]) par un autre corps, lequel est lui-même en mouvement ou en repos (par l'[[Éthique II#Axiome 1 sur les corps|axiome 1]]). Or, ce corps n'a pu être en mouvement ou en repos (par la même raison), s'il n'y a été déterminé par un autre corps, et celui-ci par un autre (toujours par la même raison), et ainsi à l'infini. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire du lemme 3====<br /> Il suit de là qu'un corps en mouvement doit y rester jusqu'à ce qu'un autre corps le détermine au repos, et qu'un corps en repos doit rester en repos jusqu'à ce qu'un autre corps le détermine au mouvement. Cela est d'ailleurs évident de soi. Car, lorsque je suppose le corps A, par exemple, en repos, sans considérer le moins du monde d'autres corps qui sont en mouvement, tout ce que je puis dire du corps A, c'est qu'il est en repos. Que si plus tard il arrive que le corps A soit en mouvement, cela ne peut assurément venir de ce qu'il était en repos ; car la seule chose qui pourrait résulter de ce repos, c'est que le corps A y resterait. Si, au contraire, nous supposons A en mouvement, tant que nous ne considérons que A, nous n'en pouvons rien affirmer sinon qu'il est en mouvement. Que s'il arrive ensuite que A soit en repos, évidemment encore cela ne peut venir du mouvement qu'il avait tout à l'heure ; car la seule chose qui pourrait résulter de ce mouvement, c'est que A resterait en mouvement. Le repos de A vient donc de quelque chose qui n'était pas A savoir d'une cause étrangère qui l'a déterminé au repos.<br /> <br /> ===Axiomes sur les rapports entre les corps ===<br /> <br /> ====Axiome 1 sur les rapports entre les corps====<br /> <br /> Tous les modes dont un corps quelconque est affecté par un autre corps résultent en même temps de la nature du corps qui éprouve l'affection et de la nature du corps qui la produit, de façon qu'un seul et même corps reçoit des mouvements différents des différents corps qui le meuvent, et leur donne à son tour des mouvements différents.<br /> <br /> ====Axiome 2 sur les rapports entre les corps====<br /> <br /> [[Image:E_II_p13.jpg|right]]Lorsqu'un corps en mouvement frappe un corps en repos qui ne peut changer de place, son mouvement se continue en se réfléchissant et l'angle formé par la ligne du mouvement de réflexion avec le plan du corps en repos est égal à l'angle formé par la ligne du mouvement d'incidence avec ce même plan.<br /> <br /> Voilà ce que nous avions à dire sur les corps les plus simples qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur ou la rapidité du mouvement. Arrivons aux corps composés.<br /> <br /> ====Définition de l'individu====<br /> <br /> Lorsqu'un certain nombre de corps de même grandeur ou de grandeur différente sont ainsi pressés qu'ils s'appuient les uns sur les autres, ou lorsque, se mouvant d'ailleurs avec des degrés semblables ou divers de rapidité, ils se communiquent leurs mouvements suivant des rapports déterminés, nous disons qu'entre de tels corps il y a union réciproque, et qu'ils constituent dans leur ensemble un seul corps, un individu, qui, par cette union même, se distingue de tous les autres.<br /> <br /> ====Axiome 3 sur les rapports entre les corps====<br /> <br /> A mesure que les parties d'un individu corporel ou corps composé reposent réciproquement les unes sur les autres par des surfaces plus ou moins grandes, il est plus ou moins difficile de changer leur situation, et par conséquent de changer la figure de l'individu en question. Et c'est pourquoi j'appellerai les corps ''durs, ''quand leurs parties s'appuient l'une sur l'autre par de grandes surfaces ; ''mous,'' quand ces surfaces sont petites ; ''fluides, ''quand leurs parties se meuvent librement les unes par rapport aux autres.<br /> <br /> === Lemme 4 ===<br /> <br /> ''Si d'un corps ou individu composé de plusieurs corps vous retranchez un certain nombre de parties, mais que ces parties soient remplacées simultanément par un nombre égal de parties de même nature, cet individu conservera sa nature primitive, sans que sa forme ou essence en éprouve aucun changement.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Les corps en effet (par le [[Éthique II#Lemme 1|lemme 1]]), ne se distinguent point les uns des autres sous le rapport de la substance, et ce qui constitue la forme ou essence d'un individu, c'est (par la définition précédente) l'union des corps qui le composent ; or, cette union reste ici la même quoique ''(par hypothèse)'' les parties changent sans cesse ; l'individu conserve donc, tant sous le rapport de substance que sous le rapport des modes sa nature primitive. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Lemme 5 ===<br /> <br /> ''Si les parties qui composent un individu viennent à augmenter ou à diminuer, mais dans une telle proportion que le mouvement ou le repos de toutes ces parties, considérées les unes à l'égard des autres, s'opèrent suivant les mêmes rapports, l'individu conservera encore sa nature première, et son essence ne sera pas altérée.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' C'est la même que pour le [[Éthique II#Lemme 4|lemme précédent]].<br /> <br /> === Lemme 6 ===<br /> <br /> ''Si un certain nombre de corps composant un individu sont forcés de changer la direction de leur mouvement, de telle façon pourtant qu'ils puissent continuer ce mouvement et se le communiquer les uns aux autres suivant les mêmes rapports qu'auparavant, l'individu conservera encore sa nature, sans que sa forme éprouve aucun changement.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela est évident de soi, puisque l'individu en question conserve par hypothèse tout ce qui d'après sa définition, constitue sa forme.<br /> <br /> === Lemme 7 ===<br /> <br /> ''L'individu, ainsi composé, retiendra encore sa nature, qu'il se meuve dans toutes ses parties ou qu'il reste en repos, que son mouvement ait telle direction ou telle autre, pourvu que chaque partie garde son mouvement et le communique aux autres de la même façon qu'auparavant.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela est évident par la définition même de l'individu. Voir [[Éthique II#Définition de l'individu|ce qui précède le lemme 4]].<br /> <br /> ====Scolie du lemme 7====<br /> Nous voyons par ce qui précède comment un individu composé peut être affecté d'une foule de manières, en conservant toujours sa nature. Or jusqu'à ce moment nous n'avons conçu l'individu que comme formé des corps les plus simples, de ceux qui ne se distinguent les uns des autres que par le mouvement et le repos, par la lenteur et la vitesse. Que si nous venons maintenant à le concevoir comme composé de plusieurs individus de nature diverse, nous trouverons qu'il peut être affecté de plusieurs autres façons en conservant toujours sa nature ; car puisque chacune de ses parties est composée de plusieurs corps, elle pourra (par le [[Éthique II#Lemme 7|lemme précédent]]), sans que sa nature en soit altérée, se mouvoir tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec plus de lenteur, et par suite communiquer plus lentement ou plus rapidement ses mouvements aux autres parties. Et maintenant si nous concevons un troisième genre d'individus formé de ceux que nous venons de dire, nous trouverons qu'il peut recevoir une foule d'autres modifications, sans aucune altération de sa nature. Enfin, si nous poursuivons de la sorte à l'infini nous concevrons facilement que toute la nature est un seul individu dont les parties c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de façons, sans que l'individu lui-même, dans sa totalité reçoive aucun changement. Tout cela devrait être expliqué et démontré plus au long, si j'avais dessein de traiter du corps ''ex professo'' ; mais je répète que tel n'est point mon objet, et que je n'ai placé ici ces préliminaires que pour en déduire aisément ce que je me propose maintenant de démontrer.<br /> <br /> === Postulats ===<br /> <br /> ====Postulat 1 ====<br /> Le corps humain se compose de plusieurs individus (de nature diverse), dont chacun est lui-même fort composé.<br /> <br /> ====Postulat 2 ====<br /> Entre les individus dont le corps humain est composé, quelques-uns sont fluides, d'autres mous, d'autres enfin sont durs.<br /> <br /> ====Postulat 3 ====<br /> Les individus qui composent le corps humain, et partant le corps humain lui-même, sont affectés de plusieurs façons par les corps extérieurs.<br /> <br /> ====Postulat 4 ====<br /> Le corps humain a besoin, pour sa conservation, de plusieurs autres corps, dont il est sans cesse régénéré.<br /> <br /> ====Postulat 5 ====<br /> Quand une partie fluide du corps humain est déterminée par un corps extérieur à frapper souvent une partie molle, elle en change la surface et y imprime en quelque manière des traces du corps qui agit sur elle-même.<br /> <br /> ====Postulat 6 ====<br /> Le corps humain peut en diverses façons mouvoir les corps extérieurs et en changer la disposition.<br /> <br /> === Proposition 14 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine est capable de percevoir plusieurs choses, et elle l'est d'autant plus que son corps peut recevoir un plus grand nombre de dispositions.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Car le corps humain (par les postulats [[Éthique II#Postulat 5|5]] et [[Éthique II#Postulat 6|6]]) est affecté par les corps extérieurs en plusieurs manières, et il est disposé à affecter en plusieurs manières les corps extérieurs. Or, tout ce qui arrive dans le corps humain, l'âme humaine (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12. Partie 2]]) le doit percevoir ; l'âme humaine est donc capable de percevoir plusieurs chose, et elle l'est d'autant plus, etc. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 15 ===<br /> <br /> ''L'idée qui constitue l'être formel de l'âme humaine n'est pas simple, mais composée de plusieurs idées.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'idée qui constitue l'être formel de l'âme humaine, c'est l'idée du corps (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13]], partie 2), lequel est composé (par le [[Éthique II#Postulat 1|postulat 1]]) de plusieurs individus fort composés eux-mêmes. Or, l'idée de chacun des individus dont le corps est composé se trouve en Dieu (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 8|corollaire de la proposition 8, partie 2]]) ; donc (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) l'idée du corps humain est composée de toutes les idées des parties qui composent le corps humain. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 16 ===<br /> <br /> ''L'idée de chacune des modifications dont le corps humain est affecté par les corps extérieurs doit exprimer la nature du corps humain et à la fois celle du corps extérieur.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Car toutes les modifications dont un corps quelconque est affecté résultent de la nature du corps qui reçoit l'affection, et tout ensemble de la nature du corps qui la produit (par l'axiome 1, après le corollaire du [[Éthique II#Lemme 3|lemme 3]]) ; en conséquence, l'idée de ces modes doit (par l'[[éthique I#Axiome 4|axiome 4, partie 1]]) exprimer nécessairement la nature de chacun de ces corps ; de sorte que l'idée de chacune des modifications dont le corps humain est affecté par un corps extérieur exprime la nature du corps humain et celle du corps extérieur. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire 1 de la proposition 16====<br /> Il suit de là premièrement que l'âme humaine doit percevoir en même temps que la nature de son corps celle de plusieurs autres corps.<br /> <br /> ====Corollaire 2 de la proposition 16====<br /> En second lieu, que les idées que nous avons des corps extérieurs marquent bien plus la constitution de notre corps que la nature des corps extérieurs : ce qui a d'ailleurs été expliqué par beaucoup d'exemples dans l'[[Éthique I#Appendice|appendice de la première partie]].<br /> <br /> === Proposition 17 ===<br /> <br /> ''Si le corps humain est affecté d'une modification qui exprime la nature d'un corps étranger, l'âme humaine apercevra ce corps étranger comme existant en acte ou comme lui étant présent, jusqu'à ce que le corps humain reçoive une modification nouvelle qui exclue l'existence ou la présence de ce même corps étranger.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela est évident, car tant que le corps humain sera affecté de telle façon, l'âme humaine (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12, partie 2]]) apercevra cette affection du corps ; c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition précédente]]) qu'elle aura l'idée d'une modification actuellement existante, qui exprime la nature d'un corps extérieur ; c'est-à-dire encore qu'elle aura une idée qui n'exclut pas, mais qui pose au contraire l'existence ou la présence de la nature d'un corps extérieur, et par conséquent (en vertu du [[Éthique II#Corollaire 1 de la proposition 16|corollaire 1 précédent]]) l'âme apercevra un corps extérieur comme existant en acte ou comme présent jusqu'à ce qu'elle reçoive une modification nouvelle, etc. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 17====<br /> L'âme pourra apercevoir comme présents les corps extérieurs, quoiqu'ils n'existent pas ou ne soient pas présents, quand une fois le corps humain en aura été affecté.<br /> <br /> '''Démonstration :''' Pendant que les corps extérieurs agissent sur les parties fluides du corps humain, de telle façon que celles-ci viennent à frapper souvent les parties les plus molles, il arrive qu'elles en changent les surfaces (par le [[Éthique II#Postulat 5|postulat 5]]) ; d'où il résulte qu'elles-mêmes se réfléchissent dans une direction nouvelle, et que si plus tard, par leur mouvement alors spontané, elles frappent de nouveau les mêmes surfaces, elles se réfléchiront de la même manière que lorsqu'elles étaient poussées par les corps extérieurs. En conséquence, elles affecteront le corps humain de la même manière qu'auparavant, tant qu'elles continueront à se mouvoir de ces mêmes mouvements de réflexion ; et partant, l'âme humaine (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12, partie 2]]) formera de nouveau des pensées, c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 17|proposition 17, partie 2]]) apercevra de nouveau les corps extérieurs comme présents, et cela autant de fois que les parties fluides du corps humain viendront par un mouvement spontané frapper les mêmes surfaces. Ainsi donc, quoique les corps extérieurs par qui le corps humain a été affecté une fois n'existent pas, l'âme humaine les apercevra comme présents autant de fois que se répétera cette action du corps humain que nous venons de décrire. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 17====<br /> Nous venons de voir comment il se peut faire que nous apercevions comme présentes, ainsi qu'il arrive souvent, des choses qui n'existent pas. Peut-être y a-t-il d'autres causes de ce phénomène ; mais il me suffit ici d'en avoir indiqué une par laquelle j'explique la chose aussi bien que je le ferais par la cause véritable. Je ne crois pas, du reste, m'éloigner de beaucoup de cette vraie explication, puisque tous mes postulats ne contiennent guère que des faits établis par l'expérience. Or, il ne peut plus nous être permis de mettre l'expérience en doute, du moment que nous avons montré que le corps humain existe tel que nous le sentons (voir le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 13|corollaire de la proposition 13, partie 2]]). Un autre point que nous devons maintenant comprendre clairement (par le corollaire précédent et par le [[Éthique II#Corollaire 2 de la proposition 16|corollaire 2 de la proposition 16, partie 2]]), c'est la différence qui existe entre l'idée de Pierre, par exemple, en tant qu'elle constitue l'essence de l'âme de Pierre, et cette idée en tant qu'elle est dans l'âme d'un autre homme, par exemple, de Paul. Celle-là en effet exprime directement l'essence du corps de Pierre lui-même, et n'enveloppe l'existence que pendant la durée de l'existence de Pierre ; mais celle-ci marque bien plutôt la constitution du corps de Paul que la nature de Pierre ; et c'est pourquoi, tant que durera cette constitution corporelle de Paul, l'âme de Paul apercevra Pierre comme lui étant présent, quoique Pierre n'existe pas. Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d'usage, images des choses, bien que la figure des choses n'y soit pas contenue. Et lorsque l'âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu'elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l'erreur, je prie qu'on prenne garde que les imaginations de l'âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné ; en d'autres termes, que l'âme n'est point dans l'erreur en tant qu'elle imagine, mais bien en tant qu'elle est privée d'une idée excluant l'existence des choses qu'elle imagine comme présentes. Car si l'âme, tandis qu'elle imagine comme présentes des choses qui n'ont point de réalité, savait que ces choses n'existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l'imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d'imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la [[Éthique II#Définition 7|définition 7, partie 2]]) si cette faculté était libre.<br /> <br /> === Proposition 18 ===<br /> <br /> ''Si le corps humain a été affecté une fois par deux ou plusieurs corps, dès que l'âme viendra ensuite à imaginer un de ces corps, aussitôt elle se souviendra également des autres.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Ce qui fait que l'âme imagine un certain corps, c'est (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 17|corollaire précédent]]) que le corps humain est affecté et disposé par les traces d'un même corps extérieur comme il l'était quand quelques-unes de ses parties étaient ébranlées par le corps extérieur lui-même. Or, nous supposons que le corps humain a été disposé de telle sorte que l'âme imaginait à la fois deux corps. Lors donc que cette disposition se reproduira, l'âme imaginera encore deux corps à la fois ; et de cette façon, dès qu'elle imaginera l'un d'entre eux, elle se souviendra à l'instant de l'autre. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 18====<br /> Ceci nous fait comprendre clairement en quoi consiste la mémoire. Elle n'est autre chose, en effet, qu'un certain enchaînement d'idées qui expriment la nature des choses qui existent hors du corps humain, lequel enchaînement se produit dans l'âme suivant l'ordre et l'enchaînement des affections du corps humain. Je dis, premièrement, que la mémoire est l'enchaînement de cette sorte d'idées seulement qui enveloppent la nature des choses qui existent hors du corps humain, et non des idées qui expliquent la nature de ces mêmes choses ; car il ne s'agit ici (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]) que des idées des affections du corps humain, lesquelles enveloppent la nature de ce corps et des corps extérieurs. Je dis, en second lieu, que cet enchaînement se produit suivant l'ordre et l'enchaînement des affections du corps humain, pour le distinguer de cet autre enchaînement des idées qui se produit suivant l'ordre de l'entendement, d'une manière identique pour tous les hommes, et par lequel nous percevons les choses dans leurs causes premières. Et de là nous pouvons concevoir avec clarté pourquoi l'âme passe instantanément de la pensée d'une certaine chose à celle d'une autre qui n'a aucune ressemblance avec la première : par exemple, un Romain, de la pensée du mot ''pomum, ''passe incontinent à celle d'un fruit qui ne ressemble nullement à ce son articulé et n'a avec lui aucune analogie, si ce n'est que le corps de cet homme a été souvent affecté de ces deux choses, le fruit et le son, c'est-à-dire que l'homme dont je parlé a souvent entendu le mot ''pomum ''pendant qu'il voyait le fruit que ce mot désigne ; et c'est ainsi que chacun va d'une pensée à une autre, suivant que l'habitude a arrangé dans son corps les images des choses. Un soldat, par exemple, à l'aspect des traces qu'un cheval a laissées sur le sable, ira de la pensée du cheval à celle du cavalier, de celle-ci à la pensée de la guerre, etc. ; tandis qu'un laboureur ira de la pensée du cheval à celles de la charrue, des champs, etc. ; et chacun de nous de la sorte, suivant qu'il a l'habitude de joindre et d'enchaîner de telle façon les images des choses, aura telle ou telle suite de pensées.<br /> <br /> === Proposition 19 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine ne connaît pas le corps humain lui-même, et ne sait qu'il existe que par les idées des affections qu'il éprouve. ''<br /> <br /> '''Démonstration :''' En effet, l'âme humaine, c'est l'idée même ou la connaissance du corps humain (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12, partie 2]]), laquelle est en Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 9|proposition 9, partie 2]]), en tant qu'on le considère comme affecté de l'idée d'une autre chose singulière, ou bien, en tant que le corps humain a besoin de plusieurs autres corps dont il est continuellement comme régénéré ; or, l'ordre et la connexion des idées est le même (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) que l'ordre et la connexion des causes. Cette idée sera donc en Dieu en tant qu'on le considère comme affecté des idées de plusieurs choses singulières. Par conséquent, si Dieu a l'idée du corps humain, ou autrement, si Dieu connaît le corps humain, c'est en tant qu'il est affecté de plusieurs autres idées, et non en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine ; en d'autres termes (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]), l'âme humaine ne connaît pas le corps humain. Mais, d'un autre côté, les idées des affections du corps sont en Dieu, en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine ; ou autrement, l'âme humaine perçoit ces mêmes affections (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12, partie 2]]) ; et en conséquence (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]) elle perçoit le corps humain lui-même ; et enfin elle le perçoit (par la [[Éthique II#Proposition 17|proposition 17, partie 2]]) comme existant en acte. C'est donc de cette façon seulement que l'âme humaine perçoit le corps humain lui-même. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 20 ===<br /> <br /> ''Il y a aussi en Dieu une idée ou connaissance de l'âme humaine qui suit de la nature divine et s'y rapporte de la même façon que l'idée ou connaissance du corps humain.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' La pensée est un attribut de Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 1|proposition 1, partie 2]]) ; et en conséquence (par la [[Éthique II#Proposition 3|proposition 3, partie 2]]) il y a nécessairement en Dieu l'idée de la pensée et de toutes ses affections, par suite (par la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie 2]]) l'idée de l'âme humaine. De plus, cette idée ou connaissance de l'âme ne suit pas de la nature de Dieu en tant qu'il est infini, mais en tant qu'il est affecté de l'idée d'une autre chose singulière (par la [[Éthique II#Proposition 9|proposition 9, partie 2]]). Or, l'ordre et la connexion des idées est le même que l'ordre et la connexion des causes (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]). Donc cette idée ou connaissance de l'âme est en Dieu et se rapporte à Dieu de la même manière que l'idée ou connaissance du corps. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 21 ===<br /> <br /> ''Cette idée de l'âme est unie à l'âme de la même façon que l'âme elle-même est unie au corps.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Si l'âme est unie au corps, c'est, comme nous l'avons montré, parce que le corps est l'objet de l'âme (voir les propositions [[Éthique II#Proposition 12|12]] et [[Éthique II#Proposition 13|13]], partie 2). Par conséquent, par la même raison, l'idée de l'âme doit être unie avec son objet, c'est-à-dire avec l'âme elle-même, de la même manière que l'âme est unie avec le corps. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 21====<br /> Cette proposition se conçoit beaucoup plus clairement encore par ce qui a été dit dans le [[Éthique II#Scolie de la proposition 7|scolie de la proposition 7, partie 2]]. Là, en effet, nous avons montré que l'idée du corps et le corps lui-même c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13, partie 2]]) l'âme et le corps, ne font qu'un seul et même individu conçu tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous celui de l'étendue ; c'est pourquoi l'idée de l'âme et l'âme elle-même, ce n'est qu'une seule et même chose conçue sous un seul et même attribut, savoir la pensée. Je dis donc que l'idée de l'âme et l'âme elle-même sont en Dieu par la même nécessité et résultent de la même puissance de penser. L'idée de l'âme, en effet, c'est-à-dire l'idée d'une idée, n'est autre chose que la forme de cette idée, en tant qu'on la considère comme mode de la pensée, sans égard à son objet ; car aussitôt qu'on connaît une chose, on connaît par cela même qu'on la connaît, et en même temps on sait qu'on a cette connaissance et ainsi de suite à l'infini. Mais nous reviendrons plus tard sur cette matière.<br /> <br /> === Proposition 22 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine ne perçoit pas seulement les affections du corps, mais aussi les idées de ces affections.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' De la même façon que les idées des affections du corps résultent de la nature divine et s'y rapportent, de même en est-il des idées de ces idées elles-mêmes, ce qui se démontre comme on a fait pour la [[Éthique II#Proposition 20|proposition 20, partie 2]]. Or, les idées des affections du corps se trouvent dans l'âme humaine (par la [[Éthique II#Proposition 12|proposition 12, partie 2]]), en d'autres termes (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]), dans la nature divine, en tant qu'elle constitue l'essence de l'âme humaine ; donc les idées de ces idées devront se trouver en Dieu en tant qu'il a l'idée ou la connaissance de l'âme humaine, c'est-à-dire (Par la [[Éthique II#Proposition 21|proposition 21, partie 2]]) dans l'âme humaine elle-même, qui, par conséquent, ne perçoit pas seulement les affections du corps, mais aussi les idées de ces affections. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 23 ===<br /> <br /> ''L'âme ne se connaît elle-même qu'en tant qu'elle perçoit les idées des affections du corps.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'idée ou connaissance de l'âme résulte de la nature de Dieu et s'y rapporte (par la [[Éthique II#Proposition 20|proposition 20, partie 2]]) de la même façon que l'idée ou connaissance du corps. Or, puisque (par la [[Éthique II#Proposition 19|proposition 19, partie 2]]) l'âme humaine ne connaît pas le corps humain lui-même, en d'autres termes (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]), puisque la connaissance du corps humain ne se rapporte pas à Dieu, en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine, il s'ensuit que la connaissance de l'âme ne se rapporte pas non plus à Dieu, en tant qu'il constitue l'essence de l'âme ; par conséquent (par ce même [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]), que l'âme humaine, sous ce point de vue, ne se connaît pas elle-même. Maintenant, les idées des affections du corps enveloppent la nature de ce même corps (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 16|corollaire de la proposition 16, partie 2]]) ; en d'autres termes (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13, partie 2]]), elles s'accordent avec la nature de l'âme ; par conséquent, la connaissance de ces idées enveloppera nécessairement la connaissance de l'âme ; or (par la [[Éthique II#Proposition 22|proposition précédente]]), la connaissance de ces idées se trouve dans l'âme. C'est donc sous ce point de vue seulement que l'âme humaine se connaît elle-même. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 24 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine n'enveloppe pas la connaissance adéquate des parties qui composent le corps humain.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Les parties qui composent le corps humain ne se rapportent point à son essence, si ce n'est en tant qu'elles se communiquent leurs mouvements suivant un certain rapport (voyez la [[Éthique II#Définition de l'individu|définition après le corollaire du lemme 3]]), et non pas en tant qu'on les considère comme des individus, sans regard au corps humain. Les parties du corps humain, en effet (par le [[Éthique II#Postulat 1|postulat 1]]), sont des individus très composés, dont les parties (par le [[Éthique II#Lemme 4|lemme 4]]) peuvent être séparées du corps humain, sans que sa nature et sa forme en soient altérées, et communiquer leurs mouvements à d'autres corps suivant des rapports différents (voir l'[[Éthique II#Axiome 2 sur les rapports entre les corps|axiome 2 après le lemme 3]]) ; en conséquence (par la [[Éthique II#Proposition 3|proposition 3, partie 2]]), l'idée ou connaissance de chaque partie du corps humain se trouvera en Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 9|proposition 9, partie 2]]), et elle s'y trouvera en tant que Dieu est affecté de l'idée d'une autre chose singulière, laquelle est, dans l'ordre de la nature, antérieure à cette partie (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]). Il faut en dire autant de chaque partie de l'individu lui-même qui sert à composer le corps humain ; de façon que la connaissance de chacune des parties qui forment le corps humain se trouve en Dieu, en tant qu'il est affecté de plusieurs autres idées, et non pas en tant qu'il a l'idée du corps humain, c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13, partie 2]]) l'idée qui constitue la nature de l'âme ; par conséquent (en vertu du [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]) l'âme humaine n'enveloppe pas une connaissance adéquate des parties qui composent le corps humain. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 25 ===<br /> <br /> ''L'idée d'une affection quelconque du corps humain n'enveloppe pas la connaissance adéquate du corps extérieur.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Nous avons vu que l'idée d'une affection du corps humain n'enveloppe la nature d'un corps extérieur qu'en tant que celui-ci détermine le corps humain d'une certaine façon (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]). Mais en tant que le corps extérieur est un individu sans rapport au corps humain, l'idée de ce corps extérieur n'est en Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 9|proposition 9, partie 2]]) qu'en tant que Dieu est affecté de l'idée d'une autre chose singulière, laquelle (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) est antérieure de sa nature au corps dont nous parlons. Ainsi donc l'idée ou connaissance adéquate des corps extérieurs ne se trouve pas en Dieu, en tant qu'il a l'idée des affections du corps humain ; en d'autres termes, l'idée des affections du corps humain n'enveloppe pas la connaissance adéquate des corps extérieurs. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 26 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine ne perçoit aucun corps comme existant en acte, que par les idées des affections de son corps.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Si le corps humain n'est affecté d'aucune façon par un corps extérieur, il en résulte (par la [[Éthique II#Proposition 7|proposition 7, partie 2]]) que l'idée du corps humain, c'est-à-dire l'âme humaine (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13, Partie 2]]) n'est affectée d'aucune façon de l'idée de l'existence de ce corps extérieur ; en d'autres termes, elle n'en perçoit d'aucune façon l'existence ; mais en tant que le corps humain est affecté par un corps extérieur d'une certaine façon, elle le perçoit (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]] et son [[Éthique II#Corollaire de la proposition 16|corollaire]]). C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 26====<br /> L'âme humaine, en tant qu'elle imagine un corps extérieur, n'en a pas une connaissance adéquate.<br /> <br /> '''Démonstration :''' Quand l'âme humaine aperçoit les corps extérieurs par les idées des affections de son propre corps, nous disons qu'elle imagine (voyez le [[Éthique II#Scolie de la proposition 17|scolie de la proposition 17, partie 2]]) ; et elle ne peut (par la [[Éthique II#Proposition 26|proposition précédente]]) imaginer les corps extérieurs, comme existant en acte, d'aucune autre façon. Par conséquent, l'âme humaine, en tant qu'elle imagine un corps extérieur, n'en a pas une connaissance adéquate.<br /> <br /> === Proposition 27 ===<br /> <br /> ''L'idée d'une affection quelconque du corps humain n'enveloppe point la connaissance adéquate du corps humain.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Toute idée d'une affection quelconque du corps humain enveloppe la nature du corps humain, en tant seulement que le corps humain est affecté d'une modification déterminée (voir la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]). Mais l'idée du corps humain, en tant qu'individu, lequel peut être affecté de plusieurs autres manières, etc. (voir la [[Éthique II#Proposition 25|démonstration de la proposition 25, partie 2]]).<br /> <br /> === Proposition 28 ===<br /> <br /> ''Les idées et les affections du corps humain, en tant qu'elles se rapportent seulement à l'âme humaine, ne sont point claires et distinctes, mais confuses.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' En effet, les idées des affections du corps humain enveloppent la nature des corps extérieurs ainsi que celle du corps humain lui-même (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]) ; et non seulement du corps humain, mais aussi de ses parties : car les affections sont des modes par lesquels (en vertu du [[Éthique II#Postulat 3|postulat 3]]) les parties du corps humain sont affectées et partant le corps tout entier. Or (par les propositions [[Éthique II#Proposition 24|24]] et [[Éthique II#Proposition 25|25]], partie 2) la connaissance adéquate des corps extérieurs, et celle des parties qui composent le corps humain, sont en Dieu, en tant qu'il est affecté, non pas de l'âme humaine, mais d'autres idées. Par conséquent, les idées des affections du corps humain, en tant qu'elles se rapportent seulement à l'âme humaine, sont comme des conséquences séparées de leurs prémisses, c'est-à-dire évidemment des idées confuses.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 28 ====<br /> <br /> On démontre de la même manière que l'idée constituant la nature de l’Âme humaine, considérée en elle même, n'est pas claire et distincte ; de même que l'idée de l’Âme humaine, les idées des idées des affections du Corps humain, considérées dans leur rapport avec l'Âme seule, ne sont pas non plus claires et distinctes, ce que chacun peut voir aisément.<br /> <br /> === Proposition 29 ===<br /> <br /> ''Aucune idée de l'idée d'une affection quelconque du corps humain n'enveloppe une connaissance adéquate de l'âme humaine.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' En effet, l'idée d'une affection du corps humain n'enveloppe point (par la [[Éthique II#Proposition 27|proposition 27, partie 2]]) une connaissance adéquate de l'âme humaine ; en d'autres termes, elle n'en exprime pas la nature d'une façon adéquate ; ou enfin, elle ne s'accorde pas d'une façon adéquate avec la nature de l'âme (par la [[Éthique II#Proposition 23|proposition 23, partie 2]]). En conséquence (par l'[[éthique I#Axiome 6|axiome 6, partie 1]]) l'idée de cette idée n'exprime pas non plus, d'une façon adéquate, la nature de l'âme humaine ; en d'autres termes, elle n'en enveloppe pas une connaissance adéquate. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 29====<br /> Il suit de là que l'âme humaine, toutes les fois qu'elle perçoit les choses dans l'ordre commun de la nature, n'a point d'elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, une connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse et mutilée. L'âme, en effet, ne se connaît qu'en tant qu'elle perçoit les idées des affections du corps (par la [[Éthique II#Proposition 23|proposition 23, partie 2]]). Elle ne connaît son corps (par la [[Éthique II#Proposition 19|proposition 19, partie 2]]) que par ces mêmes idées des affections du corps, par lesquelles seules elle connaît aussi les corps extérieurs ; par conséquent donc, en tant qu'elle a ces idées, elle n'a point une connaissance adéquate d'elle-même (par la [[Éthique II#Proposition 29|proposition 29, partie 2]]), ni de son corps (par la [[Éthique II#Proposition 27|proposition 27, partie 2]]), ni des corps extérieurs (par la [[Éthique II#Proposition 25|proposition 25, partie 2]]), mais seulement une connaissance confuse et mutilée (par la [[Éthique II#Proposition 28|proposition 28, partie 2]] et son [[Éthique II#Scolie de la proposition 28|scolie]]). C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 29====<br /> Je dis expressément que l'âme humaine n'a point une connaissance adéquate d'elle-même, ni de son corps, ni des corps extérieurs, mais seulement une connaissance confuse, toutes les fois qu'elle perçoit les choses dans l'ordre commun de la nature ; par où j'entends, toutes les fois qu'elle est déterminée extérieurement par le cours fortuit des choses à apercevoir ceci ou cela, et non pas toutes les fois qu'elle est déterminée intérieurement, c'est-à-dire par l'intuition simultanée de plusieurs choses, à comprendre leurs convenances, leurs différences et leurs oppositions ; car chaque fois qu'elle est ainsi disposée intérieurement de telle et telle façon, elle aperçoit les choses clairement et distinctement, comme je le montrerai tout à l'heure.<br /> <br /> === Proposition 30 ===<br /> <br /> ''Nous n'avons de la durée de notre corps qu'une connaissance fort inadéquate.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' La durée de notre corps ne dépend pas de son essence (par [[Éthique II#Axiome 1|l'axiome 1, partie 2]]), ni de la nature absolue de Dieu (par la [[éthique I#Proposition 21|proposition 21, partie 1]]), notre corps étant déterminé à exister et à agir d'une certaine façon par des causes qui sont elles-mêmes déterminées par d'autres causes à exister et à agir d'une certaine manière particulière, et celles-ci par d'autres encore, et ainsi à l'infini. La durée de notre corps dépend donc de l'ordre commun de la nature, et de la constitution des choses. Or l'idée ou connaissance de la manière dont les choses sont constituées est en Dieu, en tant qu'il a les idées de toutes ces choses, et non pas en tant qu'il a seulement l'idée du corps humain (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 9|corollaire de la proposition 9, partie 2]]) ; c'est pourquoi la connaissance de la durée de notre corps est en Dieu fort inadéquate, en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine ; en d'autres termes (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]) cette connaissance est fort inadéquate dans notre âme. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 31 ===<br /> <br /> ''Nous ne pouvons avoir qu'une connaissance fort inadéquate de la durée des choses singulières qui sont hors de nous.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Toute chose singulière en effet, comme le corps humain, doit être déterminée à exister et à agir d'une certaine façon par une autre chose singulière, et celle-ci par une autre et ainsi à l'infini (par la [[Éthique II#Proposition 28|proposition 28, partie 1]]) ; or, comme nous avons démontré dans la [[Éthique II#Proposition 29|proposition précédente]], par cette propriété commune ; toutes les choses singulières, que nous n'avons de la durée de notre corps qu'une connaissance fort inadéquate, il faut arriver à la même conclusion pour la durée de toute autre chose singulière, savoir, que nous ne pouvons avoir qu'une connaissance fort inadéquate de leur durée.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 31====<br /> Il suit de là que toutes les choses particulières sont contingentes et corruptibles ; car nous ne pouvons avoir (par la [[Éthique II#Proposition 31|proposition précédente]]) qu'une connaissance fort inadéquate de leur durée, et ce n'est pas autre chose que cela même qu'il faut entendre par la contingence et la corruptibilité des choses (voir le [[éthique I#Scolie 1 de la proposition 33|scolie 1 de la proposition 33, partie 1]]) ; car, hors de là, il n'est rien de contingent (par la [[éthique I#Proposition 29|proposition 29, partie 1]]).<br /> <br /> === Proposition 32 ===<br /> <br /> ''Toutes les idées, en tant qu'elles se rapportent à Dieu, sont vraies.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Car toutes les idées qui sont en Dieu conviennent parfaitement avec leurs objets (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 7|corollaire de la proposition 7, partie 2]]) et par conséquent elles sont vraies (par l'[[Éthique I#Axiome 6|axiome 6, partie 1]]). C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 33 ===<br /> <br /> ''Ce n'est rien de positif qui fait la fausseté des idées.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Si vous niez cela, essayez de concevoir un mode positif de la pensée qui constitue la forme de l'erreur et de la fausseté. Un tel mode ne se peut trouver en Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 32|proposition précédente]]), et il ne peut non plus exister ni se concevoir hors de Dieu (par la [[éthique I#Proposition 15|proposition 15, partie 1]]). Par conséquent, ce ne peut rien être de positif qui fait la fausseté des idées. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 34 ===<br /> <br /> ''Toute idée, qui est complète en nous, c'est-à-dire adéquate et parfaite, est une idée vraie.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Quand nous disons qu'il y a en nous une idée adéquate et parfaite, c'est comme si nous disions (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11]]) qu'elle est en Dieu adéquate et parfaite, en tant qu'il constitue l'essence de notre âme ; par conséquent, c'est comme si nous disions (par la [[Éthique II#Proposition 32|proposition 32, partie 2]]) qu'une telle idée est vraie.<br /> <br /> === Proposition 35 ===<br /> <br /> ''La fausseté des idées consiste dans la privation de connaissance qu'enveloppent les idées inadéquates, c'est-à-dire les idées mutilées et confuses.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Il n'y a dans les idées rien de positif qui constitue la forme de la fausseté (par la [[éthique I#Proposition 35|proposition 35, partie 1]]). Or, la fausseté ne peut pas consister dans l'absolue privation (car on ne dit pas que les corps se trompent ou sont dans l'erreur, mais seulement les âmes), ni dans l'absolue ignorance ; car autre chose est l'ignorance, autre chose l'erreur. Elle consiste donc dans la privation de connaissance qu'enveloppe la connaissance inadéquate des choses, c'est-à-dire les idées inadéquates et confuses. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 35====<br /> J'ai expliqué dans le [[Éthique II#Scolie de la proposition 17|scolie de la proposition 17, partie 2]], pourquoi l'erreur consiste dans une privation de connaissance ; pour plus de clarté, je donnerai ici un exemple. Les hommes se trompent en ce point, qu'ils pensent être libres. Or, en quoi consiste une telle opinion ? en cela seulement qu'ils ont conscience de leurs actions et ignorent les causes qui les déterminent. L'idée que les hommes se font de leur liberté vient donc de ce qu'ils ne connaissent point la cause de leurs actions, car dire qu'elles dépendent de la volonté, ce sont là des mots auxquels on n'attache aucune idée. Quelle est en effet la nature de la volonté, et comment meut-elle le corps, c'est ce que tout le monde ignore, et ceux qui élèvent d'autres prétentions et parlent des sièges de l'âme et de ses demeures prêtent à rire ou font pitié.— De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu'il est éloigné de nous d'environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d'imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l'imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n'en continuons pas moins à l'imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n'est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c'est que l'affection de notre corps n'enveloppe l'essence du soleil qu'en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil.<br /> <br /> === Proposition 36 ===<br /> <br /> ''Les idées inadéquates et confuses découlent de la pensée avec la même nécessité que les idées adéquates, c'est-à-dire claires et distinctes.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Toutes les idées sont en Dieu (par la [[Éthique II#Proposition 15|proposition 15, partie 1]]) et, en tant qu'elles se rapportent à Dieu, elles sont vraies (par la [[Éthique II#Proposition 32|proposition 32, partie 2]]), et adéquates (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 7|corollaire de la proposition 7, partie 2]]) ; les idées ne sont donc inadéquates et confuses qu'en tant qu'elles se rapportent à quelque âme singulière (voir les propositions [[Éthique II#Proposition 24|24]] et [[Éthique II#Proposition 28|28]], partie 2). Par conséquent, toutes les idées, tant adéquates qu'inadéquates, découlent de la pensée avec la même nécessité (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition de 6|corollaire de la proposition 6, partie 2]]). C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 37 ===<br /> <br /> ''Ce qui est commun à toutes choses ''(voir le [[Éthique II#Lemme 2|lemme 2]] ci-dessus),'' ce qui est également dans le tout et dans la partie, ne constitue l'essence d'aucune chose singulière.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Essayez de concevoir, en effet, s'il est possible, qu'il en soit autrement, et, par exemple, que ce principe commun à toutes choses constitue l'essence d'une chose singulière, B. Ôtez B, le principe commun ne pourra exister, ni être conçu (par la [[Éthique II#Définition 2|définition 2, partie 2]]), ce qui est contre l'hypothèse. Donc ce principe n'appartient pas à l'essence de B, et ne constitue l'essence d'aucune chose singulière. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 38 ===<br /> <br /> ''Ce qui est commun à toutes choses et se trouve également dans le tout et dans la partie, ne se peut concevoir que d'une façon adéquate.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Soit A ce principe commun à toutes choses et qui se trouve également dans le tout et dans la partie. Je dis que A ne se peut concevoir que d'une façon adéquate. En effet, l'idée de A sera nécessairement adéquate en Dieu (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 7|corollaire de la proposition 7, partie 2]]), en tant qu'il a l'idée du corps humain, et en tant aussi qu'il a l'idée de ses affections, lesquelles (par les propositions [[Éthique II#Proposition 16|16]], [[Éthique II#Proposition 25|25]] et [[Éthique II#Proposition 27|27]], partie 2) enveloppent partiellement la nature du corps humain et à la fois celle du corps extérieur ; en d'autres termes (par les propositions [[Éthique II#Proposition 12|12]] et [[Éthique II#Proposition 13|13]], partie 2), l'idée de A sera adéquate en Dieu, en tant qu'il constitue l'âme humaine, et en tant qu'il a les idées qui sont dans l'âme humaine ; l'âme humaine, par conséquent (en vertu du [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]), perçoit nécessairement A d'une façon adéquate ; et cela, soit en tant qu'elle se perçoit elle-même, soit en tant qu'elle perçoit son corps ou tel corps extérieur, et elle ne peut percevoir A d'une autre façon. C.Q.F.D.<br /> <br /> ==== Corollaire de la proposition 38====<br /> Il suit de là qu'il y a un certain nombre d'idées ou notions communes à tous les hommes. Car (par le [[Éthique II#Lemme 2|lemme 2]]) tous les corps se ressemblent en certaines choses, lesquelles (par la [[Éthique II#Proposition 38|proposition précédente]]) doivent être aperçues par tous d'une façon adéquate, c'est-à-dire claire et distincte.<br /> <br /> === Proposition 39 ===<br /> <br /> ''Ce qui est commun au corps humain et à quelques corps extérieurs par lesquels le corps humain est ordinairement modifié, et ce qui est également dans chacune de leurs parties et dans leur ensemble, l'âme humaine en a une idée adéquate.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Soit A ce qui est propre et commun au corps humain et à quelques corps extérieurs, et de plus ce qui se trouve également dans le corps humain et dans ces mêmes corps extérieurs, et enfin, ce qui est également dans chacune de leurs parties et dans leur ensemble ; Dieu aura l'idée adéquate de A (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 7|corollaire de la proposition 7, partie 2]]), en tant qu'il a l'idée du corps humain, aussi bien qu'en tant qu'il a celle des corps extérieurs dont il s'agit. Supposons maintenant que le corps humain soit modifié par un corps extérieur dans ce qu'il a de commun avec lui, par conséquent dans A, l'idée de cette affection enveloppera la propriété A (par la [[Éthique II#Proposition 16|proposition 16, partie 2]]) ; et par conséquent, l'idée de cette affection (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 7|corollaire de la proposition 7, partie 2]]), en tant qu'elle enveloppe la propriété A, sera adéquate en Dieu, en tant qu'il est affecté de l'idée du corps humain, c'est-à-dire (par la [[Éthique II#Proposition 13|proposition 13, partie 2]]), en tant qu'il constitue la nature de l'âme humaine ; par conséquent enfin (par la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie 2]]), cette idée se trouvera dans l'âme humaine d'une façon adéquate. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 39====<br /> Il suit de là que l'âme est propre à percevoir d'une manière adéquate un plus grand nombre de choses, suivant que son corps a plus de points communs avec les corps extérieurs.<br /> <br /> === Proposition 40 ===<br /> ''Toutes les idées qui dans l'âme résultent d'idées'' ''adéquates sont adéquates elles-mêmes.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cela est évident ; car dire que dans l'âme humaine une idée découle d'autres idées, ce n'est pas dire autre chose (par le corollaire de la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie 2]]) sinon que dans l'entendement divin lui-même il y a une idée dont Dieu est la cause, non pas en tant qu'infini, ni en tant qu'il est affecté de l'idée de plusieurs choses singulières, mais en tant seulement qu'il constitue l'essence de l'âme humaine.<br /> <br /> ====Scolie 1 de la proposition 40====<br /> Je viens d'expliquer la cause de ces notions qu'on nomme ''communes,'' et qui sont les bases du raisonnement. Mais il y a d'autres causes de certains axiomes ou notions qu'il serait dans notre sujet d'expliquer ici par la méthode que nous suivons ; car on verrait par là quelles sont parmi toutes ces notions celles qui ont vraiment une utilité supérieure, et celles qui ne sont presque d'aucun usage. On verrait aussi quelles sont celles qui sont communes à tous, et celles qui ne sont claires et distinctes que pour les esprits dégagés de la maladie des préjugés, celles enfin qui sont mal fondées. En outre, on apercevrait l'origine de ces notions qu'on nomme ''secondes, ''et par suite les axiomes, qui reposent sur elles, et plusieurs autres choses qui me sont venues en la pensée par la méditation de celles-ci. — Mais ayant destiné à un autre traité, tout cet ordre de considérations et craignant d'ailleurs de tomber dans une prolixité excessive, j'ai pris le parti de m'abstenir ici de toucher à cette matière.<br /> <br /> Toutefois, comme je ne voudrais rien omettre en ce livre qu'il fût nécessaire de savoir, je dirai en peu de mots quelle est l'origine de ces termes qu'on appelle ''transcendantaux, ''comme ''être, chose, quelque chose. ''Ces termes viennent de ce que le corps humain, à cause de sa nature limitée, n'est capable de former à la fois, d'une manière distincte, qu'un nombre déterminé d'images (j'ai expliqué ce que c'est qu'une image dans le [[Éthique II#Scolie de la proposition 17|scolie de la proposition 17, partie 2]]). De telle façon que si ce nombre est dépassé, les images commencent de se confondre ; et s'il est dépassé plus encore, ces images se mêlent les unes avec les autres dans une confusion universelle. Or, on sait parfaitement (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 17|corollaire de la proposition 17]] et la [[Éthique II#Proposition 18|proposition 18, partie 2]]) que l'âme humaine est capable d'imaginer à la fois d'une manière distincte un nombre de corps d'autant plus grand qu'il se peut former dans le corps humain plus d'images. Ainsi, dès que les images sont livrées dans le corps à une entière confusion, l'âme n'imagine plus les corps que d'une manière confuse et sans aucune distinction, et les comprend toutes comme dans un seul attribut, l'attribut être ou chose, etc.<br /> <br /> Ces notions, du reste, peuvent être aussi expliquées par les divers degrés de force que reçoivent les images, et encore par d'autres causes analogues qu'il n'est pas besoin d'expliquer ici, puisqu'il suffit pour le but que nous poursuivons d'en considérer une seule, et que toutes reviennent à ceci, savoir, que les termes dont nous parlons ne désignent rien autre chose que les idées à leur plus haut degré de confusion. C'est par des causes semblables que se sont formées les notions qu'on nomme ''universelles ; ''par exemple, l'homme, le cheval, le chien, etc. Ainsi, il se produit à la fois dans le corps humain tant d'images d'hommes, que notre force imaginative, sans être épuisée entièrement, est pourtant affaiblie à ce point que l'âme humaine ne peut plus imaginer le nombre précis de ces images, ni les petites différences, de couleur, de grandeur, etc., qui distinguent chacune d'elles. Cela seul est distinctement imaginé qui est commun à toutes les images, en tant que le corps humain est affecté par elles ; et il en est ainsi, parce que ce dont le corps humain a été le plus affecté, c'est précisément ce qui est commun à toutes les images ; et c'est cela qu'on exprime par le mot ''homme, ''et qu'on affirme de tous les individus humains en nombre infini, le nombre déterminé des images échappant à l'imagination, comme nous l'avons déjà expliqué.<br /> <br /> — Maintenant, il faut remarquer que ces notions ne sont pas formées de la même façon par tout le monde ; elles varient pour chacun, suivant ce qui dans les images a le plus souvent affecté son corps, et suivant ce que l'âme imagine ou rappelle avec plus de facilité. Par exemple, ceux qui ont souvent contemplé avec admiration la stature de l'homme entendent sous le nom d'homme un animal à stature droite ; ceux qui ont été frappés d'un autre caractère se forment de l'homme en général une autre image ; c'est un animal capable de rire, un animal bipède sans plumes, un animal raisonnable, et chacun se forme ainsi, suivant la disposition de son corps, des images générales des choses. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que tant de controverses se soient élevées entre les philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par les seules images que nous nous en formons.<br /> <br /> ====Scolie 2 de la proposition 40====<br /> Il résulte clairement de tout ce qui précède que nous tirons un grand nombre de perceptions et toutes nos notions universelles :&lt;br /&gt;1° des choses singulières que les sens représentent à l'intelligence d'une manière confuse, tronquée et sans aucun ordre (voir le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 29|corollaire de la proposition 29, partie 2]]) ; et c'est pourquoi je nomme d'ordinaire les perceptions de cette espèce, connaissance fournie par l'expérience vague ; &lt;br /&gt;2° des signes, comme, par exemple, des mots que nous aimons à entendre ou à lire, et qui nous rappellent certaines choses, dont nous formons alors des idées semblables à celles qui ont d'abord représenté ces choses à notre imagination (voir le [[Éthique II#Scolie de la proposition 18|scolie de la proposition 18, partie 2]]) ; j'appellerai dorénavant ces deux manières d'apercevoir les choses, connaissance du premier genre, opinion ou imagination ; &lt;br /&gt;3° enfin, des notions communes et des idées adéquates que nous avons des propriétés des choses (voir le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 38|corollaire de la proposition 38]], la [[Éthique II#Proposition 39|proposition 39]] et son [[Éthique II#Corollaire de la proposition 39|corollaire]], et la [[Éthique II#Proposition 40|proposition 40, part. 2]]). J'appellerai cette manière d'apercevoir les choses, raison ou connaissance du second genre.&lt;br /&gt;Outre ces deux genres de connaissances, on verra par ce qui suit qu'il en existe un troisième, que j'appellerai science intuitive. Celui-ci va de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence des choses.<br /> <br /> J'expliquerai cela par un seul exemple. Trois nombres nous sont donnés, pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second est au premier. Les marchands n'hésitent pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier ; et cela par cette raison qu'ils n'ont pas encore oublié ce qui leur a été dit sans preuve par leur maître, ou bien parce qu'ils ont fait plusieurs épreuves de cette opération sur des nombres très simples, et enfin par la démonstration de la proposition 19 du 7e livre d'Euclide, c'est-à-dire en vertu d'une propriété générale des proportions.— Mais tout cela est inutile si on opère sur des nombres très simples. Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n'y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d'une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu'une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.<br /> <br /> === Proposition 41 ===<br /> <br /> ''La connaissance du premier genre est l'unique cause de la fausseté des idées ; celle du second et du troisième genre est nécessairement vraie.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' À la connaissance du premier genre se rapportent, comme nous l'avons dit dans le précédent scolie, toutes les idées inadéquates et confuses ; elle est donc (par la [[Éthique II#Proposition 35|proposition 35, partie 2]]) l'unique cause de la fausseté des idées. Au contraire, les idées adéquates se rapportent à la connaissance du second et du troisième genre ; et par conséquent (par la [[Éthique II#Proposition 34|proposition 34, partie 2]]) elle est nécessairement vraie. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 42 ===<br /> <br /> ''C'est la connaissance du second et du troisième genre et non celle du premier genre qui nous apprennent à distinguer le vrai du faux.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Cette proposition est évidente d'elle-même. Quiconque, en effet, sait distinguer le vrai d'avec le faux doit avoir du vrai et du faux une idée adéquate ; par conséquent (en vertu du [[Éthique II#Scolie 2 de la proposition 40|scolie 2 de la proposition 40, partie 2]]), connaître le vrai et le faux d'une connaissance du second ou du troisième genre.<br /> <br /> === Proposition 43 ===<br /> <br /> ''Celui qui a une idée vraie sait, en même temps, qu'il a cette idée et ne peut douter de la vérité de la chose qu'elle représente.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Une idée vraie dans l'âme humaine, c'est une idée qui est en Dieu d'une manière adéquate en tant que sa nature est exprimée par la nature humaine (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]). Supposons donc en Dieu, en tant qu'il est exprimé par la nature de l'âme humaine, l'idée adéquate A. Il doit y avoir également en Dieu l'idée A, laquelle a le même rapport avec Dieu que A elle-même (par la [[Éthique II#Proposition 20|proposition 20, partie 2]], dont la démonstration est générale). Or, l'idée A se rapporte, par l'hypothèse, à Dieu en tant qu'il est exprimé par la nature de l'âme humaine. Donc l'idée de l'idée de A aura avec Dieu le même rapport, c'est-à-dire (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 11|corollaire de la proposition 11, partie 2]]) que cette idée adéquate de l'idée A sera aussi dans cette âme qui possède déjà l'idée A ; par conséquent, celui qui a une idée adéquate, en d'autres termes (par la [[Éthique II#Proposition 34|proposition 34, part. 2]]), celui qui connaît une chose selon sa vraie nature, doit avoir en même temps de sa connaissance une idée adéquate, c'est-à-dire une connaissance vraie, et par une suite évidente posséder la certitude. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 43 ====<br /> J'ai expliqué (dans le [[Éthique II#Scolie de la proposition 21|scolie de la proposition 21, part. 2]]) en quoi consiste l'idée d'une idée. Mais il faut remarquer que la précédente proposition est, de soi, assez évidente. Il n'est personne, en effet, qui, ayant une idée vraie, ignore qu'une idée vraie enveloppe la certitude ; car qu'est-ce qu'avoir une idée vraie ? c'est connaître parfaitement, ou aussi bien que possible, une chose. On ne peut donc nous contredire ici, à moins de s'imaginer qu'une idée est une chose muette et inanimée, comme une peinture, et non un mode de la pensée, et l'acte même du penser. D'ailleurs, je le demande, qui peut savoir qu'il comprend une certaine chose, si déjà il ne l'a comprise ? En d'autres termes, si déjà vous n'êtes certain d'une chose, comment pouvez-vous savoir que vous en êtes certain ? Et puis, quelle règle de vérité trouvera-t-on plus claire et plus certaine qu'une idée vraie ? Certes, de même que la lumière se montre soi-même et avec soi montre les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son ''criterium'' et elle est aussi celui de l'erreur.<br /> <br /> Cela suffit, à mon avis, pour répondre à tout cet ordre de questions : si, en effet, une idée vraie ne se distingue d'une idée fausse que par sa convenance avec son objet, il en résulte donc qu'une idée vraie ne surpasse pas une idée fausse en réalité et en perfection (du moins quand on ne considère que leurs dénominations extrinsèques), et il y a la même égalité de perfection entre un homme qui a des idées vraies et celui qui en a de fausses. De plus, d'où vient que les hommes ont des idées fausses ? Enfin, comment un homme saura-t-il qu'il a des idées qui sont d'accord avec leurs objets ? Pour moi, je répète que je crois avoir déjà répondu à ces questions ; car, pour ce qui est de la différence entre une idée vraie et une idée fausse, il résulte de la [[Éthique II#Proposition 35|proposition 35, partie 2]], que celle-là est par rapport à celle-ci comme l'être au non-être. Quant aux causes de la fausseté des idées, je les ai expliquées (depuis la [[Éthique II#Proposition 19|proposition l9]] jusqu'à la [[Éthique II#Proposition 35|proposition 35]] avec son [[Éthique II#Scolie de la proposition 35|scolie]]), et cela de la manière la plus claire. On voit aussi par ces principes la différence qui sépare l'homme qui a des idées vraies et celui qui n'a que des idées fausses.<br /> <br /> Reste le dernier point que j'ai touché : comment un homme pourra-t-il savoir qu'il a une idée vraie, laquelle s'accorde avec son objet ? Or, j'ai expliqué plus que suffisamment tout à l'heure que l'on devra savoir qu'on a une telle idée par cela seul qu'on aura cette même idée, la vérité étant d'elle-même son propre signe. Ajoutez à cela que notre âme, en tant qu'elle perçoit les choses suivant leur vraie nature, est une partie de l'entendement infini de Dieu (par le corollaire de la [[Éthique II#Proposition 11|proposition 11, partie 2]]) ; par conséquent, il est nécessaire que les idées claires et distinctes de notre âme soient vraies comme celles de Dieu même.<br /> <br /> === Proposition 44 ===<br /> <br /> ''Il n'est point de la nature de la raison de percevoir les choses comme contingentes, mais bien comme nécessaires.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Il est de la nature de la raison de percevoir les choses selon leur vraie nature (par la [[Éthique II#Proposition 41|proposition 41, partie 2]]), c'est-à-dire (par l'[[éthique I#Axiome 6|axiome 6, partie 1]]) telles qu'elles sont, par conséquent (par la [[Éthique I#Proposition 29|proposition 29, partie 1]]) comme nécessaires, et non point comme contingentes. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire 1 de la proposition 44 ====<br /> Il suit de là que c'est la seule imagination qui nous fait percevoir les choses comme contingentes, au regard du passé comme au regard de l'avenir.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 44====<br /> Comment en est-il ainsi ? C'est ce que je vais expliquer en peu de mots. Nous avons vu plus haut ([[Éthique II#Proposition 17|proposition 17, partie 2]], et son [[Éthique II#Corollaire de la proposition 17|corollaire]]) que l'âme imagine toujours les choses comme lui étant présentes, quoiqu'elles n'existent pas, à moins que certaines causes ne viennent à agir, qui excluent leur existence présente. Nous avons montré ; ensuite ([[Éthique II#Proposition 18|proposition 18, partie 2]]) que si le corps humain a été une fois affecté simultanément par deux corps extérieurs, aussitôt que l'âme vient à imaginer l'un d'entre eux, elle se souvient à l'instant de l'autre, c'est-à-dire les aperçoit tous deux comme lui étant présents, à moins que par l'action de certaines causes leur existence présente ne se trouve exclue. En outre, personne ne conteste que nous n'imaginions aussi le temps, par cela même que nous venons à imaginer que certains corps se meuvent plus lentement ou plus rapidement les uns que les autres ou avec une égale rapidité. Supposons maintenant qu'un enfant qui aurait vu hier, pour la première fois, le matin Pierre, à midi Paul et le soir Siméon, voie ce matin Pierre pour la seconde fois. Il résulte évidemment de la [[Éthique II#Proposition 18|proposition 18, partie 2]], qu'aussitôt qu'il verra la lumière du matin, il imaginera aussitôt le soleil parcourant la même partie du ciel qu'il lui a vu parcourir la veille ; il imaginera donc le jour tout entier, et en même temps, avec le matin Pierre, avec l'heure du midi Paul, avec le soir Siméon ; en d'autres termes, il imaginera Paul et Siméon avec une relation au temps futur. Au contraire, si on suppose qu'il voie Siméon le soir, il rapportera Paul et Pierre au temps passé, les imaginant l'un et l'autre avec le temps passé d'une manière simultanée. Et tout cela se produira d'autant plus régulièrement que l'enfant dont nous parlons aura vu plus souvent ces trois personnes dans le même ordre. Que s'il arrive, un soir, qu'au lieu de voir Siméon, il voit Jacob, le lendemain matin il ne joindra plus à l'idée du soir la personne seule de Siméon, niais tantôt Siméon, tantôt Jacob, et non pas tous deux à la fois ; car, d'après l'hypothèse, il a vu le soir tantôt l'un, tantôt l'autre, et non pas tous deux à la fois. Voilà donc son imagination livrée à une sorte de fluctuation et joignant à l'idée du soir ou celui-ci ou celui-là, c'est-à-dire aucun d'eux d'une manière certaine, de façon qu'il les aperçoit l'un et l'autre comme des futurs contingents. Or, cette même fluctuation aura lieu de la même manière chaque fois que nous imaginerons cet ordre de choses que nous concevons également en relation avec le temps passé ou le temps présent ; et en conséquence toutes choses que nous rapportons aussi bien au présent qu'au passé et au futur, nous les imaginerons comme contingentes.<br /> <br /> ====Corollaire 2 de la proposition 44 ====<br /> Il est de la nature de la raison de percevoir les choses sous la forme de l'éternité.<br /> <br /> '''Démonstration :''' En effet, il est de la nature de la raison de percevoir les choses comme nécessaires et non comme contingentes (par la [[Éthique II#Proposition 44|proposition précédente]]). Or, cette nécessité des choses, la raison la perçoit selon le vrai (par la [[Éthique II#Proposition 41|proposition 41, partie 2]]), c'est-à-dire (par l'[[éthique I#Axiome 6|axiome 6, partie 1]]) telle qu'elle est en soi. De plus (par la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16, partie 1]]), cette nécessité des choses est la nécessité même de l'éternelle nature de Dieu. Il est donc de la nature de la raison d'apercevoir les choses sous la forme de l'éternité. Ajoutez à cela que les fondements de la raison, ce sont (par la [[Éthique II#Proposition 38|proposition 38, partie 2]]) ces notions qui contiennent ce qui est commun à toutes choses, et n'expliquent l'essence d'aucune chose singulière (par la [[Éthique II#Proposition 37|proposition 37, partie 2]]), notions qui, par conséquent, doivent être conçues hors de toute relation de temps et sous la forme de l'éternité. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 45 ===<br /> <br /> ''Toute idée d'un corps ou d'une chose singulière quelconque existant en acte enveloppe nécessairement l'essence éternelle et infinie de Dieu.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'idée d'une chose singulière et qui existe en acte enveloppe nécessairement tant l'essence que l'existence de cette chose (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 8|corollaire de la proposition 8, partie 2]]). Or, les choses singulières (par la [[éthique I#Proposition 15|proposition 15, partie 1]]) ne peuvent être conçues sans Dieu ; et comme elles ont Dieu pour cause (par la [[Éthique II#Proposition 6|proposition 6, partie 2]]), en tant que Dieu est considéré sous le point de vue de l'attribut dont elles sont les modes, l'idée de ces mêmes choses (par l'[[éthique I#Axiome 4|axiome 4, partie 1]]) doit envelopper le concept de l'attribut auquel elles se rapportent, et par conséquent (par la [[éthique I#Définition 6|définition 6, partie 1]]) l'essence infinie et éternelle de Dieu. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 45====<br /> Je n'entends pas ici par existence la durée, c'est-à-dire l'existence conçue d'une manière abstraite, comme une forme de la quantité. Je parle de la nature même de l'existence qu'on attribue aux choses singulières, à cause qu'elles découlent en nombre infini et avec une infinité de modifications de la nécessité éternelle de la nature de Dieu (voir la [[éthique I#Proposition 16|proposition 16, partie 1]]). Je parle, dis-je, de l'existence même des choses singulières, en tant qu'elles sont en Dieu. Car, quoique chacune d'elles soit déterminée par une autre d'exister d'une certaine manière, la force par laquelle elle persévère dans l'être suit de l'éternelle nécessité de la nature de Dieu. (Sur ce point, voyez le [[éthique I#Corollaire de la proposition 24|corollaire de la proposition 24, partie 1]]).<br /> <br /> === Proposition 46 ===<br /> <br /> ''La connaissance de l'essence éternelle et infinie de Dieu que toute idée enveloppe est adéquate et parfaite.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' La démonstration de la précédente proposition est générale ; et soit que l'on considère une chose comme partie ou comme tout, l'idée de cette chose, idée d'une partie ou d'un tout, peu importe, enveloppera l'essence éternelle et infinie de Dieu. Par conséquent, ce qui donne la connaissance de l'infinie et éternelle essence de Dieu est commun à toutes choses, et se trouve également dans la partie et dans le tout : d'où il suit (par la [[Éthique II#Proposition 38|proposition 38, partie 2]]) que cette connaissance est adéquate. C.Q.F.D.<br /> <br /> === Proposition 47 ===<br /> <br /> ''L'âme humaine a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'âme humaine a des idées (par la [[Éthique II#Proposition 22|proposition 22, partie 2]]) par lesquelles (par la [[Éthique II#Proposition 23|proposition 23, partie 2]]) elle se connaît elle-même ainsi que son corps (par la [[Éthique II#Proposition 19|proposition 19, partie 2]]), et les corps extérieurs (par le [[Éthique II#Corollaire 1 de la proposition 16|corollaire 1 de la proposition 16]] et par la [[Éthique II#Proposition 17|proposition 17, partie 2]]), le tout comme existant en acte. Donc (par les [[Éthique II#Proposition 45|propositions 45]] et [[Éthique II#Proposition 46|46, partie 2]]), elle a une connaissance adéquate de l'infinie et éternelle essence de Dieu.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 47====<br /> Nous voyons par là que l'essence infinie de Dieu et son éternité sont choses connues de tous les hommes. Or, comme toutes choses sont en Dieu et se conçoivent par Dieu, il s'ensuit que nous pouvons de cette connaissance en déduire beaucoup d'autres qui sont adéquates de leur nature, et former ainsi ce troisième genre de connaissance dont nous avons parlé (dans le scolie 2 de la [[Éthique II#Proposition 40|proposition 40, partie 2]]), et dont vous aurons à montrer dans la [[Éthique V|partie cinquième]] la supériorité et l'utilité. Mais comme tous les hommes n'ont pas une connaissance également claire de Dieu et des notions communes, il arrive qu'ils ne peuvent imaginer Dieu comme ils font les corps, et qu'ils ont uni le nom de Dieu aux images des choses que leurs yeux ont coutume de voir, et c'est là une chose que les hommes ne peuvent guère éviter, parce qu'ils sont continuellement affectés par les corps extérieurs. Du reste, la plupart des erreurs viennent de ce que nous n'appliquons pas convenablement les noms des choses. Si quelqu'un dit, par exemple, que les lignes menées du centre d'un cercle à sa circonférence sont inégales, il est certain qu'il entend autre chose que ce que font les mathématiciens. De même, celui qui se trompe dans un calcul a dans l'esprit d'autres nombres que sur le papier. Si donc vous ne faites attention qu'à ce qui se passe dans son esprit, assurément il ne se trompe pas ; et néanmoins il semble se tromper parce que nous croyons qu'il a dans l'esprit les mêmes nombres qui sont sur le papier. Sans cela nous ne penserions pas qu'il fût dans l'erreur, comme je n'ai pas cru dans l'erreur un homme que j'ai entendu crier tout à l'heure : ''Ma maison s'est envolée dans la poule de mon voisin ;'' par la raison que sa pensée véritable me paraissait assez claire. Et de là viennent la plupart des controverses, je veux dire de ce que les hommes n'expliquent pas bien leur pensée et interprètent mal celle d'autrui au plus fort de leurs querelles ; ou bien ils ont les mêmes sentiments, ou, s'ils en ont de différents, les erreurs et les absurdités qu'ils s'imputent les uns aux autres n'existent pas.<br /> <br /> === Proposition 48 ===<br /> <br /> ''Il n'y a point dans l'âme de volonté absolue ou libre ; mais l'âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause, qui elle-même est déterminée par une autre, et celle-ci encore par une autre, et ainsi à l'infini.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' L'âme est un certain mode déterminé de la pensée (par la proposition 11, partie 2), et en conséquence elle ne peut être (par le [[éthique I#Corollaire 2 de la proposition 17|corollaire 2 de la proposition 17, partie 1]]) une cause libre, ou en d'autres termes posséder la faculté absolue de vouloir ou de ne pas vouloir ; mais elle est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui elle-même est déterminée par une autre, et celle-ci encore par une autre, etc. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 48====<br /> On démontrerait de la même manière qu'il n'y a dans l'âme humaine aucune faculté absolue de comprendre, de désirer, d'aimer, etc. D'où il suit que ces facultés et toutes celles du même genre, ou bien, sont purement fictives, ou ne représentent autre chose que des êtres métaphysiques ou universels que nous avons l'habitude de former à l'aide des choses particulières. Ainsi donc, l'entendement et la volonté ont avec telle ou telle idée, telle ou telle volition, le même rapport que la ''pierréité ''avec telle ou telle pierre, l'homme avec Pierre ou Paul. Maintenant, pourquoi les hommes sont-ils jaloux d'être libres ? c'est ce que nous avons expliqué dans l'appendice de la première partie. Mais, avant d'aller plus loin, il faut noter ici que par volonté j'entends la faculté d'affirmer ou de nier, et non le désir ; j'entends, dis-je, la faculté par laquelle l'âme affirme ou nie ce qui est vrai ou ce qui est faux, et non celle de ressentir le désir ou l'aversion. Or comme nous avons démontré que ces facultés sont des notions universelles qui ne se distinguent pas des actes singuliers à l'aide desquels nous les formons, la question est maintenant de savoir si les volitions elles-mêmes ont quelque réalité indépendante des idées que nous avons des choses. La question, dis-je, est de savoir s'il y a dans l'âme une autre affirmation ou une autre négation au delà de celle que l'idée enveloppe en tant qu'idée ; et sur ce point, voyez la proposition suivante ainsi que la [[Éthique II#Définition 3|définition 3, partie 2]], afin de ne pas prendre la pensée pour une sorte de peinture des choses. Car je n'entends point par idée les images qui se forment dans le fond de l'œil ou, si l'on veut, au centre du cerveau, mais les concepts de la pensée.<br /> <br /> === Proposition 49 ===<br /> <br /> ''Il n'y a dans l'âme aucune autre volitions, c'est-à-dire aucune autre affirmation ou négation, que celle que l'idée, en tant qu'idée, enveloppe.''<br /> <br /> '''Démonstration :''' Il n'y a dans l'âme (par la [[Éthique II#Proposition 48|proposition précédente]]) aucune faculté absolue de vouloir ou de ne pas vouloir, mais seulement des volitions singulières, comme telle ou telle affirmation, telle ou telle négation. Supposons donc une certaine volition singulière, par exemple, ce mode de la pensée par lequel l'âme affirme que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits. Cette affirmation enveloppe le concept ou l'idée du triangle, c'est-à-dire ne peut être conçue sans l'idée du triangle ; car c'est même chose de dire : A doit envelopper B, ou bien : A ne peut pas être conçu sans B. Maintenant (d'après l'[[Éthique II#Axiome 3|axiome 3, partie 2]]) cette affirmation ne peut exister sans l'idée du triangle. Elle ne peut donc ni être conçue, ni exister sans cette idée. De même, l'idée du triangle doit envelopper cette même affirmation, que les trois angles du triangle sont égaux à deux droits ; de sorte que, réciproquement, elle ne peut ni exister, ni être conçue sans elle : par conséquent (par la [[Éthique II#Définition 2|définition 2, partie 2]]) cette affirmation se rapporte à l'essence de l'idée du triangle, et n'est absolument rien autre chose. Or, ce que nous disons de cette volition (que nous avons prise comme toute autre), il faut le dire aussi de toute volition quelconque, savoir qu'elle n'est rien de distinct de l'idée. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Corollaire de la proposition 49 ====<br /> La volonté et l'entendement sont une seule et même chose.<br /> <br /> '''Démonstration :''' La volonté et l'entendement ne sont rien de distinct des volitions et des idées singulières elles-mêmes (par la [[Éthique II#Proposition 48|proposition 48]] et son [[Éthique II#Scolie de la proposition 48|scolie]]). Or (par la [[Éthique II#Proposition 49|proposition précédente]]) une volition et une idée, c'est une seule et même chose ; par conséquent aussi la volonté et l'entendement. C.Q.F.D.<br /> <br /> ====Scolie de la proposition 49====<br /> Par la proposition qu'on vient de lire, nous avons renversé l'explication que l'on donne communément de la cause de l'erreur. Nous avons montré plus haut que l'erreur consiste uniquement dans la privation de connaissance qu'enveloppent les idées mutilées et confuses. C'est pourquoi une idée fausse en tant que fausse n'enveloppe pas la certitude. Aussi, quand nous disons qu'un homme acquiesce à l'erreur ou qu'il y croit sans mélange de doute, nous ne disons pas pour cela qu'il est certain, mais seulement qu'il acquiesce à l'erreur ou qu'il n'en doute pas, aucune cause ne jetant son imagination dans l'incertitude. Du reste on peut sur ce point consulter le scolie de la [[Éthique II#Proposition 44|proposition 44, partie 2]]. Ainsi donc, nous ne dirons jamais d'un homme qu'il est certain, si grande que puisse être son erreur ; nous entendons en effet, par certitude, quelque chose de positif (voyez la [[Éthique II#Proposition 43|proposition 43, partie 2]], et son [[Éthique II#Scolie de la proposition 43|scolie]]) et non une simple privation de doute ; or l'erreur, c'est pour nous la privation de certitude. Mais nous devons encore, pour que l'explication de la proposition précédente soit plus complète, ajouter ici quelques remarques. Nous devons aussi répondre aux objections qu'on peut élever contre notre doctrine. Enfin, pour écarter tout scrupule, il ne sera pas hors de propos de faire connaître quelques-unes des suites utiles que cette doctrine doit avoir ; je dis quelques-unes, car le plus grand nombre se comprendra beaucoup mieux par ce que nous dirons dans la 5&lt;sup&gt;e&lt;/sup&gt; partie.<br /> <br /> En commençant mon premier point, j'avertis le lecteur de distinguer soigneusement entre une idée ou un concept de l'âme et les images des choses, telles que les forme notre imagination. Il est nécessaire en outre de faire distinction entre les idées et les mots par lesquels nous exprimons les réalités. Car les images, les mots et les idées, voilà trois choses que plusieurs confondent totalement, ou qu'ils ne distinguent pas avec assez de soin ou du moins assez de précaution, et c'est pour cela qu'ils ont complètement ignoré cette théorie de la volonté, si nécessaire à connaître pourtant, soit pour la vérité de la spéculation, soit pour la sagesse de la pratique. Lorsqu'en effet on pense que les idées consistent en images formées dans notre âme par la rencontre des objets corporels, toutes les idées de ces choses dont il est impossible de se représenter une image ne paraissent plus de véritables idées, mais de pures fictions, ouvrage de notre libre volonté. On ne considère ces idées que comme des figures muettes tracées sur un tableau, et la préoccupation produite par ce préjugé empêche de voir que toute idée, en tant qu'idée, enveloppe l'affirmation ou la négation.<br /> <br /> De plus ceux qui confondent les mots avec l'idée, ou avec l'affirmation que l'idée enveloppe, croient qu'ils peuvent opposer leur volonté à leur pensées, quand ils n'opposent à leur pensée que des affirmations ou des négations purement verbales.<br /> <br /> On se dépouillera aisément de ces préjugés si l'on fait attention à la nature de la pensée qui n'enveloppe nullement le concept de l'étendue ; et alors on comprendra clairement qu'une idée (en tant qu'elle est un mode de la pensée) ne consiste ni dans l'image d'une chose, ni dans des mots. Car ce qui constitue l'essence des mots et des images, ce sont des mouvements corporels, qui n'enveloppent nullement le concept de la pensée.<br /> <br /> Mais ces quelques observations peuvent suffire sur ces objets, et je passe aux objections que j'ai annoncées : la première vient de ce qu'on tient pour constant que la volonté s'étend plus loin que l'entendement, et que c'est pour cette raison qu'elle ne s'accorde pas avec lui. Et ce qui fait penser que la volonté s'étend plus loin que l'entendement, c'est qu'on est assuré, dit-on, par l'observation de soi-même, que l'homme n'a pas besoin, pour porter des jugements sur une infinité de choses qu'il ne perçoit pas, d'une puissance de juger, c'est-à-dire d'affirmer ou de nier, plus grande que celle qu'il possède actuellement, au lieu qu'il lui faudrait une plus grande puissance de percevoir. La volonté est donc distinguée de l'entendement, parce que celui-ci est fini, celle-là, au contraire, infinie. On peut nous objecter, en second lieu, que s'il est une chose que l'expérience semble nous enseigner clairement, c'est que nous pouvons suspendre notre jugement, et ne point adhérer aux choses que nous percevons ; aussi on ne dira jamais qu'une personne se trompe en tant qu'elle perçoit un certain objet, mais en tant seulement qu'elle y donne son assentiment ou l'y refuse. Par exemple, celui qui se représente un cheval ailé ne prétend pas pour cela qu'un cheval ailé existe réellement ; en d'autres termes, il ne se trompe que si, au moment qu'il se représente un cheval ailé, il lui attribue la réalité. Il paraît donc que rien au monde ne résulte plus clairement de l'expérience que la liberté de notre volonté, c'est-à-dire de notre faculté de juger, laquelle est conséquemment différente de la faculté de concevoir. La troisième objection qu'on nous peut faire, c'est qu'une affirmation ne paraît pas contenir plus de réalité qu'une autre affirmation quelconque ; en d'autres termes, il ne semble pas que nous ayons besoin d'un pouvoir plus grand pour assurer qu'un chose vraie est vraie, que pour affirmer la vérité d'une chose fausse ; tandis qu'au contraire nous comprenons qu'une idée a plus de réalité ou de perfection qu'une autre idée ; à mesure en effet que les objets sont plus relevés, leurs idées sont plus parfaites ; d'où résulte encore une différence entre l'entendement et la volonté. On nous demandera enfin, et c'est à la fois une question et une objection, ce qui arrivera, supposé que l'homme n'agisse point en vertu de la liberté et de sa volonté, dans le cas de l'équilibre absolu de l'âne de Buridan ? Périra-t-il de faim et de soif ? Si nous l'accordons, on nous dira que l'être dont nous parlons n'est point un homme, mais un âne, ou la statue d'un homme ; si nous le nions, voilà l'homme qui se détermine soi-même et a par conséquent le pouvoir de se mettre en mouvement et de faire ce qui lui plaît.<br /> <br /> On pourrait nous adresser d'autres objections encore ; mais n'étant point tenu de débattre ici tous les songes que chacun peut faire sur ce sujet, je me bornerai à répondre aux quatre difficultés qui précèdent, et cela le plus brièvement possible. A la première objection, je réponds que j'accorde volontiers que la volonté s'étend plus loin que l'entendement, si par entendement l'on veut parler seulement des idées claires et distinctes ; mais je nie que notre volonté soit plus étendue que nos perceptions ou notre faculté de concevoir, et je ne vois point du tout pourquoi l'on dirait de la faculté de concevoir qu'elle est infinie plutôt qu'on ne le dit de la faculté de sentir ; de même en effet que nous pouvons, avec la même faculté de vouloir, affirmer une infinité de choses (l'une après l'autre, bien entendu, car nous pouvons en affirmer à la fois un nombre infini), ainsi, avec la même faculté de sentir, nous pouvons sentir ou percevoir une infinité de corps (bien entendu toujours, l'un après l'autre). Que si l'on soutient qu'il y a une infinité de choses que nous ne pouvons percevoir, je dirai à mon tour que nous ne pouvons atteindre ces mêmes choses par aucune pensée, et conséquemment par aucun acte de volonté. Mais, dit-on, si Dieu voulait faire que nous en eussions la perception, il devrait nous donner une plus grande faculté de percevoir, et non pas une plus grande faculté de vouloir que celle qu'il nous a donnée. Cela revient à dire que si Dieu voulait nous faire connaître une infinité d'êtres que nous ne connaissons pas actuellement, il serait nécessaire qu'il nous donnât un entendement plus grand, mais non pas une idée de l'être plus générale, pour embrasser cette infinité d'êtres ; car nous avons montré que la volonté est un être universel ou une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions singulières, c'est-à-dire ce qui leur est commun. Or, nos contradicteurs se persuadant que cette idée universelle, commune à toutes les volitions, est une faculté, il n'est point surprenant qu'ils soutiennent que cette faculté s'étend à l'infini au delà des limites de l'entendement, puisque l'universel se dit également d'un seul individu, de plusieurs, d'une infinité.<br /> <br /> Ma réponse à la seconde objection, c'est que je nie que nous ayons le libre pouvoir de suspendre notre jugement. Quand nous disons en effet qu'une personne suspend son jugement, nous ne disons rien autre chose sinon qu'elle ne perçoit pas d'une façon adéquate l'objet de son intuition. La suspension du jugement, c'est donc réellement un acte de perception, et non de libre volonté. Pour éclaircir ce point, concevez un enfant qui se représente un cheval et ne perçoit rien de plus. Cet acte d'imagination enveloppant l'existence du cheval (par le [[Éthique II#Corollaire de la proposition 17|corollaire de la proposition 17, partie 2]]), et l'enfant ne percevant rien qui marque la non-existence de ce cheval, il apercevra nécessairement ce cheval comme présent, et ne pourra concevoir aucun doute, sur sa réelle existence, bien qu'il n'en soit pas certain.<br /> <br /> Il nous arrive chaque jour quelque chose d'analogue dans les songes, et je ne crois pas que personne se puisse persuader qu'il possède, tandis qu'il rêve, le libre pouvoir de suspendre son jugement sur les objets de ses songes, et de faire qu'il ne rêve point en effet ce qu'il rêve ; et toutefois, pendant les songes, on suspend quelquefois son jugement, par exemple quand il arrive de rêver qu'on rêve. Ainsi donc j'accorde que personne ne se trompe en tant qu'il perçoit, c'est-à-dire que les représentations de l'âme, considérées en elles-mêmes, n'enveloppent aucune erreur (voir le [[Éthique II#Scolie de la proposition 17|scolie de la proposition 17, part, 2]]) ; mais je nie qu'il soit possible de percevoir sans affirmer. Percevoir un cheval ailé, qu'est-ce autre chose en effet qu'affirmer de ce cheval qu'il a des ailes ? Car enfin si l'âme ne percevait rien de plus que ce cheval ailé, elle le verrait comme présent, sans avoir aucune raison de douter de son existence, ni aucune puissance de refuser son assentiment ; et les choses ne peuvent se passer autrement, à moins que cette représentation d'un cheval ailé ne soit associée à une idée qui exprime qu'un tel cheval n'existe pas ; en d'autres termes, à moins que l'âme ne comprenne que l'idée qu'elle se forme d'un cheval ailé est une idée inadéquate ; et alors elle devra nécessairement nier l'existence de ce cheval ailé, ou la mettre en doute.<br /> <br /> Par les réflexions qu'on vient de lire je crois avoir répondu d'avance à la troisième objection. Qu'est-ce en effet que la volonté ? Quelque chose d'universel qui convient en effet à toutes les idées et ne représente rien de plus que ce qui leur est commun, savoir l'affirmation, d'où il résulte que l'essence adéquate de la volonté, ainsi considérée d'une manière abstraite, doit se retrouver dans chaque idée et s'y retrouver toujours la même ; mais cela n'est vrai que sous ce point de vue, et cela cesse d'être vrai quand on considère la volonté connue constituant l'essence de telle ou telle idée ; car alors les affirmations singulières diffèrent l'une de l'autre tout autant que les idées : par exemple, l'affirmation enveloppée dans l'idée du cercle diffère de celle qui est enveloppée dans l'idée du triangle, exactement comme ces deux idées diffèrent entre elles. Enfin, je nie absolument que nous ayons besoin d'une puissance de penser égale, pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, et pour affirmer que ce qui est faux est vrai ; car ces deux affirmations, si vous les rapportez à l'âme, ont le même rapport l'une avec l'autre que l'être avec le non être, puisque ce qui constitue l'essence de l'erreur dans les idées n'est rien de positif (voyez la [[Éthique II#Proposition 35|proposition 35, partie 2]], avec son [[Éthique II#Scolie de la proposition 35|scolie]], et le [[Éthique II#Scolie de la proposition 47|scolie de la proposition 47, partie 2]]). Et c'est bien ici le lieu de remarquer combien il est aisé de se tromper, quand on confond les universaux avec les choses singulières, les êtres de raison et les choses abstraites avec les réalités.<br /> <br /> Enfin, quant à la quatrième objection, j'ai à dire que j'accorde parfaitement qu'un homme, placé dans cet équilibre absolu qu'on suppose (c'est-à-dire qui, n'ayant d'autre appétit que la faim et la soif, ne perçoit que deux objets, la nourriture et la boisson, également éloignés de lui) ; j'accorde, dis-je, que cet homme périra de faim et de soif. On me demandera sans doute quel cas il faut faire d'un tel homme et si ce n'est pas plutôt un âne qu'un homme. Je répondrai que je ne sais pas non plus, et véritablement je ne le sais pas, quel cas il faut faire d'un homme qui se pend, d'un enfant, d'un idiot, d'un fou, etc.<br /> <br /> Il ne me reste plus qu'à montrer combien la connaissance de cette théorie de l'âme humaine doit être utile pour la pratique de la vie. Il suffit pour cela des quelques observations que voici : &lt;br /&gt;<br /> 1° suivant cette théorie, nous n'agissons que par la volonté de Dieu, nous participons de la nature divine, et cette participation est d'autant plus grande que nos actions sont plus parfaites et que nous comprenons Dieu davantage ; or, une telle doctrine, outre qu'elle porte dans l'esprit une tranquillité parfaite, a cet avantage encore qu'elle nous apprend en quoi consiste notre souveraine félicité, savoir, dans la connaissance de Dieu, laquelle ne nous porte à accomplir d'autres actions que celles que nous conseillent l'amour et la piété. Par où il est aisé de comprendre combien s'abusent sur le véritable prix de la vertu ceux qui, ne voyant en elle que le plus haut degré de l'esclavage, attendent de Dieu de grandes récompenses pour salaire de leurs actions les plus excellentes ; comme si la vertu et l'esclavage en Dieu n'étaient pas la félicité même et la souveraine liberté. &lt;br /&gt;<br /> 2° Notre système enseigne aussi comment il faut se comporter à l'égard des choses de la fortune, je veux dire de celles qui ne sont pas en notre pouvoir, en d'autres termes, qui ne résultent pas de notre nature ; il nous apprend à attendre et à supporter d'une âme égale l'une et l'autre fortune ; toutes choses en effet résultent de l'éternel décret de Dieu avec une absolue nécessité, comme il résulte de l'essence d'un triangle que ses trois angles soient égaux en somme à deux droits. &lt;br /&gt;<br /> 3° Un autre point de vue sous lequel notre système est encore utile à la vie sociale, c'est qu'il apprend à être exempt de haine et de mépris, à n'avoir pour personne ni moquerie, ni envie, ni colère. Il apprend aussi à chacun à se contenter de ce qu'il a et à venir au secours des autres, non par une vaine pitié de femme par préférence, par superstition, mais par l'ordre seul de la raison, et en gardant l'exacte mesure que le temps et la chose même prescrivent. &lt;br /&gt;<br /> 4° Voici enfin un dernier avantage de notre système, et qui se rapporte à la société politique ; nous faisons profession de croire que l'objet du gouvernement n'est pas de rendre les citoyens esclaves, mais de leur faire accomplir librement les actions qui sont les meilleures.<br /> <br /> Je ne pousserai pas plus loin ce que j'avais dessein d'exposer dans ce scolie, et je termine ici ma seconde partie. Je crois y avoir expliqué avec assez d'étendue et, autant que la difficulté de la matière le comporte, avec assez de clarté, la nature de l'âme humaine et ses propriétés : je crois y avoir donnée des principes d'où l'on peut tirer un grand nombre de belles conséquences, utiles à la vie, nécessaires à la science, et c'est ce qui sera établi, du moins en partie, par la suite de ce traité.<br /> <br /> '''FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE'''<br /> <br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Ttp Ttp 2017-03-06T10:59:55Z <p>Henrique : Page redirigée vers Traité théologico-politique</p> <hr /> <div>#REDIRECT[[Traité théologico-politique]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Chapitre_XV Traité théologico-politique/Chapitre XV 2017-02-13T17:12:51Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Baruch Spinoza<br /> | 3= Chapitre XV<br /> | 4=&lt;br /&gt;<br /> Que la théologie n'est point la servante de la raison, &lt;br /&gt;<br /> ni la raison celle de la théologie. &lt;br /&gt;<br /> - Pourquoi nous sommes persuadés &lt;br /&gt;<br /> de l'autorité de la Sainte Écriture.<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{ttp}}<br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> __NOTOC__<br /> <br /> ==Le sens de l'Écriture doit-il se plier à la raison ou inversement ? ==<br /> ===1===<br /> Ceux qui ne savent pas séparer la philosophie de la théologie discutent pour savoir si l’Écriture doit relever de la raison ou la raison de l’Écriture, c’est-à-dire si le sens de l’écriture doit être approprié à la raison, ou la raison pliée à l’Écriture : de ces deux prétentions, celle-là est soutenue par les dogmatiques, celle-ci par les sceptiques, qui nient la certitude de la raison. Mais il résulte de ce que nous avons déjà dit que les uns tout aussi bien que les autres sont dans une erreur absolue. Car, quelque opinion que nous adoptions, il nous faut corrompre l’une de ces choses, ou la raison ou l’Écriture. N’avons-nous pas fait voir, en effet, que l’Écriture ne s’occupe point de matières philosophiques, qu’elle n’enseigne que la piété, et que tout ce qu’elle renferme a été accommodé à l’intelligence et aux préjugés du peuple ? Celui donc qui veut la plier aux lois de la philosophie prêtera certainement aux prophètes des opinions qu’ils n’ont pas eues même en songe, et interprétera mal leur pensée ; d’un autre coté, celui qui subordonne la raison et la philosophie à la théologie est conduit à admettre les préjugés d’un ancien peuple comme des choses divines et à en remplir aveuglément son esprit ; et ainsi tous les deux, celui qui repousse la raison et celui qui l’admet, tombent également dans l’erreur.<br /> <br /> ===2===<br /> Le premier qui, chez les pharisiens, déclara ouvertement que l’Écriture devait être pliée aux exigences de la raison fut Maimonide (nous avons au [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]] rapporté son opinion, et nous l’avons réfutée par plusieurs arguments) ; et, bien que cet auteur ait été chez eux en grand crédit, la plupart néanmoins l’abandonnent sur ce point pour se ranger à l’avis d’un certain R. Judas Alpakhar, qui, voulant éviter l’erreur de Maimonide, s’est jeté dans une erreur opposée. Il soutient que la raison doit relever de l’Écriture, et lui être entièrement soumise ; il pense que, s’il faut en quelques endroits expliquer métaphoriquement l’Écriture, ce n’est pas parce que le sens littéral répugne à la raison, mais parce qu’il répugne à l’Écriture, c’est-à-dire à ses principes bien connus ; et de là il tire cette règle universelle, savoir que tout ce que l’Écriture enseigne dogmatiquement et affirme d’une manière expresse doit, sur sa seule autorité, être admis comme absolument vrai ; que l’on ne trouve dans la Bible aucun principe qui répugne directement à la doctrine générale qu’elle enseigne, mais seulement d’une façon indirecte, parce que les locutions de l’Écriture semblent souvent supposer quelque chose de contraire à ce qu’elle a enseigné expressément ; et que c’est la seule raison pour laquelle il faille user, en ces rencontres, de l’interprétation métaphorique&lt;ref&gt;Je me souviens d'avoir lu autrefois cette opinion dans une lettre contre Maimonide qui se trouve avec les autres lettres attribuées à cet auteur. (''Note de Spinoza''.)&lt;/ref&gt;. Par exemple, l’Écriture enseigne clairement qu’il n’y a qu’un Dieu (voyez ''Deutéron''., chap. VI, vers. 4), et l’on n’y trouve aucun passage où il soit affirmé directement qu’il y ait plusieurs dieux ; quoiqu’en beaucoup d’endroits Dieu en parlant de lui-même, et les prophètes en parlant de Dieu, se servent du nombre pluriel ; ici cette façon de parler, faisant supposer qu’il existe plusieurs dieux, est loin d’indiquer le vrai sens du discours ; et c’est pour cela qu’il faut expliquer ces endroits métaphoriquement, non parce que la pluralité des dieux est en opposition avec la raison, mais parce que l’Écriture elle-même affirme directement qu’il n’y a qu’un Dieu. De même, parce que l’Écriture (''Deutéron''., chap. IV, vers. 15) affirme directement (à ce qu’il pense) que Dieu est incorporel, sur la seule autorité de ce passage, et non sur l’autorité de la raison, nous sommes obligés de croire que Dieu n’a pas de corps ; et conséquemment, d’après la seule autorité de l’Écriture, nous devons donner un sens métaphorique à tous les passages où Dieu est représenté avec des mains, des pieds, etc., la forme seule du langage pouvant ici faire supposer que Dieu est corporel.<br /> <br /> ===3===<br /> Voilà l’opinion de cet auteur, à laquelle j’applaudis, en ce sens qu’il veut expliquer l’Écriture par l’Écriture ; mais je ne puis comprendre qu’un homme si raisonnable s’applique à détruire l’Écriture elle-même. Il est vrai que l’Écriture doit être expliquée par l’Écriture tant qu’il s’agit de déterminer le sens des passages et l’intention des prophètes ; mais quand nous avons découvert le vrai sens, il faut nécessairement recourir au jugement et à la raison pour y donner notre assentiment. Que si la raison, malgré ses réclamations contre l’Écriture, doit cependant s’y soumettre sans réserve, je demande si cette soumission se fera d’une manière raisonnable ou sans raison et aveuglément. Dans ce dernier cas, nous agissons en stupides, privés de jugement ; dans le premier, c’est par l’ordre seul de la raison que nous acceptons l’Écriture, et nous ne l’accepterions par conséquent pas, si elle était contraire à la raison. Je demanderai encore qui peut accepter quelque principe par la pensée, si la raison s’y oppose. Car ce que refuse la pensée est-il autre chose que ce que la raison repousse ? Et certes, je ne puis assez m’étonner que l’on veuille soumettre la raison, ce don sublime, cette lumière divine, à une lettre morte qui a pu être corrompue par la malice des hommes, et qu’on ne regarde nullement comme un crime de parler indignement contre la raison, véritable original de la parole de Dieu, de l’accuser de corruption, d’aveuglement et d’impiété, tandis qu’on tiendrait pour un très-grand sacrilège celui qui aurait de pareils sentiments sur la lettre de l’Écriture qui n’est, après tout, que l’image et le simulacre de la parole de Dieu. On pense que c’est une chose sainte que de n’avoir aucune confiance dans la raison et dans son propre jugement, et qu’il y a de l’impiété à douter de la fidélité de ceux qui nous ont transmis les livres sacrés ; mais ce n’est pas là de la piété, c’est de la folie. Car enfin qu’est-ce qui les inquiète ? de quoi ont-ils peur ? Est-ce que la religion et la foi ne sauraient être défendues, si les hommes ne prenaient soin de tout ignorer et d’abdiquer la raison ? Certes, avec de pareils sentiments, ils marquent pour l’Écriture plus de défiance que de foi. Mais il s’en faut beaucoup que la religion et la piété exigent l’esclavage de la raison, ou que la raison veuille celui de la religion et que l’une et l’autre ne puissent régner en paix chacune dans son domaine ; c’est un point que nous allons bientôt établir ; mais il faut d’abord examiner la règle proposée par le rabbin dont nous avons parlé plus haut.<br /> <br /> ===4===<br /> Il veut, comme nous l’avons dit, nous faire admettre comme vrai tout ce que l’Écriture affirme, et rejeter comme faux ce qu’elle nie ; il prétend ensuite qu’il n’arrive jamais à l’Écriture d’affirmer ou de nier expressément quelque chose de contraire à ce qu’elle a affirmé ou nié dans un autre passage. La témérité de ces deux propositions frappera tous les esprits. Je ne rappellerai pas qu’il n’a point remarqué que l’Écriture est composée de livres divers, qu’elle a été écrite en divers temps pour des hommes divers, et enfin par divers auteurs ; outre cela, que cet auteur fonde toute sa doctrine sur sa propre autorité, la raison et l’Écriture ne disant rien de semblable ; car il aurait dû nous prouver que tous les passages qui, à son avis, ne sont en contradiction avec d’autres qu’indirectement, peuvent facilement s’expliquer par des métaphores d’après la nature de la langue et en raison de la place même de ces passages, ensuite que l’Écriture est arrivée sans altération jusque dans nos mains. Mais examinons la chose avec ordre : et d’abord, sur le premier point, je demande si, en cas d’opposition de la part de la raison, nous sommes tenus néanmoins d’admettre comme vrai ce qu’affirme l’Écriture ou de rejeter comme faux ce qu’elle rejette. On répondra peut-être qu’on ne trouve rien dans l’Écriture de contraire à la raison. Pour moi, je soutiens qu’elle affirme expressément et qu’elle enseigne (par exemple, dans le ''Décalogue'', dans l’''Exode'', chap. IV, vers. 14 ; dans le ''Deutéronome'', chap. IV, vers. 24, et dans un grand nombre d’autres passages) que Dieu est jaloux ; or cela répugne à la raison ; il faudra donc néanmoins l’admettre comme chose indubitable.<br /> <br /> Il y a plus : c’est que, si l’on trouvait dans l’Écriture quelques endroits qui fissent supposer que Dieu n’est pas jaloux, il faudrait nécessairement leur donner un sens métaphorique pour qu’ils ne semblassent pas renfermer une erreur. L’Écriture dit encore expressément que Dieu est descendu sur le mont Sinaï (voyez ''Exode'', chap. XIX, vers. 20) : elle lui attribue d’autres mouvements locaux, et n’enseigne nulle part expressément que Dieu ne se meut pas ; donc tout le monde doit admettre ce fait comme une chose véritable. Ailleurs Salomon dit que Dieu n’est compris en aucun endroit (voyez ''Rois'', livre I, chap. VIII, vers. 27) ; or ce passage n’établit pas sans doute expressément, mais c’en est pourtant une conséquence, que Dieu ne se meut pas ; il faut donc nécessairement l’expliquer de manière à ce qu’il ne semble pas enlever à Dieu le mouvement local. De même, il faudrait prendre les cieux pour la demeure et le trône de Dieu, parce que l’Écriture l’affirme expressément. Il y a une foule de passages semblables écrits selon les opinions du peuple et des prophètes, et qui, au témoignage de la raison et de la philosophie, mais non pas de l’Écriture, renferment évidemment des erreurs ; et cependant, à en croire cet auteur, tout cela devrait être supposé véritable, parce qu’il ne veut pas qu’en ces matières on prenne aucun conseil de la raison.<br /> <br /> ===5===<br /> Ensuite, il a tort d’affirmer qu’entre deux passages on peut bien trouver une opposition indirecte, mais non pas expresse. Car Moïse assure directement que Dieu est un feu (voyez ''Deutéron''., chap. IV, vers. 24), et il nie aussi directement que Dieu ait aucune ressemblance avec les choses visibles (voyez ''Deutéron''., chap. IV, vers. 12). Que si notre auteur réplique que ce passage ne nie pas directement, mais seulement par voie de conséquence, que Dieu soit un feu, et conséquemment qu’il faut l’approprier à ce sens pour qu’il ne semble pas le nier, accordons alors que Dieu est un feu ; ou plutôt, pour ne pas partager sa folie, laissons cela de coté et produisons un autre exemple. Shamuel nie directement que Dieu se repente de ses décrets (voyez ''Shamuel'', chap. XV, vers 29), tandis que Jérémie affirme, au contraire, que Dieu se repentit du bien et du mal qu’il avait décrétés (voyez ''Jérémie'', chap. XVIII, vers. 10). Quoi ! ces passages ne sont-ils pas directement opposés l’un à l’autre ? Quel est donc celui des deux qu’on veut expliquer métaphoriquement ? Ils sont l’un et l’autre universels et de plus contradictoires ; ce que l’un affirme directement, l’autre le nie directement. Donc, en se conformant à sa propre règle, notre rabbin est obligé d’adopter un fait comme vrai, en même temps qu’il le rejette comme faux. Ensuite, qu’importe qu’un passage ne répugne pas directement à un autre, mais seulement par conséquence, si la conséquence en est claire, et si la place et la nature du passage ne permettent pas d’explications métaphoriques ? On trouve un grand nombre de ces passages dans la Bible ; et l’on peut consulter à ce sujet notre second chapitre, où nous avons fait voir que les prophètes ont eu des opinions diverses et contraires, et surtout nos chapitres [[Traité théologico-politique/Chapitre IX|IX]] et [[Traité théologico-politique/Chapitre X|X]], où nous avons fait ressortir toutes ces contradictions dont fourmillent les livres historiques de l’Écriture.<br /> <br /> ==Indépendance de la théologie et de la philosophie ==<br /> <br /> ===6===<br /> Je n’ai pas besoin de récapituler ici tous ces exemples ; ce que j’ai dit suffit pour montrer les absurdités qui résultent de cette règle et de cette opinion, pour en établir la fausseté et convaincre cet auteur de précipitation. Ainsi donc, nous rejetons son sentiment tout aussi bien que celui de Maimonide, et nous tenons pour une vérité inébranlable que la théologie ne doit pas relever de la raison, ni la raison de la théologie, mais que chacune est souveraine dans son domaine. Car, ainsi que nous l’avons dit, la raison a en partage le domaine de la vérité et de la sagesse, comme la théologie celui de la piété et de l’obéissance : aussi bien la puissance de la raison, nous l’avons déjà démontré, ne s’étend pas jusqu’à pouvoir déterminer si, en vertu de la seule obéissance et sans l’intelligence des choses, les hommes peuvent être heureux. Mais la théologie ne nous donne pas d’autre enseignement ; elle ne prescrit que l’obéissance ; elle ne veut rien, elle ne peut rien contre la raison. Pour les dogmes de la foi, comme nous l’avons prouvé dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre XIV|précédent chapitre]], elle ne les détermine qu’autant qu’il est nécessaire pour inspirer l’obéissance ; quant à préciser le sens et la vérité qu’ils renferment, elle laisse ce soin à la raison, qui est réellement la lumière de l’esprit et hors de laquelle il n’y a que songes et que chimères. Or ici, par théologie j’entends précisément la révélation, en tant qu’elle indique l’objet que nous avons reconnu à l’Écriture (savoir d’enseigner l’obéissance ou les dogmes de la vraie piété et de la foi) ; or c’est là ce qu’on appelle, à proprement parler, la parole de Dieu, laquelle ne consiste pas en un certain nombre de livres (voyez sur ce point notre [[Traité théologico-politique/Chapitre XII|chapitre XII]]). La théologie étant ainsi considérée, si vous avez égard à ses préceptes ou à ses leçons pour la vie, vous trouverez qu’elle est d’accord avec la raison ; et si vous avez égard à son but et à sa fin, vous estimerez qu’elle ne lui répugne aucunement : et de là lui vient son caractère d’universalité.<br /> <br /> Pour ce qui regarde toute l’Écriture en général, nous avons déjà montré au [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]] que le sens doit en être déterminé par sa seule histoire, et non par l’histoire universelle de la nature, qui ne sert de fondement qu’à la Philosophie. Si, après avoir découvert laborieusement le vrai sens de la Bible, nous trouvons çà et là qu’elle répugne à la raison, cette considération ne doit pas nous arrêter ; car tous les passages de ce genre qui se trouvent dans la Bible, ou que les hommes peuvent ignorer sans préjudice pour la charité, nous savons positivement qu’ils ne touchent nullement la théologie ou la parole de Dieu, et conséquemment que chacun peut sans crainte en penser tout ce qu’il veut. Nous concluons donc d’une manière absolue que l’Écriture ne doit pas être subordonnée à la raison, ni la raison à l’Écriture.<br /> <br /> ===7===<br /> Mais prenons-y garde, puisque ce principe de la théologie, savoir, que l’obéissance, à elle seule, peut sauver les hommes, est indémontrable, et que la raison ne peut en préciser la vérité ou la fausseté, on est en droit de nous demander pourquoi nous le croyons : si c’est sans raison et comme des aveugles que nous l’embrassons, nous agissons donc aussi avec folie et sans jugement ; que si, au contraire, nous voulons établir que la raison peut démontrer ce principe, la théologie sera donc une partie de la philosophie, et une partie inséparable. Mais à ces difficultés je réponds que je soutiens d’une manière absolue que la lumière naturelle ne peut découvrir ce dogme fondamental de la théologie, ou du moins qu’il n’y a personne qui l’ait démontré, et conséquemment que la révélation était d’une indispensable nécessité, mais cependant que nous pouvons nous servir du jugement pour embrasser au moins avec une certitude morale ce qui a été révélé. Je dis avec une certitude morale ; car nous n’en sommes pas à espérer que nous puissions en être plus certains que les prophètes eux-mêmes, à qui ont été faites les premières révélations, et dont pourtant la certitude n’était que morale, comme nous l’avons déjà prouvé dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre II|chapitre II]] de ce Traité. Ils se trompent donc étrangement ceux qui veulent établir l’autorité de l’Écriture sur des démonstrations mathématiques ; car l’autorité de la Bible dépend de l’autorité des prophètes, et on ne saurait conséquemment la démontrer par des arguments plus forts que ceux dont se servaient ordinairement les prophètes pour la persuader à leur peuple ; et nous ne saurions nous-mêmes asseoir notre certitude à cet égard sur aucune autre base que celle sur laquelle les prophètes faisaient reposer leur certitude et leur autorité. Nous avons en effet démontré que la certitude des prophètes consiste en ces trois choses, savoir : 1° une vive et distincte imagination ; 2° des signes ; 3° enfin et surtout, une âme inclinée au bien et à l’équité. N’ayant point d’autres raisons pour appuyer leur propre croyance, ils ne pouvaient en employer d’autres pour démontrer leur autorité, et au peuple à qui ils parlaient alors de vive voix, et à nous à qui ils parlent maintenant par écrit.<br /> <br /> Quant à ce premier fait, savoir, que les prophètes imaginaient vivement les choses, eux seuls pouvaient le constater, de manière que toute notre certitude sur la révélation ne peut et ne doit être fondée que sur ces deux circonstances, les signes et la doctrine. C’est aussi ce que Moïse enseigne expressément : car, dans le ''Deutéronome'', chapitre XXVIII, il ordonne que le peuple obéisse au prophète qui a fait paraître un véritable signe au nom de Dieu, mais pour ceux qui ont fait de fausses prédictions, les eussent-ils faites au nom de Dieu, il veut qu’on les punisse de mort tout aussi bien que le séducteur qui aura voulu détourner le peuple de la vraie religion ; on en usera ainsi à son égard, eût-il confirmé son autorité par des signes et des prodiges : voyez à ce sujet le ''Deutéronome'', chapitre XIII ; d’où il résulte que le vrai prophète se distingue du faux à la fois par la doctrine et par les miracles. Celui-là, en effet, est pour Moïse le vrai prophète, à qui on peut croire sans aucune crainte d’être trompé. Quant à ceux qui ont fait de fausses prédictions, bien qu’ils les aient faites au nom de Dieu, ou qui ont prêché les faux dieux, eussent-ils accompli de vrais miracles, Moïse déclare qu’ils sont de faux prophètes et dignes de mort. Donc la seule raison qui nous oblige, nous aussi, de croire à l’Écriture, c’est-à-dire aux prophètes eux-mêmes, c’est la confirmation de leur doctrine par des signes. En effet, voyant les prophètes recommander par-dessus tout la charité et la justice et n’avoir pas d’autre but, nous en concluons que ce n’a pas été dans une pensée de fourberie, mais d’un esprit sincère, qu’ils ont enseigné que l’obéissance et la foi rendent les hommes heureux ; et comme ils ont, de plus, confirmé cette doctrine par des signes, nous en inférons qu’ils ne l’ont pas prêchée témérairement, et qu’ils ne déliraient pas pendant leurs prophéties ; et ce qui nous confirme encore plus en cette opinion, c’est de voir qu’ils n’ont enseigné aucune maxime morale qui ne soit en parfait accord avec la raison ; car ce n’est pas un effet du hasard que la parole de Dieu, dans les prophètes, s’accorde parfaitement avec cette même parole qui se fait entendre en nous. <br /> <br /> Et ces vérités, je le soutiens, nous pouvons les déduire avec autant de certitude de la Bible que les Juifs les recueillaient autrefois de la bouche même des prophètes ; car nous avons déjà démontré à la fin du [[Traité théologico-politique/Chapitre XII|chapitre XII]] que, sous le rapport de la doctrine et des principaux récits historiques, l’Écriture est arrivée sans altération jusque dans nos mains. Ainsi ce fondement de toute la théologie et de l’Écriture, bien qu’il ne puisse être établi par raisons mathématiques, peut être néanmoins accepté par un esprit bien fait. Car ce qui a été confirmé par le témoignage de tant de prophètes, ce qui est une source de consolations pour les simples d’esprit, ce qui procure de grands avantages à l’État, ce que nous pouvons croire absolument sans risque ni péril, il y aurait folie à le rejeter par ce seul prétexte que cela ne peut être démontré mathématiquement ; comme si, pour régler sagement la vie, nous n’admettions comme vraies que des propositions qu’aucun doute ne peut atteindre, ou comme si la plupart de nos actions n’étaient pas très-incertaines et pleines de hasard.<br /> <br /> ===8===<br /> Je reconnais, il est vrai, que ceux qui pensent que la philosophie et la théologie sont opposées l’une à l’autre, et que, pour cette raison, l’une des deux doit être exclue, qu’il faut renoncer à celle-ci ou à celle-là, ont raison de chercher à donner à la théologie des fondements solides, et à la démontrer mathématiquement ; car qui voudrait, à moins de désespoir et de folie, dire adieu témérairement à la raison, mépriser les arts et les sciences, et nier la certitude rationnelle ? Mais cependant nous ne pouvons tout à fait les excuser, puisque, pour repousser la raison, ils l’appellent elle-même à leur secours, et prétendent, par des raisons certaines, convaincre la raison d’incertitude. Il y a plus : c’est que, pendant qu’ils cherchent, par des démonstrations mathématiques, à mettre en un beau jour la vérité et l’autorité de la théologie, tout en ruinant l’autorité de la raison et de la lumière naturelle, ils ne font autre chose que mettre la théologie dans la dépendance de la raison et la soumettre pleinement à son joug, en sorte que toute son autorité est empruntée, et qu’elle n’est éclairée que des rayons que réfléchit sur elle la lumière naturelle de la raison. Que si, au contraire, ils se vantent d’avoir en eux l’Esprit-Saint, d’acquiescer à son témoignage intérieur, et de n’avoir de la raison que pour convaincre les infidèles, il ne faut pas ajouter foi à leurs paroles ; car nous pouvons, dès à présent, prouver facilement que c’est par pure passion ou par vaine gloire qu’ils tiennent ce langage. Ne résulte-t-il pas en effet très-évidemment du [[Traité théologico-politique/Chapitre XIV|précédent chapitre]] que l’Esprit-Saint ne donne son témoignage qu’aux bonnes œuvres, que Paul appelle par cette raison, dans son ''Épître aux Galates'' (chap. V, vers. 22), fruits de l’Esprit-Saint ; et l’Esprit-Saint lui-même n’est autre chose que cette paix parfaite qui naît dans l’âme à la suite des bonnes œuvres. Pour ce qui est de la vérité et de la certitude des choses purement spéculatives, aucun autre esprit n’en donne témoignage que la raison, qui seule, comme nous l’avons déjà prouvé, s’est réservé le domaine de la vérité. Si donc ils prétendent avoir un autre esprit pour les instruire de la vérité, c’est de leur part une présomption téméraire ; en tenant ce langage, ils ne consultent que leurs préjugés et leurs passions ; ou, dans la crainte d’être vaincus par les philosophes et exposés à la raillerie publique, ils se réfugient dans les choses saintes. Vain recours ! Car où trouver un autel tutélaire, après avoir outragé la majesté de la raison ?<br /> <br /> ===9===<br /> Mais je ne les tourmenterai pas davantage ; je pense avoir satisfait à l’intérêt de ma cause, puisque j’ai fait voir par quelle raison la philosophie et la théologie doivent être séparées l’une de l’autre, en quoi elles consistent principalement toutes deux, qu’elles ne relèvent point l’une de l’autre, mais que chacune est maîtresse paisible dans sa sphère, puisqu’enfin j’ai montré, lorsque l’occasion s’en est présentée, les absurdités, les inconvénients et les malheurs qui ont résulté de ce que les hommes ont confondu étrangement ces deux puissances, n’ont pas su les séparer et les distinguer avec précision l’une de l’autre.<br /> <br /> ==Utilité de la révélation==<br /> ===10===<br /> Mais, avant d’aller plus loin, je veux marquer ici expressément (quoique je l’aie déjà fait) l’utilité et la nécessité de la sainte Écriture, ou de la révélation, que j’estime très-grandes. Car, puisque nous ne pouvons, par le seul secours de la lumière naturelle, comprendre que la simple obéissance soit la voie du salut&lt;ref&gt;''Que la simple obéissance soit la voie du salut''.&lt;br /&gt;<br /> Par où j’entends que ce n’est point la raison, mais la révélation seule, qui peut démontrer qu’il suffit pour le salut ou la béatitude d’embrasser les décrets divins à titre de lois et de commandements, sans qu’il soit nécessaire de les concevoir à titre de vérités éternelles. C’est ce qui résulte des démonstrations données au [[Traité théologico-politique/Chapitre IV|chapitre IV]]. ''Note marginale 27 de Spinoza''<br /> &lt;/ref&gt;, puisque la révélation seule nous apprend que cela se fait par une grâce de Dieu toute particulière que la raison ne peut atteindre, il s’ensuit que l’Écriture a apporté une bien grande consolation aux mortels. Tous les hommes en effet peuvent obéir, mais il y en a bien peu, si vous les comparez à tout le genre humain, qui acquièrent la vertu en ne suivant que la direction de la raison, à ce point que, sans ce témoignage de l’Écriture, nous douterions presque du salut de tout le genre humain.<br /> <br /> <br /> <br /> == Notes ==<br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Traité théologico-politique/Chapitre XIV|Chapitre XIV]] |[[Traité théologico-politique]]|[[Traité théologico-politique/Chapitre XVI|Chapitre XVI]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Chapitre_XIII Traité théologico-politique/Chapitre XIII 2017-02-13T16:45:20Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Baruch Spinoza<br /> | 3= Chapitre XIII<br /> | 4=&lt;br /&gt;<br /> On montre que l’Écriture n'enseigne que de choses fort simples, qu'elle n'exige que l'obéissance, et qu'elle n'enseigne sur la nature divine que ce que les hommes peuvent imiter en réglant leur vie suivant une certaine foi.<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{ttp}}<br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> __NOTOC__<br /> <br /> ==Simplicité de l'Écriture ==<br /> ===1===<br /> Nous avons prouvé dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre II|chapitre II]] de ce Traité que l’imagination seule des prophètes, et non leur entendement, avait été douée d’une puissance singulière, et que Dieu, loin de les initier dans les secrets de la philosophie, ne leur avait révélé que les choses les plus simples et s’était proportionné à leurs sentiments et à leurs préjugés. Nous avons fait voir dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre V|chapitre V]] que l’Écriture transmet et enseigne les choses de telle manière que chacun les peut très-facilement comprendre ; car, bien loin d’enchaîner ses idées avec rigueur et de les rattacher à des axiomes et à des définitions, elle expose tout avec simplicité ; et pour qu’on ait foi en ses enseignements, elle ne les confirme que par la simple expérience, c’est-à-dire par des miracles et par des récits historiques. Cette exposition est d’ailleurs faite dans le style et dans le langage les plus propres à remuer l’esprit du peuple (consultez à ce sujet, dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre VI|chapitre VI]], ma troisième remarque). Nous avons ensuite établi dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]] que la difficulté d’entendre l’Écriture ne résulte que de la langue et non de la sublimité du sujet. Joignez à cela que ce n’est pas aux savants, mais à tous les Juifs indistinctement que les prophètes firent entendre leurs prédications, et que les apôtres avaient coutume d’enseigner la doctrine évangélique dans les églises où toutes sortes de personnes étaient réunies. Il résulte de toutes ces considérations que la doctrine de l’Écriture ne contient ni spéculations sublimes ni questions philosophiques, mais bien les choses les plus simples que peut saisir l’intelligence la plus bornée.<br /> <br /> ===2===<br /> Je ne puis donc assez admirer la pénétration de ces personnes dont j’ai parlé précédemment, qui trouvent dans l’Écriture des mystères dont nulle langue ne saurait expliquer la profondeur, et qui ont ensuite introduit dans la religion tant de spéculations philosophiques qu’il semble que l’Église soit une académie, et la religion une science ou plutôt une école de controverse. Mais pourquoi s’étonner que des hommes qui se vantent de posséder une lumière surnaturelle ne veuillent pas le céder en connaissance aux philosophes, qui sont réduits aux ressources naturelles ? Ce qui étonnerait, ce serait de les entendre exposer quelque nouveauté spéculative, quelque opinion qui n’eût pas été autrefois répandue dans les écoles de ces philosophes païens (qu’ils accusent cependant d’aveuglement). Car si vous leur demandez quels sont les mystères qu’ils voient dans l’Écriture, ils ne vous produiront, je vous l’assure, que les fictions d’un Aristote, d’un Platon, ou d’un autre semblable auteur de systèmes ; fictions qu’un idiot trouverait plutôt dans ses songes que le plus savant homme du monde dans l’Écriture.<br /> <br /> ===3===<br /> Ce n’est pas que nous voulions nier absolument qu’il y ait rien dans la doctrine de l’Écriture qui soit de l’ordre de la spéculation ; aussi bien dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre XII|chapitre précédent]] nous avons allégué certains principes de ce genre et qui sont comme les fondements de l’Écriture : nous voulons dire seulement que les spéculations y sont très-rares et très-simples. Mais quelles sont-elles, et comment les déterminer, c’est un point que j’ai dessein d’éclaircir ici ; cela me sera facile maintenant qu’il est établi que l’Écriture n’a point pour objet d’enseigner les sciences ; car on peut facilement conclure de là qu’elle n’exige des hommes que l’obéissance et que ce n’est pas l’ignorance, mais l’opiniâtreté seule qu’elle condamne. Ensuite, puisque l’obéissance envers Dieu ne consiste que dans l’amour du prochain (car celui qui aime son prochain dans l’intention de complaire à Dieu, celui-là, comme le dit Paul dans son ''Épître aux Romains'', chap. XIII, vers. 8, a accompli la loi), il s’ensuit que l’Écriture ne recommande pas d’autre science que celle qui est nécessaire à tous les hommes pour qu’ils puissent obéir à Dieu selon ce précepte, de sorte que ceux qui l’ignorent doivent nécessairement être opiniâtres ou du moins indociles ; quant aux autres spéculations qui ne tendent pas directement à ce but, qu’elles aient pour objet la connaissance de Dieu ou celle des choses naturelles, elles ne regardent pas l’Écriture, et il faut par conséquent les retrancher de la religion révélée.<br /> <br /> ===4===<br /> Mais, quoique ce point soit maintenant bien éclairci, comme le fond même de la religion en dépend, je veux examiner la chose avec plus de soin et la mettre mieux en lumière. Pour cela il faut prouver avant tout que la connaissance intellectuelle ou approfondie de Dieu n’est pas, comme l’obéissance, un don commun à tous les fidèles ; ensuite, que cette sorte de connaissance que Dieu, par la bouche des prophètes, a exigée généralement de tout le monde, et que chacun est tenu de posséder, n’est autre chose que la connaissance de la divine justice et de la charité : deux points qui se prouvent facilement par l’Écriture elle-même.<br /> <br /> == La connaissance exacte de Dieu est un don et non un devoir ==<br /> ===5===<br /> Car 1° on les peut conclure avec évidence du passage de l’''Exode'' (chap. VI, vers. 2) où Dieu, pour montrer la grâce particulière qu’il a donnée à Moïse, dit : ''Et je me suis révélé à Abraham, à Isaac et à Jacob en tant que Dieu Sadaï, mais ils ne m’ont pas connu sous mon nom de Jéhovah''. Ici, pour mieux entendre ce passage, il faut remarquer que ''El Sadaï'' en hébreu veut dire ''Dieu qui suffit'', parce qu’il donne en effet à chacun ce qui lui suffit ; et quoique souvent ''Sadaï'' soit pris absolument pour signifier ''Dieu'', il n’est pas douteux néanmoins qu’il faille partout avec ce mot sous-entendre ''El'', c’est-à-dire ''Dieu''. Ensuite il est à remarquer qu’on ne trouve pas dans l’Écriture d’autre nom que celui de ''Jéhovah'' pour exprimer l’essence absolue de Dieu, sans rapport aux choses créées. Aussi les Hébreux prétendent-ils que c’est là le seul nom qui convienne à Dieu, que les autres sont purement appellatifs ; et effectivement les autres noms de Dieu, qu’ils soient substantifs ou adjectifs, sont des attributs qui ne conviennent à Dieu qu’en tant qu’on le considère dans son rapport avec les créatures ou en tant qu’elles lui servent de manifestation : de ce nombre est ''El'', ou, en ajoutant la lettre paragogique ''he'', ''Eloha'', qui veut dire puissant, comme on le sait ; nom qui ne convient à Dieu que par excellence, de même que nous appelons Paul l’''Apôtre''. Ce nom d’ailleurs signifie les différentes vertus de la puissance, de sorte qu’en l’appelant ''El'' (puissant) on dit qu’il est grand, juste, miséricordieux, etc. ; on met donc ce nom au pluriel et on lui donne un sens singulier pour embrasser à la fois tous les attributs divins, usage très-fréquent dans l’Écriture. Ainsi, puisque Dieu dit à Moïse que les patriarches ne l’ont pas connu sous le nom de ''Jéhovah'', il s’ensuit qu’ils n’ont connu de lui aucun attribut divin qui explique son essence absolue, mais seulement ses effets et ses promesses, c’est-à-dire sa puissance en tant qu’elle se manifeste par les choses visibles. Or Dieu ne parle pas ainsi à Moïse pour les accuser d’infidélité, mais au contraire pour exalter leur foi et leur crédulité ; puisque, n’ayant point eu, comme Moïse, une connaissance toute particulière de Dieu, ils ont cru fermement à la réalisation de ses promesses et bien mieux que Moïse, qui, malgré les pensées plus sublimes qu’il avait sur Dieu, douta néanmoins des promesses divines et fit un reproche à Dieu de ce qu’au lieu du salut qui leur était promis, les Juifs avaient vu empirer leurs affaires. Ainsi, puisque les patriarches n’ont pas connu le nom particulier de Dieu, et que Dieu parle à Moïse de cette ignorance pour exalter leur foi et leur simplicité d’esprit, et pour marquer en même temps le prix de la grâce singulière accordée à Moïse, il s’ensuit très-évidemment, comme nous l’avons établi en premier lieu, que les hommes ne sont pas tenus de connaître les attributs de Dieu, et que cette grâce est un don particulier qui n’a été réservé qu’à quelques fidèles. Il serait superflu d’apporter en preuve d’autres témoignages de l’Écriture. Qui ne voit en effet que la connaissance de Dieu n’a pas été égale chez tous les hommes, et que la sagesse, pas plus que la vie et l’existence, ne se donne à personne par un mandat ? Hommes, femmes, enfants, tout le monde peut également obéir, mais non pas devenir sage.<br /> <br /> ===6===<br /> Que si l’on prétend qu’il n’y a pas besoin à la vérité de connaître les attributs de Dieu, mais de croire tout simplement et sans démonstration, c’est là une véritable plaisanterie. Car les choses invisibles et tout ce qui est l’objet propre de l’entendement ne peuvent être aperçus autrement que par les yeux de la démonstration ; ceux donc à qui manquent ces démonstrations n’ont aucune connaissance de ces choses, et tout ce qu’ils en entendent dire ne frappe pas plus leur esprit ou ne contient pas plus de sens que les vains sons prononcés sans jugement et sans aucune intelligence par un automate ou un perroquet.<br /> <br /> ===7===<br /> Mais, avant d’aller plus loin, je suis obligé de dire pourquoi on trouve souvent dans la ''Genèse'' que les patriarches ont parlé au nom de ''Jéhovah'', ce qui semble en complète opposition avec ce que j’ai déjà dit. En se rapportant aux explications du [[Traité théologico-politique/Chapitre VIII|chapitre VIII]], on pourra facilement tout concilier ; car nous avons fait voir que l’écrivain du ''Pentateuque'' ne donne pas précisément aux choses et aux lieux les noms qu’ils avaient au temps dont il parle, mais ceux sous lesquels ils étaient plus facilement connus du temps même de l’écrivain. Ainsi la ''Genèse'' dit que Dieu fut annoncé aux patriarches sous le nom de Jéhovah, non pas qu’il fût connu des anciens sous cette appellation, mais parce que ce nom était chez les Juifs en singulier honneur. Il faut donc nécessairement admettre cette explication, puisque dans notre texte de l’''Exode'' il est dit expressément que les patriarches ne connurent pas Dieu sous ce nom ; et aussi puisque, dans l’''Exode'' (chap. III, vers. 13), Moïse désire connaître le nom de Dieu. Et si ce nom eût été connu auparavant, Moïse, du moins, ne l’aurait pas ignoré. Concluons donc, comme nous le voulions, que les fidèles patriarches n’ont pas connu ce nom de Dieu, et que la connaissance de Dieu est un don et non pas un commandement.<br /> <br /> == La seule connaissance que Dieu commande à tous ==<br /> <br /> ===8===<br /> Il est temps maintenant de passer au second point, savoir que Dieu ne demande aux hommes par l’entremise de ses prophètes d’autre connaissance de lui-même que celle de sa divine justice et de sa charité, c’est-à-dire de ceux de ses attributs que les hommes peuvent imiter en réglant leur vie par une certaine loi. Jérémie enseigne d’ailleurs cette doctrine en termes formels. Ainsi, au chapitre XXII, vers. 15, 16, en parlant du roi Josias, il s’exprime ainsi : ''Ton père a, il est vrai, bu et mangé, il a rendu justice et bon jugement, et alors il a prospéré ; il a rendu leur droit au pauvre et à l’indigent, et il a prospéré, car c’est vraiment là me connaître, a dit Jéhovah''. Et les paroles qui se trouvent au chapitre IX, vers. 24, ne sont pas moins claires ; les voici : ''Que chacun se glorifie seulement de ce qu’il me comprend et me connaît, parce que, moi Jéhovah, j’établis la charité, le bon jugement et la justice sur la terre, car ce sont les choses dont je suis charmé, dit Jéhovah''. Nous tirerons la même conclusion de l’''Exode'' (chap. XXXIV, vers. 6, 7) où Dieu ne révèle à Moïse, qui désire le voir et le connaître, d’autres attributs que ceux qui manifestent sa divine justice et sa charité. Enfin c’est ici parfaitement le cas de citer cette expression de Jean (dont nous parlerons encore dans la suite), qui, se fondant sur ce que personne n’a vu Dieu, explique Dieu par sa seule charité, et conclut que c’est réellement posséder et connaître Dieu que d’avoir la charité. Nous voyons donc que Jérémie, Moïse, Jean ramènent à un petit nombre de points la connaissance que chacun doit avoir de Dieu, et ne la font consister qu’en ceci, comme nous le voulions, à savoir : que Dieu est souverainement juste et souverainement miséricordieux, c’est-à-dire qu’il est l’unique modèle de la véritable vie. Ajoutez à cela que l’Écriture ne donne expressément aucune définition de Dieu, qu’elle ne prescrit la connaissance d’aucun autre attribut que ceux que nous venons de désigner, et que ce sont les seuls qu’elle recommande positivement. De tout cela nous concluons que la connaissance que nous avons de Dieu par l’entendement, et qui considère la nature telle qu’elle est en elle-même, nature que les hommes ne peuvent imiter par une certaine manière de vivre et qu’ils ne peuvent non plus prendre pour exemple pour bien régler leur vie, n’appartient aucunement à la foi et à la religion révélée, et conséquemment que les hommes y peuvent errer complètement sans qu’il y ait à cela aucun mal.<br /> <br /> ===9===<br /> Il n’est donc pas du tout étonnant que Dieu se soit mis à la portée de l’imagination et des préjugés des prophètes, et que les fidèles aient eu sur Dieu diverses opinions, comme nous l’avons prouvé au [[Traité théologico-politique/Chapitre II|chapitre II]] par de nombreux exemples. Il n’est pas non plus étrange que les livres sacrés parlent partout si improprement de Dieu, qu’ils lui donnent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles, une âme, un mouvement local, et jusqu’aux passions du cœur comme la jalousie, la miséricorde, etc… ; et enfin qu’ils le représentent comme un juge assis dans le ciel sur un trône royal, ayant le Christ à sa droite. Un pareil langage est évidemment approprié à l’intelligence du vulgaire, à qui l’Écriture s’efforce de donner, non la science, mais l’esprit d’obéissance. Cependant les théologiens ordinaires ont cherché à donner à ces expressions un sens métaphorique, toutes les fois que, par le secours de la lumière naturelle, ils ont pu reconnaître qu’elles ne convenaient pas à la nature divine, et ils n’ont pris à la lettre que les passages qui passaient la portée de leur intelligence. Mais s’il fallait nécessairement entendre et expliquer par des métaphores tous les endroits de ce genre qui se trouvent dans l’Écriture, on conçoit qu’elle n’eût pas été composée pour le peuple et le grossier vulgaire, mais seulement pour les hommes les plus habiles et surtout pour les philosophes. Bien plus, s’il y avait impiété à avoir sur Dieu, dans une pieuse simplicité d’esprit, les croyances que nous venons de dire, certes les prophètes auraient dû surtout éviter, du moins par égard pour la faiblesse du peuple, des phrases semblables, et enseigner avant tout d’une manière très-claire les attributs de Dieu selon que chacun est tenu de les connaître ; et c’est ce qu’ils n’ont fait nulle part. Il faut donc se garder de croire que des opinions prises d’une manière absolue et sans rapport à la pratique et aux effets aient quelque piété ou quelque impiété ; estimons plutôt qu’il ne faut attribuer à un homme l’un ou l’autre de ces caractères qu’autant que ses opinions le portent à l’obéissance ou qu’elles le conduisent à la rébellion et au péché : de sorte que, si en croyant la vérité il devient rebelle, sa foi est réellement impie, et elle est pieuse au contraire si, en croyant des choses fausses, il devient obéissant ; car nous avons prouvé que la vraie connaissance de Dieu n’est point un commandement, mais un don divin, et que Dieu n’exige des hommes que la connaissance de sa divine justice et de sa charité, laquelle n’est pas nécessaire pour la science, mais seulement pour l’obéissance.<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Traité théologico-politique/Chapitre XII|Chapitre XII]] |[[Traité théologico-politique]]|[[Traité théologico-politique/Chapitre XIV|Chapitre XIV]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Chapitre_XIV Traité théologico-politique/Chapitre XIV 2017-02-13T16:44:28Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Baruch Spinoza<br /> | 3= Chapitre XIV<br /> | 4=&lt;br /&gt;<br /> On explique la nature de la foi, &lt;br /&gt;<br /> ce que c'est qu'être fidèle et quels sont les fondements de la foi ; &lt;br /&gt;<br /> puis on sépare la foi de la philosophie.<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{ttp}}<br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> __NOTOC__<br /> == La règle unique de toute foi ==<br /> ===1===<br /> Personne ne disconviendra, si peu qu’il veuille y réfléchir, que, pour avoir une véritable idée de la foi, il est nécessaire de savoir que l’Écriture n’a pas été appropriée seulement à l’intelligence des prophètes, mais qu’elle a été mise aussi à la portée du peuple juif, le plus variable, le plus inconstant qui fut jamais. Quiconque, en effet, prend indifféremment tout ce qui est dans l’Écriture pour une doctrine universelle et absolue sur la Divinité, et ne discerne pas avec soin de tout le reste ce qui a été approprié à l’intelligence du vulgaire doit nécessairement confondre les opinions du peuple avec la doctrine céleste, prendre les fictions et les songes des hommes pour des enseignements divins, et abuser de l’autorité de L’Écriture. Qui ne voit que c’est là la source de ces opinions si nombreuses et si diverses que les sectaires enseignent comme des articles de foi et qu’ils s’attachent à confirmer par de nombreux passages de l’Écriture, d’où est venu chez les Hollandais ce vieux proverbe : ''Geen ketter sonder letter''&lt;ref&gt;Ce qui signifie littéralement : ''point d'hérétique sans lettre'', c'est-à-dire : point d'hérétique qui ne s'appuie d'un texte de l'Écriture.&lt;/ref&gt; ? Car les livres sacrés n’ont pas été écrits par un seul homme, et pour un peuple d’une seule et même époque ; plusieurs hommes de différents génies et de divers âges y ont mis la main, à ce point qu’à embrasser toute la période que renferme l’Écriture on compterait presque deux mille ans et peut-être beaucoup plus. Nous ne voulons pas cependant accuser ces sectaires d’impiété parce qu’ils approprient à leurs opinions les paroles de l’Écriture ; car, de même qu’elle fut mise autrefois à la portée du peuple, de même chacun peut l’approprier à ses opinions, s’il voit que par ce moyen il obéit plus cordialement à Dieu en tout ce qui regarde la justice et la charité. Mais c’est pour cela que nous leur reprochons de ne vouloir pas accorder aux autres la même liberté, de persécuter comme ennemis de Dieu, malgré leur parfaite honnêteté et leur obéissance à la vraie vertu, tous ceux qui ne partagent pas leur opinion, et d’exalter, au contraire, comme les élus de Dieu, malgré l’impuissance de leur esprit, tous ceux qui se rangent à leur manière de voir. Et certes on ne saurait imaginer de conduite plus coupable et plus funeste à l’État.<br /> <br /> ===2===<br /> Afin donc de savoir clairement jusqu’où s’étend, en matière de foi, la liberté d’esprit de chacun, et quels sont ceux qu’en dépit de la variété de leurs sentiments nous devons regarder comme fidèles, déterminons la nature de la foi et ses fondements : c’est ce que je me propose de faire dans ce chapitre, et en même temps je veux arriver à séparer la foi de la philosophie, objet principal de tout cet ouvrage.<br /> <br /> ===3===<br /> Pour exposer tous ces points avec méthode, revenons sur le véritable but de toute l’Écriture ; cela nous donnera la vraie règle pour déterminer la foi. Nous avons dit dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre XIII|chapitre précédent]] que le seul but de l’Écriture est d’enseigner l’obéissance ; et c’est une vérité que personne ne peut mettre en doute. Qui ne voit en effet que les deux Testaments ne sont, l’un et l’autre, qu’une doctrine d’obéissance, et qu’ils n’ont pas d’autre but que d’inviter les hommes à une obéissance volontaire ? Car, sans revenir sur ce que j’ai démontré dans le chapitre précédent, je dirai que Moïse n’a point cherché à convaincre les Israélites par la raison, mais qu’il s’est efforcé de les lier par un pacte, par des serments et par des bienfaits ; ensuite il a menacé de châtiments ceux qui enfreindraient les lois, tout en invitant le peuple, par des récompenses, à leur obéir. Or tous ces moyens sont bons pour inspirer l’obéissance, et nullement pour donner la science. Quant à l’Évangile, sa doctrine ne contient rien que la foi simple, savoir, croire à Dieu et le révérer, ou ce qui revient au même, obéir à Dieu. Il n’est donc pas besoin, pour démontrer une chose très-manifeste, d’accumuler ici les textes de l’Écriture qui recommandent l’obéissance et qui se trouvent en grand nombre dans les deux Testaments.&lt;br /&gt;<br /> Ensuite cette même Écriture enseigne très-clairement, en une infinité de passages, ce que chacun doit faire pour obéir à Dieu ; toute la loi ne consiste qu’en cet unique point : notre amour pour notre prochain ; ainsi personne ne peut douter qu’aimer son prochain comme soi-même, ainsi que Dieu l’ordonne, c’est effectivement obéir et être heureux selon la loi, et qu’au contraire le dédaigner ou le haïr, c’est tomber dans la rébellion et dans l’opiniâtreté. Enfin tout le monde reconnaît que l’Écriture n’a pas été écrite et répandue seulement pour les doctes, mais pour tous les hommes de tout âge et de toute condition. Et de ces seules considérations il suit très-évidemment que l’Écriture ne nous oblige de croire à rien autre chose qu’à ce qui est absolument nécessaire pour exécuter ce commandement. Ainsi ce commandement est l’unique règle de toute la loi catholique, le seul moyen de déterminer tous les dogmes de la foi auxquels chacun est tenu de se conformer.<br /> <br /> === 4===<br /> Puisque cela est très-évident et que tout le reste en découle, que l’on réfléchisse comment il a pu se faire que tant de dissensions se soient élevées dans l’Église, et s’il a pu y avoir d’autres causes de ces troubles que celles qui ont été exposées dans le commencement du [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]]. Ce sont aussi ces mêmes causes qui me portent à exposer de quelle façon on peut déterminer les fondements de la foi d’après la règle qui vient d’être découverte ; car si je n’aboutissais à aucun résultat précis et déterminé, on croirait à bon droit que je n’ai guère avancé la question, puisque chacun pourrait introduire dans la religion tout ce qu’il voudrait, sous ce prétexte que c’est un moyen qui le dispose à l’obéissance ; et cette difficulté se fera surtout sentir quand il s’agira des attributs divins.<br /> <br /> == Définition de la foi ==<br /> ===5===<br /> Donc, pour traiter avec ordre le sujet tout entier, je commencerai par la détermination exacte de la foi, qui, d’après le fondement que j’ai posé, doit être ainsi définie : la foi consiste à savoir sur Dieu ce qu’on n’en peut ignorer sans perdre tout sentiment d’obéissance à ses décrets, et ce qu’on en sait nécessairement par cela seul qu’on a ce sentiment d’obéissance. Cette définition est assez claire, et elle dérive assez évidemment des explications précédentes pour n’avoir besoin d’aucune démonstration.<br /> <br /> ===6===<br /> Mais j’exposerai en peu de mots les conséquences qui en résultent, savoir : &lt;br /&gt;<br /> 1° que la foi n’est point salutaire en elle-même, mais seulement en raison de l’obéissance, ou, comme le dit Jacques (chap. II, vers. 17), que la foi, à elle seule et sans les œuvres, est une foi morte ; voyez à ce sujet tout le chapitre II de cet apôtre ; &lt;br /&gt;<br /> 2° il s’ensuit que celui qui est vraiment obéissant a nécessairement la foi vraie et salutaire ; car l’esprit d’obéissance implique nécessairement l’esprit de foi, comme le déclare expressément le même apôtre (chap. II, vers. 18) par ces paroles : ''Montre-moi ta foi sans les œuvres, et je te montrerai ma foi d’après mes œuvres''. Et Jean, dans l’''Epître I'' (chap. IV, vers. 7, 8), s’exprime ainsi : ''Celui qui aime'' (à savoir, le prochain) ''est né de Dieu et il connaît Dieu ; mais celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est charité''. Il s’ensuit encore que nous ne pouvons juger qu’un homme est fidèle ou qu’il ne l’est pas, si ce n’est par ses œuvres, c’est-à-dire que celui dont les œuvres sont bonnes, quoiqu’il diffère par ses doctrines des autres fidèles, ne laisse pas d’être fidèle, et que si, au contraire, ses œuvres sont mauvaises, il est infidèle, quoiqu’il accepte et professe l’opinion reçue. Car là où se trouve l’obéissance, là se rencontre nécessairement la foi ; mais la foi sans les œuvres est une foi morte. C’est encore ce qu’enseigne expressément le même apôtre au verset 13 de ce même chapitre : ''Par là nous connaissons'', dit-il, ''que nous demeurons en lui et qu’il demeure en nous, parce qu’il nous a fait participer de son esprit'', c’est-à-dire parce qu’il nous a donné la charité. Or il avait dit auparavant que Dieu est charité : d’où il infère (d’après ses principes, universellement admis de son temps) que quiconque a la charité a véritablement l’esprit de Dieu. Il y a plus : de ce que personne n’a vu Dieu, il en conclut que personne n’a le sentiment ou l’idée de Dieu que par la charité envers le prochain, et par conséquent que personne ne peut connaître d’autre attribut de Dieu que cette charité en tant que nous y participons. Que si ces raisons ne sont pas péremptoires, elles expliquent cependant avec assez de clarté la pensée de Jean ; mais on trouve une déclaration plus explicite encore dans la même ''Épître'' (chap. II, vers. 3, 4), où il enseigne très-expressément ce que nous voulons établir ici : ''Et par là'', dit-il, ''nous savons que nous le connaissons, si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : Je le connais, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n’est point en lui''. D’où il suit encore que ceux-là sont réellement des antéchrists qui poursuivent les honnêtes gens, amis de la justice, parce qu’ils sont en dissentiment avec eux et ne défendent pas les mêmes dogmes. Car nous ne connaissons les fidèles qu’à cette marque, qu’ils aiment la justice et la charité ; et celui qui persécute les fidèles est un antéchrist.<br /> <br /> ===7===<br /> Il s’ensuit enfin que la foi ne requiert pas tant la vérité dans les doctrines que la piété, c’est-à-dire ce qui porte l’esprit à l’obéissance. Alors même que la plupart de ces doctrines n’auraient pas l’ombre de la vérité, il suffit que celui qui les embrasse en ignore la fausseté ; autrement, il serait nécessairement rebelle : comment, en effet, se pourrait-il faire que celui qui veut aimer la justice et cherche à obéir à Dieu adorât comme divin ce qu’il sait être étranger à la nature divine ? Cependant les hommes peuvent errer par simplicité d’esprit, et l’Écriture ne condamne pas l’ignorance, mais seulement l’obstination, ainsi que nous l’avons déjà fait voir ; cela résulte même nécessairement de la seule définition de la foi, dont toutes les parties doivent se tirer de la règle universelle que nous avons déjà exposée et de l’unique objet de toute l’Écriture, à moins qu’il ne nous convienne d’y mêler nos propres idées. Or ce n’est point expressément la vérité que cette définition exige, mais des dogmes capables de nous porter à l’obéissance et de nous confirmer dans l’amour du prochain, et c’est seulement avec cette disposition d’esprit que tout homme (pour parler avec Jean) est en Dieu, et que Dieu est en nous.<br /> <br /> ===8===<br /> Ainsi, puisque la foi de chacun ne doit être réputée bonne ou mauvaise qu’en raison de l’obéissance ou de l’obstination, et non par rapport à la vérité ou à l’erreur, et que personne ne doute que généralement les esprits des hommes ne soient si divers que, loin de tomber d’accord sur toutes choses, ils ont au contraire chacun leur opinion (car la même chose qui excite en l’un des sentiments de piété porte l’autre à la raillerie et au mépris), il s’ensuit que les dogmes qui peuvent donner lieu à controverse parmi les honnêtes gens n’appartiennent en aucune façon à la foi catholique ou universelle. Car de pareils dogmes peuvent être bons pour les uns et mauvais pour les autres, puisqu’on ne doit les juger que par les œuvres qu’ils produisent.<br /> <br /> <br /> ===9===<br /> Il ne faut donc comprendre dans la foi catholique que les points strictement nécessaires pour produire l’obéissance à Dieu, ceux par conséquent dont l’ignorance conduit nécessairement à l’esprit de rébellion ; pour les autres, chacun, se connaissant soi-même mieux que personne, en pensera ce qu’il lui semblera convenable, selon qu’il les jugera plus ou moins propres à le fortifier dans l’amour de la justice. C’est le moyen, je pense, de bannir toute controverse du sein de l’Église.<br /> <br /> == Les 7 principes de la foi universelle ==<br /> === 10 ===<br /> Maintenant je ne crains plus d’énumérer les dogmes de la foi universelle, ou les dogmes fondamentaux de l’Écriture, lesquels (comme cela résulte très-évidemment de ce que j’ai exposé dans ces deux chapitres) doivent tous tendre à cet unique point, savoir : qu’il existe un Être suprême qui aime la justice et la charité, à qui tout le monde doit obéir pour être sauvé, et qu’il faut adorer par la pratique de la justice et la charité envers le prochain.<br /> <br /> On détermine ensuite facilement toutes les autres vérités, savoir : &lt;br /&gt;<br /> 1° qu’il y a un Dieu, c’est-à-dire un Être suprême, souverainement juste et miséricordieux, le modèle de la véritable vie ; car celui qui ne sait pas ou qui ne croit pas qu’il existe ne peut lui obéir ni le reconnaître comme juge ; &lt;br /&gt;<br /> 2° qu’il est unique, car c’est une condition, de l’aveu de tout le monde, rigoureusement indispensable pour inspirer la suprême dévotion, l’admiration et l’amour envers Dieu ; car c’est l’excellence d’un être par-dessus tous les autres qui fait naître la dévotion, l’admiration et l’amour ; &lt;br /&gt;<br /> 3° qu’il est présent partout et que tout lui est ouvert ; car si l’on pensait que certaines choses lui sont cachées, ou si l’on ignorait qu’il voit tout, on douterait de la perfection de sa justice, qui dirige tout ; on ignorerait sa justice elle-même ; &lt;br /&gt;<br /> 4° qu’il a sur toutes choses un droit et une autorité suprêmes ; qu’il n’obéit jamais à une autorité étrangère, mais qu’il agit toujours en vertu de son absolu bon plaisir et de sa grâce singulière ; car tous les hommes sont tenus absolument de lui obéir, et lui n’y est tenu envers personne ; &lt;br /&gt;<br /> 5° que le culte de Dieu et l’obéissance qu’on lui doit ne consistent que dans la justice et dans la charité, c’est-à-dire dans l’amour du prochain ; &lt;br /&gt;<br /> 6° que ceux qui, en vivant ainsi, obéissent à Dieu, sont sauvés, tandis que les autres qui vivent sous l’empire des voluptés sont perdus ; si, en effet, les hommes ne croyaient pas cela fermement, il n’y aurait pas de raison pour eux d’obéir à Dieu plutôt qu’à l’amour des plaisirs ; &lt;br /&gt;<br /> 7° enfin, que Dieu remet leurs péchés à ceux qui se repentent, car il n’est point d’homme qui ne pèche ; car si cette réserve n’était établie, chacun désespérerait de son salut, et il n’y aurait pas de raison de croire à la miséricorde de Dieu ; mais celui qui croit cela fermement, savoir, que Dieu, en vertu de sa grâce et de la miséricorde avec laquelle il dirige toutes choses, pardonne les péchés des hommes, celui, dis-je, qui pour cette raison s’enflamme de plus en plus dans son amour pour Dieu, celui-là connaît réellement le Christ selon l’esprit, et le Christ est en lui.<br /> <br /> ===11===<br /> Or personne ne peut ignorer que toutes ces choses ne soient rigoureusement nécessaires à connaître pour que tous les hommes, sans exception, puissent obéir à Dieu, d’après le précepte de la loi que nous avons expliqué plus haut ; car ôter de ces choses un seul point, c’est aussi ôter l’obéissance. D’ailleurs, qu’est-ce que Dieu, c’est-à-dire ce modèle de la véritable vie ? est-il feu, esprit, lumière, pensée, etc. ?... cela ne regarde pas la foi, pas plus que de savoir par quelle raison il est le modèle de la véritable vie : si c’est, par exemple, parce qu’il a un esprit juste et miséricordieux, ou parce que toutes choses existent et agissent par lui, et conséquemment que c’est par lui que nous entendons et par lui que nous voyons ce qui est vrai, bon et juste ; peu importe ce que chacun pense de ces problèmes. Ce n’est pas non plus une affaire de foi que de croire si c’est par essence ou par puissance que Dieu est partout, si c’est librement ou par une nécessité de sa nature qu’il dirige les choses, s’il prescrit les lois en tant que prince, ou s’il les enseigne comme des vérités éternelles, si c’est en vertu de son libre arbitre ou par la nécessité du décret divin que l’homme obéit à Dieu, et enfin si la récompense des bons et le châtiment des méchants sont quelque chose de naturel ou de surnaturel. Pour ces questions et pour d’autres semblables, peu importe à la foi, je le répète, dans quelque sens que chacun les comprenne, pourvu toutefois que l’on n’en prenne pas prétexte pour s’autoriser davantage dans le péché ou pour obéir moins strictement à Dieu.<br /> <br /> Il y a plus : c’est que chacun, comme nous l’avons déjà dit, doit mettre à sa portée ces dogmes de la foi, et les interpréter de manière à pouvoir plus facilement les embrasser sans hésitation et avec une adhésion pleine et entière, de sorte qu’en conséquence il obéisse à Dieu de tout son cœur. Car de même que la foi, ainsi que nous l’avons déjà dit, fut anciennement révélée et écrite selon l’esprit et les opinions des prophètes et du peuple de cet âge, ainsi chacun aujourd’hui est tenu de l’approprier à ses opinions, pour l’embrasser sans répugnance et sans aucune hésitation ; car nous avons fait voir que la foi ne demande pas tant la vérité que la piété, et qu’elle n’est pieuse et salutaire qu’en raison de l’obéissance, et conséquemment que personne n’est fidèle qu’en raison de l’obéissance. Aussi ce n’est pas nécessairement celui qui expose les meilleures raisons qui fait preuve de la foi la meilleure, mais bien celui qui accomplit les meilleures œuvres de justice et de charité. Je laisse à juger à tous de la bonté de cette doctrine, combien elle est salutaire, combien elle est nécessaire dans un État pour que les hommes y vivent dans la paix et la concorde, enfin combien de causes graves de troubles et de crimes elle détruit jusque dans leurs racines.<br /> <br /> Et ici, avant d’aller plus loin, il est bon de remarquer qu’avec les explications données tout à l’heure nous pouvons facilement résoudre les objections que nous nous sommes proposées au chapitre I, quand nous avons fait mention de Dieu parlant aux Israélites du haut du mont Sinaï. Car, quoique cette voix que les Israélites entendirent n’ait pu donner à ces hommes aucune certitude philosophique ou mathématique de l’existence de Dieu, elle suffisait cependant pour les ravir en admiration, selon l’idée qu’ils avaient eue de Dieu auparavant, et pour les porter à l’obéissance, ce qui était d’ailleurs le but de ce merveilleux spectacle. En effet, Dieu n’avait pas l’intention d’instruire les Israélites des attributs absolus de son essence (car, à ce moment, il ne leur en révéla rien), mais de dompter leur esprit opiniâtre et de les réduire à l’obéissance ; aussi n’est-ce pas avec des raisons qu’il les aborda, mais au bruit des trompettes, au fracas du tonnerre et aux éclairs de la foudre (voyez ''Exode'', chap. XX, vers. 20).<br /> <br /> Il nous reste à faire voir enfin qu’entre la foi ou la théologie et la philosophie il n’y a aucun commerce ni aucune affinité ; et c’est un point que ne peut ignorer quiconque connaît le but et le fondement de ces deux puissances, qui certainement sont d’une nature absolument opposée. Car la philosophie n’a pour but que la vérité, tandis que la foi, comme nous l’avons surabondamment démontré, n’a en vue que l’obéissance et la piété. Ensuite les fondements de la philosophie sont des notions communes, et elle-même ne doit être puisée que dans la nature, tandis que les fondements de la foi sont les histoires et la langue, et elle-même ne doit être cherchée que dans l’Écriture et dans la révélation, comme nous l’avons fait voir au [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]]. Ainsi la foi donne à tout le monde la liberté pleine et entière de philosopher à son gré, afin que chacun puisse sans crime penser sur toutes choses ce qui lui semble convenable ; elle ne condamne comme hérétiques et schismatiques que ceux qui enseignent des opinions capables de porter à la rébellion, à la haine, aux disputes et à la colère ; elle ne répute fidèles que ceux qui conseillent, de toute la force de leur raison et de leurs facultés, l’esprit de justice et de charité. Enfin, puisque les idées que nous exposons ici sont le principal but de ce Traité, nous voulons, avant d’aller plus loin, prier et supplier le lecteur de lire avec la plus grande attention ces deux chapitres, de ne pas se lasser de les méditer ; nous voulons surtout qu’il soit persuadé que nous n’avons pas écrit dans l’intention d’introduire des nouveautés, mais pour détruire des abus que nous espérons voir enfin disparaître.<br /> <br /> <br /> == Note ==<br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Traité théologico-politique/Chapitre XIII|Chapitre XIII]] |[[Traité théologico-politique]]|[[Traité théologico-politique/Chapitre XV|Chapitre XV]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique/Chapitre_XIII Traité théologico-politique/Chapitre XIII 2017-02-13T16:28:10Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Traité théologico-politique]]<br /> | 2= Baruch Spinoza<br /> | 3= Chapitre XIII<br /> | 4=&lt;br /&gt;<br /> On montre que l’Écriture n'enseigne que de choses fort simples, qu'elle n'exige que l'obéissance, et qu'elle n'enseigne sur la nature divine que ce que les hommes peuvent imiter en réglant leur vie suivant une certaine foi.<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{ttp}}<br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> ==Simplicité de l'Écriture ==<br /> ===1===<br /> Nous avons prouvé dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre II|chapitre II]] de ce Traité que l’imagination seule des prophètes, et non leur entendement, avait été douée d’une puissance singulière, et que Dieu, loin de les initier dans les secrets de la philosophie, ne leur avait révélé que les choses les plus simples et s’était proportionné à leurs sentiments et à leurs préjugés. Nous avons fait voir dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre V|chapitre V]] que l’Écriture transmet et enseigne les choses de telle manière que chacun les peut très-facilement comprendre ; car, bien loin d’enchaîner ses idées avec rigueur et de les rattacher à des axiomes et à des définitions, elle expose tout avec simplicité ; et pour qu’on ait foi en ses enseignements, elle ne les confirme que par la simple expérience, c’est-à-dire par des miracles et par des récits historiques. Cette exposition est d’ailleurs faite dans le style et dans le langage les plus propres à remuer l’esprit du peuple (consultez à ce sujet, dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre VI|chapitre VI]], ma troisième remarque). Nous avons ensuite établi dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre VII|chapitre VII]] que la difficulté d’entendre l’Écriture ne résulte que de la langue et non de la sublimité du sujet. Joignez à cela que ce n’est pas aux savants, mais à tous les Juifs indistinctement que les prophètes firent entendre leurs prédications, et que les apôtres avaient coutume d’enseigner la doctrine évangélique dans les églises où toutes sortes de personnes étaient réunies. Il résulte de toutes ces considérations que la doctrine de l’Écriture ne contient ni spéculations sublimes ni questions philosophiques, mais bien les choses les plus simples que peut saisir l’intelligence la plus bornée.<br /> <br /> ===2===<br /> Je ne puis donc assez admirer la pénétration de ces personnes dont j’ai parlé précédemment, qui trouvent dans l’Écriture des mystères dont nulle langue ne saurait expliquer la profondeur, et qui ont ensuite introduit dans la religion tant de spéculations philosophiques qu’il semble que l’Église soit une académie, et la religion une science ou plutôt une école de controverse. Mais pourquoi s’étonner que des hommes qui se vantent de posséder une lumière surnaturelle ne veuillent pas le céder en connaissance aux philosophes, qui sont réduits aux ressources naturelles ? Ce qui étonnerait, ce serait de les entendre exposer quelque nouveauté spéculative, quelque opinion qui n’eût pas été autrefois répandue dans les écoles de ces philosophes païens (qu’ils accusent cependant d’aveuglement). Car si vous leur demandez quels sont les mystères qu’ils voient dans l’Écriture, ils ne vous produiront, je vous l’assure, que les fictions d’un Aristote, d’un Platon, ou d’un autre semblable auteur de systèmes ; fictions qu’un idiot trouverait plutôt dans ses songes que le plus savant homme du monde dans l’Écriture.<br /> <br /> ===3===<br /> Ce n’est pas que nous voulions nier absolument qu’il y ait rien dans la doctrine de l’Écriture qui soit de l’ordre de la spéculation ; aussi bien dans le [[Traité théologico-politique/Chapitre XII|chapitre précédent]] nous avons allégué certains principes de ce genre et qui sont comme les fondements de l’Écriture : nous voulons dire seulement que les spéculations y sont très-rares et très-simples. Mais quelles sont-elles, et comment les déterminer, c’est un point que j’ai dessein d’éclaircir ici ; cela me sera facile maintenant qu’il est établi que l’Écriture n’a point pour objet d’enseigner les sciences ; car on peut facilement conclure de là qu’elle n’exige des hommes que l’obéissance et que ce n’est pas l’ignorance, mais l’opiniâtreté seule qu’elle condamne. Ensuite, puisque l’obéissance envers Dieu ne consiste que dans l’amour du prochain (car celui qui aime son prochain dans l’intention de complaire à Dieu, celui-là, comme le dit Paul dans son ''Épître aux Romains'', chap. XIII, vers. 8, a accompli la loi), il s’ensuit que l’Écriture ne recommande pas d’autre science que celle qui est nécessaire à tous les hommes pour qu’ils puissent obéir à Dieu selon ce précepte, de sorte que ceux qui l’ignorent doivent nécessairement être opiniâtres ou du moins indociles ; quant aux autres spéculations qui ne tendent pas directement à ce but, qu’elles aient pour objet la connaissance de Dieu ou celle des choses naturelles, elles ne regardent pas l’Écriture, et il faut par conséquent les retrancher de la religion révélée.<br /> <br /> ===4===<br /> Mais, quoique ce point soit maintenant bien éclairci, comme le fond même de la religion en dépend, je veux examiner la chose avec plus de soin et la mettre mieux en lumière. Pour cela il faut prouver avant tout que la connaissance intellectuelle ou approfondie de Dieu n’est pas, comme l’obéissance, un don commun à tous les fidèles ; ensuite, que cette sorte de connaissance que Dieu, par la bouche des prophètes, a exigée généralement de tout le monde, et que chacun est tenu de posséder, n’est autre chose que la connaissance de la divine justice et de la charité : deux points qui se prouvent facilement par l’Écriture elle-même.<br /> <br /> == La connaissance exacte de Dieu est un don et non un devoir ==<br /> ===5===<br /> Car 1° on les peut conclure avec évidence du passage de l’''Exode'' (chap. VI, vers. 2) où Dieu, pour montrer la grâce particulière qu’il a donnée à Moïse, dit : ''Et je me suis révélé à Abraham, à Isaac et à Jacob en tant que Dieu Sadaï, mais ils ne m’ont pas connu sous mon nom de Jéhovah''. Ici, pour mieux entendre ce passage, il faut remarquer que ''El Sadaï'' en hébreu veut dire ''Dieu qui suffit'', parce qu’il donne en effet à chacun ce qui lui suffit ; et quoique souvent ''Sadaï'' soit pris absolument pour signifier ''Dieu'', il n’est pas douteux néanmoins qu’il faille partout avec ce mot sous-entendre ''El'', c’est-à-dire ''Dieu''. Ensuite il est à remarquer qu’on ne trouve pas dans l’Écriture d’autre nom que celui de ''Jéhovah'' pour exprimer l’essence absolue de Dieu, sans rapport aux choses créées. Aussi les Hébreux prétendent-ils que c’est là le seul nom qui convienne à Dieu, que les autres sont purement appellatifs ; et effectivement les autres noms de Dieu, qu’ils soient substantifs ou adjectifs, sont des attributs qui ne conviennent à Dieu qu’en tant qu’on le considère dans son rapport avec les créatures ou en tant qu’elles lui servent de manifestation : de ce nombre est ''El'', ou, en ajoutant la lettre paragogique ''he'', ''Eloha'', qui veut dire puissant, comme on le sait ; nom qui ne convient à Dieu que par excellence, de même que nous appelons Paul l’''Apôtre''. Ce nom d’ailleurs signifie les différentes vertus de la puissance, de sorte qu’en l’appelant ''El'' (puissant) on dit qu’il est grand, juste, miséricordieux, etc. ; on met donc ce nom au pluriel et on lui donne un sens singulier pour embrasser à la fois tous les attributs divins, usage très-fréquent dans l’Écriture. Ainsi, puisque Dieu dit à Moïse que les patriarches ne l’ont pas connu sous le nom de ''Jéhovah'', il s’ensuit qu’ils n’ont connu de lui aucun attribut divin qui explique son essence absolue, mais seulement ses effets et ses promesses, c’est-à-dire sa puissance en tant qu’elle se manifeste par les choses visibles. Or Dieu ne parle pas ainsi à Moïse pour les accuser d’infidélité, mais au contraire pour exalter leur foi et leur crédulité ; puisque, n’ayant point eu, comme Moïse, une connaissance toute particulière de Dieu, ils ont cru fermement à la réalisation de ses promesses et bien mieux que Moïse, qui, malgré les pensées plus sublimes qu’il avait sur Dieu, douta néanmoins des promesses divines et fit un reproche à Dieu de ce qu’au lieu du salut qui leur était promis, les Juifs avaient vu empirer leurs affaires. Ainsi, puisque les patriarches n’ont pas connu le nom particulier de Dieu, et que Dieu parle à Moïse de cette ignorance pour exalter leur foi et leur simplicité d’esprit, et pour marquer en même temps le prix de la grâce singulière accordée à Moïse, il s’ensuit très-évidemment, comme nous l’avons établi en premier lieu, que les hommes ne sont pas tenus de connaître les attributs de Dieu, et que cette grâce est un don particulier qui n’a été réservé qu’à quelques fidèles. Il serait superflu d’apporter en preuve d’autres témoignages de l’Écriture. Qui ne voit en effet que la connaissance de Dieu n’a pas été égale chez tous les hommes, et que la sagesse, pas plus que la vie et l’existence, ne se donne à personne par un mandat ? Hommes, femmes, enfants, tout le monde peut également obéir, mais non pas devenir sage.<br /> <br /> ===6===<br /> Que si l’on prétend qu’il n’y a pas besoin à la vérité de connaître les attributs de Dieu, mais de croire tout simplement et sans démonstration, c’est là une véritable plaisanterie. Car les choses invisibles et tout ce qui est l’objet propre de l’entendement ne peuvent être aperçus autrement que par les yeux de la démonstration ; ceux donc à qui manquent ces démonstrations n’ont aucune connaissance de ces choses, et tout ce qu’ils en entendent dire ne frappe pas plus leur esprit ou ne contient pas plus de sens que les vains sons prononcés sans jugement et sans aucune intelligence par un automate ou un perroquet.<br /> <br /> ===7===<br /> Mais, avant d’aller plus loin, je suis obligé de dire pourquoi on trouve souvent dans la ''Genèse'' que les patriarches ont parlé au nom de ''Jéhovah'', ce qui semble en complète opposition avec ce que j’ai déjà dit. En se rapportant aux explications du [[Traité théologico-politique/Chapitre VIII|chapitre VIII]], on pourra facilement tout concilier ; car nous avons fait voir que l’écrivain du ''Pentateuque'' ne donne pas précisément aux choses et aux lieux les noms qu’ils avaient au temps dont il parle, mais ceux sous lesquels ils étaient plus facilement connus du temps même de l’écrivain. Ainsi la ''Genèse'' dit que Dieu fut annoncé aux patriarches sous le nom de Jéhovah, non pas qu’il fût connu des anciens sous cette appellation, mais parce que ce nom était chez les Juifs en singulier honneur. Il faut donc nécessairement admettre cette explication, puisque dans notre texte de l’''Exode'' il est dit expressément que les patriarches ne connurent pas Dieu sous ce nom ; et aussi puisque, dans l’''Exode'' (chap. III, vers. 13), Moïse désire connaître le nom de Dieu. Et si ce nom eût été connu auparavant, Moïse, du moins, ne l’aurait pas ignoré. Concluons donc, comme nous le voulions, que les fidèles patriarches n’ont pas connu ce nom de Dieu, et que la connaissance de Dieu est un don et non pas un commandement.<br /> <br /> == La seule connaissance que Dieu commande à tous ==<br /> <br /> ===8===<br /> Il est temps maintenant de passer au second point, savoir que Dieu ne demande aux hommes par l’entremise de ses prophètes d’autre connaissance de lui-même que celle de sa divine justice et de sa charité, c’est-à-dire de ceux de ses attributs que les hommes peuvent imiter en réglant leur vie par une certaine loi. Jérémie enseigne d’ailleurs cette doctrine en termes formels. Ainsi, au chapitre XXII, vers. 15, 16, en parlant du roi Josias, il s’exprime ainsi : ''Ton père a, il est vrai, bu et mangé, il a rendu justice et bon jugement, et alors il a prospéré ; il a rendu leur droit au pauvre et à l’indigent, et il a prospéré, car c’est vraiment là me connaître, a dit Jéhovah''. Et les paroles qui se trouvent au chapitre IX, vers. 24, ne sont pas moins claires ; les voici : ''Que chacun se glorifie seulement de ce qu’il me comprend et me connaît, parce que, moi Jéhovah, j’établis la charité, le bon jugement et la justice sur la terre, car ce sont les choses dont je suis charmé, dit Jéhovah''. Nous tirerons la même conclusion de l’''Exode'' (chap. XXXIV, vers. 6, 7) où Dieu ne révèle à Moïse, qui désire le voir et le connaître, d’autres attributs que ceux qui manifestent sa divine justice et sa charité. Enfin c’est ici parfaitement le cas de citer cette expression de Jean (dont nous parlerons encore dans la suite), qui, se fondant sur ce que personne n’a vu Dieu, explique Dieu par sa seule charité, et conclut que c’est réellement posséder et connaître Dieu que d’avoir la charité. Nous voyons donc que Jérémie, Moïse, Jean ramènent à un petit nombre de points la connaissance que chacun doit avoir de Dieu, et ne la font consister qu’en ceci, comme nous le voulions, à savoir : que Dieu est souverainement juste et souverainement miséricordieux, c’est-à-dire qu’il est l’unique modèle de la véritable vie. Ajoutez à cela que l’Écriture ne donne expressément aucune définition de Dieu, qu’elle ne prescrit la connaissance d’aucun autre attribut que ceux que nous venons de désigner, et que ce sont les seuls qu’elle recommande positivement. De tout cela nous concluons que la connaissance que nous avons de Dieu par l’entendement, et qui considère la nature telle qu’elle est en elle-même, nature que les hommes ne peuvent imiter par une certaine manière de vivre et qu’ils ne peuvent non plus prendre pour exemple pour bien régler leur vie, n’appartient aucunement à la foi et à la religion révélée, et conséquemment que les hommes y peuvent errer complètement sans qu’il y ait à cela aucun mal.<br /> <br /> ===9===<br /> Il n’est donc pas du tout étonnant que Dieu se soit mis à la portée de l’imagination et des préjugés des prophètes, et que les fidèles aient eu sur Dieu diverses opinions, comme nous l’avons prouvé au [[Traité théologico-politique/Chapitre II|chapitre II]] par de nombreux exemples. Il n’est pas non plus étrange que les livres sacrés parlent partout si improprement de Dieu, qu’ils lui donnent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles, une âme, un mouvement local, et jusqu’aux passions du cœur comme la jalousie, la miséricorde, etc… ; et enfin qu’ils le représentent comme un juge assis dans le ciel sur un trône royal, ayant le Christ à sa droite. Un pareil langage est évidemment approprié à l’intelligence du vulgaire, à qui l’Écriture s’efforce de donner, non la science, mais l’esprit d’obéissance. Cependant les théologiens ordinaires ont cherché à donner à ces expressions un sens métaphorique, toutes les fois que, par le secours de la lumière naturelle, ils ont pu reconnaître qu’elles ne convenaient pas à la nature divine, et ils n’ont pris à la lettre que les passages qui passaient la portée de leur intelligence. Mais s’il fallait nécessairement entendre et expliquer par des métaphores tous les endroits de ce genre qui se trouvent dans l’Écriture, on conçoit qu’elle n’eût pas été composée pour le peuple et le grossier vulgaire, mais seulement pour les hommes les plus habiles et surtout pour les philosophes. Bien plus, s’il y avait impiété à avoir sur Dieu, dans une pieuse simplicité d’esprit, les croyances que nous venons de dire, certes les prophètes auraient dû surtout éviter, du moins par égard pour la faiblesse du peuple, des phrases semblables, et enseigner avant tout d’une manière très-claire les attributs de Dieu selon que chacun est tenu de les connaître ; et c’est ce qu’ils n’ont fait nulle part. Il faut donc se garder de croire que des opinions prises d’une manière absolue et sans rapport à la pratique et aux effets aient quelque piété ou quelque impiété ; estimons plutôt qu’il ne faut attribuer à un homme l’un ou l’autre de ces caractères qu’autant que ses opinions le portent à l’obéissance ou qu’elles le conduisent à la rébellion et au péché : de sorte que, si en croyant la vérité il devient rebelle, sa foi est réellement impie, et elle est pieuse au contraire si, en croyant des choses fausses, il devient obéissant ; car nous avons prouvé que la vraie connaissance de Dieu n’est point un commandement, mais un don divin, et que Dieu n’exige des hommes que la connaissance de sa divine justice et de sa charité, laquelle n’est pas nécessaire pour la science, mais seulement pour l’obéissance.<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Traité théologico-politique/Chapitre XII|Chapitre XII]] |[[Traité théologico-politique]]|[[Traité théologico-politique/Chapitre XIV|Chapitre XIV]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_20 Lettre 20 2017-01-22T01:16:22Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 20<br /> | 3= de Blyenbergh à Spinoza<br /> | 4=1665<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très célèbre&lt;br /&gt;<br /> B. d. S.&lt;br /&gt;<br /> Guillaume de Blyenbergh<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Monsieur et très cher ami,<br /> <br /> Dès qu’on m’a transmis votre première lettre, je l’ai parcourue rapidement, et mon intention a été non seulement de répondre aussitôt mais aussi d’en réfuter beaucoup. En fait, plus j’en ai lu, moins j’y ai trouvé matière à objections, et j’ai éprouvé autant de plaisir à vous lire que j’en avais eu le désir. Mais avant que j’en arrive à vous demander de résoudre quelques difficultés, il faut d’abord que vous sachiez que je suis toujours deux règles générales quand je m’applique à philosopher : la première est le concept clair et distinct de mon entendement, la seconde la Parole révélée de Dieu, autrement dit la volonté de Dieu. Je m’efforce d’être un ami de la vérité suivant la première, mais un philosophe chrétien suivant les deux ; et si jamais il arrivait après un long examen que ma connaissance naturelle me semble contredire cette Parole, ou ne pas bien convenir avec elle, celle-ci a sur moi tant d’autorité que les concepts que je m’imagine clairs me seraient suspects plutôt que de les placer au-dessus de et contre cette vérité que je pense m’être prescrite dans le Livre. Et quoi d’étonnant ? car je veux croire constamment que cette Parole est la Parole de Dieu, c’est-à-dire provenant de Dieu suprême et très parfait qui inclut plus de perfections que moi je ne puis en saisir ; et peut-être a-t-il voulu proclamer de lui-même et de ses œuvres plus de perfections que moi je ne peux percevoir aujourd’hui par mon entendement fini, je dis bien aujourd’hui : car il peut se faire que je me prive moi-même par mes œuvres de très grandes perfections ; et ainsi, s’il se trouvait que je fusse pourvu de la perfection dont je me suis privé par mes propres œuvres, je pourrais percevoir que tout ce qui nous est proposé et enseigné dans cette Parole s’accorde avec les concepts les plus sains de mon âme ; mais parce que je me suis demandé si je ne me suis pas privé moi, par une erreur continuelle, d’une condition meilleure, et que, comme vous l’établissez dans la [[Principes de la philosophie de Descartes/Partie I#Proposition 15|proposition 15 de la partie I des Principes]], notre connaissance, même très claire, inclut encore de l’imperfection, je préfère m’incliner, même sans raison, devant cette Parole, m’appuyant sur le fondement suivant : il a produit à partir de ce qu’il y a de plus parfait (cela bien sûr je le présuppose pour le moment, puisque ce n’est pas ici le lieu de le prouver et ce serait trop long) et donc je ne peux que croire en lui. Si maintenant, sous la seule conduite de ma première règle, en excluant la seconde, comme si je ne l’avais pas ou qu’elle me fût cachée, je juge de votre lettre, je devrais vous concéder beaucoup de points, tout comme je concède que vos subtils concepts sont admirables ; mais la seconde règle me force à ne pas être du tout d’accord avec vous. De fait, autant qu’on peut le faire dans une lettre, je vais les examiner assez longuement sous la conduite de l’une et l’autre règle.<br /> <br /> Premièrement, suivant la première règle établie, je vais vous demander ceci : puisque, selon votre position , créer et conserver sont un et le même, et puisque Dieu a fait que non seulement les choses, mais aussi les mouvements et les façons d’être des choses persévèrent dans leur état, c’est-à-dire qu’il concourt avec elles, la conséquence n’en est-elle pas, semble-t-il, qu’il n’y a aucun mal ou bien que Dieu lui-même opère le mal ; m’appuyant sur cette règle que rien ne peut se faire contre la volonté de Dieu, sinon cela impliquerait ou imperfection ou bien que les choses que Dieu opère (parmi lesquelles sont aussi comprises semble-t-il les choses que nous disons mauvaises) peuvent également être mauvaises. Mais, et parce que cela inclut contradiction et parce que, de quelque façon que je la tourne, je ne pouvais me libérer de cette contradiction établie, je me suis alors adressé à vous comme le meilleur interprète de vos concepts. Dans votre réponse vous dites persister dans votre premier sentiment : rien ne se fait ou ne peut se faire contre la volonté de Dieu. Mais quand il s’agit de répondre à cette difficulté : si donc Dieu fait le mal ou non, vous niez que le péché soit quelque chose de positif et vous ajoutez que ce n’est que tout à fait improprement qu’il peut être dit que nous péchons contre Dieu ; et dans le [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|chapitre 6 de la partie I de l’Appendice]] vous dites : « ''Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum''* [Il n’y a aucun mal absolu, comme il est manifeste par soi] : car tout ce qui existe, considéré en soi, sans égard à quoi que ce soit d’autre, inclut une perfection qui toujours s’étend dans chaque chose jusqu’où s’étend l’essence&lt;ref&gt;''wesen, essentia''&lt;/ref&gt; même de la chose, et donc la conséquence évidente en est que les péchés, parce qu’ils ne dénotent que de l’imperfection, ne peuvent consister en rien qui exprime une essence&lt;ref&gt;''wesen, essentiam''&lt;/ref&gt;. » Si le péché, le mal, l’erreur, ou de quelque nom que vous l’appeliez, n’est rien d’autre que perdre un état plus parfait, ou en être privé, la conséquence en est, semble-t-il, que l’existence&lt;ref&gt;''dat wesentlijk, to existere''&lt;/ref&gt; n’est en fait pas un mal ou une imperfection, mais qu’un mal peut naître dans une chose existante&lt;ref&gt;''dat wesentlijck ding''&lt;/ref&gt;. Car le parfait n’est pas privé d’un état plus parfait par une action elle aussi parfaite, mais bien parce que nous inclinons vers quelque chose d’imparfait parce que nous abusons des forces à nous concédées. Vous semblez appeler cela « non un mal, mais un moindre bien parce que les choses considérées en soi incluent de la perfection, ensuite parce qu’aux choses – comme vous dites – n’appartient pas plus d’essence que l’entendement de Dieu et sa puissance ne leur ont attribué et leur apportent réellement ; et donc elles ne peuvent non plus montrer plus d’existence&lt;ref&gt;''meerder wesentlijckheijt, existentiae''&lt;/ref&gt; dans leurs actions qu’elles ne reçoivent d’essence&lt;ref&gt;''wesen, essentiae''&lt;/ref&gt; ». Car si je ne peux effectuer ni plus ni moins d’opérations qu’autant que j’ai reçu d’essence&lt;ref&gt;''wesentlijckheijt, essentiae''&lt;/ref&gt;, aucune privation d’un état plus parfait ne peut être inventée&lt;ref&gt;''bedacht, de bedenken''&lt;/ref&gt; : en effet si rien ne se fait contre la volonté de Dieu et seulement autant qu’il a été conféré d’essence, par quelle voie peut-on réfléchir sur le mal, que vous nommez privation d’une condition meilleure ? Comment quelqu’un peut-il, par une œuvre décidée telle qu’elle est et dépendante, perdre un état plus parfait ? A un tel point je me persuade que vous n’avez pu que décider de deux choses l’une : ou quelque chose de mal est, ou aucune privation d’un état meilleur ne peut être. Car qu’il n’y ait pas de mal et qu’on soit privé d’une condition meilleure me semble contradictoire.<br /> <br /> Mais vous direz que par la privation d’un état plus parfait nous tombons en fait dans un moindre bien mais non dans un mal absolu ; mais (Appendice, partie I, chap. 3) vous m’avez enseigné qu’il ne faut pas disputer sur les mots . C’est pourquoi je ne dispute pas maintenant si le mal doit être dit absolu ou non, mais seulement s’il est juste de nommer, et si on le doit, la chute d’un état meilleur dans un état pire chez nous « état pire » ou « état mauvais ». Si vous répliquez : cet état mauvais contient encore beaucoup de bon, je vous demande alors si un homme qui, par son imprudence, a été cause de sa privation d’un état plus parfait, et par conséquent est maintenant moindre qu’auparavant, peut être appelé « mauvais ».<br /> <br /> Mais pour réfuter le raisonnement précédent, puisque aucune difficulté à ce sujet n’est au-dessus de vous, vous affirmez : « En fait le mal qui est, et a été dans Adam, n’est pas réellement quelque chose de positif, et c’est à notre égard, mais non à celui de l’entendement de Dieu, qu’il est dit tel : à l’égard du nôtre c’est ''privatio''* (''sed tantum quatenus eo optima libertate, quae ad nostram naturam spectat, et in nostra potestate est, nos nosmet privamus''* [mais seulement en tant que par lui nous nous privons nous-mêmes de la liberté la meilleure qui regarde notre nature et est en notre pouvoir]) mais à l’égard de Dieu ''negatio''*. » Mais examinons maintenant si ce que vous appellez « mal », si du moins il n’est mal qu’à notre égard, n’est pas un mal ; ensuite si le mal, dans votre acception, ne peut qu’être dit ''negatio''* à l’égard de Dieu.<br /> <br /> Sur le premier point, il me semble avoir d’une certaine façon répondu plus haut : et quoique je concède qu’être moins parfait qu’un autre être ne peut poser en moi aucun mal, pour ce que je ne peux réclamer du Créateur un état meilleur et faire que mon état diffère ''gradibus''* [en degré], je ne peux cependant pour cela concéder et reconnaître, si maintenant je suis plus imparfait qu’avant et que je me suis créé mon imperfection par ma faute, que en cela je ne suis pas pire pour autant ; si, dis-je, je me considère avant que je tombe jamais dans l’imperfection, et que je me compare alors à d’autres dotés d’une plus grande perfection que moi, cette perfection moindre ne sera pas un mal, mais un moindre bien ''gradibus''*. Mais si je me compare moi après ma chute d’un état plus parfait, dont je me suis privé par ma propre imprudence, avec ma première forme, dans laquelle je suis sorti de la main de mon Créateur, où j’étais plus parfait, je ne peux que me juger de moindre valeur qu’avant : car ce n’est pas le Créateur mais moi qui me suis diminué ainsi ; en effet, les forces pour me préserver de l’erreur, ainsi que vous le reconnaissez, j’en disposais.<br /> <br /> Quant au second point – à savoir si le mal que vous affirmez consister en la privation d’un état meilleur, que non seulement Adam mais aussi nous tous avons perdu par une action fort soudaine et désordonnée –, si ce mal, dis-je, eu égard à Dieu est pure négation. Et pour examiner cela sainement, il nous faut voir comment vous définissez l’homme et le faites dépendant de Dieu avant toute erreur, et comment vous concevez l’homme après cette erreur. Avant cette erreur vous établissez qu’il n’appartient pas plus à son essence que la quantité que l’entendement et la puissance de Dieu ne lui ont attribué et ne lui fournissent vraiment, c’est-à-dire (si je ne me trompe pas sur votre opinion) que l’homme ne peut avoir ni plus ni moins de perfection que Dieu n’a mis en lui d’essence &lt;ref&gt;''wesen, essentiae''&lt;/ref&gt; ; mais c’est faire l’homme dépendant de Dieu à la façon des éléments, des pierres, des herbes, etc. Et si tel est votre sentiment, je ne comprends&lt;ref&gt;''verstaen''&lt;/ref&gt; pas ce que veut dire dans les ''Principes'' I, 15 : « ''Cum autem voluntas libera sit ad se determinandum : sequitur nos potestatem habere facultatem assentiendi intra limites intellectus continendi, ac proinde efficiendi, ne in errorem incidamus''*. [Mais que la volonté soit libre de se déterminer a pour conséquence que nous avons le pouvoir de contenir la faculté d’adhérer dans les limites de l’entendement et ainsi de faire que nous ne tombions pas dans l’erreur.] » Ne semble-t-il pas contradictoire de faire la volonté si libre qu’elle puisse se préserver de l’erreur et en même temps dépendante de Dieu de sorte qu’elle ne peut présenter ni plus ni moins de perfection que la quantité d’essence que Dieu lui a donnée ? Pour le second point – comment vous définissez l’homme après l’erreur – vous dites que l’homme, par une action fort soudaine, en fait en ne contenant pas sa volonté dans les limites de l’entendement, s’est privé d’une condition plus parfaite : mais il me semble que, dans votre lettre et dans les Principes, vous n’avez pas expliqué les deux extrêmes de cette privation : ce qu’il possédait avant la privation et ce qu’il a conservé après la perte de cet état parfait (comme vous l’appelez). Il est bien dit dans les ''Principes'' (I, 15) ce que nous avons perdu mais non ce que nous avons retenu : « ''Tota igitur imperfectio erroris in sola optima libertatis privatione consistet, quae error vocatur'' *. [Toute l’imperfection de l’erreur consiste donc dans la seule privation de la liberté la meilleure, qui est appelée erreur.] » Examinons par quelle raison cela est établi par vous. Vous établissez non seulement qu’il y a en nous autant de différentes façons de penser – que nous nommons les unes de vouloir, les autres de comprendre – mais encore qu’il y a entre elles un ordre tel que nous ne pouvons vouloir les choses avant que nous les ayons comprises clairement ; vous affirmez en outre que, si nous contenons notre volonté dans les limites de l’entendement, nous ne nous tromperons jamais, et qu’enfin il est en notre pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement. Quand j’agite cela sérieusement dans mon esprit, il faut que l’un ou l’autre soit vrai : ou tout ce qui est posé est fabriqué, ou Dieu a imprimé cet ordre en nous. S’il l’a imprimé, n’est-il pas absurde d’affirmer que cela a été fait sans but et que Dieu n’exige pas que nous observions et suivions cet ordre, car cela poserait en Dieu une contradiction ? Et si nous devons observer l’ordre posé en nous, comment pouvons-nous et être et demeurer si dépendants de Dieu ? Car si personne ne produit [levert] ni plus ni moins de perfection que ce qu’il a reçu&lt;ref&gt;''ontfangen''&lt;/ref&gt; d’essence&lt;ref&gt;''wesen, essentiae''&lt;/ref&gt;, et si cette force ne peut être connue que par ses effets, celui qui étend sa volonté au-delà des limites de l’entendement n’a pas reçu tant de forces de Dieu, sinon il en tirerait un effet, et par conséquent celui qui se trompe&lt;ref&gt;''doolt, errat''&lt;/ref&gt; n’a pas reçu de Dieu la perfection de ne pas se tromper, autrement il ne se tromperait jamais. Car selon vous il a été donné autant d’essence&lt;ref&gt;''wesen, essentiae''&lt;/ref&gt; qu’il a été produit de perfection. Ensuite, si Dieu nous a attribué assez d’essence que nous puissions observer cet ordre, comme vous affirmez que nous pouvons le faire, et si nous produisons autant de perfection que nous avons obtenu d’essence, comment se fait-il que nous transgressions l’ordre, comment se fait-il que nous puissions le transgresser et que nous ne contenions pas toujours la volonté dans les limites de l’entendement ? Troisièmement, si je dépends de Dieu – j’ai montré plus haut que vous le soutenez – au point que je ne puisse contenir la volonté ni dans ni hors les limites de l’entendement, si ce n’est qu’il m’a donné auparavant tant d’essence et a d’abord déterminé par sa volonté l’un des deux, comment alors, si nous examinons cela plus à fond, puis-je user de la liberté de la volonté ? Est-ce que ça ne pose pas, semble-t-il, contradiction en Dieu de nous prescrire l’ordre de contenir notre volonté dans les limites de notre entendement et de ne pas fournir assez d’essence, ou de perfections, pour l’observer ; et si, à votre sentiment, il nous a concédé tant de perfection, nous ne pouvons en tout cas jamais nous tromper, car autant nous possédons d’essence, autant il faut produire de perfection et toujours montrer dans nos opérations les forces concédées : mais nos erreurs sont un argument que nous ne possédons pas une puissance de ce genre aussi dépendante de Dieu que vous l’affirmez ; au point que, de deux choses l’une : ou nous ne dépendons pas tellement de Dieu, ou nous n’avons pas en nous la puissance de ne pas nous tromper ; or, comme vous l’établissez, nous avons la puissance de ne pas nous tromper. Ergo * nous ne dépendons pas tellement de Dieu.<br /> <br /> De ce qui vient d’être dit il paraît maintenant évident qu’il est impossible que le mal ou être privé d’un état meilleur soit négation eu égard à Dieu. Car que signifie « être privé » ou « perdre un état plus parfait » ? sinon passer d’une perfection plus grande à une moins grande &lt;ref&gt;« ''Quid enim significat privari, aut perfectiorem statum amittere ? nonne est '''à majori ad minorem perfectionem''', et per consequens à majori ad minorem essentiam '''transire''' ?'' – ''want wat is dat geseijt berooft te werde, of een volmakter stant verliese, is dat niet '''van meer tot min volmaektheijt''' en bij gevolch van meer tot min wesentlijckheijt '''over gaen''''' » : cette formule de Blyenbergh deviendra dans l’''Éthique'' la définition de la tristesse. Voir ''Ethica'' III, [[Ethica - Pars III#p11s|prop. 11, schol.]] + Affectuum Definitiones, [[Ethica - Pars III#ad3|3, Explicatio]], où Spinoza prend soin de préciser que la tristesse ''n'est pas'' une privation.&lt;/ref&gt;, et par conséquent d’une essence plus grande à une moins grande, et être établi par Dieu dans une mesure certaine&lt;ref&gt;''certâ''&lt;/ref&gt; de perfection et d’essence ? est-ce que ce n’est pas vouloir dire que nous ne pouvons acquérir un état autre – en dehors de la connaissance parfaite qu’il a –, s’il n’a pas décidé et voulu autrement ? Peut-il se faire qu’une créature produite par l’Être omniscient et suprêmement parfait, dont il a voulu qu’elle contienne tel état d’essence, que dis-je, avec laquelle Dieu concourt continuellement pour la conserver dans cet état ; peut-il se faire, j’insiste, qu’elle décline en essence, c’est-à-dire qu’elle devienne moindre en perfection en dehors de la connaissance que Dieu a ? Cette chose implique contradiction, semble-t-il. N’est-il pas absurde de dire qu’Adam a perdu une condition plus parfaite et conséquemment qu’il a été incapable de suivre l’ordre que Dieu avait déposé dans son âme &lt;ref&gt;''animâ''&lt;/ref&gt; et que Dieu n’a eu aucune connaissance de la qualité et de la quantité de perfection qu’Adam avait sacrifiées ? Peut-on comprendre que Dieu constitue un être dépendant de sorte qu’il ne produise pas d’œuvre de ce genre et qui perd ensuite, à cause de cette œuvre, un état plus parfait et que cependant Dieu n’en ait aucune connaissance (alors qu’il en est cause absolue) ? Je concède qu’entre l’acte et le mal adhérent à l’acte il y a distinction, sed ''malum respectu Dei est negatio''* [mais que le mal soit négation eu égard à Dieu] surpasse ma compréhension. Que Dieu connaisse l’acte, le détermine et concoure avec lui, et cependant qu’il ne connaisse pas le mal qui est dans cet acte et son issue, me semble impossible en Dieu. Regardez avec moi que Dieu concourt à mon acte quand je procrée avec mon épouse, car c’est quelque chose de positif, et par conséquent Dieu en a une science claire, mais en tant que j’abuse de cet acte, et que je fais mon affaire avec une autre épouse contre la foi donnée et mon serment, le mal accompagne cet acte. Qu’y a-t-il donc ici de négatif eu égard à Dieu ? ce n’est pas que je fasse l’acte de procréer, car en tant qu’il est positif, Dieu y concourt. C’est seulement que le mal qui accompagne cet acte est que moi, contre mon engagement et le commandement de Dieu, je couche avec une autre avec qui ce n’est pas permis. Mais vraiment peut-on saisir que Dieu connaisse nos actions, y concoure et cependant ignore avec qui nous commettons cette action, d’autant plus que Dieu concourt également à l’action de cette femme avec qui je fais mon affaire ? Avoir ce sentiment de Dieu me paraît dur. Regardez l’acte de tuer : en tant qu’acte positif, Dieu y concourt, mais l’effet de cet acte, à savoir la destruction d’un être et la dissolution d’une créature de Dieu, il l’ignorerait ? comme si son œuvre propre était inconnue à Dieu. (Je crains de ne pas bien percevoir votre opinion : vos concepts sont trop pénétrants pour que vous commettiez une erreur aussi affreuse.) Vous allez peut-être insister : ces actes, comme je les pose, sont purement bons et aucun mal ne les accompagne ; mais alors, je ne peux saisir ce que vous nommez le mal qui est la conséquence de la privation d’une condition plus parfaite ; et donc le monde serait posé dans une éternelle et perpétuelle confusion, et nous serions rendus semblables aux bêtes. Voyez, je vous demande, quelle utilité ces sentiments apportent au monde.<br /> <br /> Vous rejetez la description commune de l’homme et vous attribuez à chaque homme autant de perfection que Dieu lui a distribué pour qu’il opère. Mais par cette raison vous me semblez établir que les impies comme les pieux honorent également Dieu par leurs œuvres. Pourquoi ? parce que les uns et les autres ne peuvent produire des œuvres plus parfaites que la quantité d’essence qui leur a été donnée et qu’ils montrent par leurs effets. Et vous ne paraissez pas satisfaire à ma question dans votre seconde réponse, en disant : « Plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants, leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants. Les méchants, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les bons au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant. » Chez les uns et les autres cependant il est vrai qu’il ne peuvent opérer plus, car d’autant plus de perfection que fait celui-ci par rapport à celui-là, d’autant plus d’essence &lt;ref&gt;''wesen''&lt;/ref&gt; le premier a reçu par rapport à l’autre. Est-ce que donc les impies &lt;ref&gt;''godloose''&lt;/ref&gt;, avec leur perfection exiguë, n’honorent pas Dieu tout comme les pieux &lt;ref&gt;''godsalige''&lt;/ref&gt; ? Car, suivant votre position &lt;ref&gt;''stellinge''&lt;/ref&gt;, Dieu ne réclame rien de plus des impies qu’il ne leur a du reste conféré d’essence, mais en fait, il ne leur a pas donné plus d’essence, comme il ressort de leurs effets. Ergo * il ne leur en demande pas plus. Et si chacun en l’espèce ne fait ni plus ni moins que Dieu veut, pourquoi celui qui opère peu, mais cependant autant que ce que Dieu exige de lui, ne serait pas reçu par Dieu comme le bon &lt;ref&gt;''godsalige''&lt;/ref&gt; ? En outre, de même que, par le mal qui accompagne l’acte, nous perdons, par notre imprudence, à votre sentiment, un état plus parfait, de même ici vous semblez établir que, en contenant la volonté dans les limites de l’entendement, non seulement donc nous demeurons aussi parfaits que nous le sommes, mais encore que, en servant, nous devenons plus parfaits ; et cela implique contradiction, j’en suis convaincu : si nous dépendons de Dieu seulement à un point tel que nous ne pouvons effectuer ni plus ni moins de perfection qu’autant que nous avons reçu d’essence, c’est-à-dire qu’autant que Dieu a voulu, comment alors devenons-nous pires par notre imprudence, meilleurs par notre prudence ? Vous semblez donc n’établir rien d’autre que, si l’homme est tel que vous le décrivez, les impies par leurs œuvres honorent Dieu tout comme les pieux par les leurs, et pour cette raison nous sommes rendus dépendants de Dieu comme les éléments, les herbes, les pierres, etc. A quoi donc sert notre entendement ? à quoi le pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement ? pour quelle raison cet ordre a-t-il été fixé en nous ? Et voyez – je vous le demande d’autre part – de quoi nous sommes privés, de la méditation, et inquiète et grave (seriâ, ernstige), pour nous rendre parfaits selon la règle de la perfection de Dieu et l’ordre imprimé en nous : nous nous privons nous-mêmes de la prière et des soupirs vers Dieu, grâce auxquels – nous l’avons souvent perçu – nous avons reçu d’''extraordinaires''* consolations ; nous nous privons de toute religion, et de toute l’espérance et satisfaction&lt;ref&gt;''acquiescentiâ, vergenoeginge&lt;/ref&gt; que nous espérons des prières et de la religion. En effet, si Dieu n’a aucune connaissance du mal, on ne peut pas vraiment croire qu’il punira le mal. Quelles raisons donc reste-t-il de ne pas perpétrer tous les forfaits que vous voudrez (si j’arrive à échapper à la justice) ? pourquoi ne pas m’enrichir par des moyens douteux ? pourquoi, sans risque, ne pas assouvir tous les désirs auxquels me traîne ma chair ? Vous direz : parce que la vertu est à aimer pour elle-même. Mais comment puis-je aimer la vertu ? moi qui n’ai pas reçu autant d’essence et de perfection ; et si je peux tirer autant de satisfaction&lt;ref&gt;''acquiescentiae, vergenoeginge&lt;/ref&gt; de l’un que de l’autre, pourquoi je me forcerais à contenir ma volonté dans les limites de mon entendement ? pourquoi je ne ferais pas ce vers quoi me poussent mes pulsions&lt;ref&gt;''affectus''&lt;/ref&gt; ? pourquoi je ne tuerais pas sans être vu un homme qui m’a fait du tort ? Voilà les opportunités que nous donnerions à tous les impies et à l’impiété ! Nous nous rendrions nous semblables à des troncs, et toutes nos actions à des mouvements d’horloges.<br /> <br /> Vu ce que je viens de dire, il me semble très dur que ce ne soit qu’improprement que nous pouvons dire que nous péchons contre Dieu : à quoi donc nous sert la puissance de contenir la volonté dans les limites de l’entendement, si, quand nous l’outrepassons, nous péchons contre cet ordre ? Vous répondrez peut-être que ce n’est pas un péché en Dieu mais en nous-mêmes, car si nous sommes dits proprement pécher envers Dieu, il faudra dire aussi que quelque chose se fait contre la volonté de Dieu, ce qui selon vous est impossible, ''ergo''* le péché non plus. Pourtant, l’un ou l’autre est nécessairement vrai : ou Dieu veut, ou Dieu ne veut pas. S’il veut, comment eu égard à nous un mal peut-il être ? S’il ne veut pas, cela, à votre avis, ne peut se faire. Mais quoique ce dernier point, comme le porte votre sentiment, implique contradiction, il semble pourtant très dangereux d’admettre les absurdités du premier point. Qui sait, si je cherchais sans repos, si on ne pourrait pas trouver un remède pour concilier ces points d’une façon ou d’une autre.<br /> <br /> Je vais terminer l’''examen''* de votre lettre selon ma première règle générale avant d’en arriver à l’examen selon la seconde règle : je vais encore vous opposer deux points qui regardent votre lettre et ce que vous avez écrit dans les Principes partie I, prop. 15. Le premier est ''affirmas, nos potestatem volendi et judicandi, intra limites intellectus retinere potest'' * [votre affirmation : « il nous est possible de retenir le pouvoir de vouloir et de juger dans les limites de l’entendement »], ce que je ne peux absolument pas concéder. Car si c’était vrai, parmi d’innombrables hommes, on en trouverait au moins un qui se montrerait pourvu de ce pouvoir : même lui pourrait expérimenter en lui, quelles que soient les forces qu’il y consacre, qu’il ne peut atteindre son but. Et si quelqu’un doute de cette affaire, qu’il s’examine chaque fois que les passions vainquent sa raison, alors même qu’il lutte de toutes ses forces. Mais vous direz que si nous n’y arrivons pas, ce n’est pas parce que ça nous est impossible, mais parce que nous n’y mettons pas assez de soin ; je vous redemande : si c’est possible, qu’on trouve au moins un homme parmi tant de milliers, mais pas un seul parmi tous les hommes ayant existé ou existant n’oserait se glorifier de ne pas être tombé dans des erreurs. Et quels arguments plus certains de cela peut-on apporter que ces exemples ? S’il y en avait peu, il y en aurait un : en fait, comme il n’y en a aucun, il n’y a pas non plus de preuve. Vous allez insister en disant : s’il peut arriver une fois que je puisse faire, en suspendant mon jugement et en contenant ma volonté dans les bornes de l’entendement, que je ne me trompe pas, pourquoi, en y mettant assez de soin, ne pourrais-je le faire toujours ? Je réponds que je ne peux pas voir que nous ayons aujourd’hui assez de forces pour y persévérer toujours ; en une heure, quand j’y consacre toutes mes forces, je peux parcourir deux milles, mais je ne peux le faire toujours ; ainsi, je peux me préserver une fois de l’erreur en m’appliquant beaucoup, mais les forces me manquent pour toujours y arriver. Il est clair, me semble-t-il, qu’au premier homme, produit de la main du parfait Artisan, ont été fournies ces forces ; mais (comme avec vous je le pense) en n’usant pas assez, ou en abusant, de ces forces, il a perdu son état parfait de faire ce qui auparavant était de son libre choix. Et c’est par bien des raisons que je confirmerais cela, mais je ne veux pas abuser. Et mon opinion est que c’est en cette affaire que se situe toute l’essence de l’Écriture sainte, qui pour cela ne peut qu’être en honneur parmi nous, parce qu’elle nous enseigne ce que notre entendement naturel confirme si clairement, à savoir que la chute&lt;ref&gt;''afval, lapsum''&lt;/ref&gt; de notre perfection première s’est faite par notre imprudence&lt;ref&gt;''onvoorsichticheyt''&lt;/ref&gt;. Quoi donc de plus nécessaire que le relèvement de cette chute autant qu’il est possible ? Et ramener l’homme déchu à Dieu est également l’unique but de l’Écriture sainte.<br /> <br /> Ensuite vient dans les Principes partie I, prop. 15, ''affirmas res clare et distincte intelligere, repugnare naturae hominis''* [votre affirmation : « comprendre les choses clairement et distinctement contredit la nature de l’homme »], d’où vous concluez cependant : « il vaut beaucoup mieux adhérer aux choses même confuses et exercer sa liberté que demeurer toujours indifférent, c’est-à-dire au stade le plus bas de la liberté. » En moi une obscurité empêche que je vous concède la conclusion : car un jugement suspendu nous conserve dans l’état où nous avons été créés par le Créateur, mais adhérer aux choses confusément c’est adhérer à des choses non comprises et ainsi adhérer aussi facilement au vrai qu’au faux. Et si (comme ''Monsieur Descartes''* l’enseigne quelque part) en adhérant nous ne faisons pas usage de l’ordre que Dieu a constitué entre notre entendement et notre volonté, à savoir n’adhérer qu’à ce qui est clairement perçu, quoique à l’occasion nous tombions sur la vérité, cependant, parce que nous n’embrassons pas le vrai selon l’ordre que Dieu a voulu, nous péchons ; et par conséquent, de même que le refus d’adhérer nous conserve dans l’état dans lequel nous avons été constitués par Dieu, de même une adhésion confuse rend pire notre état ; en effet, elle pose le fondement de l’erreur, par lequel nous perdons donc un état parfait. Mais je vous entends dire : est-ce qu’il ne vaut pas mieux, pour nous rendre plus parfaits, d’adhérer plutôt que constamment ne pas adhérer à des choses même confuses et demeurer au plus bas niveau&lt;ref&gt;''laegsten trap&lt;/ref&gt; de perfection et de liberté ? Mais outre que nous avons nié cela et que nous avons montré d’une certaine façon que cela ne nous rend pas meilleurs mais beaucoup moins bons, il nous semble en plus impossible et presque contradictoire que Dieu étende la connaissance des choses déterminées par lui plus loin que celle qu’il nous a donnée, bien pire, que Dieu alors implique la cause absolue de nos erreurs. Et n’est pas contraire à cela que nous ne puissions accuser Dieu de ne pas nous avoir accordé plus qu’il ne nous a accordé, car il n’y est pas tenu. Il est bien vrai que Dieu n’est pas tenu de donner plus qu’il n’a donné, mais la suprême perfection de Dieu infère également que les créatures procédant de lui n’impliquent aucune contradiction, ce qui semblerait alors en être la conséquence. Car nulle part dans la nature créée, excepté dans notre entendement, nous ne découvrons la science. Pour quelle autre fin nous aurait-il été concédé sinon pour contempler et connaître les œuvres de Dieu ? Et qu’est-ce qui semble en être conséquence de manière évidente que l’harmonie qu’il ne peut qu’y avoir entre les choses à connaître et notre entendement ?<br /> <br /> Si j’examine votre lettre, sur les points que nous venons de voir, selon ma seconde règle générale, notre désaccord va être plus grand que selon la première. Car, me semble-t-il (si je me trompe, prouvez-le moi), vous ne souscrivez pas à l’infaillible vérité et divinité de l’Écriture sainte, dont moi je suis convaincu. Il est vrai pourtant que vous dites croire que Dieu a révélé le contenu de l’Écriture sainte aux prophètes, mais d’une façon imparfaite de sorte que, si c’est le cas, comme vous l’affirmez, cela impliquerait contradiction en Dieu. Car si Dieu a manifesté sa Parole et sa volonté aux hommes, c’est dans un but précis et clairement qu’il les leur a manifestées. Maintenant, si les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole qu’ils ont reçue, cela, soit Dieu l’a voulu, soit non. S’il a voulu qu’ils en fabriquent une parabole, c’est-à-dire qu’ils s’écartent de son esprit, Dieu a été cause de cette erreur et a voulu quelque chose qui le contredisait. S’il ne l’a pas voulu, il était impossible que les prophètes en fabriquent une parabole. On peut donc croire, si on suppose que Dieu a donné sa Parole aux prophètes, qu’il la leur a donnée de sorte qu’ils ne se trompent pas en la recevant, car Dieu, en révélant sa Parole, ne pouvait qu’avoir un but précis, et ne pouvait se proposer pour but d’induire les hommes en erreur, car ce serait en Dieu contradiction. De plus l’homme ne pouvait pas se tromper contre la volonté de Dieu, car cela ne peut se faire, selon vous. Par-dessus tout, je ne peux croire de Dieu suprêmement parfait qu’il permette qu’un autre sens que celui qu’il a voulu ait été attribué par les prophètes à sa Parole, donné à eux pour être expliquée au peuple ; car si nous affirmons que Dieu a concédé sa Parole aux prophètes, nous assurons en même temps que Dieu, d’une façon extraordinaire, est apparu aux prophètes ou a parlé avec eux. Si maintenant les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole transmise, c’est-à-dire lui ont attribué un autre sens que celui que Dieu avait voulu, c’est qu’il le leur avait complètement fait savoir. Cela est encore une contradiction impossible, tant à l’égard des prophètes qu’à l’égard de Dieu, qu’ils aient pu donner un autre sens que celui que Dieu a voulu qu’ils donnent.<br /> <br /> Ainsi vous ne prouvez pas vraiment, comme vous le voudriez, que Dieu a révélé sa Parole, à savoir qu’il a révélé le salut et la perdition, qu’il a décidé à cette fin de certains moyens, et que salut et perdition ne sont que les effets de ces moyens. Car vraiment, si les prophètes avaient reçu la Parole de Dieu dans ce sens, quelles raisons avaient-ils de lui en assigner un autre ? Mais vous n’apportez aucune preuve qui nous convaincrait de placer votre sentiment au-dessus de celui des prophètes. Si vraiment vous estimez prouver que sans cela cette Parole inclut de nombreuses imperfections et contradictions, je dis que vous n’avez fait que le dire, sans le prouver. Et qui sait, si l’un et l’autre sens ont été produits, si l’un ou l’autre n’inclut pas moins d’imperfections ? Enfin l’Être suprêmement parfait percevait bien ce que le peuple saisirait et quelle était la meilleure méthode pour l’instruire.<br /> <br /> Quant au second membre de votre première question, vous vous demandez pourquoi Dieu a ordonné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre, alors qu’il avait décidé le contraire ; et vous répondez que Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel . Si on affirme que Dieu a interdit quelque chose à Adam, pour quelles raisons je croirais la façon de prohiber que vous apportez plutôt que celle que donnent les prophètes, auxquels Dieu lui-même a révélé la façon de prohiber ? Vous direz : ma raison de cette prohibition est plus naturelle et convient donc plus à la vérité et à Dieu. Mais tout cela, je le nie. Je ne saisis pas que Dieu nous a révélé à travers l’entendement naturel que le poison est létal ; et je ne vois pas les raisons qui me feraient jamais savoir que quelque chose est empoisonné sinon en ayant vu ou entendu parler des mauvais effets du poison chez d’autres. Que des hommes, parce qu’ils ne connaissent pas un poison, en mangent sans le savoir et en meurent, l’expérience quotidienne nous l’apprend. Vous direz : si les hommes savaient que c’est un poison et donc que c’est mauvais, cela ne leur serait pas caché ; mais je réponds : personne n’a connaissance d’un poison ou ne peut en avoir sinon qui a vu ou entendu parler de quelqu’un qui s’est condamné en en consommant ; et si nous supposons que nous n’ayons jamais entendu parler de, ni vu quelqu’un se faire du tort en en consommant, non seulement nous l’ignorerions encore maintenant, mais aussi nous en ferions usage sans crainte d’être condamnés, vérités enseignées tous les jours.<br /> <br /> Qu’est-ce qui donne le plus de délectation dans cette vie à un entendement honnête &lt;ref&gt;''rechtschapen verstant'' : expression rendue dans les ''Opera posthuma'' par ''candidum atque erectum animum'', traduction suivie par Appuhn (« une âme candide et droite »). Francès (Pléiade, Gallimard) traduit mieux par « entendement bien fait » et Curley par ''upright intellect'' (''The Collected Works of Spinoza'', vol. 1, Princeton University Press, 2&lt;sup&gt;e&lt;/sup&gt; ed., 1988, p. 373).&lt;/ref&gt; que la contemplation de cette parfaite Divinité ? Car tout comme il est le plus parfait, ainsi encore il ne peut qu’impliquer le plus parfait qui peut tomber dans notre entendement fini. Et dans la vie il n’y a rien que j’échangerais contre cette délectation. En celle-ci, excité d’un céleste appétit, je peux passer beaucoup de temps ; mais en même temps je suis affecté de tristesse quand je considère les nombreuses choses dont manque mon entendement fini : mais j’apaise la tristesse que je possède, qui m’est plus chère que la vie, parce qu’ensuite j’existerai et persisterai et que je contemplerai cette Divinité d’une très grande perfection. Quand je considère la vie brève et fugitive où à chaque moment je m’attends à la mort, si je devais croire que j’aurai une fin et que je serai privé de la sainte et très éminente contemplation, je serais certainement, de toutes les créatures auxquelles manque la connaissance de leur fin, la plus malheureuse. Assurément la crainte de la mort avant le décès me rendrait malheureux, et après lui complètement réduit à néant, et par conséquent je serais malheureux parce que je serais privé de cette divine contemplation. Vraiment vos opinions me semblent conduire au point où là je cesse d’être et cesserai pour l’éternité – alors qu’à l’inverse cette Parole et la volonté de Dieu me réconfortent par le témoignage interne de mon âme que, après cette vie, dans un état plus parfait, je me réjouirai un jour en contemplant la Divinité suprêmement parfaite. Assurément cette espérance, même si un jour elle se découvrait fausse, me rend cependant bienheureux tant que j’espère. L’unique chose que, par les prières, les soupirs et les offrandes je demande à Dieu, et lui demanderai (plût au ciel qu’il soit permis de plus contribuer à cela !) tant que mon âme commandera à mes membres, c’est qu’il lui plaise de me rendre par sa bonté si bienheureux que, quand ce corps sera dissous, je demeure un être intellectuel pour contempler sa très parfaite Divinité, et n’obtiendrais-je que cela, il m’est égal comment ici on croit, ce dont on se convainc les uns les autres, si quelque chose est fondé par l’entendement naturel et peut être perçu par lui, ou pas. Cela, cela seulement est mon vœu, mon désir, ma prière continuelle, que Dieu confirme cette certitude en mon âme et, si je la possède (ah ! que je serais très malheureux si j’en étais déchu !), à cause de ce désir mon âme s’exclame, comme le cerf brame sur les rives des eaux, ainsi mon âme vous désire, ô Dieu vivant : ah ! quand viendra le jour où je serai avec vous et vous contemplerai &lt;ref&gt;Citation du Psaume [[bible:Psaumes 42:1-2|42-43, 2-3]], classique dans le christianisme pour exprimer le désir et l’espérance de Dieu. Blyenbergh reprend mot pour mot la traduction néerlandaise de la Bible.&lt;/ref&gt;. Si je n’obtiens que cela, je posséderai tout l’effort de mon âme et son désir. Parce que en fait notre œuvre déplaira à Dieu, cette espérance, à votre sentiment, je ne la vois pas, et je ne comprends pas que Dieu (si toutefois il est permis de parler de lui de manière humaine), s’il ne prend aucun plaisir à notre œuvre et à notre louange, nous ait produits et conservés. Si en fait je me trompe sur votre sentiment, je vous demande de m’expliquer. Mais je me suis attardé, et vous ai peut-être retardé, plus longtemps que de coutume ; comme je vois que le papier me manque, je vais terminer. J’ai hâte de voir votre solution de ces points. Peut-être ici et là j’ai retiré de votre lettre quelque conclusion qui sans doute ne sera pas votre opinion, mais sur cela je désire entendre votre explication.<br /> <br /> J’ai été récemment occupé à l’étude de quelques-uns des ''attributa Dei''* [attributs de Dieu], où votre Appendice ne m’a pas peu aidé. J’ai expliqué plus amplement votre pensée qui, semble-t-il, ne présente que des ''demonstrationes''*, et donc je suis surpris que dans la Préface soit affirmé que votre sentiment n’est pas celui-là, mais que vous vous étiez engagé à enseigner, comme vous l’aviez promis, la philosophie de Descartes à votre élève ; et que vous gardiez pour vous une tout autre opinion tant sur Dieu que sur l’âme, spécialement sur la volonté de l’âme : je vois aussi dans cette Préface que vous allez bientôt publier des ''[[PM|Cogitata metaphysica]]''* plus prolixes : et je désire avidement ces deux choses, car j’en espère quelque chose de singulier. Mais mon habitude ne me porte pas à exalter quelqu’un par des louanges.<br /> <br /> J’ai écrit ceci sincèrement et avec une amitié non feinte, comme vous le demandiez dans votre lettre et pour trouver la vérité. Excusez mon trop de prolixité, ce n’était pas mon intention. Je ne récuse pas votre intention de m’écrire « dans la langue dans laquelle vous avez été élevé », s’il s’agit du latin ou du français ; mais votre réponse à celle-ci, je vous demande de la faire dans la même langue, parce que j’y percevrais mieux votre pensée, ce qui peut-être ne serait pas le cas en latin. Vous m’attacherez ainsi à vous, et moi je serai, et resterai,<br /> <br /> Monsieur,<br /> <br /> Votre très attaché et très dévoué<br /> <br /> G. de Blyenbergh<br /> <br /> Dordrecht, 16 janvier 1665<br /> <br /> Dans votre réponse, je souhaite être instruit plus longuement de ce que vous entendez par négation en Dieu.<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 19]] | [[Lettres]] | [[Lettre 21]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_20 Lettre 20 2017-01-21T23:20:58Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 20 | 3= de Blyenbergh à Spinoza | 4=1665 }} &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt; {{Let... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 20<br /> | 3= de Blyenbergh à Spinoza<br /> | 4=1665<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;&lt;includeonly&gt;&lt;/includeonly&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très célèbre&lt;br /&gt;<br /> B. d. S.&lt;br /&gt;<br /> Guillaume de Blyenbergh<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> Monsieur et très cher ami,<br /> <br /> Dès qu’on m’a transmis votre première lettre, je l’ai parcourue rapidement, et mon intention a été non seulement de répondre aussitôt mais aussi d’en réfuter beaucoup. En fait, plus j’en ai lu, moins j’y ai trouvé matière à objections, et j’ai éprouvé autant de plaisir à vous lire que j’en avais eu le désir. Mais avant que j’en arrive à vous demander de résoudre quelques difficultés, il faut d’abord que vous sachiez que je suis toujours deux règles générales quand je m’applique à philosopher : la première est le concept clair et distinct de mon entendement, la seconde la Parole révélée de Dieu, autrement dit la volonté de Dieu. Je m’efforce d’être un ami de la vérité suivant la première, mais un philosophe chrétien suivant les deux ; et si jamais il arrivait après un long examen que ma connaissance naturelle me semble contredire cette Parole, ou ne pas bien convenir avec elle, celle-ci a sur moi tant d’autorité que les concepts que je m’imagine clairs me seraient suspects plutôt que de les placer au-dessus de et contre cette vérité que je pense m’être prescrite dans le Livre. Et quoi d’étonnant ? car je veux croire constamment que cette Parole est la Parole de Dieu, c’est-à-dire provenant de Dieu suprême et très parfait qui inclut plus de perfections que moi je ne puis en saisir ; et peut-être a-t-il voulu proclamer de lui-même et de ses œuvres plus de perfections que moi je ne peux percevoir aujourd’hui par mon entendement fini, je dis bien aujourd’hui : car il peut se faire que je me prive moi-même par mes œuvres de très grandes perfections ; et ainsi, s’il se trouvait que je fusse pourvu de la perfection dont je me suis privé par mes propres œuvres, je pourrais percevoir que tout ce qui nous est proposé et enseigné dans cette Parole s’accorde avec les concepts les plus sains de mon âme ; mais parce que je me suis demandé si je ne me suis pas privé moi, par une erreur continuelle, d’une condition meilleure, et que, comme vous l’établissez dans la [[Principes de la philosophie de Descartes/Partie I#Proposition 15|proposition 15 de la partie I des Principes]], notre connaissance, même très claire, inclut encore de l’imperfection, je préfère m’incliner, même sans raison, devant cette Parole, m’appuyant sur le fondement suivant : il a produit à partir de ce qu’il y a de plus parfait (cela bien sûr je le présuppose pour le moment, puisque ce n’est pas ici le lieu de le prouver et ce serait trop long) et donc je ne peux que croire en lui. Si maintenant, sous la seule conduite de ma première règle, en excluant la seconde, comme si je ne l’avais pas ou qu’elle me fût cachée, je juge de votre lettre, je devrais vous concéder beaucoup de points, tout comme je concède que vos subtils concepts sont admirables ; mais la seconde règle me force à ne pas être du tout d’accord avec vous. De fait, autant qu’on peut le faire dans une lettre, je vais les examiner assez longuement sous la conduite de l’une et l’autre règle.<br /> <br /> Premièrement, suivant la première règle établie, je vais vous demander ceci : puisque, selon votre position , créer et conserver sont un et le même, et puisque Dieu a fait que non seulement les choses, mais aussi les mouvements et les façons d’être des choses persévèrent dans leur état, c’est-à-dire qu’il concourt avec elles, la conséquence n’en est-elle pas, semble-t-il, qu’il n’y a aucun mal ou bien que Dieu lui-même opère le mal ; m’appuyant sur cette règle que rien ne peut se faire contre la volonté de Dieu, sinon cela impliquerait ou imperfection ou bien que les choses que Dieu opère (parmi lesquelles sont aussi comprises semble-t-il les choses que nous disons mauvaises) peuvent également être mauvaises. Mais, et parce que cela inclut contradiction et parce que, de quelque façon que je la tourne, je ne pouvais me libérer de cette contradiction établie, je me suis alors adressé à vous comme le meilleur interprète de vos concepts. Dans votre réponse vous dites persister dans votre premier sentiment : rien ne se fait ou ne peut se faire contre la volonté de Dieu. Mais quand il s’agit de répondre à cette difficulté : si donc Dieu fait le mal ou non, vous niez que le péché soit quelque chose de positif et vous ajoutez que ce n’est que tout à fait improprement qu’il peut être dit que nous péchons contre Dieu ; et dans le [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|chapitre 6 de la partie I de l’Appendice]] vous dites : « ''Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum''* [Il n’y a aucun mal absolu, comme il est manifeste par soi] : car tout ce qui existe, considéré en soi, sans égard à quoi que ce soit d’autre, inclut une perfection qui toujours s’étend dans chaque chose jusqu’où s’étend l’essence&lt;ref&gt;wesen, essentia&lt;/ref&gt; même de la chose, et donc la conséquence évidente en est que les péchés, parce qu’ils ne dénotent que de l’imperfection, ne peuvent consister en rien qui exprime une essence&lt;ref&gt;wesen, essentiam&lt;/ref&gt;. » Si le péché, le mal, l’erreur, ou de quelque nom que vous l’appeliez, n’est rien d’autre que perdre un état plus parfait, ou en être privé, la conséquence en est, semble-t-il, que l’existence&lt;ref&gt;dat wesentlijk, to existere&lt;/ref&gt; n’est en fait pas un mal ou une imperfection, mais qu’un mal peut naître dans une chose existante&lt;ref&gt;dat wesentlijck ding&lt;/ref&gt;. Car le parfait n’est pas privé d’un état plus parfait par une action elle aussi parfaite, mais bien parce que nous inclinons vers quelque chose d’imparfait parce que nous abusons des forces à nous concédées. Vous semblez appeler cela « non un mal, mais un moindre bien parce que les choses considérées en soi incluent de la perfection, ensuite parce qu’aux choses – comme vous dites – n’appartient pas plus d’essence que l’entendement de Dieu et sa puissance ne leur ont attribué et leur apportent réellement ; et donc elles ne peuvent non plus montrer plus d’existence&lt;ref&gt;meerder wesentlijckheijt, existentiae&lt;/ref&gt; dans leurs actions qu’elles ne reçoivent d’essence&lt;ref&gt;wesen, essentiae&lt;/ref&gt; ». Car si je ne peux effectuer ni plus ni moins d’opérations qu’autant que j’ai reçu d’essence&lt;ref&gt;wesentlijckheijt, essentiae&lt;/ref&gt;, aucune privation d’un état plus parfait ne peut être inventée&lt;ref&gt;bedacht, de bedenken&lt;/ref&gt; : en effet si rien ne se fait contre la volonté de Dieu et seulement autant qu’il a été conféré d’essence&lt;ref&gt;wesen, essentiae&lt;/ref&gt;, par quelle voie peut-on réfléchir sur le mal, que vous nommez privation d’une condition meilleure ? Comment quelqu’un peut-il, par une œuvre décidée telle qu’elle est et dépendante, perdre un état plus parfait ? A un tel point je me persuade que vous n’avez pu que décider de deux choses l’une : ou quelque chose de mal est, ou aucune privation d’un état meilleur ne peut être. Car qu’il n’y ait pas de mal et qu’on soit privé d’une condition meilleure me semble contradictoire.<br /> <br /> Mais vous direz que par la privation d’un état plus parfait nous tombons en fait dans un moindre bien mais non dans un mal absolu ; mais (Appendice, partie I, chap. 3) vous m’avez enseigné qu’il ne faut pas disputer sur les mots . C’est pourquoi je ne dispute pas maintenant si le mal doit être dit absolu ou non, mais seulement s’il est juste de nommer, et si on le doit, la chute d’un état meilleur dans un état pire chez nous « état pire » ou « état mauvais ». Si vous répliquez : cet état mauvais contient encore beaucoup de bon, je vous demande alors si un homme qui, par son imprudence, a été cause de sa privation d’un état plus parfait, et par conséquent est maintenant moindre qu’auparavant, peut être appelé « mauvais ».<br /> <br /> Mais pour réfuter le raisonnement précédent, puisque aucune difficulté à ce sujet n’est au-dessus de vous, vous affirmez : « En fait le mal qui est, et a été dans Adam, n’est pas réellement quelque chose de positif, et c’est à notre égard, mais non à celui de l’entendement de Dieu, qu’il est dit tel : à l’égard du nôtre c’est ''privatio''* (''sed tantum quatenus eo optima libertate, quae ad nostram naturam spectat, et in nostra potestate est, nos nosmet privamus''* [mais seulement en tant que par lui nous nous privons nous-mêmes de la liberté la meilleure qui regarde notre nature et est en notre pouvoir]) mais à l’égard de Dieu ''negatio''*. » Mais examinons maintenant si ce que vous appellez « mal », si du moins il n’est mal qu’à notre égard, n’est pas un mal ; ensuite si le mal, dans votre acception, ne peut qu’être dit negatio * à l’égard de Dieu.<br /> <br /> Sur le premier point, il me semble avoir d’une certaine façon répondu plus haut : et quoique je concède qu’être moins parfait qu’un autre être ne peut poser en moi aucun mal, pour ce que je ne peux réclamer du Créateur un état meilleur et faire que mon état diffère ''gradibus''* [en degré], je ne peux cependant pour cela concéder et reconnaître, si maintenant je suis plus imparfait qu’avant et que je me suis créé mon imperfection par ma faute, que en cela je ne suis pas pire pour autant ; si, dis-je, je me considère avant que je tombe jamais dans l’imperfection, et que je me compare alors à d’autres dotés d’une plus grande perfection que moi, cette perfection moindre ne sera pas un mal, mais un moindre bien gradibus *. Mais si je me compare moi après ma chute d’un état plus parfait, dont je me suis privé par ma propre imprudence, avec ma première forme, dans laquelle je suis sorti de la main de mon Créateur, où j’étais plus parfait, je ne peux que me juger de moindre valeur qu’avant : car ce n’est pas le Créateur mais moi qui me suis diminué ainsi ; en effet, les forces pour me préserver de l’erreur, ainsi que vous le reconnaissez, j’en disposais.<br /> <br /> Quant au second point – à savoir si le mal que vous affirmez consister en la privation d’un état meilleur, que non seulement Adam mais aussi nous tous avons perdu par une action fort soudaine et désordonnée –, si ce mal, dis-je, eu égard à Dieu est pure négation. Et pour examiner cela sainement, il nous faut voir comment vous définissez l’homme et le faites dépendant de Dieu avant toute erreur, et comment vous concevez l’homme après cette erreur. Avant cette erreur vous établissez qu’il n’appartient pas plus à son essence&lt;ref&gt;wesen, essentiae&lt;/ref&gt; que la quantité que l’entendement et la puissance de Dieu ne lui ont attribué et ne lui fournissent vraiment, c’est-à-dire (si je ne me trompe pas sur votre opinion) que l’homme ne peut avoir ni plus ni moins de perfection que Dieu n’a mis en lui d’essence (''wesen, essentiae&lt;/ref&gt; ; mais c’est faire l’homme dépendant de Dieu à la façon des éléments, des pierres, des herbes, etc. Et si tel est votre sentiment, je ne comprends&lt;ref&gt;verstaen&lt;/ref&gt; pas ce que veut dire dans les ''Principes'' I, 15 : « ''Cum autem voluntas libera sit ad se determinandum : sequitur nos potestatem habere facultatem assentiendi intra limites intellectus continendi, ac proinde efficiendi, ne in errorem incidamus''*. [Mais que la volonté soit libre de se déterminer a pour conséquence que nous avons le pouvoir de contenir la faculté d’adhérer dans les limites de l’entendement et ainsi de faire que nous ne tombions pas dans l’erreur.] » Ne semble-t-il pas contradictoire de faire la volonté si libre qu’elle puisse se préserver de l’erreur et en même temps dépendante de Dieu de sorte qu’elle ne peut présenter ni plus ni moins de perfection que la quantité d’essence que Dieu lui a donnée ? Pour le second point – comment vous définissez l’homme après l’erreur – vous dites que l’homme, par une action fort soudaine, en fait en ne contenant pas sa volonté dans les limites de l’entendement, s’est privé d’une condition plus parfaite : mais il me semble que, dans votre lettre et dans les Principes, vous n’avez pas expliqué les deux extrêmes de cette privation : ce qu’il possédait avant la privation et ce qu’il a conservé après la perte de cet état parfait (comme vous l’appelez). Il est bien dit dans les ''Principes'' (I, 15) ce que nous avons perdu mais non ce que nous avons retenu : « ''Tota igitur imperfectio erroris in sola optima libertatis privatione consistet, quae error vocatur'' *. [Toute l’imperfection de l’erreur consiste donc dans la seule privation de la liberté la meilleure, qui est appelée erreur.] » Examinons par quelle raison cela est établi par vous. Vous établissez non seulement qu’il y a en nous autant de différentes façons de penser – que nous nommons les unes de vouloir, les autres de comprendre – mais encore qu’il y a entre elles un ordre tel que nous ne pouvons vouloir les choses avant que nous les ayons comprises clairement ; vous affirmez en outre que, si nous contenons notre volonté dans les limites de l’entendement, nous ne nous tromperons jamais, et qu’enfin il est en notre pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement. Quand j’agite cela sérieusement dans mon esprit, il faut que l’un ou l’autre soit vrai : ou tout ce qui est posé est fabriqué, ou Dieu a imprimé cet ordre en nous. S’il l’a imprimé, n’est-il pas absurde d’affirmer que cela a été fait sans but et que Dieu n’exige pas que nous observions et suivions cet ordre, car cela poserait en Dieu une contradiction ? Et si nous devons observer l’ordre posé en nous, comment pouvons-nous et être et demeurer si dépendants de Dieu ? Car si personne ne produit [levert] ni plus ni moins de perfection que ce qu’il a reçu&lt;ref&gt;ontfangen&lt;/ref&gt; d’essence&lt;ref&gt;wesen, essentiae&lt;/ref&gt;, et si cette force ne peut être connue que par ses effets, celui qui étend sa volonté au-delà des limites de l’entendement n’a pas reçu tant de forces de Dieu, sinon il en tirerait un effet, et par conséquent celui qui se trompe&lt;ref&gt;doolt, errat&lt;/ref&gt; n’a pas reçu de Dieu la perfection de ne pas se tromper, autrement il ne se tromperait jamais. Car selon vous il a été donné autant d’essence&lt;ref&gt;wesen, essentiae&lt;/ref&gt; qu’il a été produit de perfection. Ensuite, si Dieu nous a attribué assez d’essence que nous puissions observer cet ordre, comme vous affirmez que nous pouvons le faire, et si nous produisons autant de perfection que nous avons obtenu d’essence, comment se fait-il que nous transgressions l’ordre, comment se fait-il que nous puissions le transgresser et que nous ne contenions pas toujours la volonté dans les limites de l’entendement ? Troisièmement, si je dépends de Dieu – j’ai montré plus haut que vous le soutenez – au point que je ne puisse contenir la volonté ni dans ni hors les limites de l’entendement, si ce n’est qu’il m’a donné auparavant tant d’essence et a d’abord déterminé par sa volonté l’un des deux, comment alors, si nous examinons cela plus à fond, puis-je user de la liberté de la volonté ? Est-ce que ça ne pose pas, semble-t-il, contradiction en Dieu de nous prescrire l’ordre de contenir notre volonté dans les limites de notre entendement et de ne pas fournir assez d’essence, ou de perfections, pour l’observer ; et si, à votre sentiment, il nous a concédé tant de perfection, nous ne pouvons en tout cas jamais nous tromper, car autant nous possédons d’essence, autant il faut produire de perfection et toujours montrer dans nos opérations les forces concédées : mais nos erreurs sont un argument que nous ne possédons pas une puissance de ce genre aussi dépendante de Dieu que vous l’affirmez ; au point que, de deux choses l’une : ou nous ne dépendons pas tellement de Dieu, ou nous n’avons pas en nous la puissance de ne pas nous tromper ; or, comme vous l’établissez, nous avons la puissance de ne pas nous tromper. Ergo * nous ne dépendons pas tellement de Dieu.<br /> <br /> De ce qui vient d’être dit il paraît maintenant évident qu’il est impossible que le mal ou être privé d’un état meilleur soit négation eu égard à Dieu. Car que signifie « être privé » ou « perdre un état plus parfait » ? sinon passer d’une perfection plus grande à une moins grande &lt;ref&gt;« ''Quid enim significat privari, aut perfectiorem statum amittere ? nonne est '''à majori ad minorem perfectionem''', et per consequens à majori ad minorem essentiam '''transire''' ?'' – ''want wat is dat geseijt berooft te werde, of een volmakter stant verliese, is dat niet '''van meer tot min volmaektheijt''' en bij gevolch van meer tot min wesentlijckheijt '''over gaen''''' » : cette formule de Blyenbergh deviendra dans l'''Ethique'' la définition de la tristesse. Voir ''Ethica'' III, [[Ethica - Pars III#p11s|prop. 11, schol.]] + Affectuum Definitiones, [[Ethica - Pars III#ad3|3, Explicatio]], où Spinoza prend soin de préciser que la tristesse ''n'est pas'' une privation.&lt;/ref&gt; , et par conséquent d’une essence plus grande à une moins grande, et être établi par Dieu dans une mesure certaine&lt;ref&gt;certâ&lt;/ref&gt; de perfection et d’essence ? est-ce que ce n’est pas vouloir dire que nous ne pouvons acquérir un état autre – en dehors de la connaissance parfaite qu’il a –, s’il n’a pas décidé et voulu autrement ? Peut-il se faire qu’une créature produite par l’Etre omniscient et suprêmement parfait, dont il a voulu qu’elle contienne tel état d’essence, que dis-je, avec laquelle Dieu concourt continuellement pour la conserver dans cet état ; peut-il se faire, j’insiste, qu’elle décline en essence, c’est-à-dire qu’elle devienne moindre en perfection en dehors de la connaissance que Dieu a ? Cette chose implique contradiction, semble-t-il. N’est-il pas absurde de dire qu’Adam a perdu une condition plus parfaite et conséquemment qu’il a été incapable de suivre l’ordre que Dieu avait déposé dans son âme (''animâ&lt;/ref&gt; et que Dieu n’a eu aucune connaissance de la qualité et de la quantité de perfection qu’Adam avait sacrifiées ? Peut-on comprendre que Dieu constitue un être dépendant de sorte qu’il ne produise pas d’œuvre de ce genre et qui perd ensuite, à cause de cette œuvre, un état plus parfait et que cependant Dieu n’en ait aucune connaissance (alors qu’il en est cause absolue) ? Je concède qu’entre l’acte et le mal adhérent à l’acte il y a distinction, sed ''malum respectu Dei est negatio''* [mais que le mal soit négation eu égard à Dieu] surpasse ma compréhension. Que Dieu connaisse l’acte, le détermine et concoure avec lui, et cependant qu’il ne connaisse pas le mal qui est dans cet acte et son issue, me semble impossible en Dieu. Regardez avec moi que Dieu concourt à mon acte quand je procrée avec mon épouse, car c’est quelque chose de positif, et par conséquent Dieu en a une science claire, mais en tant que j’abuse de cet acte, et que je fais mon affaire avec une autre épouse contre la foi donnée et mon serment, le mal accompagne cet acte. Qu’y a-t-il donc ici de négatif eu égard à Dieu ? ce n’est pas que je fasse l’acte de procréer, car en tant qu’il est positif, Dieu y concourt. C’est seulement que le mal qui accompagne cet acte est que moi, contre mon engagement et le commandement de Dieu, je couche avec une autre avec qui ce n’est pas permis. Mais vraiment peut-on saisir que Dieu connaisse nos actions, y concoure et cependant ignore avec qui nous commettons cette action, d’autant plus que Dieu concourt également à l’action de cette femme avec qui je fais mon affaire ? Avoir ce sentiment de Dieu me paraît dur. Regardez l’acte de tuer : en tant qu’acte positif, Dieu y concourt, mais l’effet de cet acte, à savoir la destruction d’un être et la dissolution d’une créature de Dieu, il l’ignorerait ? comme si son œuvre propre était inconnue à Dieu. (Je crains de ne pas bien percevoir votre opinion : vos concepts sont trop pénétrants pour que vous commettiez une erreur aussi affreuse.) Vous allez peut-être insister : ces actes, comme je les pose, sont purement bons et aucun mal ne les accompagne ; mais alors, je ne peux saisir ce que vous nommez le mal qui est la conséquence de la privation d’une condition plus parfaite ; et donc le monde serait posé dans une éternelle et perpétuelle confusion, et nous serions rendus semblables aux bêtes. Voyez, je vous demande, quelle utilité ces sentiments apportent au monde.<br /> <br /> Vous rejetez la description commune de l’homme et vous attribuez à chaque homme autant de perfection que Dieu lui a distribué pour qu’il opère. Mais par cette raison vous me semblez établir que les impies comme les pieux honorent également Dieu par leurs œuvres. Pourquoi ? parce que les uns et les autres ne peuvent produire des œuvres plus parfaites que la quantité d’essence qui leur a été donnée et qu’ils montrent par leurs effets. Et vous ne paraissez pas satisfaire à ma question dans votre seconde réponse, en disant : « Plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants, leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants. Les méchants, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les bons au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant. » Chez les uns et les autres cependant il est vrai qu’il ne peuvent opérer plus, car d’autant plus de perfection que fait celui-ci par rapport à celui-là, d’autant plus d’essence (''wesen&lt;/ref&gt; le premier a reçu par rapport à l’autre. Est-ce que donc les impies (''godloose&lt;/ref&gt;, avec leur perfection exiguë, n’honorent pas Dieu tout comme les pieux (''godsalige&lt;/ref&gt; ? Car, suivant votre position (''stellinge&lt;/ref&gt;, Dieu ne réclame rien de plus des impies qu’il ne leur a du reste conféré d’essence, mais en fait, il ne leur a pas donné plus d’essence, comme il ressort de leurs effets. Ergo * il ne leur en demande pas plus. Et si chacun en l’espèce ne fait ni plus ni moins que Dieu veut, pourquoi celui qui opère peu, mais cependant autant que ce que Dieu exige de lui, ne serait pas reçu par Dieu comme le bon (''godsalige&lt;/ref&gt; ? En outre, de même que, par le mal qui accompagne l’acte, nous perdons, par notre imprudence, à votre sentiment, un état plus parfait, de même ici vous semblez établir que, en contenant la volonté dans les limites de l’entendement, non seulement donc nous demeurons aussi parfaits que nous le sommes, mais encore que, en servant, nous devenons plus parfaits ; et cela implique contradiction, j’en suis convaincu : si nous dépendons de Dieu seulement à un point tel que nous ne pouvons effectuer ni plus ni moins de perfection qu’autant que nous avons reçu d’essence, c’est-à-dire qu’autant que Dieu a voulu, comment alors devenons-nous pires par notre imprudence, meilleurs par notre prudence ? Vous semblez donc n’établir rien d’autre que, si l’homme est tel que vous le décrivez, les impies par leurs œuvres honorent Dieu tout comme les pieux par les leurs, et pour cette raison nous sommes rendus dépendants de Dieu comme les éléments, les herbes, les pierres, etc. A quoi donc sert notre entendement ? à quoi le pouvoir de contenir la volonté dans les limites de l’entendement ? pour quelle raison cet ordre a-t-il été fixé en nous ? Et voyez – je vous le demande d’autre part – de quoi nous sommes privés, de la méditation, et inquiète et grave (seriâ, ernstige), pour nous rendre parfaits selon la règle de la perfection de Dieu et l’ordre imprimé en nous : nous nous privons nous-mêmes de la prière et des soupirs vers Dieu, grâce auxquels – nous l’avons souvent perçu – nous avons reçu d’''extraordinaires''* consolations ; nous nous privons de toute religion, et de toute l’espérance et satisfaction&lt;ref&gt;acquiescentiâ, vergenoeginge&lt;/ref&gt; que nous espérons des prières et de la religion. En effet, si Dieu n’a aucune connaissance du mal, on ne peut pas vraiment croire qu’il punira le mal. Quelles raisons donc reste-t-il de ne pas perpétrer tous les forfaits que vous voudrez (si j’arrive à échapper à la justice) ? pourquoi ne pas m’enrichir par des moyens douteux ? pourquoi, sans risque, ne pas assouvir tous les désirs auxquels me traîne ma chair ? Vous direz : parce que la vertu est à aimer pour elle-même. Mais comment puis-je aimer la vertu ? moi qui n’ai pas reçu autant d’essence et de perfection ; et si je peux tirer autant de satisfaction&lt;ref&gt;acquiescentiae, vergenoeginge&lt;/ref&gt; de l’un que de l’autre, pourquoi je me forcerais à contenir ma volonté dans les limites de mon entendement ? pourquoi je ne ferais pas ce vers quoi me poussent mes pulsions&lt;ref&gt;affectus&lt;/ref&gt; ? pourquoi je ne tuerais pas sans être vu un homme qui m’a fait du tort ? Voilà les opportunités que nous donnerions à tous les impies et à l’impiété ! Nous nous rendrions nous semblables à des troncs, et toutes nos actions à des mouvements d’horloges.<br /> <br /> Vu ce que je viens de dire, il me semble très dur que ce ne soit qu’improprement que nous pouvons dire que nous péchons contre Dieu : à quoi donc nous sert la puissance de contenir la volonté dans les limites de l’entendement, si, quand nous l’outrepassons, nous péchons contre cet ordre ? Vous répondrez peut-être que ce n’est pas un péché en Dieu mais en nous-mêmes, car si nous sommes dits proprement pécher envers Dieu, il faudra dire aussi que quelque chose se fait contre la volonté de Dieu, ce qui selon vous est impossible, ''ergo''* le péché non plus. Pourtant, l’un ou l’autre est nécessairement vrai : ou Dieu veut, ou Dieu ne veut pas. S’il veut, comment eu égard à nous un mal peut-il être ? S’il ne veut pas, cela, à votre avis, ne peut se faire. Mais quoique ce dernier point, comme le porte votre sentiment, implique contradiction, il semble pourtant très dangereux d’admettre les absurdités du premier point. Qui sait, si je cherchais sans repos, si on ne pourrait pas trouver un remède pour concilier ces points d’une façon ou d’une autre.<br /> <br /> Je vais terminer l’''examen''* de votre lettre selon ma première règle générale avant d’en arriver à l’examen selon la seconde règle : je vais encore vous opposer deux points qui regardent votre lettre et ce que vous avez écrit dans les Principes partie I, prop. 15. Le premier est ''affirmas, nos potestatem volendi et judicandi, intra limites intellectus retinere potest'' * [votre affirmation : « il nous est possible de retenir le pouvoir de vouloir et de juger dans les limites de l’entendement »], ce que je ne peux absolument pas concéder. Car si c’était vrai, parmi d’innombrables hommes, on en trouverait au moins un qui se montrerait pourvu de ce pouvoir : même lui pourrait expérimenter en lui, quelles que soient les forces qu’il y consacre, qu’il ne peut atteindre son but. Et si quelqu’un doute de cette affaire, qu’il s’examine chaque fois que les passions vainquent sa raison, alors même qu’il lutte de toutes ses forces. Mais vous direz que si nous n’y arrivons pas, ce n’est pas parce que ça nous est impossible, mais parce que nous n’y mettons pas assez de soin ; je vous redemande : si c’est possible, qu’on trouve au moins un homme parmi tant de milliers, mais pas un seul parmi tous les hommes ayant existé ou existant n’oserait se glorifier de ne pas être tombé dans des erreurs. Et quels arguments plus certains de cela peut-on apporter que ces exemples ? S’il y en avait peu, il y en aurait un : en fait, comme il n’y en a aucun, il n’y a pas non plus de preuve. Vous allez insister en disant : s’il peut arriver une fois que je puisse faire, en suspendant mon jugement et en contenant ma volonté dans les bornes de l’entendement, que je ne me trompe pas, pourquoi, en y mettant assez de soin, ne pourrais-je le faire toujours ? Je réponds que je ne peux pas voir que nous ayons aujourd’hui assez de forces pour y persévérer toujours ; en une heure, quand j’y consacre toutes mes forces, je peux parcourir deux milles, mais je ne peux le faire toujours ; ainsi, je peux me préserver une fois de l’erreur en m’appliquant beaucoup, mais les forces me manquent pour toujours y arriver. Il est clair, me semble-t-il, qu’au premier homme, produit de la main du parfait Artisan, ont été fournies ces forces ; mais (comme avec vous je le pense) en n’usant pas assez, ou en abusant, de ces forces, il a perdu son état parfait de faire ce qui auparavant était de son libre choix. Et c’est par bien des raisons que je confirmerais cela, mais je ne veux pas abuser. Et mon opinion est que c’est en cette affaire que se situe toute l’essence de l’Écriture sainte, qui pour cela ne peut qu’être en honneur parmi nous, parce qu’elle nous enseigne ce que notre entendement naturel confirme si clairement, à savoir que la chute&lt;ref&gt;afval, lapsum&lt;/ref&gt; de notre perfection première s’est faite par notre imprudence&lt;ref&gt;onvoorsichticheyt&lt;/ref&gt;. Quoi donc de plus nécessaire que le relèvement de cette chute autant qu’il est possible ? Et ramener l’homme déchu à Dieu est également l’unique but de l’Écriture sainte.<br /> <br /> Ensuite vient dans les Principes partie I, prop. 15, ''affirmas res clare et distincte intelligere, repugnare naturae hominis''* [votre affirmation : « comprendre les choses clairement et distinctement contredit la nature de l’homme »], d’où vous concluez cependant : « il vaut beaucoup mieux adhérer aux choses même confuses et exercer sa liberté que demeurer toujours indifférent, c’est-à-dire au stade le plus bas de la liberté. » En moi une obscurité empêche que je vous concède la conclusion : car un jugement suspendu nous conserve dans l’état où nous avons été créés par le Créateur, mais adhérer aux choses confusément c’est adhérer à des choses non comprises et ainsi adhérer aussi facilement au vrai qu’au faux. Et si (comme ''Monsieur Descartes''* l’enseigne quelque part) en adhérant nous ne faisons pas usage de l’ordre que Dieu a constitué entre notre entendement et notre volonté, à savoir n’adhérer qu’à ce qui est clairement perçu, quoique à l’occasion nous tombions sur la vérité, cependant, parce que nous n’embrassons pas le vrai selon l’ordre que Dieu a voulu, nous péchons ; et par conséquent, de même que le refus d’adhérer nous conserve dans l’état dans lequel nous avons été constitués par Dieu, de même une adhésion confuse rend pire notre état ; en effet, elle pose le fondement de l’erreur, par lequel nous perdons donc un état parfait. Mais je vous entends dire : est-ce qu’il ne vaut pas mieux, pour nous rendre plus parfaits, d’adhérer plutôt que constamment ne pas adhérer à des choses même confuses et demeurer au plus bas niveau&lt;ref&gt;laegsten trap&lt;/ref&gt; de perfection et de liberté ? Mais outre que nous avons nié cela et que nous avons montré d’une certaine façon que cela ne nous rend pas meilleurs mais beaucoup moins bons, il nous semble en plus impossible et presque contradictoire que Dieu étende la connaissance des choses déterminées par lui plus loin que celle qu’il nous a donnée, bien pire, que Dieu alors implique la cause absolue de nos erreurs. Et n’est pas contraire à cela que nous ne puissions accuser Dieu de ne pas nous avoir accordé plus qu’il ne nous a accordé, car il n’y est pas tenu. Il est bien vrai que Dieu n’est pas tenu de donner plus qu’il n’a donné, mais la suprême perfection de Dieu infère également que les créatures procédant de lui n’impliquent aucune contradiction, ce qui semblerait alors en être la conséquence. Car nulle part dans la nature créée, excepté dans notre entendement, nous ne découvrons la science. Pour quelle autre fin nous aurait-il été concédé sinon pour contempler et connaître les œuvres de Dieu ? Et qu’est-ce qui semble en être conséquence de manière évidente que l’harmonie qu’il ne peut qu’y avoir entre les choses à connaître et notre entendement ?<br /> <br /> Si j’examine votre lettre, sur les points que nous venons de voir, selon ma seconde règle générale, notre désaccord va être plus grand que selon la première. Car, me semble-t-il (si je me trompe, prouvez-le moi), vous ne souscrivez pas à l’infaillible vérité et divinité de l’Écriture sainte, dont moi je suis convaincu. Il est vrai pourtant que vous dites croire que Dieu a révélé le contenu de l’Écriture sainte aux prophètes, mais d’une façon imparfaite de sorte que, si c’est le cas, comme vous l’affirmez, cela impliquerait contradiction en Dieu. Car si Dieu a manifesté sa Parole et sa volonté aux hommes, c’est dans un but précis et clairement qu’il les leur a manifestées. Maintenant, si les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole qu’ils ont reçue, cela, soit Dieu l’a voulu, soit non. S’il a voulu qu’ils en fabriquent une parabole, c’est-à-dire qu’ils s’écartent de son esprit, Dieu a été cause de cette erreur et a voulu quelque chose qui le contredisait. S’il ne l’a pas voulu, il était impossible que les prophètes en fabriquent une parabole. On peut donc croire, si on suppose que Dieu a donné sa Parole aux prophètes, qu’il la leur a donnée de sorte qu’ils ne se trompent pas en la recevant, car Dieu, en révélant sa Parole, ne pouvait qu’avoir un but précis, et ne pouvait se proposer pour but d’induire les hommes en erreur, car ce serait en Dieu contradiction. De plus l’homme ne pouvait pas se tromper contre la volonté de Dieu, car cela ne peut se faire, selon vous. Par-dessus tout, je ne peux croire de Dieu suprêmement parfait qu’il permette qu’un autre sens que celui qu’il a voulu ait été attribué par les prophètes à sa Parole, donné à eux pour être expliquée au peuple ; car si nous affirmons que Dieu a concédé sa Parole aux prophètes, nous assurons en même temps que Dieu, d’une façon extraordinaire, est apparu aux prophètes ou a parlé avec eux. Si maintenant les prophètes ont fabriqué une parabole à partir de cette Parole transmise, c’est-à-dire lui ont attribué un autre sens que celui que Dieu avait voulu, c’est qu’il le leur avait complètement fait savoir. Cela est encore une contradiction impossible, tant à l’égard des prophètes qu’à l’égard de Dieu, qu’ils aient pu donner un autre sens que celui que Dieu a voulu qu’ils donnent.<br /> <br /> Ainsi vous ne prouvez pas vraiment, comme vous le voudriez, que Dieu a révélé sa Parole, à savoir qu’il a révélé le salut et la perdition, qu’il a décidé à cette fin de certains moyens, et que salut et perdition ne sont que les effets de ces moyens. Car vraiment, si les prophètes avaient reçu la Parole de Dieu dans ce sens, quelles raisons avaient-ils de lui en assigner un autre ? Mais vous n’apportez aucune preuve qui nous convaincrait de placer votre sentiment au-dessus de celui des prophètes. Si vraiment vous estimez prouver que sans cela cette Parole inclut de nombreuses imperfections et contradictions, je dis que vous n’avez fait que le dire, sans le prouver. Et qui sait, si l’un et l’autre sens ont été produits, si l’un ou l’autre n’inclut pas moins d’imperfections ? Enfin l’Etre suprêmement parfait percevait bien ce que le peuple saisirait et quelle était la meilleure méthode pour l’instruire.&lt;br /&gt;<br /> Quant au second membre de votre première question, vous vous demandez pourquoi Dieu a ordonné à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre, alors qu’il avait décidé le contraire ; et vous répondez que Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel . Si on affirme que Dieu a interdit quelque chose à Adam, pour quelles raisons je croirais la façon de prohiber que vous apportez plutôt que celle que donnent les prophètes, auxquels Dieu lui-même a révélé la façon de prohiber ? Vous direz : ma raison de cette prohibition est plus naturelle et convient donc plus à la vérité et à Dieu. Mais tout cela, je le nie. Je ne saisis pas que Dieu nous a révélé à travers l’entendement naturel que le poison est létal ; et je ne vois pas les raisons qui me feraient jamais savoir que quelque chose est empoisonné sinon en ayant vu ou entendu parler des mauvais effets du poison chez d’autres. Que des hommes, parce qu’ils ne connaissent pas un poison, en mangent sans le savoir et en meurent, l’expérience quotidienne nous l’apprend. Vous direz : si les hommes savaient que c’est un poison et donc que c’est mauvais, cela ne leur serait pas caché ; mais je réponds : personne n’a connaissance d’un poison ou ne peut en avoir sinon qui a vu ou entendu parler de quelqu’un qui s’est condamné en en consommant ; et si nous supposons que nous n’ayons jamais entendu parler de, ni vu quelqu’un se faire du tort en en consommant, non seulement nous l’ignorerions encore maintenant, mais aussi nous en ferions usage sans crainte d’être condamnés, vérités enseignées tous les jours.<br /> <br /> Qu’est-ce qui donne le plus de délectation dans cette vie à un entendement honnête &lt;ref&gt;''rechtschapen verstant'' : expression rendue dans les ''Opera posthuma'' par ''candidum atque erectum animum'', traduction suivie par Appuhn (« une âme candide et droite »). Francès (Pléiade, Gallimard) traduit mieux par « entendement bien fait » et Curley par ''upright intellect'' (''The Collected Works of Spinoza'', vol. 1, Princeton University Press, 2&lt;sup&gt;e&lt;/sup&gt; ed., 1988, p. 373).&lt;/ref&gt; que la contemplation de cette parfaite Divinité ? Car tout comme il est le plus parfait, ainsi encore il ne peut qu’impliquer le plus parfait qui peut tomber dans notre entendement fini. Et dans la vie il n’y a rien que j’échangerais contre cette délectation. En celle-ci, excité d’un céleste appétit, je peux passer beaucoup de temps ; mais en même temps je suis affecté de tristesse quand je considère les nombreuses choses dont manque mon entendement fini : mais j’apaise la tristesse que je possède, qui m’est plus chère que la vie, parce qu’ensuite j’existerai et persisterai et que je contemplerai cette Divinité d’une très grande perfection. Quand je considère la vie brève et fugitive où à chaque moment je m’attends à la mort, si je devais croire que j’aurai une fin et que je serai privé de la sainte et très éminente contemplation, je serais certainement, de toutes les créatures auxquelles manque la connaissance de leur fin, la plus malheureuse. Assurément la crainte de la mort avant le décès me rendrait malheureux, et après lui complètement réduit à néant, et par conséquent je serais malheureux parce que je serais privé de cette divine contemplation. Vraiment vos opinions me semblent conduire au point où là je cesse d’être et cesserai pour l’éternité – alors qu’à l’inverse cette Parole et la volonté de Dieu me réconfortent par le témoignage interne de mon âme que, après cette vie, dans un état plus parfait, je me réjouirai un jour en contemplant la Divinité suprêmement parfaite. Assurément cette espérance, même si un jour elle se découvrait fausse, me rend cependant bienheureux tant que j’espère. L’unique chose que, par les prières, les soupirs et les offrandes je demande à Dieu, et lui demanderai (plût au ciel qu’il soit permis de plus contribuer à cela !) tant que mon âme commandera à mes membres, c’est qu’il lui plaise de me rendre par sa bonté si bienheureux que, quand ce corps sera dissous, je demeure un être intellectuel pour contempler sa très parfaite Divinité, et n’obtiendrais-je que cela, il m’est égal comment ici on croit, ce dont on se convainc les uns les autres, si quelque chose est fondé par l’entendement naturel et peut être perçu par lui, ou pas. Cela, cela seulement est mon vœu, mon désir, ma prière continuelle, que Dieu confirme cette certitude en mon âme et, si je la possède (ah ! que je serais très malheureux si j’en étais déchu !), à cause de ce désir mon âme s’exclame, comme le cerf brame sur les rives des eaux, ainsi mon âme vous désire, ô Dieu vivant : ah ! quand viendra le jour où je serai avec vous et vous contemplerai &lt;ref&gt;Citation du Psaume 42-43, 2-3, classique dans le christianisme pour exprimer le désir et l’espérance de Dieu. Blyenbergh reprend mot pour mot la traduction néerlandaise de la Bible.&lt;/ref&gt;. Si je n’obtiens que cela, je posséderai tout l’effort de mon âme et son désir. Parce que en fait notre œuvre déplaira à Dieu, cette espérance, à votre sentiment, je ne la vois pas, et je ne comprends pas que Dieu (si toutefois il est permis de parler de lui de manière humaine), s’il ne prend aucun plaisir à notre œuvre et à notre louange, nous ait produits et conservés. Si en fait je me trompe sur votre sentiment, je vous demande de m’expliquer. Mais je me suis attardé, et vous ai peut-être retardé, plus longtemps que de coutume ; comme je vois que le papier me manque, je vais terminer. J’ai hâte de voir votre solution de ces points. Peut-être ici et là j’ai retiré de votre lettre quelque conclusion qui sans doute ne sera pas votre opinion, mais sur cela je désire entendre votre explication.&lt;br /&gt;<br /> J’ai été récemment occupé à l’étude de quelques-uns des ''attributa Dei''* [attributs de Dieu], où votre Appendice ne m’a pas peu aidé. J’ai expliqué plus amplement votre pensée qui, semble-t-il, ne présente que des ''demonstrationes''*, et donc je suis surpris que dans la Préface soit affirmé que votre sentiment n’est pas celui-là, mais que vous vous étiez engagé à enseigner, comme vous l’aviez promis, la philosophie de Descartes à votre élève ; et que vous gardiez pour vous une tout autre opinion tant sur Dieu que sur l’âme, spécialement sur la volonté de l’âme : je vois aussi dans cette Préface que vous allez bientôt publier des ''[[PM|Cogitata metaphysica]]''* plus prolixes : et je désire avidement ces deux choses, car j’en espère quelque chose de singulier. Mais mon habitude ne me porte pas à exalter quelqu’un par des louanges.<br /> <br /> J’ai écrit ceci sincèrement et avec une amitié non feinte, comme vous le demandiez dans votre lettre et pour trouver la vérité. Excusez mon trop de prolixité, ce n’était pas mon intention. Je ne récuse pas votre intention de m’écrire « dans la langue dans laquelle vous avez été élevé », s’il s’agit du latin ou du français ; mais votre réponse à celle-ci, je vous demande de la faire dans la même langue, parce que j’y percevrais mieux votre pensée, ce qui peut-être ne serait pas le cas en latin. Vous m’attacherez ainsi à vous, et moi je serai, et resterai,<br /> <br /> Monsieur,<br /> <br /> Votre très attaché et très dévoué<br /> <br /> G. de Blyenbergh<br /> <br /> Dordrecht, 16 janvier 1665<br /> <br /> Dans votre réponse, je souhaite être instruit plus longuement de ce que vous entendez par négation en Dieu.<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 19]] | [[Lettres]] | [[Lettre 21]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_19 Lettre 19 2017-01-21T22:45:50Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 19<br /> | 3= de Spinoza à Blyenbergh<br /> | 4=1665<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très savant et très sage&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Guillaume de Blyenbergh&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;B. d. S.&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> <br /> Ami inconnu,<br /> <br /> J’ai enfin reçu le 26 à Schiedam votre [[Lettre 18|lettre du 12 décembre]], incluse dans une autre du 21 du même mois ; j’en ai compris votre intense amour de la vérité, et qu’elle est seule le but de vos études : et elle me force moi, qui ne vise rien d’autre de tout mon cœur, à en conclure de pleinement consentir à votre demande de répondre, selon les forces de mon entendement, aux questions que vous m’avez déjà posées et que vous me poserez encore ; et aussi, pour ma part, à partager toutes les idées futures qui peuvent servir une sincère amitié. En ce qui me concerne, parmi les choses qui ne sont pas en mon pouvoir, je fais grand cas de me lier aux hommes aimant sincèrement la vérité, parce que je crois qu’il n’y a rien de plus apaisant&lt;ref&gt;Terme traduisant le latin choisi par Spinoza : ''tranquilliùs'' pour traduire sa réponse originale en néerlandais : ''gerustigh''.&lt;/ref&gt; qui soit en notre pouvoir que pouvoir aimer des hommes de cette sorte ; parce qu’il est aussi impossible de dissoudre l’amour qu’ils ont l’un envers l’autre – d’autant plus qu’il s’est établi sur l’amour que chacun a pour la connaissance de la vérité – que de ne pas embrasser la vérité elle-même une fois perçue. C’est par-dessus tout ce qu’il peut y avoir de plus haut et de plus agréable parmi les choses qui ne sont pas de notre choix, puisque rien, sauf la vérité, ne peut unir complètement des sentiments et des esprits différents. Je passe sur les très grandes utilités qui en découlent ; pour ne pas vous retenir plus longtemps sur des choses que vous-même connaissez sans aucun doute, ce que cependant j’ai fait jusqu’ici, d’autant que je vais mieux vous montrer qu’il m’est agréable – et qu’il le sera dans le futur – de saisir l’occasion de vous rendre service.<br /> <br /> Pour le moment je vais répondre à votre question qui tourne autour de ce point essentiel : la conséquence claire, semble-t-il&lt;ref&gt;''dat schynt klaarlyk te volgen''&lt;/ref&gt;, tant de la providence&lt;ref&gt;''voorsienighyt''&lt;/ref&gt; de Dieu – qui ne diffère pas de sa volonté – que du concours de Dieu et de la continuelle création des choses est que, ou bien il n’y a aucun péché, ou aucun mal, ou bien Dieu effectue ces péchés et ce mal. Mais vous n’expliquez pas ce que vous entendez par mal et, autant qu’on peut le voir sur l’exemple de la volonté déterminée d’Adam, vous semblez entendre par mal la volonté même ou bien conçue comme déterminée d’une certaine façon ou bien contredisant l’ordre de Dieu, et vous dites donc que c’est une grande absurdité (moi aussi je le dirais si les choses se trouvaient être ainsi) de soutenir l’un et l’autre de ces deux points : ou Dieu lui-même opère les choses qui vont contre sa volonté, ou elles peuvent être bonnes quoique contraires à la volonté de Dieu. Quant à moi, je ne peux accorder que les péchés et le mal soient quelque chose de positif&lt;ref&gt;''iet stelligs''&lt;/ref&gt;, encore moins quelque chose qui soit ou qui devienne contraire à la volonté de Dieu. Je dis au contraire non seulement que les péchés ne sont pas quelque chose de positif&lt;ref&gt;''iet stelligs''&lt;/ref&gt;, mais encore j’affirme que nous ne pouvons dire – si ce n’est improprement, ou de façon humaine – que nous péchons envers Dieu, comme quand nous disons que les hommes offensent Dieu.<br /> <br /> Car, en ce qui regarde le premier point, nous savons bien que tout ce qui est, considéré en soi sans égard à autre chose, inclut&lt;ref&gt;''insluyt''&lt;/ref&gt; une perfection qui toujours s’étend&lt;ref&gt;''strekt''&lt;/ref&gt;, dans n’importe quelle chose, aussi loin que son essence&lt;ref&gt;''weesen, essentia''&lt;/ref&gt; : car, non, elle n’est rien d’autre. Je prends l’exemple de la décision&lt;ref&gt;''besluyt, consilium''&lt;/ref&gt;, ou volonté déterminée, d’Adam de manger du fruit défendu : cette décision, ou cette volonté déterminée, inclut, considérée à elle seule, autant de perfection qu’elle exprime&lt;ref&gt;''uytdrukt''&lt;/ref&gt; de réalité&lt;ref&gt;''weese, realitatis''&lt;/ref&gt; ; et cela peut se comprendre de ce nous ne pouvons concevoir aucune imperfection dans les choses, sauf quand nous prêtons attention à celles qui ont plus de réalité&lt;ref&gt;''weese, realitatis''&lt;/ref&gt; ; et donc, la décision d’Adam, quand nous la regardons en soi, sans la comparer à d’autres plus parfaites, ou montrant un état plus parfait, nous ne pourrons y trouver aucune imperfection ; au contraire, on peut la comparer à une infinité d’autres choses à cet égard de loin plus imparfaites , comme des pierres, des troncs, etc. Et, en fait, tout le monde concède aussi le point suivant : que n’importe quelle chose que l’on déteste et regarde avec répugnance chez les hommes, on la regarde avec étonnement et amusement&lt;ref&gt;Spinoza omet ce terme dans sa traduction latine.&lt;/ref&gt; chez les animaux, comme les guerres des abeilles et la jalousie des pigeons, etc. que nous méprisons chez les hommes et jugeons plus parfaites chez ces animaux. Cela étant, la conséquence est claire : les péchés, puisqu’ils n’indiquent que de l’imperfection, ne peuvent consister&lt;ref&gt;''bestaan''&lt;/ref&gt; en rien qui exprime une réalité&lt;ref&gt;''weesen, realitatem''&lt;/ref&gt;, comme la décision&lt;ref&gt;''besluyt, decreto''&lt;/ref&gt; d’Adam et son exécution.<br /> <br /> Par suite, il ne vaut rien de dire que la volonté d’Adam combattrait la volonté de Dieu et qu’elle serait un mal parce qu’elle déplairait à Dieu ; car, outre que ce serait poser une grande imperfection en Dieu qu’une chose arrive contre sa volonté, qu’il ne puisse satisfaire ce qu’il désire&lt;ref&gt;''wenschen, desideraret''&lt;/ref&gt;, et que sa nature soit déterminée de telle façon que, tout comme les créatures, il ait envers les unes sympathie, envers les autres antipathie, cela contredirait&lt;ref&gt;''streidig syn, pugnaret''&lt;/ref&gt; également complètement sa volonté : parce que celle-ci, en effet, ne se distingue pas de son entendement, il est aussi impossible que quelque chose se fasse contre sa volonté que contre son entendement, c’est-à-dire que ce qui se ferait contre sa volonté ne pourrait que contredire complètement son entendement, comme un cercle carré. Donc la volonté, ou décision, d’Adam, regardée en soi, puisqu’elle n’était ni mauvaise, ni non plus, à proprement parler, contre la volonté de Dieu, a pour conséquence que Dieu peut – que dis-je ? pour la raison que vous avez remarquée, ne peut que – en être la cause, mais pas en tant que cette volonté est mauvaise : car le mal qui était en elle n’était autre qu’une privation d’un état plus parfait&lt;ref&gt;''een berooving van een volmaakter stant was''&lt;/ref&gt; que, à cause de son œuvre, Adam ne pouvait que perdre, et il est certain que la privation n’est pas quelque chose de positif&lt;ref&gt;''stelligs''&lt;/ref&gt;, et c’est à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu, qu’on la nomme ainsi. Et en voici l’origine : parce que nous exprimons par une seule et même définition tous les singuliers d’un même genre, par exemple tous ceux qui ont la forme extérieure des hommes, et qu’ainsi nous jugeons que tous sont également aptes à la plus grande perfection que nous pouvons déduire de cette définition ; et quand nous en trouvons un dont les œuvres contredisent à cette perfection, alors nous l’en jugeons privé et qu’il s’écarte de sa nature, ce que nous ne ferions pas si nous ne l’avions pas rattaché à sa définition et ne lui avions pas fixé telle ou telle nature. Mais parce que Dieu ne connaît pas les choses abstraitement, et ne forme pas de définitions générales de ce genre, et ne demande pas aux choses plus de réalité que l’entendement divin ne leur a effectivement attribuée, et que la puissance divine y a mise, la conséquence claire en est qu’on ne peut parler de cette privation qu’à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu.<br /> <br /> Par ce que je viens de dire, me semble-t-il, la question est complètement résolue. Mais pour vous rendre la route plus aisée et en dégager le moindre obstacle, je me dois de répondre à deux autres questions : 1) pourquoi l’Écriture dit-elle que Dieu réclame&lt;ref&gt;flagitare&lt;/ref&gt; la conversion des méchants&lt;ref&gt;improbi&lt;/ref&gt;, et pourquoi a-t-il interdit à Adam de manger du fruit, tout en ayant conclu le contraire ; 2) ce que j’ai dit semble avoir pour conséquence que les méchants honorent Dieu par leur orgueil, leur avarice, leur désespoir, etc., tout autant que les bons&lt;ref&gt;probos&lt;/ref&gt; par leur générosité, leur patience, leur amour, etc., parce qu’ils exécutent la volonté de Dieu.<br /> <br /> Pour répondre à la première, je dis que l’Écriture, parce qu’elle s’adapte surtout au peuple, et s’y plie, parle continuellement de manière humaine : le peuple est en effet incapable de percevoir les choses les plus hautes ; et c’est la raison pour laquelle je me suis convaincu que tout ce que Dieu a révélé aux prophètes être nécessaire au salut a été écrit sous forme de lois ; et de la même manière les prophètes ont fabriqué&lt;ref&gt;finxerunt&lt;/ref&gt; des paraboles entières : premièrement, ils ont présenté succinctement Dieu, parce qu’il avait révélé les moyens du salut et de la perdition, moyens dont il était cause, comme un roi et un législateur ; ces moyens, qui ne sont rien d’autre que des causes, ils les ont appelés lois et les ont rédigés à la manière de lois ; ils ont posé le salut et la perdition, qui ne sont rien d’autre que des effets découlant nécessairement de ces moyens, comme récompense et punition ; ils ont réglé leurs paroles d’après cette parabole plus que d’après la vérité, et ont représenté très souvent Dieu à l’instar de l’homme, parfois irrité, parfois miséricordieux, parfois désirant l’avenir, parfois jaloux et soupçonneux, et même trompé par le diable ; et ainsi les philosophes et tous ceux qui sont au-dessus de la loi, c’est-à-dire qui suivent la vertu, non selon la loi, mais par amour, parce qu’elle est ce qu’il y a de meilleur, ne doivent pas être offensés par des expressions de ce genre.<br /> <br /> L’interdiction à&lt;ref&gt;''verbot aan''&lt;/ref&gt; Adam consistait seulement en ceci : Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel. Et si vous demandez à quelle fin il lui a révélé cela, voici ma réponse : pour que ce savoir le rende plus parfait. Donc demander pour quelle raison Dieu ne lui a pas donné une volonté plus parfaite est aussi absurde que demander pourquoi il n’a pas accordé au cercle toutes les propriétés de la sphère, conséquence évidente de ce qui a été dit plus haut, et que j’ai démontré dans le scolie de la proposition 15 de la première partie des Principes de la philosophie de Descartes démontrés géométriquement.<br /> <br /> En ce qui touche à la seconde difficulté, il est vrai que les impies&lt;ref&gt;''godeloose, impios''&lt;/ref&gt; expriment la volonté de Dieu à leur façon, mais pourtant on ne doit pas du tout les comparer aux bons&lt;ref&gt;''vroomen, probos''&lt;/ref&gt; : en effet, plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la Divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants&lt;ref&gt;improbi&lt;/ref&gt;, leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants, parce que les méchants manquent de l’amour divin qui s’écoule de la connaissance de Dieu et par quoi seul, pour notre entendement humain, nous sommes dits serviteurs de Dieu. Bien plus, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ils ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les vertueux au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant.<br /> […]<br /> <br /> Votre affectionné ami et serviteur,<br /> <br /> B. de Spinoza.<br /> <br /> le 5 janvier 1665<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 18]] | [[Lettres]] | [[Lettre 20]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_19 Lettre 19 2017-01-20T13:53:33Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 19 | 3= de Spinoza à Blyenbergh | 4=1664 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 19<br /> | 3= de Spinoza à Blyenbergh<br /> | 4=1664<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très savant et très sage&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Guillaume de Blyenbergh&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;B. d. S.&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> <br /> Ami inconnu,<br /> <br /> J’ai enfin reçu le 26 à Schiedam votre [[Lettre 18|lettre du 12 décembre]], incluse dans une autre du 21 du même mois ; j’en ai compris votre intense amour de la vérité, et qu’elle est seule le but de vos études : et elle me force moi, qui ne vise rien d’autre de tout mon cœur, à en conclure de pleinement consentir à votre demande de répondre, selon les forces de mon entendement, aux questions que vous m’avez déjà posées et que vous me poserez encore ; et aussi, pour ma part, à partager toutes les idées futures qui peuvent servir une sincère amitié. En ce qui me concerne, parmi les choses qui ne sont pas en mon pouvoir, je fais grand cas de me lier aux hommes aimant sincèrement la vérité, parce que je crois qu’il n’y a rien de plus apaisant&lt;ref&gt;Terme traduisant le latin choisi par Spinoza : ''tranquilliùs'' pour traduire sa réponse originale en néerlandais : ''gerustigh''.&lt;/ref&gt; qui soit en notre pouvoir que pouvoir aimer des hommes de cette sorte ; parce qu’il est aussi impossible de dissoudre l’amour qu’ils ont l’un envers l’autre – d’autant plus qu’il s’est établi sur l’amour que chacun a pour la connaissance de la vérité – que de ne pas embrasser la vérité elle-même une fois perçue. C’est par-dessus tout ce qu’il peut y avoir de plus haut et de plus agréable parmi les choses qui ne sont pas de notre choix, puisque rien, sauf la vérité, ne peut unir complètement des sentiments et des esprits différents. Je passe sur les très grandes utilités qui en découlent ; pour ne pas vous retenir plus longtemps sur des choses que vous-même connaissez sans aucun doute, ce que cependant j’ai fait jusqu’ici, d’autant que je vais mieux vous montrer qu’il m’est agréable – et qu’il le sera dans le futur – de saisir l’occasion de vous rendre service.<br /> <br /> Pour le moment je vais répondre à votre question qui tourne autour de ce point essentiel : la conséquence claire, semble-t-il&lt;ref&gt;''dat schynt klaarlyk te volgen''&lt;/ref&gt;, tant de la providence&lt;ref&gt;''voorsienighyt''&lt;/ref&gt; de Dieu – qui ne diffère pas de sa volonté – que du concours de Dieu et de la continuelle création des choses est que, ou bien il n’y a aucun péché, ou aucun mal, ou bien Dieu effectue ces péchés et ce mal. Mais vous n’expliquez pas ce que vous entendez par mal et, autant qu’on peut le voir sur l’exemple de la volonté déterminée d’Adam, vous semblez entendre par mal la volonté même ou bien conçue comme déterminée d’une certaine façon ou bien contredisant l’ordre de Dieu, et vous dites donc que c’est une grande absurdité (moi aussi je le dirais si les choses se trouvaient être ainsi) de soutenir l’un et l’autre de ces deux points : ou Dieu lui-même opère les choses qui vont contre sa volonté, ou elles peuvent être bonnes quoique contraires à la volonté de Dieu. Quant à moi, je ne peux accorder que les péchés et le mal soient quelque chose de positif&lt;ref&gt;''iet stelligs''&lt;/ref&gt;, encore moins quelque chose qui soit ou qui devienne contraire à la volonté de Dieu. Je dis au contraire non seulement que les péchés ne sont pas quelque chose de positif&lt;ref&gt;''iet stelligs''&lt;/ref&gt;, mais encore j’affirme que nous ne pouvons dire – si ce n’est improprement, ou de façon humaine – que nous péchons envers Dieu, comme quand nous disons que les hommes offensent Dieu.<br /> <br /> Car, en ce qui regarde le premier point, nous savons bien que tout ce qui est, considéré en soi sans égard à autre chose, inclut&lt;ref&gt;''insluyt''&lt;/ref&gt; une perfection qui toujours s’étend&lt;ref&gt;''strekt''&lt;/ref&gt;, dans n’importe quelle chose, aussi loin que son essence&lt;ref&gt;''weesen, essentia''&lt;/ref&gt; : car, non, elle n’est rien d’autre. Je prends l’exemple de la décision&lt;ref&gt;''besluyt, consilium''&lt;/ref&gt;, ou volonté déterminée, d’Adam de manger du fruit défendu : cette décision, ou cette volonté déterminée, inclut, considérée à elle seule, autant de perfection qu’elle exprime&lt;ref&gt;''uytdrukt''&lt;/ref&gt; de réalité&lt;ref&gt;''weese, realitatis''&lt;/ref&gt; ; et cela peut se comprendre de ce nous ne pouvons concevoir aucune imperfection dans les choses, sauf quand nous prêtons attention à celles qui ont plus de réalité&lt;ref&gt;''weese, realitatis''&lt;/ref&gt; ; et donc, la décision d’Adam, quand nous la regardons en soi, sans la comparer à d’autres plus parfaites, ou montrant un état plus parfait, nous ne pourrons y trouver aucune imperfection ; au contraire, on peut la comparer à une infinité d’autres choses à cet égard de loin plus imparfaites , comme des pierres, des troncs, etc. Et, en fait, tout le monde concède aussi le point suivant : que n’importe quelle chose que l’on déteste et regarde avec répugnance chez les hommes, on la regarde avec étonnement et amusement&lt;ref&gt;Spinoza omet ce terme dans sa traduction latine.&lt;/ref&gt; chez les animaux, comme les guerres des abeilles et la jalousie des pigeons, etc. que nous méprisons chez les hommes et jugeons plus parfaites chez ces animaux. Cela étant, la conséquence est claire : les péchés, puisqu’ils n’indiquent que de l’imperfection, ne peuvent consister&lt;ref&gt;''bestaan''&lt;/ref&gt; en rien qui exprime une réalité&lt;ref&gt;''weesen, realitatem''&lt;/ref&gt;, comme la décision&lt;ref&gt;''besluyt, decreto''&lt;/ref&gt; d’Adam et son exécution.<br /> <br /> Par suite, il ne vaut rien de dire que la volonté d’Adam combattrait la volonté de Dieu et qu’elle serait un mal parce qu’elle déplairait à Dieu ; car, outre que ce serait poser une grande imperfection en Dieu qu’une chose arrive contre sa volonté, qu’il ne puisse satisfaire ce qu’il désire&lt;ref&gt;''wenschen, desideraret''&lt;/ref&gt;, et que sa nature soit déterminée de telle façon que, tout comme les créatures, il ait envers les unes sympathie, envers les autres antipathie, cela contredirait&lt;ref&gt;''streidig syn, pugnaret''&lt;/ref&gt; également complètement sa volonté : parce que celle-ci, en effet, ne se distingue pas de son entendement, il est aussi impossible que quelque chose se fasse contre sa volonté que contre son entendement, c’est-à-dire que ce qui se ferait contre sa volonté ne pourrait que contredire complètement son entendement, comme un cercle carré. Donc la volonté, ou décision, d’Adam, regardée en soi, puisqu’elle n’était ni mauvaise, ni non plus, à proprement parler, contre la volonté de Dieu, a pour conséquence que Dieu peut – que dis-je ? pour la raison que vous avez remarquée, ne peut que – en être la cause, mais pas en tant que cette volonté est mauvaise : car le mal qui était en elle n’était autre qu’une privation d’un état plus parfait&lt;ref&gt;''een berooving van een volmaakter stant was''&lt;/ref&gt; que, à cause de son œuvre, Adam ne pouvait que perdre, et il est certain que la privation n’est pas quelque chose de positif&lt;ref&gt;''stelligs''&lt;/ref&gt;, et c’est à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu, qu’on la nomme ainsi. Et en voici l’origine : parce que nous exprimons par une seule et même définition tous les singuliers d’un même genre, par exemple tous ceux qui ont la forme extérieure des hommes, et qu’ainsi nous jugeons que tous sont également aptes à la plus grande perfection que nous pouvons déduire de cette définition ; et quand nous en trouvons un dont les œuvres contredisent à cette perfection, alors nous l’en jugeons privé et qu’il s’écarte de sa nature, ce que nous ne ferions pas si nous ne l’avions pas rattaché à sa définition et ne lui avions pas fixé telle ou telle nature. Mais parce que Dieu ne connaît pas les choses abstraitement, et ne forme pas de définitions générales de ce genre, et ne demande pas aux choses plus de réalité que l’entendement divin ne leur a effectivement attribuée, et que la puissance divine y a mise, la conséquence claire en est qu’on ne peut parler de cette privation qu’à l’égard de notre entendement, mais pas à celui de Dieu.<br /> <br /> Par ce que je viens de dire, me semble-t-il, la question est complètement résolue. Mais pour vous rendre la route plus aisée et en dégager le moindre obstacle, je me dois de répondre à deux autres questions : 1) pourquoi l’Écriture dit-elle que Dieu réclame&lt;ref&gt;flagitare&lt;/ref&gt; la conversion des méchants&lt;ref&gt;improbi&lt;/ref&gt;, et pourquoi a-t-il interdit à Adam de manger du fruit, tout en ayant conclu le contraire ; 2) ce que j’ai dit semble avoir pour conséquence que les méchants honorent Dieu par leur orgueil, leur avarice, leur désespoir, etc., tout autant que les bons&lt;ref&gt;probos&lt;/ref&gt; par leur générosité, leur patience, leur amour, etc., parce qu’ils exécutent la volonté de Dieu.<br /> <br /> Pour répondre à la première, je dis que l’Écriture, parce qu’elle s’adapte surtout au peuple, et s’y plie, parle continuellement de manière humaine : le peuple est en effet incapable de percevoir les choses les plus hautes ; et c’est la raison pour laquelle je me suis convaincu que tout ce que Dieu a révélé aux prophètes être nécessaire au salut a été écrit sous forme de lois ; et de la même manière les prophètes ont fabriqué&lt;ref&gt;finxerunt&lt;/ref&gt; des paraboles entières : premièrement, ils ont présenté succinctement Dieu, parce qu’il avait révélé les moyens du salut et de la perdition, moyens dont il était cause, comme un roi et un législateur ; ces moyens, qui ne sont rien d’autre que des causes, ils les ont appelés lois et les ont rédigés à la manière de lois ; ils ont posé le salut et la perdition, qui ne sont rien d’autre que des effets découlant nécessairement de ces moyens, comme récompense et punition ; ils ont réglé leurs paroles d’après cette parabole plus que d’après la vérité, et ont représenté très souvent Dieu à l’instar de l’homme, parfois irrité, parfois miséricordieux, parfois désirant l’avenir, parfois jaloux et soupçonneux, et même trompé par le diable ; et ainsi les philosophes et tous ceux qui sont au-dessus de la loi, c’est-à-dire qui suivent la vertu, non selon la loi, mais par amour, parce qu’elle est ce qu’il y a de meilleur, ne doivent pas être offensés par des expressions de ce genre.<br /> <br /> L’interdiction à&lt;ref&gt;''verbot aan''&lt;/ref&gt; Adam consistait seulement en ceci : Dieu a révélé à Adam que manger du fruit de cet arbre causerait sa mort, tout comme il nous révèle par l’entendement naturel que le poison est mortel. Et si vous demandez à quelle fin il lui a révélé cela, voici ma réponse : pour que ce savoir le rende plus parfait. Donc demander pour quelle raison Dieu ne lui a pas donné une volonté plus parfaite est aussi absurde que demander pourquoi il n’a pas accordé au cercle toutes les propriétés de la sphère, conséquence évidente de ce qui a été dit plus haut, et que j’ai démontré dans le scolie de la proposition 15 de la première partie des Principes de la philosophie de Descartes démontrés géométriquement.<br /> <br /> En ce qui touche à la seconde difficulté, il est vrai que les impies&lt;ref&gt;''godeloose, impios''&lt;/ref&gt; expriment la volonté de Dieu à leur façon, mais pourtant on ne doit pas du tout les comparer aux bons&lt;ref&gt;''vroomen, probos''&lt;/ref&gt; : en effet, plus une chose a de perfection, d’autant plus également elle participe de la Divinité et plus elle exprime la perfection de Dieu. Donc comme les bons ont incomparablement plus de perfection que les méchants&lt;ref&gt;improbi&lt;/ref&gt;, leur vertu ne peut se comparer à la vertu des méchants, parce que les méchants manquent de l’amour divin qui s’écoule de la connaissance de Dieu et par quoi seul, pour notre entendement humain, nous sommes dits serviteurs de Dieu. Bien plus, parce qu’ils ne connaissent pas Dieu, ils ne sont dans la main de l’Artisan qu’un instrument qui sert sans le savoir et est détruit en servant ; les vertueux au contraire servent en le sachant et deviennent plus parfaits en servant.<br /> […]<br /> <br /> Votre affectionné ami et serviteur,<br /> <br /> B. de Spinoza.<br /> <br /> le 5 janvier 1665<br /> <br /> <br /> ----------<br /> {{Colonnes|taille=16|<br /> &lt;references /&gt;<br /> }}<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 18]] | [[Lettres]] | [[Lettre 20]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_18 Lettre 18 2017-01-20T13:46:29Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 18<br /> | 3= de Blyenbergh à Spinoza<br /> | 4=1664<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très célèbre&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;B. d. S.<br /> &lt;/div&gt;&lt;br /&gt;&lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Guillaume de Blyenbergh<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Monsieur, et ami inconnu,<br /> <br /> Je viens de lire attentivement, et plutôt deux fois qu’une, votre [[TTP|Traité]], ainsi que son [[PM|Appendice]], récemment publié. Il me conviendrait mieux que ce soit à d’autres plutôt qu’à vous que je dise la solidité que j’y ai trouvée et le plaisir que j’en ai retiré : je ne peux pourtant vous cacher que plus je le relis avec attention, plus il me plaît, et j’y remarque toujours quelque chose dont je ne m’étais pas aperçu auparavant. Cependant, pour ne pas paraître ''flatteur''* &lt;ref&gt;&lt;small&gt;Les termes et expressions en italiques suivis d'un astérisque sont en latin ou en français dans le texte néerlandais original.&lt;/small&gt;&lt;/ref&gt; dans cette lettre, je ne veux pas trop admirer l’''autheur''* : je sais que les dieux vendent tout au prix d’efforts. Mais pour ne pas vous retenir plus longtemps dans l’étonnement, je vais vous dire qui est cet inconnu et comment il se fait qu’il prenne la liberté de vous écrire : c’est quelqu’un qui, mû par un désir pur et sincère de vérité, dans cette vie brève et fragile, s’applique à s’établir dans la science, autant que notre intelligence le permet ; quelqu’un qui s’est fixé comme but, pour rechercher la vérité, rien d’autre que la vérité même ; quelqu’un qui, par la science, s’efforce de s’acquérir non les honneurs ou les richesses mais la vérité nue et l’apaisement &lt;ref&gt;&lt;small&gt;''gerustheyt'' (''tranquillitas'') : ce terme disparaît chez Appuhn qui traduit : « Il veut, par la science, parvenir non aux honneurs et aux richesses, mais à la possession seule de la vérité qui en est en quelque sorte l’effet. »&lt;/small&gt;&lt;/ref&gt; comme effet de la vérité ; qui prend plaisir, parmi toutes les vérités et les sciences, à aucune plus qu’aux métaphysiques, sinon à toutes, du moins à une partie d’entre elles ; et qui trouve toute la délectation de sa vie à y passer ses heures de loisir et ses moments perdus. Mais personne n’est aussi heureux et ne s’adonne autant à l’étude que, j’en suis convaincu, vous vous le faites, et donc personne n’est parvenu à la perfection où vous êtes déjà parvenu, je m’en rends compte à votre ouvrage. Pour le dire en un mot, c’est quelqu’un que vous pourrez connaître plus intimement s’il vous plaît de vous l’attacher à un point tel que vous découvriez et quasiment perciez ses pensées.<br /> <br /> Mais je reviens à votre traité. Si j’y ai trouvé beaucoup de choses qui flattaient le palais au plus haut point, certaines aussi s’offraient qui étaient difficiles à digérer, et il ne serait pas juste qu’un inconnu vous présente des objections, d’autant que j’ignore si elles seront bien reçues : voilà pourquoi je vous préviens, et vous demande s’il m’est possible – si les soirées d’hiver laissent du temps et si cela vous plaît de répondre aux difficultés que je trouve encore dans votre livre – de vous en transmettre quelques-unes ; à la condition expresse cependant que je ne vous empêche pas de vous consacrer à des choses plus utiles et plus agréables, parce que je ne désire rien plus intensément, selon la promesse faite dans votre livre, qu’une explication et une édition plus complètes. Je vous aurais bien témoigné ce que je vous confie en vous saluant en personne plutôt que par la plume et le papier ; mais ignorant où vous habitez, et une maladie contagieuse et ma fonction m’en ayant empêché, j’ai remis cela à un autre moment.<br /> <br /> Mais pour que cette lettre ne soit pas complètement vide et parce que en même temps je suis mené par l’espoir de ne pas être désagréable, je ne vais vous proposer qu’un seul point : un peu partout tant dans les Principes que dans les Pensées métaphysiques vous affirmez – soit que vous expliquiez un sentiment personnel, soit ''Monsieur Descartes''*, dont vous enseignez la philosophie – que créer et conserver sont une et même chose (ce qui est tellement clair pour ceux qui ont mis leurs pensées en ordre qu’il s’agit même d’une notion première), et que Dieu a créé non seulement les substances [''selfstandicheden''] mais aussi les mouvements ''[bewegingen]'' dans les substances, c’est-à-dire conserve non seulement les substances dans leur état par une création continue, mais aussi leur mouvement et leur tendance ''[pooginge, conatum]''. Dieu, par exemple, non seulement agit en sorte que l’âme, par la volonté et l’opération (il est égal comment vous l’appelez) immédiates de Dieu, existe plus longtemps et persévère dans son état, mais encore il est cause en ce qu’il se comporte de même façon envers le mouvement de l’âme, c’est-à-dire tout comme la création continue de Dieu agit en sorte que les choses durent plus longtemps, ainsi la tendance, ou mouvement, des choses, pour la même raison, a lieu dans les choses, puisque, hors Dieu, il n’y a aucune cause de mouvement. La conséquence en est donc que Dieu n’est pas seulement cause de la substance de l’âme mais encore de chaque tendance ou mouvement de l’âme que nous nommons « volonté », comme vous l’affirmez çà et là : cette assertion semble avoir pour conséquence ou qu’il n’est rien de mal dans le mouvement ou volonté de l’âme, ou que Dieu lui-même opère immédiatement ce mal. Car tout ce que nous appelons « mal » se fait à travers l’âme, et conséquemment découle immédiatement de Dieu et, de la même façon, avec son concours. Par exemple, l’âme d’Adam veut manger du fruit interdit, il se fait donc, selon ce qui a été dit plus haut, non seulement que cette volonté d’Adam découle de Dieu, mais encore, comme on va le montrer tout de suite, qu’il veut d’une façon telle que cet acte interdit d’Adam – en tant que Dieu mouvait non seulement sa volonté mais aussi en tant qu’il la mouvait d’une certaine façon – ou en soi n’est pas un mal, ou que Dieu lui-même, semble-t-il, a opéré cela que nous appelons « mal ».<br /> <br /> Ni vous ni ''Monsieur Descartes''* ne me semblez résoudre ce nœud en disant que le mal est un ''non ens''* [non-être] auquel Dieu ne concourt pas : d’où procédait en effet la volonté de manger ou la volonté des diables à l’orgueil ? Car puisque la volonté – comme vous nous le faites justement remarquer – n’est pas quelque chose de différent de l’âme elle-même, mais qu’elle est tel ou tel mouvement, ou tendance, de l’âme, pour tel ou tel mouvement elle aura besoin du concours ''[medewerkinge]'' de Dieu ; mais maintenant le concours de Dieu, tel que je le comprends à partir de vos écrits, n’est rien d’autre que déterminer une chose de telle ou telle façon par sa volonté ; conséquence : Dieu concourt également à la volonté mauvaise, en tant qu’elle est mauvaise, et à la bonne, en tant qu’elle est bonne, c’est-à-dire la détermine ''[determineert]''. Car la volonté de Dieu, qui est cause ''[oorsaeck]'' absolue de toutes les choses qui existent tant dans la substance que dans la tendance ''[conatu]'', est aussi, semble-t-il, cause première de la volonté mauvaise en tant que mauvaise. Ensuite, en nous aucune détermination de la volonté ne se fait que Dieu ne l’ait connue de toute éternité ''[eeuwicheit]'' ; autrement, s’il ne la connaissait pas, nous établirions de l’imperfection ''[onvolmaecktheit]'' en Dieu ; mais comment Dieu l’a-t-il connue sinon à partir de ses décisions ? ''Ergo''* ses décisions sont cause de nos déterminations, et ainsi la conséquence semble être que la volonté mauvaise ou n’est pas quelque chose de mal, ou que Dieu est cause immédiate de ce mal et l’opère. Et ici la distinction des théologiens sur la différence entre l’acte et le mal adhérent à l’acte ne peut avoir place, car Dieu a décidé et l’acte et le mode de l’acte, c’est-à-dire Dieu non seulement a décidé qu’Adam mangerait, mais encore que nécessairement il mangerait contre l’ordre prescrit. D’où encore une fois la conséquence, semble-t-il : ou l’acte d’Adam de manger contre la prescription n’était pas un mal, ou Dieu a opéré ce même mal.<br /> <br /> Voilà, cher Maître ''[waerde Herr, vir clarissime]'', ce que pour le moment je ne peux percevoir dans votre Traité : car les deux extrêmes de l’alternative sont durs à établir ''[statuere]''. Mais, de votre jugement perspicace et de votre travail, je m’attends à une réponse qui me satisfera, et j’espère dans mes lettres suivantes vous montrer combien je vous serai redevable. Soyez persuadé, cher Maître, que ces mots n’ont d’autre cause que la recherche studieuse de la vérité : je suis libre, astreint à aucune profession, je vis d’un honnête commerce, et le temps qu’il me reste je le consacre à tout cela. Je vous prie humblement de ne pas mal accueillir mes difficultés ; si vous avez l’intention d’y répondre, chose que je désire ardemment, écrivez à […] que je suis et demeure,&lt;br /&gt;<br /> Monsieur,<br /> <br /> Votre très dévoué serviteur&lt;br /&gt;<br /> G. d. B.&lt;br /&gt;<br /> <br /> <br /> Dordrecht, le 12 décembre 1664<br /> <br /> ----------<br /> &lt;references /&gt;<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 17]] | [[Lettres]] | [[Lettre 19]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_18 Lettre 18 2017-01-19T23:35:47Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 18 | 3= de Blyenbergh à Spinoza | 4=1664 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 18<br /> | 3= de Blyenbergh à Spinoza<br /> | 4=1664<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très célèbre&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;B. d. S.<br /> &lt;/div&gt;&lt;br /&gt;&lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Guillaume de Blyenbergh<br /> &lt;/div&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> Monsieur, et ami inconnu,&lt;br /&gt;<br /> <br /> Je viens de lire attentivement, et plutôt deux fois qu’une, votre [[TTP|Traité]], ainsi que son [[PM|Appendice]], récemment publié. Il me conviendrait mieux que ce soit à d’autres plutôt qu’à vous que je dise la solidité que j’y ai trouvée et le plaisir que j’en ai retiré : je ne peux pourtant vous cacher que plus je le relis avec attention, plus il me plaît, et j’y remarque toujours quelque chose dont je ne m’étais pas aperçu auparavant. Cependant, pour ne pas paraître ''flatteur''* &lt;ref&gt;&lt;small&gt;Les termes et expressions en italiques suivis d'un astérisque sont en latin ou en français dans le texte néerlandais original.&lt;/small&gt;&lt;/ref&gt; dans cette lettre, je ne veux pas trop admirer l’''autheur''* : je sais que les dieux vendent tout au prix d’efforts. Mais pour ne pas vous retenir plus longtemps dans l’étonnement, je vais vous dire qui est cet inconnu et comment il se fait qu’il prenne la liberté de vous écrire : c’est quelqu’un qui, mû par un désir pur et sincère de vérité, dans cette vie brève et fragile, s’applique à s’établir dans la science, autant que notre intelligence le permet ; quelqu’un qui s’est fixé comme but, pour rechercher la vérité, rien d’autre que la vérité même ; quelqu’un qui, par la science, s’efforce de s’acquérir non les honneurs ou les richesses mais la vérité nue et l’apaisement &lt;ref&gt;&lt;small&gt;''gerustheyt'' (''tranquillitas'') : ce terme disparaît chez Appuhn qui traduit : « Il veut, par la science, parvenir non aux honneurs et aux richesses, mais à la possession seule de la vérité qui en est en quelque sorte l’effet. »&lt;/small&gt;&lt;/ref&gt; comme effet de la vérité ; qui prend plaisir, parmi toutes les vérités et les sciences, à aucune plus qu’aux métaphysiques, sinon à toutes, du moins à une partie d’entre elles ; et qui trouve toute la délectation de sa vie à y passer ses heures de loisir et ses moments perdus. Mais personne n’est aussi heureux et ne s’adonne autant à l’étude que, j’en suis convaincu, vous vous le faites, et donc personne n’est parvenu à la perfection où vous êtes déjà parvenu, je m’en rends compte à votre ouvrage. Pour le dire en un mot, c’est quelqu’un que vous pourrez connaître plus intimement s’il vous plaît de vous l’attacher à un point tel que vous découvriez et quasiment perciez ses pensées.<br /> <br /> Mais je reviens à votre traité. Si j’y ai trouvé beaucoup de choses qui flattaient le palais au plus haut point, certaines aussi s’offraient qui étaient difficiles à digérer, et il ne serait pas juste qu’un inconnu vous présente des objections, d’autant que j’ignore si elles seront bien reçues : voilà pourquoi je vous préviens, et vous demande s’il m’est possible – si les soirées d’hiver laissent du temps et si cela vous plaît de répondre aux difficultés que je trouve encore dans votre livre – de vous en transmettre quelques-unes ; à la condition expresse cependant que je ne vous empêche pas de vous consacrer à des choses plus utiles et plus agréables, parce que je ne désire rien plus intensément, selon la promesse faite dans votre livre, qu’une explication et une édition plus complètes. Je vous aurais bien témoigné ce que je vous confie en vous saluant en personne plutôt que par la plume et le papier ; mais ignorant où vous habitez, et une maladie contagieuse et ma fonction m’en ayant empêché, j’ai remis cela à un autre moment.<br /> <br /> Mais pour que cette lettre ne soit pas complètement vide et parce que en même temps je suis mené par l’espoir de ne pas être désagréable, je ne vais vous proposer qu’un seul point : un peu partout tant dans les Principes que dans les Pensées métaphysiques vous affirmez – soit que vous expliquiez un sentiment personnel, soit ''Monsieur Descartes''*, dont vous enseignez la philosophie – que créer et conserver sont une et même chose (ce qui est tellement clair pour ceux qui ont mis leurs pensées en ordre qu’il s’agit même d’une notion première), et que Dieu a créé non seulement les substances [''selfstandicheden''] mais aussi les mouvements ''[bewegingen]'' dans les substances, c’est-à-dire conserve non seulement les substances dans leur état par une création continue, mais aussi leur mouvement et leur tendance ''[pooginge, conatum]''. Dieu, par exemple, non seulement agit en sorte que l’âme, par la volonté et l’opération (il est égal comment vous l’appelez) immédiates de Dieu, existe plus longtemps et persévère dans son état, mais encore il est cause en ce qu’il se comporte de même façon envers le mouvement de l’âme, c’est-à-dire tout comme la création continue de Dieu agit en sorte que les choses durent plus longtemps, ainsi la tendance, ou mouvement, des choses, pour la même raison, a lieu dans les choses, puisque, hors Dieu, il n’y a aucune cause de mouvement. La conséquence en est donc que Dieu n’est pas seulement cause de la substance de l’âme mais encore de chaque tendance ou mouvement de l’âme que nous nommons « volonté », comme vous l’affirmez çà et là : cette assertion semble avoir pour conséquence ou qu’il n’est rien de mal dans le mouvement ou volonté de l’âme, ou que Dieu lui-même opère immédiatement ce mal. Car tout ce que nous appelons « mal » se fait à travers l’âme, et conséquemment découle immédiatement de Dieu et, de la même façon, avec son concours. Par exemple, l’âme d’Adam veut manger du fruit interdit, il se fait donc, selon ce qui a été dit plus haut, non seulement que cette volonté d’Adam découle de Dieu, mais encore, comme on va le montrer tout de suite, qu’il veut d’une façon telle que cet acte interdit d’Adam – en tant que Dieu mouvait non seulement sa volonté mais aussi en tant qu’il la mouvait d’une certaine façon – ou en soi n’est pas un mal, ou que Dieu lui-même, semble-t-il, a opéré cela que nous appelons « mal ».<br /> <br /> Ni vous ni ''Monsieur Descartes''* ne me semblez résoudre ce nœud en disant que le mal est un ''non ens''* [non-être] auquel Dieu ne concourt pas : d’où procédait en effet la volonté de manger ou la volonté des diables à l’orgueil ? Car puisque la volonté – comme vous nous le faites justement remarquer – n’est pas quelque chose de différent de l’âme elle-même, mais qu’elle est tel ou tel mouvement, ou tendance, de l’âme, pour tel ou tel mouvement elle aura besoin du concours ''[medewerkinge]'' de Dieu ; mais maintenant le concours de Dieu, tel que je le comprends à partir de vos écrits, n’est rien d’autre que déterminer une chose de telle ou telle façon par sa volonté ; conséquence : Dieu concourt également à la volonté mauvaise, en tant qu’elle est mauvaise, et à la bonne, en tant qu’elle est bonne, c’est-à-dire la détermine ''[determineert]''. Car la volonté de Dieu, qui est cause ''[oorsaeck]'' absolue de toutes les choses qui existent tant dans la substance que dans la tendance ''[conatu]'', est aussi, semble-t-il, cause première de la volonté mauvaise en tant que mauvaise. Ensuite, en nous aucune détermination de la volonté ne se fait que Dieu ne l’ait connue de toute éternité ''[eeuwicheit]'' ; autrement, s’il ne la connaissait pas, nous établirions de l’imperfection ''[onvolmaecktheit]'' en Dieu ; mais comment Dieu l’a-t-il connue sinon à partir de ses décisions ? ''Ergo''* ses décisions sont cause de nos déterminations, et ainsi la conséquence semble être que la volonté mauvaise ou n’est pas quelque chose de mal, ou que Dieu est cause immédiate de ce mal et l’opère. Et ici la distinction des théologiens sur la différence entre l’acte et le mal adhérent à l’acte ne peut avoir place, car Dieu a décidé et l’acte et le mode de l’acte, c’est-à-dire Dieu non seulement a décidé qu’Adam mangerait, mais encore que nécessairement il mangerait contre l’ordre prescrit. D’où encore une fois la conséquence, semble-t-il : ou l’acte d’Adam de manger contre la prescription n’était pas un mal, ou Dieu a opéré ce même mal.<br /> <br /> Voilà, cher Maître ''[waerde Herr, vir clarissime]'', ce que pour le moment je ne peux percevoir dans votre Traité : car les deux extrêmes de l’alternative sont durs à établir ''[statuere]''. Mais, de votre jugement perspicace et de votre travail, je m’attends à une réponse qui me satisfera, et j’espère dans mes lettres suivantes vous montrer combien je vous serai redevable. Soyez persuadé, cher Maître, que ces mots n’ont d’autre cause que la recherche studieuse de la vérité : je suis libre, astreint à aucune profession, je vis d’un honnête commerce, et le temps qu’il me reste je le consacre à tout cela. Je vous prie humblement de ne pas mal accueillir mes difficultés ; si vous avez l’intention d’y répondre, chose que je désire ardemment, écrivez à […] que je suis et demeure,&lt;br /&gt;<br /> Monsieur,<br /> <br /> Votre très dévoué serviteur&lt;br /&gt;<br /> G. d. B.&lt;br /&gt;<br /> <br /> <br /> Dordrecht, le 12 décembre 1664<br /> <br /> ----------<br /> &lt;references /&gt;<br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 17]] | [[Lettres]] | [[Lettre 19]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_17 Lettre 17 2017-01-18T19:02:43Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 17 | 3= de Oldenburg à Spinoza | 4=1664 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 17<br /> | 3= de Oldenburg à Spinoza<br /> | 4=1664<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> Au très savant et très avisé Pierre Balling,<br /> <br /> B. De Spinoza.<br /> <br /> Cher ami, votre dernière lettre, écrite sauf erreur le 26 du mois dernier, m’est parvenue régulièrement. Elle me remplit de tristesse et d’inquiétude. Je trouve bien quelque allègement à considérer la sagesse et la force d’âme qui vous font mépriser les attaques de la fortune ou plutôt de l’opinion, alors qu’elles sont le plus pressantes. Mon inquiétude cependant ne laisse pas de croître de jour en jour et, pour cette raison, je vous prie et vous adjure par notre amitié de ne pas vous lasser de m’écrire abondamment.<br /> <br /> Pour ce qui est des présages dont vous faites mention, à savoir qu’en un temps où votre enfant était encore en parfaite santé, vous avez entendu des gémissements, pareils à ceux qu’il a poussés quand il fut malade, et qui furent bientôt suivis de son décès, je suis porté à croire que ce ne furent pas de vrais gémissements mais seulement quelque chose que vous avez imaginé. Vous dites, en effet, que vous étant levé et ayant prêté l’oreille pour les entendre, vous ne les entendiez plus aussi nettement que vous le faisiez auparavant et que vous le fîtes plus tard vous étant rendormi. Cela montre que ces gémissements n’étaient rien qu’imagination : votre imagination affranchie, se donnant carrière, a pu se représenter des gémissements bien définis de façon plus effective et plus vive qu’au moment où vous étiez debout et dirigiez votre ouïe vers un lieu bien déterminé.<br /> <br /> Je puis confirmer et en même temps expliquer ce que je vous dis là par ce qui m’est arrivé à moi-même, l’hiver dernier, à Rijnsburg. Un matin, alors que le ciel déjà s’éclairait, m’éveillant à la suite d’un rêve très pénible, les images qui s’étaient présentées à moi dans le rêve, se sont offertes à mes yeux avec autant de vivacité que si c’eussent été des objets réels, en particulier celle d’un certain Brésilien noir et crasseux que je n’avais jamais vu auparavant. Cette image disparaissait en très grande partie quand, pour me soulager, je fixais mon regard sur un livre ou quelque autre objet, mais sitôt que j’en détournais les yeux et que je cessais de regarder attentivement quoi que ce fût, la même image du même nègre reparaissait avec la même vivacité à diverses reprises jusqu’à ce que, peu à peu, elle disparût du champ visuel.<br /> <br /> Je considère comme étant certainement de même nature ce qui s’est présenté comme une vision à mon sens interne et ce qui s’est offert à votre sens auditif. Mais la cause étant très différente dans les deux cas, ce qui vous est arrivé à vous fut un présage, tandis qu’il n’en a pas été ainsi pour moi ; cela se comprend bien par la raison que je vais dire. Les effets de l’imagination naissent de la constitution soit du corps, soit de l’âme. Pour éviter toute prolixité, je me contenterai ici de le prouver par la seule expérience. Nous savons par expérience que les fièvres et les autres maladies du corps sont des causes de délire, que ceux qui ont un sang épais n’imaginent que des rixes, des sévices, des meurtres et autres choses semblables. Nous voyons aussi que l’imagination peut être sous la dépendance de la seule constitution de l’âme, quand, ainsi que nous en faisons souvent l’expérience, elle suit en tout les traces de l’entendement, enchaîne et ordonne ses images, comme l’entendement ses démonstrations ; de sorte que nous ne pouvons presque rien connaître par l’entendement dont l’imagination ne forme à sa suite une image.<br /> <br /> Cela étant, les effets de l’imagination qui proviennent de causes corporelles ne pourront jamais être des ''présages'' de choses futures parce que leurs causes n’enveloppent aucune chose à venir. En revanche les effets de l’imagination ou images qui tirent leur origine de la constitution de l’âme peuvent être des ''présages'' de quelque chose future, parce que l’âme peut toujours pressentir confusément ce qui sera. Elle peut donc l’imaginer aussi nettement et vivement que si un objet de même sorte était présent. Un père, dirai-je (pour prendre un exemple tel que vous-même), aime son fils de telle façon que lui-même et le fils qu’il chérit font un seul et même être. Et comme il doit y avoir nécessairement dans la pensée (ainsi que je l’ai démontré ailleurs) une idée de l’essence des affections propres au fils et de leurs conséquences, que d’autre part, en raison de son union avec son fils, le père est une partie du fils, il est nécessaire aussi que l’âme du père participe de l’essence idéale du fils, de ses affections et de leurs conséquences ; cela aussi je l’ai plus complètement démontré ailleurs. Puisque maintenant l’âme du père participe idéalement de tout ce qui découle de l’essence du fils, le père peut, ainsi que je l’ai dit, imaginer parfois quelqu’une des choses qui en découlent aussi vivement que si elle se présentait à lui, pourvu que les conditions suivantes soient remplies : &lt;br /&gt;<br /> 1° Il faut que l’événement qui se produira au cours de la vie du fils soit notable ; &lt;br /&gt;<br /> 2° qu’il soit tel qu’on puisse l’imaginer facilement ; &lt;br /&gt;<br /> 3° que le moment où cet événement se produira ne soit pas trop éloigné ; &lt;br /&gt;<br /> 4° enfin que le corps soit bien constitué. Il ne s’agit pas de la santé, mais il doit être libre, affranchi de tout souci, de toute affaire pouvant du dehors troubler les sens. &lt;br /&gt;<br /> Il peut être utile aussi que les objets auxquels nous pensons aient évoqué fréquemment des images semblables à celles qui auront une certaine signification. Par exemple, si pendant que nous parlons avec tel ou tel homme, il arrive que nous entendions plusieurs fois des gémissements, en cas que nous pensions à cet homme, ces gémissements qui frappaient nos oreilles quand nous parlions avec lui, nous reviennent à la mémoire.<br /> <br /> Telle est, cher ami, mon opinion sur la question que vous posez. J’ai été très bref, je le reconnais, mais j’ai fait en sorte que vous eussiez un sujet de m’écrire à la première occasion.<br /> <br /> ''Voorburg, le 20 juillet 1664.''<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 16]] | [[Lettres]] | [[Lettre 18]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_16 Lettre 16 2017-01-18T00:21:55Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 16 | 3= de Oldenburg à Spinoza | 4=1663 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 16<br /> | 3= de Oldenburg à Spinoza<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> À Monsieur B. de Spinoza<br /> <br /> Henri Oldenburg.<br /> <br /> ''Monsieur et très respectable ami,''<br /> <br /> A peine trois ou quatre jours sont passés depuis que j’ai donné [[lettre 14|une lettre au messager ordinaire]]. J’y faisais mention d’un petit livre écrit par M. Boyle et que je jugeais devoir vous envoyer. Je n’avais pas, à ce moment, l’espoir de trouver si tôt un ami qui pût l’emporter. Il s’en est depuis présenté un plus vite que je ne l’aurais cru. Recevez donc ce livre que je n’ai pu envoyer en même temps que ma lettre et auquel je joins le salut de M. Boyle actuellement de retour. Il vous prie de consulter la préface qu’il a faite pour ses expériences sur le salpêtre, vous connaîtrez par elle le vrai but qu’il s’était proposé dans son ouvrage : il s’agissait de montrer que l’on peut illustrer par des expériences nettes les propositions tenues pour vraies par la philosophie récente, plus solide que l’ancienne, et que l’on peut les exposer le mieux du monde sans les formes de l’École, les qualités et les absurdités de cette sorte. En revanche, il n’a jamais entrepris de faire connaître la nature du salpêtre ou de désapprouver ce qui a pu être dit par qui que ce soit sur l’homogénéité de la matière et les différences qui peuvent naître dans les corps du seul mouvement, de la figure, etc. Il a seulement voulu montrer, dit-il, que les diversités de structure des corps entraînent entre eux diverses différences et que des effets extrêmement divers en sont la conséquence, d’où suit que, jusqu’au moment où l’on sera parvenu à une matière première, les philosophes et d’autres encore peuvent admettre une certaine hétérogénéité. Et je ne crois pas qu’il y ait au fond désaccord entre M. Boyle et vous. Pour ce que vous dites que toute chaux dont les ouvertures sont trop étroites pour contenir les particules du nitre et dont les parois sont peu résistantes, est capable d’arrêter le mouvement des particules du nitre lui-même, Boyle répond que si l’on combine l’esprit de nitre avec d’autres chaux, le corps ainsi obtenu ne sera cependant pas de véritable salpêtre.<br /> <br /> Quant au raisonnement dont vous faites usage pour renverser l’hypothèse du vide, Boyle dit qu’il le connaît et l’a prévu, mais il ne se repose pas sur ce raisonnement ; il affirme qu’il y reviendra ailleurs.<br /> <br /> Il demande que je vous prie de lui donner, si vous le pouvez, un exemple de deux corps odorants qui, réunis en un seul, forment un corps tout à fait inodore (le salpêtre). Telles sont, dit-il, les parties du salpêtre : l’esprit répand une odeur très âcre, le sel fixe n’est pas dépourvu d’odeur.<br /> <br /> Il vous prie en outre de considérer avec soin si vous avez justement comparé la glace et l’eau avec le salpêtre et son esprit ; toute la glace, en effet, se résout en eau et la glace, qui n’a pas d’odeur, demeure inodore quand elle est fondue ; au contraire, on trouve des différences de qualité entre l’esprit de nitre et son sel fixe, comme le montre abondamment le traité imprimé.<br /> <br /> Ce sont là, avec d’autres semblables, les observations que j’ai recueillies en causant avec notre illustre auteur ; à cause de la faiblesse de ma mémoire, je suis certain en les reproduisant d’en diminuer la force plutôt que de l’augmenter. Puisque vous êtes d’accord sur le principal, je ne voudrais pas insister sur les divergences. Je préférerais travailler à conjoindre vos esprits pour cultiver à l’envi une philosophie véritable et solidement fondée. Qu’il me soit permis de vous inviter à continuer d’établir fortement les principes des choses, comme il convient à l’acuité de votre esprit mathématique, tandis que j’engage mon noble ami Boyle, à confirmer et à illustrer sans retard cette même philosophie par des expériences et des observations répétées et faites avec soin. Vous voyez, très cher ami, quel est mon dessein, quelle est mon ambition. Je sais que nos philosophes dans ce royaume s’acquittent toujours de leurs fonctions d’expérimentateurs, et je ne suis pas moins persuadé que vous remplirez avec zèle la tâche qui vous est propre, quelles que puissent être les plaintes et les accusations des philosophes ou des théologiens. Vous ayant déjà, dans plusieurs lettres précédentes, exhorté à le faire, je n’insiste pas présentement pour ne pas vous importuner. je vous demande seulement de bien vouloir m’envoyer par M. Serrarius, le plus tôt possible, tout ce que vous avez déjà fait imprimer, qu’il s’agisse du commentaire de Descartes ou de ce que vous avez tiré du trésor de votre propre entendement. Vous m’obligerez ainsi et connaîtrez, à la première occasion, que je suis votre tout dévoué<br /> <br /> <br /> HENRI OLDENBURG.<br /> <br /> <br /> ''Londres, le 4 août 1663.''<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;''Suite de l'échange : [[lettre 25]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 15]] | [[Lettres]] | [[Lettre 17]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Fils_d%27information Fils d'information 2017-01-17T08:17:41Z <p>Henrique : /* Spinoza.fr */</p> <hr /> <div>Cette page présente les dernières publications présentes sur des sites intéressants pour la pensée de Spinoza.<br /> <br /> ===Google actualités ===<br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=7 text&gt;http://news.google.fr/news?hl=fr&amp;gl=fr&amp;q=spinoza&amp;gs_upl=106500l107597l0l108022l7l7l0l0l0l0l353l1384l1.3.2.1l7l0&amp;um=1&amp;ie=UTF-8&amp;output=rss&lt;/rss&gt;<br /> ===Vivre Spinoza===<br /> '''Articles récents'''<br /> &lt;rss dsc=off title=off number=10&gt;https://vivrespinoza.wordpress.com/feed/&lt;/rss&gt;<br /> <br /> '''Commentaires récents'''<br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;https://vivrespinoza.wordpress.com/comments/feed/&lt;/rss&gt;<br /> <br /> === La philosophie au sens large ===<br /> <br /> '''Articles récents'''<br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://philolarge.hypotheses.org/feed&lt;/rss&gt;<br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://philolarge.hypotheses.org/comments/feed&lt;/rss&gt;<br /> <br /> ===HyperSpinoza===<br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://hyperspinoza.caute.lautre.net/spip.php?page=backend&lt;/rss&gt;<br /> <br /> === Revue Multitudes ===<br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=10 text&gt;http://multitudes.net/feed/&lt;/rss&gt;<br /> <br /> <br /> ===Amis de Spinoza===<br /> &lt;rss desc=off title=off number=10 text&gt;http://www.spinozaeopera.net/rss&lt;/rss&gt;<br /> <br /> <br /> === Spinoza.fr ===<br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://www.spinozaetnous.org/forum/feed.php?mode=topics&lt;/rss&gt;<br /> <br /> <br /> '''Articles récents'''<br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://spinoza.fr/feed.php&lt;/rss&gt;<br /> <br /> '''Commentaires récents'''<br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://spinoza.fr/comments/feed/&lt;/rss&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;rss desc=off title=off number=10&gt;http://cogitations.free.fr/?feed=rss2&lt;/rss&gt;<br /> <br /> <br /> [[Catégorie:Ressources]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_15 Lettre 15 2017-01-16T19:55:44Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 15 | 3= de Spinoza à Meyer | 4=1663 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; À M... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 15<br /> | 3= de Spinoza à Meyer<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> À Monsieur Louis Meyer,<br /> <br /> B. De Spinoza envoie ses salutations.<br /> <br /> ''Mon excellent ami,''<br /> <br /> Voici la préface que vous m’avez fait tenir par notre ami de Vries, je vous la renvoie par le même intermédiaire.<br /> <br /> J’ai mis en marge quelques notes, mais il y a encore quelques observations qu’il m’a paru préférable de vous communiquer par lettre :<br /> <br /> 1° A la page 4 vous faites connaître au lecteur à quelle occasion j’ai composé la première partie ; je voudrais qu’en ce même endroit ou ailleurs, comme il vous plaira, vous l’avertissiez en outre que ce travail a été fait en deux semaines. Ainsi prévenu, nul ne pensera que mon exposé soit donné comme si clair qu’on ne puisse en éclaircir davantage le contenu, et de la sorte on ne se laissera pas arrêter par un ou deux mots qui pourraient paraître obscurs.<br /> <br /> 2° Je voudrais que vous fissiez observer que beaucoup de propositions sont démontrées par moi autrement qu’elles ne le sont par Descartes, non que j’aie voulu corriger Descartes, mais seulement pour mieux conserver l’ordre que j’ai adopté et ne pas augmenter en conséquence le nombre des axiomes. Pour la même raison, j’ai dû démontrer beaucoup de propositions simplement énoncées sans démonstration par Descartes et ajouter des choses omises par lui. Enfin je vous prie très instamment, mon très cher ami, de renoncer à ce que vous avez écrit à la fin contre ce pauvre individu et de l’effacer en conséquence. Bien que d’ailleurs j’aie plusieurs raisons de vous le demander, je me contenterai de vous en donner une seule : je voudrais que l’on se persuadât partout sans difficulté que je publie cet écrit dans l’intérêt de tous, et que vous-même en l’éditant êtes mû par le seul désir de répandre la vérité, qu’en conséquence vous avez de votre mieux fait en sorte de rendre ce petit ouvrage agréable à tous, d’inviter les hommes, avec bienveillance et douceur, à l’étude de la philosophie et n’avez eu d’autre but que l’intérêt commun. On le croira sans peine quand on verra qu’il n’y a d’attaque dirigée contre personne ni rien qui puisse être jugé offensant le moins du monde pour qui que ce soit. Que si cependant cet individu, ou bien un autre, voulait plus tard montrer sa malveillance, alors vous pourrez dépeindre sa vie et ses oeuvres et l’on vous approuvera. Je vous demande donc de bien vouloir attendre jusque-là, et en même temps que de vous rendre à mon désir, de me croire de tout cœur votre<br /> <br /> B. De Spinoza.<br /> <br /> ''Voorburg, le 3 août 1663.''<br /> <br /> Notre ami de Vries avait promis d’emporter cette lettre, mais, ne sachant quand il retournera auprès de vous, je vous l’envoie par un autre. Je vous envoie en même temps une partie du scolie de la proposition 27, partie II, dont la place est au commencement de la page 15, pour que vous la remettiez à l’imprimeur et qu’elle soit imprimée. Les mots que je joins doivent de toute nécessité être imprimés et ajoutés à la règle 14 ou 15, insertion qui ne présente pas de difficulté.<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 14]] | [[Lettres]] | [[Lettre 16]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/MediaWiki:Sidebar MediaWiki:Sidebar 2017-01-15T15:23:51Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>** mainpage|mainpage<br /> * Découvrir<br /> ** Portail:Premiers pas|Premiers pas<br /> ** FAQ sur la philosophie de Spinoza|FAQ<br /> ** Portail:Biographie|Biographie<br /> ** Portail:Concepts du spinozisme|Concepts du spinozisme<br /> ** Portail:Extraits|Extraits<br /> ** Portail:Autres auteurs|Autres auteurs<br /> ** Portail:Espace pédagogique|Espace pédagogique<br /> ** Portail:Articles|Articles<br /> ** Special:Newpages|Dernières pages<br /> ** randompage-url|randompage<br /> <br /> * Œuvres<br /> ** Traité de la réforme de l'entendement|TRE<br /> ** Éthique démontrée suivant l'ordre géométrique|Éthique<br /> ** Principes de la philosophie de Descartes|PPD<br /> ** Pensées métaphysiques|PM<br /> ** Court traité sur Dieu, l'homme et la béatitude|Court traité<br /> ** Traité théologico-politique|TTP<br /> ** Traité politique|TP<br /> ** Lettres|Lettres<br /> **:Catégorie:Œuvres|Autres œuvres<br /> <br /> * Échanger<br /> ** portal-url|Partager des informations<br /> ** http://www.spinozaetnous.org/forum/|Forum<br /> ** recentchanges-url|recentchanges<br /> ** Aide:Accueil|Aide technique<br /> ** Spinoza et Nous:Actualités techniques|Actualités techniques<br /> ** Spécial:Pages demandées|Pages à créer<br /> ** Spinoza et Nous:Plan|Plan<br /> ** Spécial:Toutes les pages|Toutes les pages<br /> ** http://www.spinozaetnous.org/index.php|Ancien site<br /> ** Spécial:Contact|Contact<br /> <br /> * Ressources<br /> ** Portail:Médiathèque|Médiathèque<br /> ** Bibliographie générale|Bibliographie<br /> ** Liens externes|Liens externes<br /> ** Fils d'information|Fils d'information<br /> ** Téléchargements|Téléchargements</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_14 Lettre 14 2017-01-15T15:09:17Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 14 | 3= de Oldenburg à Spinoza | 4=1663 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 14<br /> | 3= de Oldenburg à Spinoza<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> À Monsieur B. de Spinoza<br /> <br /> Henri Oldenburg.<br /> <br /> ''Monsieur et très excellent ami,''<br /> <br /> C’est à mes yeux un véritable bonheur que la reprise de notre commerce épistolaire. Sachez donc que j’ai reçu avec une grande joie [[Lettre 13|votre lettre du 17/27 juillet]] et cela à double titre, parce qu’elle m’attestait votre santé et parce qu’elle m’assurait de la constance de votre amitié envers moi. Pour comble vous m’y annonciez l’envoi à l’impression de la première partie et de la deuxième des Principes de Descartes, démontrés suivant la méthode des géomètres, et vous m’en offrez libéralement un exemplaire ou deux. J’accepte le don d’une âme charmée, et je vous prie de vouloir bien remettre ce Traité encore sous presse à M. Pierre Serrarius qui habite Amsterdam. Je lui ai demandé, en effet, de recevoir le livre et de me l’expédier par un ami devant passer la mer.<br /> <br /> Permettez-moi de vous exprimer en outre mon regret de ce que vous renonciez à la publication d’écrits que vous reconnaissez comme vôtres, surtout dans un État où l’on est si libre de penser comme on veut et de dire sa pensée. je voudrais vous voir affranchi de semblables inquiétudes, étant donné surtout que vous pouvez taire votre nom et vous mettre ainsi à l’abri de tout risque.<br /> <br /> M. Boyle est en voyage en ce moment ; dès son retour, je lui communiquerai cette partie de votre très savante lettre qui le concerne et je vous transmettrai son opinion sur vos idées sitôt que j’en serai instruit. Vous avez déjà vu, je pense, son « Chimiste sceptique » qui, publié il y a déjà longtemps en latin, a été répandu à l’étranger. Il contient beaucoup de thèses se rapportant à la chimie et à la physique et soumet à un examen sévère les principes hypostatiques, ainsi qu’on les appelle, des Spagyriques.<br /> <br /> Il a publié naguère un autre petit livre qui, peut-être, n’est pas encore parvenu à vos librairies et que pour cette raison je vous envoie en vous priant de faire bon accueil à ce présent. Ce livre contient la défense de la force élastique de l’air, contre un certain François Linus qui veut expliquer les phénomènes décrits dans les ''Essais physico-mécaniques'' de M. Boyle, par un lien contraire à l’entendement et à toutes les données des sens. Lisez et examinez ce petit livre ; après, vous me direz ce que vous en pensez.<br /> <br /> Notre Société royale poursuit son dessein avec zèle dans la mesure de ses forces ; elle se renferme dans les bornes de l’expérience et de l’observation, interdit tout ce qui peut être cause de discussion.<br /> <br /> [[Fichier:Lettre 14.jpg|left]]Une expérience remarquable a été faite naguère qui cause beaucoup de tourment aux partisans du vide, et en revanche donne beaucoup de satisfaction aux partisans du plein. Voici en quoi elle consiste. Un flacon de verre A entièrement rempli d’eau est renversé dans un vase de verre B contenant également de l’eau. Le tout est placé sous la cloche de la nouvelle machine pneumatique de M. Boyle, et l’on y fait le vide.<br /> <br /> On voit bientôt des bulles d’air monter en quantité dans le flacon et en chasser l’eau qui descend dans le vase B. Les deux vaisseaux sont laissés en cet état pendant un jour ou deux, en donnant fréquemment des coups de pompe pour retirer l’air qui se trouverait sous la cloche. On les enlève ensuite de la cloche et le flacon A rempli de cette eau privée d’air est de nouveau renversé dans le vase B, après quoi on place la cloche sur le tout et l’on fait à nouveau le vide en pompant. On aperçoit une bulle montant par le col du ballon A, et parvenant jusqu’en haut, puis, quand on donne une série de coups de pompe, cette bulle s’élargit et de nouveau refoule toute l’eau du flacon. On recommence alors, on enlève la cloche, on remplit jusqu’au bord le flacon d’eau privée d’air, on le renverse comme précédemment, puis on replace la cloche. Quand alors on aura fait le vide sous la cloche l’eau demeurera comme suspendue dans le flacon et n’en descendra pas. Dans cette expérience la cause qui, suivant Boyle, fait que l’eau reste en suspension dans l’expérience de Torricelli (à savoir la pression de l’air sur l’eau contenue dans le vase B) paraît entièrement supprimée, et cependant l’eau ne descend pas dans ce flacon.<br /> <br /> Je ne puis clore ma lettre sans insister à nouveau pour la publication de vos recherches, et je ne cesserai pas de vous y exhorter avant d’avoir obtenu satisfaction. En attendant, si vous voulez bien me communiquer les principales d’entre ces méditations, quelle ne serait pas ma gratitude et combien je vous en aurai d’obligation ! Puisse votre santé se maintenir florissante et puissiez-vous continuer à m’aimer.<br /> <br /> Votre ami tout dévoué,<br /> <br /> HENRI OLDENBURG.<br /> <br /> ''Londres, le 31 juillet (10 août, nouveau style).''<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 13]] | [[Lettres]] | [[Lettre 15]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_13 Lettre 13 2017-01-14T17:56:33Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettre 13 | 3= de Spinoza à Oldenburg | 4=1663 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettre 13<br /> | 3= de Spinoza à Oldenburg<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> À Monsieur Henri Oldenburg<br /> <br /> B. De Spinoza.<br /> <br /> Réponse à la [[lettre 11]]<br /> <br /> ''Monsieur,''<br /> <br /> J’ai reçu votre lettre longtemps attendue et suis ainsi en situation d’y répondre. Auparavant toutefois je dois vous expliquer, en peu de mots, ce qui m’a empêché de vous écrire plus tôt. Après avoir, au mois d’avril, transporté ici ma demeure, je suis parti pour Amsterdam. A mon arrivée, quelques-uns de mes amis me demandèrent une copie d’un certain Traité contenant l’exposition, suivant la méthode géométrique, de la deuxième partie des Principes de Descartes et un résumé des plus importantes questions de métaphysique, Traité dicté par moi, il y a quelque temps, à un jeune homme à qui je ne voulais pas communiquer librement ma propre manière de voir. Ils me prièrent en outre d’exposer le plus tôt possible, de la même façon, la première partie des Principes. Comme il m’était difficile de répondre à mes amis par un refus, je me suis mis au travail et, en deux semaines, j’ai terminé cette première partie et l’ai remise à mes amis qui alors me demandèrent l’autorisation de publier le tout. Ils l’ont obtenue sans peine, sous la condition que l’un d’eux, moi présent, améliorerait le style de cet écrit et y joindrait une petite préface où il avertirait les lecteurs et montrerait par un ou deux exemples que, loin d’en tenir tout le contenu pour vrai, ''j’étais sur plus d’un point d’une opinion tout opposée. ''Tout cela un ami, qui devait procurer la publication de ce petit ouvrage, m’a promis de le faire et cela m’a retenu quelque temps à Amsterdam. Et à mon retour dans ce village que j’habite, j’ai eu tant de visites que je n’ai pu disposer de moi-même. Maintenant enfin je trouve un moment, très excellent ami, pour correspondre avec vous et vous expliquer pourquoi j’ai autorisé la publication de ce traité. De la sorte, peut-être quelques personnes d’un rang élevé se trouveront-elles dans ma patrie qui voudront voir mes autres écrits où je parle en mon propre nom, et feront-elles que je puisse les publier sans aucun risque. Dans ce cas je ne tarderai guère sans doute à faire paraître quelque chose ; s’il en est autrement, je garderai le silence plutôt que de me rendre odieux à mes concitoyens en leur imposant, contre leur gré, la connaissance de mes opinions. Je vous prie donc, mon honorable ami, de vouloir bien attendre jusqu’au moment où j’aurai pris parti ; alors, ou bien vous aurez le Traité lui-même imprimé, ou bien le résumé que vous m’en demandez. Et si, en attendant, vous désirez avoir un ou deux exemplaires de celui qui est sous presse, sitôt que vous m’aurez fait connaître votre désir et en même temps un moyen commode d’envoi, je me prêterai à votre désir. Je reviens maintenant à votre lettre.<br /> <br /> Je vous suis, comme il sied, très reconnaissant à vous et aussi à M. Boyle de votre bienveillance si marquée à mon égard et de votre procédé amical. Vos occupations si nombreuses et si importantes n’ont pu vous faire oublier votre ami, bien plus, vous voulez bien promettre que vous ferez tout le nécessaire pour que dorénavant notre correspondance ne souffre plus d’aussi longue interruption. Je sais grand gré à M. Boyle d’avoir consenti à répondre à mes observations bien qu’en passant et comme il s’occupait en même temps d’autre chose. Je le reconnais d’ailleurs : ces observations ne sont pas d’une importance telle que le très savant M. Boyle dépense à y répondre un temps qu’il peut employer à des pensées plus relevées. Pour moi, je n’ai jamais pensé et, en vérité, il me serait impossible de croire, que ce savant homme n’ait eu d’autre dessein, dans son Traité du Nitre, que de montrer la fragilité de cette doctrine enfantine et ridicule des formes substantielles et des qualités, etc. Persuadé au contraire qu’il voulait nous expliquer la nature du nitre, à ses yeux un corps hétérogène composé de parties fixes et de volatiles, j’ai voulu par mon explication montrer (et je crois l’avoir fait surabondamment) que nous pouvons très facilement expliquer tous les phénomènes du salpêtre, tous ceux du moins dont j’ai connaissance, sans admettre qu’il soit un corps hétérogène mais le tenant pour homogène. Pour cela je n’avais pas à montrer que le sel fixe est un sédiment d’impureté du salpêtre, mais seulement à le supposer, pour voir comment M. Boyle pourrait me montrer qu’il n’est pas un sédiment d’impureté, mais qu’il est absolument nécessaire pour constituer l’essence du salpêtre, qui sans lui ne pourrait être conçu. Je croyais, en effet, que M. Boyle voulait démontrer cela. Pour ce que j’ai dit que le sel fixe a des ouvertures à la mesure des particules du nitre, je n’en avais pas besoin pour expliquer la régénération du salpêtre, car, de ce que j’ai dit, savoir que la régénération du salpêtre consiste dans la seule solidification de l’esprit de nitre, il ressort clairement, en effet, que toute chaux dont les ouvertures sont trop étroites pour contenir les particules de salpêtre et dont les parois sont molles, est apte à arrêter le mouvement des particules de nitre et conséquemment, suivant mon hypothèse, à régénérer le salpêtre lui-même ; il n’est donc pas surprenant que l’on trouve d’autres sels, comme celui du tartre et celui des cendres potassiques, à l’aide desquels on peut reproduire le salpêtre. J’ai donc dit que le sel fixe de salpêtre avait des ouvertures à la mesure des particules de nitre pour expliquer pourquoi le sel fixe de salpêtre est plus apte à la régénération de ce corps de telle façon qu’il ne diffère que peu de son poids primitif. Bien mieux, du fait qu’on trouve d’autres sels pouvant servir à la régénération du salpêtre, je pensais conclure que la chaux de salpêtre n’est point un élément essentiel de la constitution du salpêtre, si M. Boyle n’avait dit qu’aucun sel n’est plus universellement répandu que le salpêtre et qu’il pouvait en conséquence y en avoir de non apparent dans le tartre et dans les cendres gravelées. Quant à ce que j’ai dit, en outre, que les particules de salpêtre étaient dans les plus grandes ouvertures entourées d’une matière plus subtile, je l’ai conclu, comme le note M. Boyle, de l’impossibilité du vide. Mais je ne sais pourquoi il appelle cela une hypothèse, alors que l’impossibilité du vide découle clairement de ce principe que le néant n’a pas de propriétés. Et je m’étonne que M. Boyle ait des doutes sur ce point alors qu’il semble professer que les accidents n’ont pas d’existence propre ; si une quantité pouvait être donnée en dehors de toute substance n’y aurait-il pas, je le demande, un accident ayant une existence propre ?<br /> <br /> Quant aux causes de la différence de saveur qui existe entre l’esprit de nitre et le salpêtre lui-même, j’ai dû les supposer pour montrer comment je pouvais, par la seule différence que j’ai admise qu’il y eût entre l’esprit de nitre et le salpêtre, expliquer très facilement ce phénomène sans tenir aucun compte du sel fixe.<br /> <br /> Ce que j’ai dit de l’inflammabilité de l’esprit n’implique aucune supposition sinon que, pour exciter une flamme dans quelque corps, une matière disjoignant et agitant la partie du corps est nécessaire ; et je crois que l’expérience quotidienne, en même temps que la raison, montre suffisamment que ces conditions sont en effet requises.<br /> <br /> J’en viens aux expériences que j’ai rapportées à l’appui de mon explication, non qu’elles en établissent entièrement la vérité à mes yeux, mais, je l’ai dit expressément, elles les confirment ''dans une certaine mesure. ''A la première de ces expériences M. Boyle ne fait aucune objection en dehors de ce que j’ai noté moi-même dans les termes les plus exprès. Il ne dit d’ailleurs absolument rien des tentatives faites par moi pour supprimer toute raison de douter, sur les points où mes observations s’accordent avec les siennes. Pour ce qu’il objecte à la deuxième expérience, à savoir que, par l’épuration, le salpêtre est le plus souvent débarrassé d’un sel ressemblant au sel ordinaire, il le dit mais ne le prouve pas ; quant à moi, je le répète, je n’ai pas rapporté ces expériences pour établir entièrement la vérité de mon explication, mais parce qu’elles me semblent confirmer dans une certaine mesure ce que j’avais dit et ce que j’avais montré qui s’accordait avec la raison. Ce que dit M. Boyle touchant la formation de petits cristaux de salpêtre qui s’observerait aussi avec d’autres sels, je ne vois pas en quoi cela importe au point en discussion, car j’accorde que d’autres sels aussi déposent un sédiment d’impureté et deviennent plus volatiles quand ils en sont libérés. Contre la troisième expérience je ne vois pas que M. Boyle dise rien qui me touche. J’ai cru que cet illustre auteur avait dans le paragraphe 5 combattu Descartes ainsi qu’il l’a fait ailleurs, en vertu de la liberté de philosopher reconnue à tous, et sans que son honneur ou celui de Descartes en souffre aucune atteinte ; d’autres lecteurs des écrits de M. Boyle et des Principes de Descartes en jugeront peut-être de même, sauf avis contraire. Et je ne vois toujours pas que M. Boyle explique ouvertement sa pensée, car il ne dit nulle part si le salpêtre cesse d’être du salpêtre en cas que ces petits cristaux visibles, qu’il dit avoir seuls en considération, disparaissent jusqu’à ce qu’ils aient pris la forme d’un parallélépipède ou d’une autre figure.<br /> <br /> Mais je laisse tout cela et je passe à ce que M. Boyle expose touchant les sujets traités dans les paragraphes 13 à 18. J’avoue volontiers que cette régénération du salpêtre est une belle expérience pour rechercher la nature même du salpêtre, lorsqu’on connaît déjà les principes mécaniques de la philosophie et qu’on sait que tous les changements se font dans les corps suivant des lois mécaniques ; mais je nie que ces vérités découlent plus clairement et plus évidemment de cette expérience que de beaucoup d’autres qui se présentent d’elles-mêmes et ''qui ne peuvent cependant servir à les établir de façon décisive. ''Pour ce que dit M. Boyle qu’il n’a pas trouvé ces matières traitées avec autant de clarté dans les autres philosophes, peut-être a-t-il, contre les raisons données par Verulam et Descartes et pour les réfuter, des arguments que je ne connais pas. Je ne rapporte pas ici ces raisons parce que je ne pense pas que M. Boyle puisse les ignorer. Je dis seulement que ces philosophes ont voulu, eux aussi, accorder les phénomènes avec leur raison ; si néanmoins ils ont commis quelque erreur, ils furent hommes, dirai-je, et rien d’humain ne leur fut étranger, je pense. M. Boyle dit ensuite qu’il y a une grande différence entre les expériences banales et douteuses que j’ai rapportées, expériences dans lesquelles nous ignorons quelles conditions se trouvent naturellement réunies et quelles circonstances s’y ajoutent, et les expériences dont au contraire les conditions nous sont connues avec certitude. Mais je ne vois pas du tout que M. Boyle nous ait expliqué la nature des corps qu’il emploie, dans son expérience : celle de la chaux de salpêtre et celle de l’esprit de nitre ; de sorte que ces deux matières ne sont pas moins obscures que celles dont j’ai parlé : la chaux commune et l’eau. Pour le bois, je reconnais que c’est un corps plus complexe que le salpêtre ; mais qu’importe, aussi longtemps que j’ignore la nature tant de l’un que de l’autre et de quelle façon l’échauffement se produit dans l’un et dans l’autre, quel intérêt cela peut-il avoir, je le demande ? Je ne sais pas non plus ce qui donne à M''. ''Boyle le droit d’affirmer qu’il connaît, dans le cas dont il s’agit, les conditions réunies. ''Comment pourra-t-il, je le demande, nous montrer que cet échauffement ne provient pas de quelque matière très subtile. ''Dira-t-il que cela résulte de ce que le poids ne subit qu’une très petite diminution ? Alors même qu’il n’en subirait aucune, on n’en pourrait à mon avis rien conclure ; nous voyons, en effet, avec quelle facilité les choses peuvent être colorées par la pénétration d’une très petite quantité de matière et sans que leur poids en soit augmenté ou diminué d’une manière appréciable pour nos sens. J’ai donc quelque raison de douter s’il n’y a pas adjonction de certains éléments qui échapperaient à nos sens, aussi longtemps surtout que j’ignore comment toutes ces modifications, observées par M. Boyle au cours de son expérience, peuvent avoir leur origine dans les corps eux-mêmes. Bien mieux, je tiens pour certain que l’échauffement et cette effervescence dont parle M. Boyle proviennent de quelque matière adventive. Je crois aussi que, s’il s’agit de montrer que la cause du son doit être cherchée dans le mouvement de l’air, cela se conclut plus aisément de l’ébullition de l’eau (je passerai l’agitation sous silence) que de l’expérience relatée, où l’on ignore quelles conditions sont réunies et où l’on observe un échauffement dont on ne sait le comment ni le pourquoi. Il y a enfin beaucoup de corps qui n’exhalent aucune odeur et tels cependant qu’on sente une odeur sitôt que les parties en sont agitées et chauffées, odeur qui est entièrement abolie par le refroidissement (autant du moins que nous pouvons l’apprécier) : tels sont, par exemple, l’ambre et d’autres corps dont j’ignore s’ils sont plus complexes que le salpêtre.<br /> <br /> Mes observations concernant le paragraphe 20 montrent que l’esprit de nitre n’est pas un pur esprit, mais contient de la chaux de salpêtre et d’autres matières ; quand M. Boyle dit avoir remarqué à l’aide de la balance que le poids des gouttes d’esprit de nitre introduites par lui était presque égal au poids d’esprit de nitre détruit par la déflagration, je doute en conséquence que son observation ait été assez soigneuse.<br /> <br /> Enfin, bien que l’eau pure puisse dissoudre plus vite les sels alcalins, autant que nos yeux nous permettent d’en juger, comme elle est un corps plus homogène que l’air, elle ne peut, ainsi que l’air, avoir autant de sorte de corpuscules capables de s’insinuer dans les pores de toute espèce de chaux. C’est pourquoi l’eau se composant principalement de particules d’une même sorte, qui peuvent dissoudre la chaux jusqu’à un certain point, tandis que l’air ne le peut, il suit de là que l’eau dissoudra la chaux beaucoup plus rapidement que l’air jusqu’à ce même point ; mais en revanche l’air se composant de particules les unes plus épaisses et d’autres beaucoup plus subtiles, si bien qu’il y en a de tout genre, et ces particules pouvant s’insinuer en beaucoup de façons à travers des pores bien trop étroits pour que les particules d’eau y puissent pénétrer, il suit de là que l’air, s’il ne peut dissoudre la chaux de salpêtre aussi vite que le fait l’eau, parce qu’il ne peut contenir autant de particules de chaque sorte, la dissout cependant en parties beaucoup plus fines, l’affaiblit davantage et la rend ainsi plus apte à arrêter le mouvement des particules d’esprit de nitre. Car les expériences ne m’obligent à admettre aucune différence entre l’esprit de nitre et le salpêtre lui-même, sinon que les particules du dernier sont au repos, tandis que celles du premier, s’entrechoquant, sont animées d’un mouvement très vif. C’est la même différence qu’entre la glace et l’eau.<br /> <br /> Mais je n’ose vous retenir plus longtemps sur ces matières ; je crains d’en avoir trop dit, bien qu’autant que je l’ai pu, je me sois efforcé d’être bref. Si cependant je vous ai importuné, je vous prie de me pardonner et d’interpréter dans le meilleur sens des remarques franches et sincères, faites par un ami. J’ai, en effet, jugé qu’il ne fallait pas garder le silence sur ces matières en vous répondant. Et donner des éloges à ce que l’on ne goûte pas, ce serait pure flatterie ; rien ne me paraît plus funeste et plus condamnable dans l’amitié. J’ai donc résolu de m’expliquer ouvertement et j’ai cru que cette franchise entière était ce qui devait être le plus agréable à des philosophes. Si cependant vous le jugez préférable, libre à vous de jeter au feu ces réflexions plutôt que de les transmettre au très savant M. Boyle. Faites comme vous le voudrez, pourvu que vous ne mettiez pas en doute mon entier attachement à vous et à M. Boyle. Je regrette que ma petitesse ne me permette pas de vous le montrer autrement qu’en paroles, toutefois...<br /> <br /> ''Voorburg, 17/27 juillet 1663.''<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 12]] | [[Lettres]] | [[Lettre 14]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:PM Modèle:PM 2017-01-14T17:38:56Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {|class=&quot;wikitable center&quot; cellpadding=&quot;1&quot; style=&quot;border: 1px solid #8888aa; background: #f7f8ff; padding: 5px; font-size: 85%; margin: 0 2px 0 2px; &quot;<br /> | style=&quot;border-bottom:1px solid; background:#efefef;&quot; |&lt;center&gt;'''[[Pensées métaphysiques]]'''<br /> |-<br /> |style=&quot;text-align:center;&quot;|<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Première partie'''&lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : L'être de l'essence, de l'existence, de l'idée, de la puissance]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]] — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Deuxième partie''' &lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XI : De l'âme humaine]]<br /> |}</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:PM Modèle:PM 2017-01-14T17:30:49Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {| cellpadding=&quot;1&quot; style=&quot;border: 1px solid #8888aa; background: #f7f8ff; padding: 5px; font-size: 85%; margin: 0 2px 0 2px;&quot;<br /> | style=&quot;border-bottom:1px solid; background:#efefef;&quot; |&lt;center&gt;'''[[Pensées métaphysiques]]'''<br /> |-<br /> ||<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Première partie'''&lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : L'être de l'essence, de l'existence, de l'idée, de la puissance]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Deuxième partie''' &lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XI : De l'âme humaine]]<br /> |}</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:PM Modèle:PM 2017-01-14T17:28:49Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {| cellpadding=&quot;1&quot; style=&quot;float: right; border: 1px solid #8888aa; background: #f7f8ff; padding: 5px; font-size: 85%; margin: 0 15px 0 15px;&quot;<br /> | style=&quot;border-bottom:1px solid; background:#efefef;&quot; |&lt;center&gt;'''[[Pensées métaphysiques]]'''<br /> |-<br /> ||<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Première partie'''&lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : L'être de l'essence, de l'existence, de l'idée, de la puissance]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> &lt;div align=&quot;center&quot;&gt;'''Deuxième partie''' &lt;/div&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> <br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]] — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XI : De l'âme humaine]]<br /> |}</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:PM Modèle:PM 2017-01-14T16:38:50Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {| cellpadding=&quot;1&quot; style=&quot;float: right; border: 1px solid #8888aa; background: #f7f8ff; padding: 5px; font-size: 85%; margin: 0 15px 0 15px;&quot;<br /> | style=&quot;border-bottom:1px solid; background:#efefef;&quot; |&lt;center&gt;'''[[Pensées métaphysiques]]'''<br /> |-<br /> ||<br /> '''Première partie''' &lt;br /&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : Ce qu'est l'être de l'essence, l'être de l'existence, l'être de l'idée, l'être de la puissance]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> '''Deuxième partie''' &lt;br /&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XI : De l'âme humaine]]<br /> |}</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:PM Modèle:PM 2017-01-14T16:35:45Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {| cellpadding=&quot;1&quot; style=&quot;float: right; border: 1px solid #8888aa; background: #f7f8ff; padding: 5px; font-size: 85%; margin: 0 15px 0 15px;&quot;<br /> | style=&quot;border-bottom:1px solid; background:#efefef;&quot; |&lt;center&gt;'''[[Pensées métaphysiques]]'''<br /> |-<br /> ||'''Première partie''' &lt;br /&gt;<br /> [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : Ce qu'est l'être de l'essence, l'être de l'existence, l'être de l'idée, l'être de la puissance]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> '''Deuxième partie''' &lt;br /&gt;<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]]<br /> — [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XI : De l'âme humaine]]<br /> |}</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Pens%C3%A9es_m%C3%A9taphysiques Pensées métaphysiques 2017-01-14T16:30:12Z <p>Henrique : /* Sommaire */</p> <hr /> <div>{{Titre|LES PENSÉES MÉTAPHYSIQUES&lt;br&gt;&lt;br&gt;Dans lesquelles&lt;br /&gt;<br /> les difficultés qui se rencontrent tant dans &lt;br /&gt;<br /> la partie générale de la métaphysique,<br /> que dans la spéciale,&lt;br /&gt;<br /> au sujet de l'être et de ses affections,&lt;br /&gt;<br /> de Dieu et de ses attributs et de l'âme humaine,&lt;br /&gt;<br /> sont brièvement expliquées|Baruch Spinoza|1663 &lt;br /&gt;<br /> Traduction de Charles Appuhn<br /> }}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> :''Ces Pensées métaphysiques ont été publiées comme appendice des [[Principes de la philosophie de Descartes]].'' <br /> <br /> :''Addition à la traduction hollandaise :'' &lt;br /&gt;<br /> :Le but et l'objet de ce texte est de démontrer que la logique et la philosophie ordinaires ne servent pas à exercer l'entendement mais uniquement à exercer et à fortifier la mémoire ; de façon à bien retenir les choses qui se rencontrent sans ordre ni liens entre elles, ces choses étant perçues par les sens et ne peuvant ainsi nous affecter que par les sens.<br /> <br /> == Sommaire ==<br /> <br /> *'''Première partie''' dans laquelle sont expliquées brièvement les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie générale de la métaphysique au sujet de l'être et de ses affections.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : Ce qu'est l'être de l'essence, l'être de l'existence, l'être de l'idée, l'être de la puissance]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> <br /> *'''Deuxième partie''' dans laquelle sont brièvement expliquées les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie spéciale de la Métaphysique au sujet de Dieu et de ses attributs, et de l'âme humaine.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XII : De l'âme humaine]]<br /> <br /> <br /> <br /> ---------<br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;[[Cogitata metaphysica|Version latine]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> [[Catégorie:Œuvres]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Pens%C3%A9es_m%C3%A9taphysiques Pensées métaphysiques 2017-01-14T16:29:26Z <p>Henrique : /* Sommaire */</p> <hr /> <div>{{Titre|LES PENSÉES MÉTAPHYSIQUES&lt;br&gt;&lt;br&gt;Dans lesquelles&lt;br /&gt;<br /> les difficultés qui se rencontrent tant dans &lt;br /&gt;<br /> la partie générale de la métaphysique,<br /> que dans la spéciale,&lt;br /&gt;<br /> au sujet de l'être et de ses affections,&lt;br /&gt;<br /> de Dieu et de ses attributs et de l'âme humaine,&lt;br /&gt;<br /> sont brièvement expliquées|Baruch Spinoza|1663 &lt;br /&gt;<br /> Traduction de Charles Appuhn<br /> }}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> :''Ces Pensées métaphysiques ont été publiées comme appendice des [[Principes de la philosophie de Descartes]].'' <br /> <br /> :''Addition à la traduction hollandaise :'' &lt;br /&gt;<br /> :Le but et l'objet de ce texte est de démontrer que la logique et la philosophie ordinaires ne servent pas à exercer l'entendement mais uniquement à exercer et à fortifier la mémoire ; de façon à bien retenir les choses qui se rencontrent sans ordre ni liens entre elles, ces choses étant perçues par les sens et ne peuvant ainsi nous affecter que par les sens.<br /> <br /> == Sommaire ==<br /> <br /> *'''Première partie''' dans laquelle sont expliquées brièvement les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie générale de la métaphysique au sujet de l'être et de ses affections.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : Ce qu'est l'être de l'essence, l'être de l'existence, l'être de l'idée, l'être de la puissance]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> <br /> *'''Deuxième partie''' dans laquelle sont brièvement expliquées les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie spéciale de la Métaphysique au sujet de Dieu et de ses attributs, et de l'âme humaine.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XII : De l'âme humaine]]<br /> <br /> ---------<br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;[[Cogitata metaphysica|Version latine]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> [[Catégorie:Œuvres]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Cogitata_metaphysica Cogitata metaphysica 2017-01-14T16:27:20Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;br clear=&quot;all&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;border: 1px solid #F4DED7; background-color: #FFEEEE; padding: 2ex; text-align: center; width: 35em; margin: auto&quot;&gt;<br /> &lt;br /&gt;'''Appendix'''&lt;br /&gt;<br /> &lt;br /&gt;'''continens'''&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> '''COGITATA METAPHYSICA&lt;br /&gt;'''<br /> <br /> <br /> ''in quibus difficiliores, quae in Metaphysices''<br /> <br /> ''tam parte Generali, quam Speciali,''<br /> <br /> ''circa Ens, ejusque Affectiones,''<br /> <br /> ''Deum ejusque Attributa, et Mentem humanam occurrunt,''<br /> <br /> ''quaestiones breviter explicantur,''<br /> <br /> <br /> <br /> '''Authore'''<br /> <br /> '''Benedicto de Spinoza'''<br /> <br /> '''''Amstelodamensi'''''<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> == Index ==<br /> <br /> *[[Cogitata metaphysica - Pars I|Pars I]]<br /> *[[Cogitata metaphysica - Pars II|Pars II]]<br /> &lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;small&gt;Texte saisi d'après l'édition Gebhardt.&lt;/small&gt;<br /> <br /> <br /> ----------<br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;[[Pensées métaphysiques|Version française]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> [[Catégorie:Œuvres]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Cogitata_metaphysica_-_Pars_I Cogitata metaphysica - Pars I 2017-01-14T16:24:46Z <p>Henrique : /* Adnotationes */</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{Chapitre|<br /> |1= [[Cogitata metaphysica]]<br /> |2= Benidictus de Spinoza<br /> |3= Pars I<br /> |4 =<br /> }}<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''In quâ praecipua, quae in parte Metaphysices generali,'''&lt;/div&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''circa Ens, ejusque Affectiones vulgò occurrunt, breviter explicantur.'''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca1&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput I ==<br /> <br /> <br /> '''''&lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;De ente reali, ficto, et rationis&lt;/div&gt;'''''<br /> <br /> <br /> De definitione hujus scientiae nihil dico, nec etiam circa quae versetur ; sed tantùm ea, quae obscuriora sunt, et passim ab authoribus in metaphysicis tractantur, explicare hîc est animus.<br /> <br /> <br /> ''Entis definitio''<br /> <br /> Incipiamus igitur ab ente, per quod intelligo ''id omne, quod, cum clarè, et distinctè percipitur, necessariò existere, vel ad minimùm posse existere reperimus''.<br /> <br /> <br /> ''Chimaera, ens fictum, et ens rationis non esse entia''<br /> <br /> Ex hac autem definitione, vel, si mavis, descriptione sequitur, quod ''chimaera'', ''ens fictum'', et ''ens rationis'' nullo modo ad entia revocari possint. Nam ''chimaera'' &lt;ref&gt;Nota, quod nomine Chimaera hîc, et in seqq. intelligatur id, cujus natura apertam involvit contradictionem, ut fusiùs explicatur, [[#ca3|cap. III]].&lt;/ref&gt; ex suâ naturâ existere nequit. ''Ens'' verò ''fictum'' claram, et distinctam perceptionem secludit, quia homo ex solâ merâ libertate, et non, ut in falsis, insciens, sed prudens, et sciens connectit, quae connectere, et disjungit, quae disjungere vult. ''Ens'' denique ''rationis'' nihil est praeter modum cogitandi, qui inservit ad res intellectas faciliùs ''retinendas'', ''explicandas'', atque ''imaginandas''. Ubi notandum, quod per modum cogitandi intelligimus id, quod jam Schol. Propos. 15 Part. I explicuimus, nempe omnes cogitationis affectiones, videlicet intellectum, laetitiam, imaginationem, etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res retineamus''<br /> <br /> Quod autem dentur quidam modi cogitandi, qui inserviunt ad res firmiùs, atque faciliùs ''retinendas'', et ad ipsas, quando volumus, in mentem revocandas, aut menti praesentes sistendas, satis constat iis, qui notissima illa regula memoriae utuntur : quâ nempe ad rem novissimam retinendam, et memoriae imprimendam ad aliam nobis familiarem recurritur, quae vel nomine tenus vel re ipsâ cum hac conveniat. Hunc similiter in modum philosophi res omnes naturales ad certas classes reduxerunt, ad quas recurrunt, ubi aliquid nobi ipsis occurrit, quas vocant ''genus, species'' etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res explicemus''<br /> <br /> Ad rem deinde ''explicandam'' etiam modos cogitandi habemus, determinando scilicet eam per comparationem ad aliam. Modi cogitandi, quibus id efficimus, vocantur ''tempus, numerus, mensura'', et siquae adhuc alia sunt. Horum autem tempus inservit durationi explicandae, numerus quantitati discretae, mensura quantitati continuae.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res imaginemur''<br /> <br /> Denique, cùm assueti simus omnium, quae intelligimus, etiam imagines aliquas in nostrâ phantasiâ depingere, fit, ut non-entia positivè, instar entium, ''imaginemur''. Nam mens in se solâ spectatâ, cùm sit res cogitans, non majorem habet potentiam ad affirmandum, quàm ad negandum : imaginari verò cùm nihil aliud sit, quàm ea, quae in cerebro reperiuntur à motu spirituum, qui in sensibus ab objectis excitatur, vestigia sentire, talis sensatio non, nisi confusa affirmatio, esse potest. Atque hinc fit, ut omnes modos, quibus mens utitur ad negandum, quales sunt, caecitas, extremitas sive finis, terminus, tenebrae etc. tanquam entia imaginemur.<br /> <br /> <br /> ''Entia rationis cur non sint ideae rerum, et tamen pro iis habeantur''<br /> <br /> Unde clarè patet, hos modos cogitandi non esse ideas rerum, nec ullo modo ad ideas revocari posse ; quare etiam nullum habent ideatum, quod necessariò existit, aut existere potest. Causa autem, ob quam hi modi cogitandi pro ideis rerum habentur, est, quia ab ideis entium realium tam immediatè proficiscuntur, et oriuntur, ut facillimè cum ipsis ab iis, qui non accuratissimè attendunt, confundantur : unde etiam nomina ipsis imposuerunt, tanquam ad significandum entia extra mentem nostram existentia, quae entia, sive potiùs non-entia entia rationis vocaverunt.<br /> <br /> <br /> ''Malè dividi ens in reale, et rationis''<br /> <br /> Hincque facilè videre est, quàm inepta sit illa divisio, quâ dividitur ens in ens reale, et ens rationis : dividunt enim ens in ens, et non-ens, aut in ens, et modum cogitandi : Attamen non miror philosophos verbales, sive grammaticales in similes errores incidere : res enim ex nominibus judicant, non autem nomina ex rebus.<br /> <br /> <br /> ''Ens rationis quomodo dici possit merum nihil, et quomodo ens reale''<br /> <br /> Nec minus ineptè loquitur, qui ait ens rationis non esse merum nihil. Nam si id, quod istis nominibus significatur, extra intellectum quaerit, merum nihil esse reperiet : si autem ipsos modos cogitandi intelligit, vera entia realia sunt. Nam cùm rogo, quid sit species, nihil aliud quaero, quàm naturam istius modi cogitandi, qui reverâ est ens, et ab alio modo cogitandi distinguitur ; verùm, hi modi cogitandi ideae vocari non possunt, neque veri aut falsi possunt dici, sicut etiam amor non potest verus aut falsus vocari, sed bonus aut malus.Sic Plato cùm dixit, hominem esse animal bipes sine plumis, non magis erravit, quàm qui dixerunt hominem esse animal rationale ; nam Plato non minùs cognovit hominem esse animal rationale, quàm caeteri cognoscunt ; verùm ille hominem revocavit ad certam classem, ut quando vellet de homine cogitare, ad illam classem recurrendo, cujus facilè recordari potuerat, statim in cogitationem hominis incideret : Imò Aristoteles gravissimè erravit, si putavit se illâ suâ definitione humanam essentiam adaequatè explicuisse : An vero Plato benè fecerit, tantùm quaeri posset : sed haec non sunt hujus loci.<br /> <br /> <br /> ''In rerum investigatione entia realia cum entibus rationis non confundenda''<br /> <br /> Ex omnibus supradictis inter ens reale, et entis rationis ideata nullam dari convenientiam apparet : Unde etiam facilè videre est, quàm sedulò sit cavendum in investigatione rerum, ne entia realia, cum entibus rationis confundamus : Aliud enim est inquirere in rerum naturam, aliud in modos, quibus res a nobis percipiuntur. Haec verò si confundantur, neque modos percipiendi, neque naturam ipsam intelligere poterimus ; imò verò, quod maximus est, in causâ erit, quòd in magnos errores incidemus, quemadmodum multis hucusque contigit.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo ens rationis, et ens fictum distinguantur''<br /> <br /> Notandum etiam, quod multi confundunt ens rationis cum ente ficto : putant enim ens fictum etiam esse ens rationis, quia nullam extra mentem habet existentiam. Sed si ad entis rationis, et entis ficti definitiones modò traditas rectè attendatur, reperietur inter ipsa, tum ex ratione causae, tum etiam ex eorum naturâ, absque respectu causae, magna differentia. Ens fictum enim nihil aliud esse diximus, quàm duos terminos connexos ex solâ merâ voluntate sine ullo ductu rationis ; unde ens fictum casu potest esse verum. Ens verò rationis, nec a solâ voluntate dependet, nec ullis terminis inter se connexis constat, ut ex definitione satis fit manifestum. Si quis igitur roget, an ens fictum ens reale sit, an verò ens rationis, tantùm repetendum, atque regerendum est id, quod jam diximus, nempe malè dividi ens in ens reale, et ens rationis, ideòque malo fundamento quaeritur, an ens fictum ens reale sit, an verò rationis : supponitur enim omne ens dividi in ens reale, et rationis.<br /> <br /> <br /> ''Entis divisio''<br /> <br /> Sed ad nostrum propositum revertamur, à quo videmur utcunque jam deflexisse. Ex entis definitione, vel, si mavis, descriptione jam traditâ facilè videre est, quod ens dividendum sit in ens, quod suâ naturâ necessariò existit, sive cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit existentiam, nisi possibilem. Hoc ultimum dividitur in substantiam, et modum, quorum definitiones Part. I art. 51, 52 et 56 Princ. Philos. traduntur ; quare non necesse est, eas hîc repetere. Sed tantùm notari volo circa hanc divisionem, quod expressè dicimus ens dividi in substantiam, et modum ; non verò in substantiam, et accidens : nam accidens nihil est praeter modum cogitandi ; utpote quod solummodo respectum denotat. Ex. gr. cùm dico triangulum moveri, motus non est trianguli modus, sed corporis, quod movetur : unde motus respectu trianguli accidens vocatur : respectu verò corporis est ens reale, sive modus : non enim potest motus concipi sine corpore, at quidem sine triangulo.<br /> <br /> <br /> Porrò ut jam dicta, et etiam quae sequentur, meliùs intelligantur, explicare conabimur, quid per ''esse essentiae, esse existentiae, esse ideae'', ac denique ''esse potentiae'' intelligendum sit. Quo etiam nos movet quorundam ignorantia, qui nullam distinctionem agnoscunt inter essentiam, et existentiam, vel, si agnoscunt, ''esse essentiae'' cum ''esse ideae'' vel ''esse potentiae'' confundunt. Ut his igitur, et rei ipsi satisfaciamus, rem quam distinctè poterimus, in sequentibus explicabimus.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca2&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput II ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''Quid sit esse Essentiae, quid esse Existentiae,'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''quid esse Ideae, quid esse Potentiae'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Ut clarè percipiatur, quid per haec quatuor intelligendum sit, tantùm necesse est, ut nobis ob oculos ponamus ea, quae de substantiâ increatâ, sive de Deo diximus, nempe<br /> <br /> <br /> ''Creaturas in Deo esse eminenter''<br /> <br /> 1°. Deum eminenter continere id, quod formaliter in rebus creatis reperitur, hoc est, Deum talia attributa habere, quibus omnia creata eminentiori modo contineantur, vide [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a8|P. I Ax. 8]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p12c1|Coroll. 1 Prop. 12]]. Ex. gr. extensionem clarè concipimus sine ullâ existentiâ, ideòque, cùm per se nullam habeat vim existendi, à Deo creatam esse demonstravimus, Prop. ultima Part. I. Et, quia in causâ tantundem perfectionis ad minimùm debet esse, quantum est in effectu, sequitur, omnes perfectiones extensionis Deo inesse. Sed quia postea rem extensam ex suâ naturâ divisibilem esse videbamus, hoc est, imperfectionem continere, ideò Deo extensionem tribuere non potuimus, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p16|Part. I Prop. 16]], adeòque fateri cogebamur, Deo aliquod attributum inesse, quod omnes materiae perfectiones excellentiori modo continet, Schol. Prop. 9 Part. I, quodque vices materiae supplere potest :<br /> <br /> 2°. Deum seipsum, atque omnia alia intelligere, hoc est, omnia objectivè etiam in se habere, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p9|Part. I Prop. 9]].<br /> <br /> 3°. Deum esse omnium rerum causam, eumque ex absolutâ libertate voluntatis operari.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit esse essentiae, existentiae, ideae, ac potentiae ?''<br /> <br /> Ex his itaque clarè videre est, quid per illa quatuor intelligendum sit. Primum enim ''esse'' scilicet ''essentiae'', nihil aliud est, quàm modus ille, quo res creatae in attributis Dei comprehenduntur : ''esse'' deinde ''ideae'' dicitur, prout omnia objectivè in ideâ Dei continentur : ''esse'' porrò ''potentiae'' dicitur tantùm respectu potentiae Dei, quâ omnia nondum adhuc existentia ex absolutâ libertate voluntatis creare potuerat : ''esse'' denique ''existentiae'' est ipsa rerum essentia extra Deum, et in se considerata, tribuiturque rebus, postquam à Deo creatae sunt.<br /> <br /> <br /> ''Haec quatuor à se invicem non distingui, nisi in creaturis''<br /> <br /> Ex quibus clarè apparet, haec quatuor non distingui inter se, nisi in rebus creatis : in Deo verò nullo modo : Deum enim non concipimus fuisse potentiâ in alio, et ejus existentia, ejusque intellectus ab ejus essentiâ non distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Ad quaestiones quasdam de essentiâ respondetur''<br /> <br /> Ex his facilè ad quaestiones, quae passim de essentiâ circumferuntur, respondere possumus. Quaestiones autem hae sunt sequentes : an essentia distinguatur ab existentiâ, et si distinguatur, an sit aliquid diversum ab ideâ : et si aliquid diversum ab ideâ sit, an habeat aliquod esse extra intellectum ; quòd postremum sanè necessariò fatendum est. Ad primam autem sub distinctione respondemus, quod essentia in Deo non distinguatur ab existentiâ ; quandoquidem sine hac illa non potest concipi : in caeteris autem essentia differt ab existentiâ, potest nimirum sine hac concipi. Ad secundam verò dicimus, quòd res, quae extra intellectum clarè, et distinctè, sive verè concipitur, aliquid diversum ab ideâ sit. Sed denuo quaeritur, an illud esse extra intellectum sit à se ipso, an verò à Deo creatum. Ad quod respondemus, essentiam formalem non esse à se, nec etiam creatam ; haec duo enim supponerent rem actu existere : sed à solâ essentiâ divinâ pendere, in quâ omnia continentur ; adeòque hoc sensu iis assentimur, qui dicunt essentias rerum aeternas esse. Quaeri adhuc posset, quomodo nos, nondum intellectâ naturâ Dei, rerum essentias intelligamus, cùm illae, ut modò diximus, à solâ Dei naturâ pendeant. Ad hoc dico, id ex eo oriri, quod res jam creatae sunt : si enim non essent creatae, prorsus concederem, id impossibile fore, nisi post naturae Dei adaequatam cognitionem : eodem modo ac impossibile est, imò magis impossibile, quàm, ex nondum notâ naturâ parabolae naturam ejus ordinatim applicatarum noscere.<br /> <br /> <br /> ''Cur auctor in definitione essentiae ad Dei attributa recurrit''<br /> <br /> Porrò notandum, quod, quamvis essentiae modorum non existentium in illorum substantiis comprehendantur, et eorum ''esse essentiae'' in illorum substantiis sit, nos tamen ad Deum recurrere voluimus, ut generaliter essentiam modorum, et substantiarum explicaremus, et etiam, quia essentia modorum non fuit in illorum substantiis, nisi post earum creationem, et nos ''esse essentiarum'' aeternum quaerebamus.<br /> <br /> <br /> Cur aliorum definitiones non recensuit<br /> <br /> Ad haec non puto operae pretium esse, hîc authores, qui diversum à nobis sentiunt, refutare, nec etiam eorum definitiones aut descriptiones de essentiâ, et existentiâ examinare : nam hoc modo rem claram obscuriorem redderemus : quid enim magis clarum, quàm, quid sit essentia, et existentia, intelligere ; quandoquidem nullam definitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo distinctio inter essentiam, et existentiam facilè addiscatur''<br /> <br /> Denique, si quis philosophus adhuc dubitet, an essentia ab existentiâ distinguatur in rebus creatis, non est, quòd multum de definitionibus essentiae, et existentiae laboret, ut istud dubium tollatur : si enim tantùm adeat statuarium aliquem, aut fabrum lignarium, illi ipsi ostendent, quomodo statuam nondum existentem certo ordine concipiant, et postea eam ipsi existentem praebebunt.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput III ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De eo, quod est necessarium, impossibile, possibile, et contingens'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s1&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid hîc per affectiones intelligendum sit''<br /> <br /> Naturâ entis, quatenus ens est, sic explicatâ, ad aliquas ejus affectiones explicandas transimus ; ubi notandum venit, quòd per affectiones hîc intelligimus id, quod aliàs per attributa denotavit Cartesius in Part. I Princ. Philos. Art. 52. Nam ens, quatenus ens est, per se solum, ut substantia, nos non afficit, quare per aliquod attributum explicandum est, à quo tamen non, nisi ratione, distinguitur. Unde non satis mirari possum illorum ingenia subtilissima, qui medium quaesiverunt, non sine magno detrimento veritatis, inter ens, et nihil. Sed in eorum errorem refutando non morabor, quandoquidem ipsi, ubi talium affectionum definitiones tradere moliuntur, in vanâ suâ subtilitate prorsus evanescunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s2&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Affectionum definitio''<br /> <br /> Nos igitur rem nostram agemus, dicimusque ''entis affectiones esse, quaedam attributa, sub quibus uniuscujusque essentiam vel existentiam intelligimus, à quâ tamen non nisi ratione distinguntur''. De his quasdam (non enim omnes pertractare mihi assumo) hîc explicare, et à denominationibus, quae nullius entis sunt affectiones, separare conabor. Ac primò quidem agam de eo, quod est ''necessarium'', et ''impossibile''.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s3&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quod modis res dicatur necessaria, et impossibilis''<br /> <br /> Duobus modis res dicitur necessaria, et impossibilis, vel respectu suae essentiae, vel respectu causae. Respectu essentiae Deum necessariò existere novimus : nam ejus essentia non potest concipi sine existentiâ : chimaera verò respectu implicantiae suae essentiae non potis est, ut existat. Respectu causae dicuntur res, e. g. materiales, esse impossibiles aut necessariae : nam si tantùm ad earum essentiam respicimus, illam concipere possumus clarè, et distinctè sine existentiâ, quâpropter nunquam existere possunt vi, et necessitate essentiae : sed tantùm vi causae, Dei nempe omnium rerum creatoris. Si itaque in decreto divino est, ut res aliqua existat, necessariò existet ; sin minùs impossibile erit, ut existat. Nam per se manifestum est, id quod nullam causam, internam scilicet aut externam, habet ad existendum, impossibile est, ut existat : atqui res in hac secundâ hypothesi ponitur talis, ut neque vi suae essentiae, quam per causam internam intelligo, neque vi decreti divini, unicae omnium rerum causae externae, existere possit : unde sequitur, res ut in sec. hyp. à nobis statuuntur, impossibiles esse, ut existant.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s4&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Chimaeram commodè ens verbale vocari''<br /> <br /> Ubi notandum venit, 1°. Chimaeram, quia neque in intellectu est, neque in imaginatione, à nobis ens verbale commodè vocari posse ; nam ea non nisi verbis exprimi potest. Ex. gr. circulum quadratum verbis quidem exprimimus, imaginari autem nullo modo, et multò minùs intelligere possumus. Quâpropter chimaera praeter verbum nihil est, ideòque impossibilitas inter affectiones entis numerari non potest : est enim mera negatio.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s5&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Res creatas, quoad essentiam, et existentiam à Deo dependere''<br /> <br /> 2°. Notandum venit, quòd non tantùm rerum creatarum existentia : verùm etiam, ut infrà in sec. part. evidentissimè demonstrabimus, earum essentia, et natura à solo Dei decreto dependet. Ex quo clarè sequitur, res creatas nullam ex se ipsis habere necessitatem : nempe quia ex se ipsis nullam habent essentiam, nec à se ipsis existunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s6&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Necessitatem, quae in rebus creatis à causâ est, esse vel essentiae vel existentiae : at haec duo in Deo non distingui''<br /> <br /> 3°. Denique notandum est, quòd necessitas, qualis vi causae in rebus creatis est, dicatur vel respectu earum essentiae, vel respectu earum existentiae : nam haec duo in rebus creatis distinguuntur ; illa enim à legibus naturae aeternis dependet, haec verò à ferie, et ordine causarum. Verùm in Deo, cujus essentia ab illius existentiâ non distinguitur, essentiae necessitas etiam non distinguitur à necessitate existentiae ; unde sequitur, quòd si totum ordinem naturae conciperemus, inveniremus, quòd multa, quorum naturam clarè, et distinctè percipimus, hoc est, quorum essentia necessariò talis est, nullo modo possent existere ; nam tales res in naturâ existere aequè impossibile reperiremus, ac jam cognoscimus impossibile esse, ut magnus elephantus in acûs foramine recipi possit : quamvis utriusque naturam clarè percipiamus. Unde existentia illarum rerum non esset, nisi chimaera, quam neque imaginari, neque intelligere possemus.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s7&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens non esse rerum affectiones''<br /> <br /> Atque haec de necessitate, et impossibilitate, quibus pauca de ''possibili'', et ''contingente'' visum est adjungere ; nam haec duo à nonnullis pro rerum affectionibus habentur ; cùm tamen reverâ nihil aliud sint, quàm defectus nostri intellectûs, quod clarè ostendam, postquam explicavero, quid per haec duo intelligendum sit.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s8&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid sit possibile, quid contingens''<br /> <br /> ''Res possibilis'' itaque dicitur, ''cùm ejus causam efficientem quidem intelligimus ; attamen an causa determinata sit, ignoramus''. Unde etiam ipsam, ut possibilem, non verò neque ut necessariam, neque ut impossibilem considerare possumus. Si autem ''ad rei essentiam simpliciter, non verò ad ejus causam'' attendamus, ''illam contingentem'' dicemus, hoc est, illam, ut medium inter Deum, et chimaeram, ut sic loquar, considerabimus, nempe quia ex parte essentiae nullam in ipsâ reperimus necessitatem existendi, ut in essentiâ divinâ, neque etiam implicantiam sive impossibilitatem, ut in chimaerâ. Quod si quis id, quod ego ''possibile'' voco, ''contingens'', et contrà id, quod ego ''contingens, possibile'' vocare velit, non ipsi contradicam : neque enim de nominibus disputare soleo. Sat erit, si nobis concedat, haec duo non nisi defectus nostrae perceptionis, nec aliquid reale esse.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s9&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens esse tantùm defectus nostri intellectûs''<br /> <br /> Siquis autem id ipsum negare velit, illi suus error nullo negotio demonstratur : si enim ad naturam attendat, et quomodo ipsa à Deo dependet, nullum ''contingens'' in rebus esse reperiet, hoc est, quod ex parte rei possit existere, et non existere, sive, ut vulgò dicitur, ''contingens reale'' sit : quod facilè apparet ex eo, quod [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a10|Ax. 10 P. I]] docuimus, tantam scilicet vim requiri ad rem creandam, quam ad ipsam conservandam : Quare nulla res creata propriâ vi aliquid facit, eodem modo ac nulla res creata suâ propriâ vi incepit existere. Ex quo sequitur, nihil fieri, nisi vi causae omnia creantis, scilicet Dei, qui suo concursu singulis momentis omnia procreat. Cùm autem nihil fiat, nisi a solâ divinâ potentiâ, facile est videre, ea, quae fiunt, vi decreti Dei, ejusque voluntatis fieri. At, cùm in Deo nulla sit inconstantia, nec mutatio, per [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p18|Prop. 18]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p20c|Coroll. Prop. 20 P. I]] illa, quae jam producit, se producturum ab aeterno decrevisse debuit ; cùmque nihil magis necessarium sit, ut existat, quàm quod Deus extiturum decrevit, sequitur, necessitatem existendi in omnibus rebus creatis ab aeterno fuisse. Nec dicere possumus, illas esse contingentes, quia Deus aliud decrevisse potuit ; nam, cùm in aeternitate non detur quando, nec ante, nec post, neque ulla affectio temporis, sequitur, Deum nunquam ante illa decreta extitisse, ut aliud decernere posset.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s10&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Conciliationem libertatis nostri arbitrii, et praedinationis Dei, humanum captum superare''<br /> <br /> Quod verò attinet ad libertatem humanae voluntatis, quam liberam esse diximus [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p15s|Schol. Prop. 15 P. I]], illa etiam à Dei concursu conservatur, nec ullus homo aliquid vult, aut operatur, nisi id, quod Deus ab aeterno decrevit, ut vellet, et operaretur. Quomodo autem id fieri possit, servatâ humanâ libertate, captum nostrum excedit : neque ideò, quod clarè percipimus, propter id, quod ignoramus, erit rejiciendum : clarè enim, et distinctè intelligimus, si ad nostram naturam attendamus, nos in nostris actionibus esse liberos, et de multis deliberare propter id solum, quod volumus ; si etiam ad Dei naturam attendamus, ut modò ostendimus, clarè, et distinctè percipimus, omnia ab ipso pendere, nihilque existere, nisi quod ab aeterno à Deo decertum est, ut existat. Quomodo autem humana voluntas à Deo singulis momentis procreetur tali modo, ut libera maneat, id ignoramus ; multa enim sunt, quae nostrum captum excedunt, et tamen à Deo scimus facta esse, uti ex. gr. est illa realis divisio materiae in indefinitas particulas satis evidenter à nobis demonstrata in [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars II#p11|Sec. Part. Prop. 11]], quamvis ignoremus, quomodo divisio illa fiat. Nota, quòd hîc pro re notâ supponimus, has duas notiones, ''possibile'' nempe, et ''contingens'', tantùm defectum cognitionis nostrae circa rei existentiam significare.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca4&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput IV ==<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De duratione, et tempore'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> Ex eo, quod suprà divisimus ens in ens, cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit nisi possibilem existentiam, oritur distinctio inter aeternitatem, et durationem.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit aeternitas''<br /> <br /> De ''aeternitate'' infrà fusius loquemur. Hîc tantùm dicimus eam ''esse attributum, sub quo infinitam Dei existentiam concipimus''.<br /> <br /> <br /> ''Quid duratio''<br /> <br /> ''Duratio verò est attributum, sub quo rerum creatarum existentiam, prout in sua actualitate perseverant, concipimus.'' Ex quibus clarè sequitur, durationem à totâ alicujus rei existentiâ non, nisi ratione, distingui. Quantum enim durationi alicujus rei detrahis, tantundem ejus existentiae detrahi necesse est.<br /> <br /> <br /> ''Quid tempus''<br /> <br /> Haec autem ut determinetur, comparamus illam cum duratione aliarum rerum, quae certum, et determinatum habent motum, ''haecque comparatio tempus'' vocatur. Quare tempus non est affectio rerum, sed tantùm merus modus cogitandi, sive, ut jam diximus, ens rationis ; est enim modus cogitandi durationi explicandae inserviens. Notandum hîc in duratione, quod postea usum habebit, quando de aeternitate loquemur, videlicet, quòd major, et minor concipiatur, et quali ex partibus componi, et deinde quòd tantùm sit attributum existentiae, non verò essentiae.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca5&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput V ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De oppositione, ordine, etc.'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> ''Quid sint oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum, etc.''<br /> <br /> Ex eo, quod res inter se comparamus, quaedam oriuntur notiones, quae tamen extra res ipsas nihil sunt, nisi cogitandi modi. Quod inde apparet, quia si ipsas, ut res extra cogitationem positas, considerare velimus, clarum, quem aliàs de ipsis habemus conceptum, statim confusum reddimus. Notiones verò tales hae sunt, videlicet ''oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum'', et si quae adhuc alia his similia sunt. Hae, inquam, à nobis satis clarè percipiuntur, quatenus ipsas, non ut quid ab essentiis rerum oppositarum, ordinatarum etc. diversum, concipimus, sed tantùm ut modos cogitandi, quibus res ipsas faciliùs vel retinemus, vel imaginamur. Quare de his fusiùs loqui non necesse esse judico ; sed ad terminos vulgò transcendentales dictos transeo.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca6&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VI ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De Uno, Vero, et Bono'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Hi termini ab omnibus ferè metaphysicis pro generalissimis entis affectionibus habentur ; dicunt enim omne ens esse unum, verum, et bonum, quamvis nemo de iis cogitet. Verùm quid de his intelligendum sit, videbimus ; ubi seorsim unumquemque horum terminorum examinaverimus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit unitas''<br /> <br /> Incipiamus itaque à primo, scilicet ''uno''. Hunc terminum dicunt significare aliquid reale extra intellectum : verùm, quidnam hoc enti addat, nesciunt explicare, quod satis ostendit, illos entia rationis cum ente reali confundere ; quo efficiunt, ut id, quod clarè intelligunt, confusum reddant. Nos autem dicimus ''unitatem'' à re ipsâ nullo modo distingui, vel enti nihil addere, sed tantùm modum cogitandi esse, quo rem ab aliis separamus, quae ipsi similes sunt, vel cum ipsâ aliquo modo conveniunt.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit multitudo, et quo respectu Deus dici possit unus, et quo respectu unicus''<br /> <br /> Unitati verò opponitur ''multitudo'', quae sanè rebus etiam nihil addit, ne aliquid praeter modum cogitandi est, quemadmodum clarè, et distinctè intelligimus. Nec video, quid circa rem claram ampliùs dicendum restat ; sed tantùm hic notandum est, Deum, quatenus ab aliis entibus eum separamus, posse dici unum ; verùm, quatenus concipimus ejusdem naturae plures esse non posse, unicum vocari. At verò si rem accuratiùs examinare vellemus, possemus forte ostendere Deum non nisi impropriè unum, et unicum vocari, sed res non est tanti, imò nullius momenti iis, qui de rebus, non verò de nominibus sunt solliciti. Quare hoc relicto ad secundum transimus, et eâdem operâ, quid sit falsum, dicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit verum, quid falsum tàm apud vulgum, quàm apud philosophos''<br /> <br /> Ut autem haec duo ''verum'' scilicet, et ''falsum'' rectè percipiantur, à verborum significatione incipiemus, ex quâ apparebit ea, non nisi rerum denominationes extrinsecas, esse, neque rebus tribui, nisi rhetoricè. Sed quia vulgus vocabula primum invenit, quae postea à philosophis usurpantur, ideò è re esse videtur illius, qui primam significationem alicujus vocabuli quaerit, quid primum apud vulgum denotarit, inquirere ; praecipuè ubi aliae causae deficiunt, quae ex linguae naturâ depromi possent ad eam investigandam. Prima igitur ''veri'', et ''falsi'' significatio, ortum videtur duxisse à narrationibus : eaque narratio vera dicta fuisse, quae erat facti, quod reverâ contigerat : falsa verò, quae erat facti, quod nullibi contigerat. Atque hanc philosophi postea usurparunt ad denotandam convenientiam ideae cum suo ideato, et contrà : quare idea vera dicitur illa, quae nobis ostendit rem, ut in se est : falsa verò, quae nobis ostendit rem aliter, quàm reverâ est : Ideae enim nihil aliud sunt, quam narrationes sive historiae naturae mentales. Atque hinc postea metaphoricè translata est, ad res mutas, ut cùm dicimus verum, aut falsum aurum, quasi aurum nobis repraesentatum aliquid de seipso narret, quod in se est, aut non est.<br /> <br /> <br /> ''Verum non esse terminum transcendentalem''<br /> <br /> Quocirca planè decepti sunt, qui verum terminum transcendentalem sive entis affectionem judicarunt. Nam de rebus ipsis non nisi impropriè, vel si mavis rhetoricè dici potest.<br /> <br /> <br /> ''Veritas, et vera idea, quomodo differant''<br /> <br /> Si porrò quaeras, quid sit veritas praeter veram ideam, quaere etiam, quid sit albedo praeter corpus album ; eodem enim modo se habent ad invicem.<br /> <br /> De causâ veri, et de causâ falsi jam antea egimus ; quare hîc nihil restat notandum, nec etiam quae diximus, operae pretium fuisset notare, si scriptores in similibus nugis non adeò se intricassent, ut postea se extricare nequiverint, nodum passim in scirpo quaerentes.<br /> <br /> <br /> ''Quaenam sint proprietates veritatis ? Certitudinem non esse in rebus''<br /> <br /> Proprietates verò veritatis aut ideae verae sunt. 1°. Quòd sit clara et distincta, 2°. Quòd omne dubium tollat, sive uno verbo, quòd sit certa. Qui quaerunt certitudinem in rebus ipsis, eodem modo falluntur, ac cùm in iis quaerunt veritatem ; et quamvis dicamus, res in incerto est, rhetoricè sumimus ideatum pro ideâ ; quomodo etiam rem dicimus dubiam, nisi fortè quòd tum per incertitudinem contingentiam intelligamus, vel rem, quae nobis incertitudinem aut dubium injicit. Neque opus est circa haec diutiùs morari ; quare ad tertium pergemus, et simul quid per ejus contrarium intelligendum sit, explicabimus.<br /> <br /> <br /> ''Bonum, et malum tantùm dici respectivè''<br /> <br /> Res sola considerata neque bona dicitur, neque mala, sed tantùm respectivè ad aliam, cui conducit ad id, quod amat, acquirendum, vel contrà : ideòque unaquaeque res diverso respectu, eodemque tempore bona, et mala potest dici : Sic consilium ex. gr. Achitophelis Absaloni datum bonum in sacris Litteris vocatur ; pessimum tamen erat Davidi, cujus interitum moliebatur. Sed multa alia sunt bona, quae non omnibus bona sunt ; sic salus bona est hominibus, non verò neque bona, neque mala brutis aut plantis, ad quas nullum habet respectum. Deus verò dicitur summè bonus, quia omnibus conducit ; nempe uniuscujusque esse, quo nihil magis amabile, suo concursu conservando. Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum.<br /> <br /> <br /> ''Quare aliqui bonum metaphysicum statuerunt''<br /> <br /> Qui autem bonum aliquod metaphysicum quaeritant, quod omni careat respectu, falso aliquo praejudicio laborant ; nempe quòd distinctionem rationis cum distinctione reali vel modali confundant : distinguunt enim inter rem ipsam, et conatum, qui in unâquâque re est ad suum esse conservandum, quamvis nesciant, quid per conatum intelligant. Haec enim duo, quamvis ratione seu potiùs verbis distinguantur, quod maximè ipsos decepit, nullo modo re ipsâ inter se distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Res, et conatus, quo res in statu suo perseverare conantur, quomodo distinguantur''<br /> <br /> Quòd ut clarè intelligatur, exemplum alicujus rei simplicissimae ob oculos ponemus. Motus habet vim in suo statu perseverandi ; haec vis profectò nihil aliud est, quàm motus ipse, hoc est, quòd natura motûs talis sit. Si enim dicam in hoc corpore A nihil aliud esse, quàm certam quantitatem motûs, hinc clarè sequitur, quamdiu ad illud corpus A attendo, me semper debere dicere illud corpus moveri. Si enim dicerem, illud suam vim movendi ex se amittere, necessariò ipsi aliquid aliud tribuo praeter id, quod in hypothesi supposuimus, per quod suam naturam amittit. Quod si verò haec ratio obscurius videatur, age concedamus, illum conatum se movendi aliquid esse praeter ipsas leges, et naturam motûs ; cùm igitur hunc conatum esse bonum metaphysicum supponas, necessariò hic etiam conatus conatum habebit in suo esse perseverandi, et hic iterum alium, et sic in infinitum, quo magis absurdum nescio quid fingi possit. Ratio autem, cur illi conatum rei à re ipsâ distinguunt, est, quia in se ipsis reperiunt desiderium se conservandi, et tale in unâquâque re imaginantur.<br /> <br /> <br /> ''An Deus ante res creatas dici possit bonus''<br /> <br /> Quaeritur tamen, an Deus, antequam res creasset, dici posset bonus ; et ex nostrâ definitione videtur sequi, Deum tale attributum non habuisse, quia dicimus rem, si in se solâ consideratur, neque bonam, neque malam posse dici. Hoc autem multis absurdum videbitur ; sed quâ ratione nescio ; multa enim hujus notae attributa Deo tribuimus, quae antequam res crearentur, ipsi non competebant, nisi potentiâ, ut cùm vocatur creator, judex, misericors etc. Quare similia argumenta moram nobis injicere non debent.<br /> <br /> <br /> ''Perfectum quomodo dicatur respectivè, quomodo absolutè''<br /> <br /> Porrò uti bonum, et malum non dicitur nisi respectivè, sic etiam perfectio, nisi quando perfectionem sumimus pro ipsâ rei essentiâ, quo sensu antea diximus Deum infinitam perfectionem habere, hoc est, infinitam essentiam, seu infinitum esse.<br /> <br /> <br /> <br /> Plura his addere non est animus ; reliqua enim quae ad partem generalem metaphysices spectant, satis nota esse existimo : adeòque operae pretium non esse, ea ulteriùs persequi.<br /> &lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> ====Adnotationes ====<br /> <br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ----------<br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;[[Cogitata metaphysica - Pars II|Pars II]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Cogitata_metaphysica_-_Pars_II Cogitata metaphysica - Pars II 2017-01-14T16:24:15Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{Chapitre|<br /> |1= [[Cogitata metaphysica]]<br /> |2= Benidictus de Spinoza<br /> |3= Pars II<br /> |4 =<br /> }}<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''In quâ praecipua, quae in parte Metaphysices speciali'''&lt;/div&gt; <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''circa Deum, ejusque Attributa, et Mentem humanam'''&lt;/div&gt; <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''vulgò occurrunt, breviter explicantur.'''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca1&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput I ==<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De Dei aeternitate'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ''Substantiarum divisio''<br /> <br /> Jam antea docuimus, in rerum naturâ praeter substantias, earumque modos nihil dari ; quare non erit hîc exspectandum, ut aliquid de formis substantialibus, et realibus accidentibus dicamus : sunt enim haec, et hujus farinae alia, planè inepta. Substantias deinde divisimus in duo summa genera, extensionem scilicet, et cogitationem, ac cogitationem in creatam, sive Mentem humanam, et increatam sive Deum. Existentiam autem hujus satis superque demonstravimus tum à posteriori, scilicet ex ipsius, quam habemus, ideâ, tum à priori, sive ab ejus essentiâ, tanquam causâ existentiae Dei. Sed quoniam quaedam ejus attributa breviùs, quam argumenti dignitas requirit, tractavimus, ipsa hîc repetere, eaque fusiùs explicare, simulque aliquas quaestiones enodare decrevimus.<br /> <br /> <br /> ''Deo nullam durationem competere''<br /> <br /> Praecipuum attributum, quod ante omnia venit considerandum, est Dei aeternitas, quâ ipsius durationem explicamus ; vel potiùs, ut nullam Deo durationem tribuamus, dicimus eum esse aeternum. Nam, ut in primâ Parte notavimus, duratio est affectio existentiae, non verò essentiae rerum ; Deo autem, cujus existentia est de ipsius essentiâ, nullam durationem tribuere possumus. Qui enim Deo illam tribuit, ejus existentiam ab ejus essentiâ distinguit. Sunt tamen, qui rogant, an Deus nunc non diutiùs extiterit, quàm cùm Adamum crearet : idque ipsis satis clarum esse videtur, adeòque nullo modo Deo durationem adimendam esse existimant. Verùm hi principium petunt ; nam supponunt Dei essentiam ab ejus existentiâ distingui, quaerunt enim an Deus, qui extitit usque ad Adamum, non plus temporis extiterit ab Adamo creato usque ad nos ; quare Deo singulis diebus majorem durationem tribuunt, et quasi continuò à se ipso ipsum creari supponunt. Si enim Dei existentiam, ab illius essentiâ non distinguerent, nequaquam Deo durationem tribuerent, cùm rerum essentiis duratio nullo modo competere possit : nam nemo unquam dicet circuli, aut trianguli essentiam, quatenus est aeterna veritas, hoc tempore diutiùs durasse, quàm tempore Adami. Porrò cùm duratio major, et minor, sive quasi partibus constans concipiatur, clarè sequitur, Deo nullam tribui posse durationem : nam cùm ipsius esse sit aeternum, hoc est, in quo nihil prius, nec posterius dari potest, nunquam ipsi durationem tribuere possumus ; quin simul, quem de Deo habemus, verum conceptum destruamus, hoc est, id, quod est infinitum suâ naturâ, et quod nunquam postest concipi nisi infinitum, in partes dividamus, ei scilicet durationem tribuendo.<br /> <br /> <br /> ''Causae, ob quas autores Deo durationem tribuerunt''<br /> <br /> Quod autem Authores errarunt, in causâ est I°. quia aeternitatem, ad Deum non attendentes, explicare conati sunt, quasi aeternitas absque essentiae divinae contemplatione intelligi posset, vel quid esset praeter divinam essentiam, atque hoc iterum inde ortum fuit, quia assueti sumus propter defectum verborum aeternitatem etiam rebus, quarum essentia distinguitur ab earum existentiâ, tribuere, ut cùm dicimus, non implicat, mundum ab aeterno fuisse ; atque etiam essentiis rerum, quamdiu ipsas non existentes concipimus ; eas enim tum aeternas vocamus. II°. quia durationem rebus non tribuebant, nisi quatenus eas sub continuâ variatione esse judicabant, non, uti nos, prout earum essentia ab earum existentiâ distinguitur. III°. denique quia Dei essentiam, sicuti rerum creatarum, ab ejus existentiâ distinxerunt. Hi, inquam, errores ipsis ansam errandi praebuerunt. Nam primus error in causâ fuit, ut non intelligerent, quid esset aeternitas ; sed ipsam tanquam aliquam speciem durationis considerarent. Secundus, ut non facilè possent invenire differentiam inter durationem rerum creatarum, et inter Dei aeternitatem. Ultimus denique, ut, cùm duratio non sit, nisi existentiae affectio, ipsique Dei existentiam ab ejus essentiâ distinxerint, Deo, ut jam diximus, durationem tribuerent.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit aeternitas ?''<br /> <br /> Sed, ut meliùs intelligatur, quid sit ''Aeternitas'', et quomodo ipsa sine essentiâ divinâ non possit concipi, considerandum venit id, quod jam antea diximus, nempe res creatas, sive omnia praeter Deum semper existere solâ vi sive essentiâ Dei, non verò vi propriâ ; unde sequitur praesentem existentiam rerum non esse causam futurae, sed tantùm Dei immutabilitatem, propter quam cogimur dicere, ubi Deus rem primò creavit, eam postea continuò conservabit, seu eandem illam creandi actionem continuabit. Ex quibus concludimus, 1°. quòd res creata potest dicifrui existentiâ, nimirum quia existentia non est de ipsius essentiâ ; Deus verò non potest dici frui existentiâ, nam existentia Dei est Deus ipse, sicut etiam ipsius essentia ; unde sequitur res creatas, dum praesenti duratione, et existentiâ fruuntur, futurâ omnino carere, nempe quia continuò ipsis tribui debet : at de earum essentiâ nihil simile potest dici. Verùm Deo, quia existentia est de ipsius essentiâ, futuram existentiam tribuere non possumus : eadem enim, quam tum haberet, etiamnum ipsi actu tribuenda est, vel, ut magis propriè loquar, Deo infinita actu existentia competit eodem modo, ac ipsi actu competit infinitus intellectus. Atque hanc infinitam existentiam ''Aeternitatem'' voco, quae soli Deo tribuenda, non verò ulli rei creatae ; non, inquam, quamvis earum duratio utroque careat fine. Haec de aeternitate ; de Dei necessitate nihil dico ; quia non opus est, cùm ejus existentiam ex ejus essentiâ demonstravimus. Pergamus itaque ad unitatem.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca2&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput II ==<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De unitate Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Mirati persaepe fuimus futilia argumenta, quibus Dei unitatem astruere conantur authores, qualia sunt, Si ''unus potuit mundum creare, caeteri essent frustrà, si omnia in eundem finem conspirent, ab uno conditore sunt producta'', et similia, à relationibus, aut denominationibus extrinsecis petita. Quâpropter, illis omnibus insuper habitis, nostram demonstrationem, quàm clarè poterimus, ac breviter, hîc proponemus, idque sequenti modo.<br /> <br /> <br /> ''Deum esse unicum''<br /> <br /> Inter Dei attributa numeravimus etiam summam intelligentiam, addidimusque ipsum omnem suam perfectionem à se, non verò ab alio habere. Si jam dicas plures dari Deos, seu entia summè perfecta, necessariò omnes debebunt esse summè intelligentes ; quod ut fiat, non sufficit, unumquemque se ipsum tantùm intelligere : nam cùm omnia intelligere debeat unusquisque, et se et caeteros debebit intelligere : ex quo sequeretur, quòd perfectio uniuscujusque intellectûs partim à se ipso, partim ab alio dependeret. Non poterit igitur quilibet esse ens summè perfectum, hoc est, ut modò notavimus, ens, quod omnem suam perfectionem à se, non verò ab alio habet ; cùm tamen jam demonstraverimus Deum ens perfectissimum esse, ipsumque existere. Unde jam possumus concludere, eum unicum tantùm existere ; si enim plures existerent, sequeretur ens perfectissimum habere imperfectionem, quod est absurdum. Haec de Dei unitate.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput III ==<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De immensitate Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Quomodo Deus dicatur infinitus, quomodo immensus ?''<br /> <br /> <br /> Docuimus antea, nullum ens posse concipi finitum, et imperfectum, id est, de nihilo participans, nisi priùs ad ens perfectum, et infinitum attendamus, hoc est, ad Deum ; quare solus Deus dicendus absolutè infinitus, nimirum quatenus reperimus ipsum reverâ constare infinitâ perfectione. At immensus sive interminabilis etiam potest dici, quatenus respicimus ad hoc, quod nullum detur ens, quo perfectio Dei terminari possit. Ex quo sequitur, quòd sequitur, quòd Dei infinitas, invito vocabulo, sit quid maximè positivum ; nam eatenus ipsum infinitum esse dicimus, quatenus ad ejus essentiam sive summam perfectionem attendimus. ''Immensitas'' verò Deo tantùm respectivè tribuitur ; non enim pertinet ad Deum, quatenus absolutè tanquam ens perfectissimum, sed quatenus ut prima causa consideratur, quae quamvis non esset perfectissima, nisi respectu entium secundariorum, nihilominus tamen esset immensa &lt;ref&gt;Vide fusius de his [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a9|Ax. 9 Part. I]].&lt;/ref&gt;. Nam nullum esset ens, et per consequens nullum posset ens concipi ipso perfectius, quo terminari, aut mensurari posset.<br /> <br /> <br /> ''Quid vulgò per Dei immensitatem intelligatur''<br /> <br /> Authores tamen passim, ubi de Dei immensitate agunt, videntur Deo quantitatem tribuere. Nam ex hoc attributo concludere volunt, Deum necessariò ubique praesentem debere esse, quasi vellent dicere, si Deus in aliquo non esset loco, ejus quantitas esset terminata. Quod idem adhuc meliùs apparet ex aliâ ratione, quam afferunt ad ostendendum, Deum esse infinitum, sive immensum (haec duo enim inter se confundunt), et etiam esse ubique. Si Deus, ajunt, actus est purus, ut reverâ est, necessariò est ubique, et infinitus ; nam si non esset ubique, aut non poterit esse, ubicunque vult esse, aut necessariò (NB) moveri debebit : unde clarè videre est, illos ''immensitatem'' Deo tribuere, quatenus ipsum, ut quantum, considerant ; nam ex extensionis proprietatibus haec argumenta sua petunt ad Dei ''immensitatem'' affirmandam, quo nihil est absurdum.<br /> <br /> <br /> ''Deum esse ubique probatur''<br /> <br /> Si jam quaeras, unde ergo nos probabimus, Deum esse ubique, respondeo, id satis superque à nobis jam demonstratum esse, ubi ostendimus nihil ne momento quidem existere posse, quin singulis momentis à Deo procreetur.<br /> <br /> <br /> ''Omnipraesentia Dei explicari nequit''<br /> <br /> Jam vero, ut Dei ubiquitas aut praesentia in singulis rebus debitè intelligi posset, necessariò deberet perspecta esse intima natura divinae voluntatis, quâ nimirum res creavit, quâque eas continuò procreat ; quod cùm humanum captum superet, impossibile est explicare, quomodo Deus sit ubique.<br /> <br /> <br /> ''Dei immensitatem à quibusdam statui triplicem : sed malè''<br /> <br /> Quidam statuunt Dei immensitatem esse triplicem, nempe essentiae, potentiae, et denique praesentiae ; sed illi nugas agunt ; videntur enim distinguere inter Dei essentiam, et ejus potentiam.<br /> <br /> <br /> ''Dei potentiam non distingui ab ejus essentiâ''<br /> <br /> Quod idem etiam alii magis apertè dixerunt, ubi nempe ajunt, Deum esse ubique per potentiam ; non autem per essentiam : quasi verò Dei potentia distinguatur ab omnibus ejus attributis, seu infinitas essentiâ : cùm tamen nihil aliud esse possit. Si enim aliud quid esset, vel esset aliqua creatura, vel aliquid divinae essentiae accidentale, sine quo concipi posset : quod utrumque absurdum est. Si enim creatura esset, indigeret Dei potentiâ, ut conservaretur, et sic daretur progressus in infinitum. Si verò accidentale quid, non esset Deus ens simplicissimum, contra id, quod suprà demonstravimus.<br /> <br /> <br /> ''Nec illius omnipraesentiam''<br /> <br /> Denique per immensitatem praesentiae etiam videntur aliquid velle praeter essentiam Dei, per quam res creatae sunt, et continuò conservantur. Quae sanè magna est absurditas, in quam lapsi sunt ex eo, quod Dei intellectum cum humano confuderunt, ejusque potentiam cum potentiâ regum saepe compararunt.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca4&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput IV ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De immutabilite Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Quid sit mutatio, quid transformatio''<br /> <br /> Per ''mutationem'' intelligimus hoc loco omnem illam variationem, quae in aliquo subjecto dari potest, integrâ permanente ipsâ essentiâ subjecti ; quamvis vulgò etiam latiùs sumatur ad significandam rerum corruptionem, non quidem absolutam, sed quae simul includit generationem corruptioni subsequentem, ut cùm dicimus caespites in cineres mutari, homines mutari in bestias. Verùm philosophi ad hoc denotandum alio adhuc vocabulo utuntur, nempe ''transformationis''. At nos hîc tantùm de illâ mutatione loquimur, in quâ nulla datur subjecti transformatio, ut cùm dicimus Petrus mutavit colorem, mores etc.<br /> <br /> <br /> ''In Deo transformationem locum non habere''<br /> <br /> Videndum jam an in Deo tales mutationes habeant locum ; nam de ''transformatione'' nihil dicere opus, postquam docuimus Deum necessariò existere, hoc est, Deum non posse desinere esse, seu in alium Deum transformari ; nam tum et esse desineret, et simul plures dii dari possent, quod utrumque absurdum esse ostendimus.<br /> <br /> <br /> ''Quae sint mutationis causae''<br /> <br /> Ut autem, quae hîc dicenda supersunt, distinctiùs intelligantur, venit considerandum, quòd omnis ''mutatio'' procedat vel à causis externis, volente aut nolente subjecto, vel à causâ internâ, et electione ipsius subjecti. Ex. gr. hominem nigrescere, aegrotare, crescere, et similia procedunt à causis externis ; illia invito subjecto, hoc vero ipso subjecto cupiente ; velle autem, ambulare, se iratum ostendere et. proveniunt à causis internis.<br /> <br /> <br /> ''Deum non mutari ab alio''<br /> <br /> Priores verò ''mutationes'', quae à causis externis procedunt, in Deo nullum habent locum ; nam solus est omnium rerum causa, et à nemine patitur. Adde quòd nihil creatum in se ullam habeat vim existendi ; adeòque multò minùs aliquid extra se, aut in suam causam operandi. Et, quamvis in sacris Litteris saepe inveniatur, quòd Deus propter peccata hominum iratus, et tristis fuerit, et similia, in iis effectus sumitur pro causâ ; quemadmodum etiam dicimus, solem aestate quam hyeme fortiorem, et altiorem esse, quamvis neque situm mutaverit, neque vires resumserit. Et quòd talia etiam in sacris Litteris saepe doceantur, videre est in Esaiâ ; ait enim cap. 59 v. 2, ubi populum increpat : ''pravitates vestrae vos à vestro Deo separant''.<br /> <br /> <br /> ''Nec etiam à se ipso''<br /> <br /> Pergamus itaque, et inquiramus, an in Deo à Deo ipso ulla detur mutatio. Hanc verò in Deo dari non concedimus, imò ipsam prorsus negamus ; nam omnis mutatio, quae à voluntate dependet, fit, ut subjectum suum in meliorem mutet statum, quod in ente perfectissimo locum habere nequit. Deinde etiam talis mutatio non datur, nisi aliquod incommodum evitandi, aut aliquod bonum, quod deest, acquirendi gratiâ ; quod utrumque in Deo nullum locum habere potest. Unde concludimus Deum esse ens immutabile.<br /> <br /> <br /> Nota, me communes mutationis divisiones hic consultò omisisse, quamvis aliquo modo ipsas etiam complexi sumus ; nam non opus fuit ipsas singulatim à Deo removere, cùm Prop. 16 P. I demonstravimus, Deum esse incorporeum, et communes illae divisiones solius materiae mutationes tantùm contineant.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca5&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput V ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De simplicitate Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Rerum distinctio triplex realis, modalis, rationis''<br /> <br /> Pergamus ad Dei simplicitatem. Hoc Dei attributum ut rectè intelligatur, in memoriam revocanda sunt, quae Princ. Philosophiae P. I art. 48 et 49 Cartesius tradidit : nimirum in rerum naturâ nihil praeter substantias, et earum modos dari, unde triplex rerum distinctio deducitur, art. 60, 61 et 62 ''realis'' scilicet, ''modalis'' et ''rationis''. Realis vocatur illa, qua duae substantiae inter se distinguuntur, sive diversi, sive ejusdem attributi : ut ex. gr. cogitatio, et extensio, vel partes materiae. Haecque ex eo cognoscitur, quod utraque sine ope alterius concipi, et per consequens existere possit. ''Modalis'' duplex ostenditur, nimirum quae est inter modum substantiae, et ipsam substantiam ; ac quae est inter duos modos unius ejusdemque substantiae. Atque hanc ex eo cognoscimus, quod, quamvis uterque modus absque ope alterius concipiatur, neuter tamen absque ope substantiae, cujus sunt modi : Illam verò ex eo, quod, quamvis substantia illa possit concipi sine suo modo, modus tamen sine substantiâ concipi nequeat. ''Rationis'' denique ea esse dicitur, quae oritur inter substantiam, et suum attributum ; ut cùm duratio ab extensione distinguitur. Haecque etiam ex eo cognoscitur, quod talis substantia non possit sine illo attributo intelligi.<br /> <br /> <br /> ''Undenam omnis compositio oriatur, et quotuplex sit''<br /> <br /> Ex his tribus omnis compositio oritur. Prima enim compositio est, quae fit ex duabus, aut pluribus substantiis ejusdem attributi, ut omnis compositio, quae fit ex duobus, aut pluribus corporibus, sive diversi attributi, ut homo. Secunda fit unione diversorum modorum. Tertia denique non fit, sed tantùm ratione quasi fieri concipitur, ut eò faciliùs res intelligatur. Quae autem hisce prioribus duobus modis non componuntur, simplicia dicenda sunt.<br /> <br /> <br /> ''Deum esse ens simplicissimum''<br /> <br /> Ostendendum itaque Deum non esse quid compositum, ex quo poterimus concludere ipsum esse ens simplicissimum, quod facilè effectum dabimus. Cùm enim per se clarum sit, quòd partes componentes priores sunt naturâ ad minimùm re compositâ, necessariò substantiae illae, ex quarum coalitione, et unione Deus componitur, ipso Deo priores erunt naturâ, et unaquaeque per se poterit concipi, quamvis Deo non tribuatur. Deinde, cùm illa inter se necessariò realiter distinguantur, necessariò etiam unaquaeque per se absque ope aliarum poterit existere ; ac sic, ut modò diximus, tot possent dari dii, quot sunt substantiae, ex quibus Deum componi supponeretur. Nam cùm unaquaeque per se possit existere, à se debebit existere ; ac proinde etiam vim habebit sibi dandi omnes perfectiones, quas Deo inesse ostendimus etc., ut jam [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p7|Prop. 7 P. I]], ubi existentiam Dei demonstravimus, fusè explicuimus. Cùm autem hoc nihil absurdius dici possit, concludimus Deum non componi ex coalitione, et unione substantiarum. Quòd in Deo etiam nulla detur compositio diversorum modorum, satis convincitur ex eo, quod in Deo nulli dentur modi : modi enim oriuntur ex alteratione substantiae, vide Princ. P. I art. 56. Denique si quis velit aliam compositionem fingere ex rerum essentiâ, et earum existentiâ, huic nequaquam repugnamus. At memor sit nos jam satis demonstrasse, haec duo in Deo non distingui.<br /> <br /> <br /> ''Dei attributa distingui tantùm ratione''<br /> <br /> Atque hinc jam clarè possumus concludere, omnes distinctiones, quas inter Dei attributa facimus, non alias esse, quàm rationis, nec illa reverâ inter se distingui : intellige tales rationis distinctiones, quales modò retuli, nempe quae ex eo cognoscuntur, quod talis substantia non possit sine illo attributo esse. Unde concludimus Deum esse ens simplicissimum. Caeterùm peripateticorum distinctionum farraginem non curamus, transimus igitur ad Dei vitam.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca6&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VI ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De vitâ Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Quid vulgò per vitam intelligant philosophi''<br /> <br /> Ut hoc attributum, ''vita'' scilicet Dei, rectè intelligatur, necesse est, ut generaliter explicemus, quid in unâquâque re per ejus vitam denotetur. Et 1°. sententiam peripateticorum examinabimus. Hi per vitam intelligunt ''mansionem altricis animae cum calore'', vide Arist. lib. I de Respirat. cap. 8. Et quia tres finxerunt animas, vegetativam scilicet, sensitivam, et intellectivam, quas tantùm plantis, brutis, et hominibus tribuunt, sequitru, ut ipsimet fatentur, reliqua vitae expertia esse. At interim dicere non audebant, mentes, et Deum vitâ carere. Verebantur fortasse, ne in ejus contrarium inciderent, nempe si vitâ careant, mortem eos obiisse. Quare Aristoteles Metaph. lib. XI cap. 7 adhuc aliam definitionem vitae tradit, mentibus tantùm peculiarem ; nempe ''intellectûs operatio vita est'' ; et hoc sensu Deo, qui scilicet intelligit, et actus purus est, vitam tribuit. Verùm in his refutandis non multum defatigabimur ; nam quòd ad illas tres animas, quas plantis, brutis, et hominibus tribuunt, attinet, jam satis demonstravimus, illas non esse nisi figmenta ; nempe quia ostendimus in materiâ nihil praeter mechanicas texturas, et operationes dari. Quod autem ad vitam Dei attinet, nescio cur magis actio intellectûs apud ipsum vocetur, quam actio voluntatis, et similium. Verùm, quia nullam ejus responsionem exspecto, ad id, quod promisimus, explicandum transeo, nempe quid vita sit.<br /> <br /> <br /> ''Quibus rebus vita tribui possit''<br /> <br /> Et quamvis haec vox per translationem saepe sumatur ad significandum mores alicujus hominis, nos tamen solum, quid philosophicè eâ denotetur, breviter explicabimus. Notandum autem est, quòd si vita rebus etiam corporeis tribuenda sit, nihil erit vitae expers ; si verò tantùm iis, quibus anima unita est corpori, solummodo hominibus, et fortè etiam brutis tribuenda erit ; non verò mentibus, nec Deo. Verùm cùm vocabulum vitae communiter latiùs se extendat, non dubium est, quin etiam rebus corporeis, mentibus non unitis, et mentibus à corpore separatis tribuendum sit.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit vita, et quid sit in Deo''<br /> <br /> Quare nos per ''vitam'' intelligimus ''vim, per quam res in suo esse perseverant''. Et quia illa vis à rebus ipsis est diversa, res ipsas habere vitam propriè dicimus. Vis autem, quâ Deus in suo esse perseverat, nihil est praeter ejus essentiam, unde optimè loquuntur, qui Deum vitam vocant. Nec desunt theologi, qui sentiunt, Judaeos hac de causâ, nempe quòd Deus sit vita, et à vitâ non distinguatur, cùm jurabant, dixisse, [heb.] ''vivus Jehova'' ; non verò [heb.] ''vita Jehovae'', ut Joseph, cùm per vitam pharaonis jurabat, dicebat [heb.] ''vita pharaonis''.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca7&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VII ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De intellectu Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Deum esse omniscium''<br /> <br /> Inter attributa Dei numeravimus antea ''omniscientiam'', quam satis constat Deo competere ; quia scientia continet in se perfectinem, et Deus, ens nempe perfectissimum, nullâ perfectione carere debet : quare scientia summo gradu Deo erit tribuenda, scilicet talis, quae nullam praesupponat, vel supponat ignorantiam, sive scientiae privationem : nam tum daretur imperfectio in ipso attributo, sive in Deo. Ex his sequitur Deum nunquam habuisse intellectum potentiâ, neque per ratiocinum aliquid concludere.<br /> <br /> ''Objectum scientiae Dei non esse res extra Deum''<br /> <br /> Porrò ex perfectione Dei etiam sequitur ejus ideas non terminari, sicuti nostrae, ab objectis extra Deum positis. Sed contrà res, extra Deum à Deo creatae, à Dei intellectu determinantur &lt;ref&gt;Hinc clarè sequitur intellectum Dei, quores creatas intelligit, et ejus voluntatem, et potentiam, quâ ipsas determinavit, unum et idem esse.&lt;/ref&gt; ; nam aliàs objecta per se suam haberent naturam, et essentiam, et priores essent, saltem naturâ, divino intellectu, quod absurdum est. Et quia hoc à quibusdam non satis observatum fuit, in enormes errores inciderunt. Statuerunt nimirum aliqui, dari extra Deum materiam, ipsi coaeternam, à se existentem, quam Deus intelligens secundùm aliquos in ordinem tantùm redegit, secundùm alios formas ipsi insuper impressit. Alii deinde res ex suâ naturâ vel necessarias, vel impossibiles, vel contingentes esse statuerunt, ideòque Deum has etiam ut contingentes noscere, et prorsus ignorare, an existent, vel non. Alii denique dixerunt, Deum contingentia noscere ex circumstantiis, fortè quia longam habuit experientiam. Praeter hos adhuc alios hujusmodi errores hîc adferre possem, nisi id supervacaneum judicarem ; cùm ex antedictis eorum falsitas sponte se patefaciat.<br /> <br /> <br /> ''Sed Deum ipsum''<br /> <br /> Revertamur itaque ad nostrum propositum, nempe quòd extra Deum nullum detur objectum ipsius scientiae, sed ipse sit scientiae suae objectum, imò sua scientia. Qui autem putant, mundum etiam objectum Dei scientiae esse, longè minùs sapiunt, quàm qui aedificium, ab aliquo insigni architecto factum, objectum scientiae illius statui volunt : nam faber adhuc extra se materiam idoneam quaerere cogitur : At Deus nullam extra se materiam quaesivit, sed res quoad essentiam, et existentiam ab ejus intellectu sive voluntate fabricatae fuerunt.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo Deus noscat peccata, et entia rationis, etc.''<br /> <br /> Quaeritur jam, an Deus noscat mala, sive peccata, et entia rationis, et alia similia. Respondemus, Deum illa, quorum est causa, necessariò debere intelligere ; praesertim cùm ne momento quidem possint existere, nisi concurrente concursu divino. Cùm ergo mala, et peccata in rebus nihil sint, sed tantùm in mente humanâ, res inter se comparante, sequitur Deum ipsa extra mentes humanas non cognoscere. Entia rationis modos esse cogitandi diximus, et hac ratione à Deo intelligi debent, hoc est, quatenus percipimus, illum mentem humanam, utut constituta est, conservare, et procreare ; non verò quòd Deus tales modos cogitandi habeat in se, ut ea, quae intelligit, faciliùs retineat. Atque ad haec pauca, quae diximus, si modò rectè attendatur, nihil circa Dei intellectum proponi poterit, quòd facillimo negotio non solvi queat.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo singularia, et quomodo universalia''<br /> <br /> Sed interim non praetereundus error quorundam, qui statuunt Deum nihil praeter res aeternas cognoscere, ut nempe angelos, et coelos, quos suâ naturâ ingenerabiles, et incorruptibiles finxerunt ; hujus autem mundi nihil, praeter species, utpote etiam ingenerabiles, et incorruptibiles. Hi sanè videntur, quasi studio errare velle, et absurdissima excogitare. Quid enim magis absurdum, quàm Dei cognitionem à singularibus, quae sine Dei concursu ne per momentum quidem esse possunt, arcere. Deinde res realiter existentes Deum ignorare statuunt, universalium autem, quae non sunt, nec ullam habent praeter singularium essentiam, cognitionem Deo affingunt. Nos autem contrà Deo singularium cognitionem tribuimus, universalium denegamus, nisi quatenus mentes humanas intelligit.<br /> <br /> <br /> ''In Deo tantùm esse, et simplicem ideam''<br /> <br /> Denique, antequam huic argumento finem imponamus, satisfaciendum videtur quaestioni, quâ quaeritur, an in Deo plures sint ideae, an tantùm una, et simplicissima. Ad hanc respondeo, quòd idea Dei, per quam omniscius vocatur, unica, et simplicissima est. Nam reverâ Deus nullâ aliâ ratione vocatur omniscius, nisi quia habet ideam sui ipsius, quae idea sive cognitio simul semper cum Deo existit ; nihil enim est praeter ejus essentiam, nec illa alio modo potuit esse.<br /> <br /> <br /> ''Quae sit Dei scientia circa res creatas''<br /> <br /> At cognitio Dei circa res creatas non adeò propriè ad scientiam Dei referri potest ; nam si Deus voluisset, aliam res creatae habuissent essentiam, quod nullum obtinet locum in cognitione, quam Deus de se ipso habet. Quaeretur tamen, an illa propriè vel impropriè dicta rerum creatarum cognitio sit multiplex, an unica. Verùm, ut respondeamus, haec quaestio nihil differt ab illis, quibus quaeritur, an Dei decreta, et volitiones sint plures, vel non ; et an Dei ubiquitas, sive concursus, quo res singulares conservat, sit idem in omnibus ; de quibus jam diximus nos nullam distinctam cognitionem habere posse. Attamen evidentissimè scimus, eodem modo, ac Dei concursus, si ad Dei omnipotentiam referatur, unicus esse debet, quamvis in effectis diversimodè patefiat : sic etiam Dei volitiones, et decreta (sic enim vocare libet ejus cognitionem circa res creatas) in Deo considerata non esse plura, quamvis per res creatas, vel meliùs in rebus creatis diversimodè expressa sint. Denique si ad analogiam totius naturae attendimus, ipsam, ut unum ens, considerare possumus, et per consequens una tantùm erit Dei idea, sive decretum de naturâ naturatâ.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VIII ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De voluntate Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8s1&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ''Quomodo Dei essentia, et intellectus, quo se intelligit, et voluntas, quâ se amat, distinguantur, nos nescire''<br /> <br /> Voluntas Dei, quâ se vult amare, necessariò sequitur ex infinito ejus intellectu, quo se intelligit. Quomodo autem haec tria inter sese distinguantur, ejus scilicet essentia, intellectus, quo se intelligit, et voluntas, quâ se amare vult, inter desiderata reponimus. Nec fugit nos vocabulum (''personalitas'' scilicet), quod theologi passim usurpant ad rem explicandam : verùm, quamvis vocabulum non ignoremus, ejus tamen significationem ignoramus, nec ullum clarum, et distinctum conceptum illius formare possumus ; quamvis constanter credamus in visione Dei beatissimâ, quae fidelibus promittitur, Deum hoc suis revelaturum.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8s2&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ''Voluntatem, et potentiam Dei, quoad extrà, non distingui ab ejus intellectu''<br /> <br /> ''Voluntas'', et ''potentia'' quoad extrà non distinguuntur à Dei intellectu, ut jam satis ex antecedentibus constat ; nam ostendimus Deum non tantùm decrevisse res exstituras, sed etiam tali naturâ exstituras, hoc est, earum essentiam, et earum existentiam à Dei voluntate, et potentiâ pendere debuisse : ex quibus clarè, et distinctè percipimus, intellectum Dei, ejusque potentiam, et voluntatem, quâ res creatas creavit, intellexit, et conservat, sive amat, nullo modo inter se distingui, sed tantùm respectu nostrae cogitationis.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8s3&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ''Deum impropriè quaedam odio habere, quaedam amare''<br /> <br /> Cùm autem dicimus, Deum quaedam odio habere, quaedam amare, haec eodem sensu dicuntur, quo Scriptura habet, terram homines evomituram, et id genus alia. Quòd autem Deus nemini sit iratus, nec res tali modo amat, quali vulgus sibi persuadet, satis ex ipsâ Scripturâ colligere est : ait enim Esaias, et clariùs Apost. cap. 9 ad Roman., ''Nondum enim natis'' (filiis nempe Isaci)'', cùm neque boni quippiam fecissent, neque mali, ut secundùm electionem propositum Dei maneret, non ex operibus, sed ex vocante dictum est illi, quòd major serviturus esset minori'', etc. Et paulo post, ''Itaque cujus vult, miseretur, quem autem vult, indurat. Dices ergo mihi, quid adhuc conqueritur : nam voluntati illius quis resistit ? verè, ô homo, tu quis es, qui ex adverso respondes Deo : num dicet figmentum ei, qui finxit, cur me finxisti hoc pacto ? an non habet potestatem figulus luti, ut ex eâdem massâ faciat aliud quoddam vas in honorem, aliud in ignominiam ?'' etc.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8s4&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ''Cur Deus homines monet, cur non salvat absque monitione, et cur impii puniantur''<br /> <br /> Si jam quaeras, cur ergo Deus homines monet, ad hoc facilè respondetur, scilicet Deum ideò ab aeterno decrevisse illo tempore homines monere, ut illi converterentur, quos voluit salvos. Si porrò quaeris, an Deus non potuerat illos salvare sine illâ monitione, respondemus, potuisset. Cur ergo non salvat, forsan iterum quaeres. Ad hoc respondebo, postquam mihi dixeris, cur Deus mare rubrum sine vento orientali vehementi non pervium reddidit, et omnes motus singulares sine aliis non perficiat, aliaque infinita, quae Deus agit mediantibus causis. Rogabis denuo, cur igitur impii puniuntur ; suâ enim naturâ agunt, et secundùm decretum divinum. At respondeo, etiam ex decreto divino esse, ut puniantur ; et si tantùm illi, quos non nisi ex libertate fingimus peccare, essent puniendi, cur homines serpentes venenosos exterminare conantur ; ex naturâ enim propriâ tantùm peccant, nec aliud possunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca8s5&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ''Scripturam nihil docere, quod lumini naturae repugnet''<br /> <br /> Denique si quae adhuc alia occurrunt in Sacris Scripturis, quae scrupulum injiciant, non est hujus loci illa explicare ; nam hîc tantùm in ea inquirimus, quae ratione naturali certissimè assequi possumus, et satis est, nos illa evidenter demonstrare, ut sciamus Sacram paginam eadem etiam docere debere ; nam veritas veritati non repugnat, nec Scriptura nugas, quales vulgò fingunt, docere potest. Si enim in ipsâ inveniremus aliquid, quod lumini naturali esset contrarium, eâdem libertate, quâ Alcoranum, et Thalmud refellimus, illam refellere possemus. Sed absit cogitare, quod in Sacris Litteris aliquid reperiri possit, quod lumini naturae repugnet.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca9&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput IX ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De potentiâ Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ''Quomodo omnipotentia Dei intelligenda sit''<br /> <br /> Quòd Deus sit omnipotens, jam satis demonstratum est. Hic tantùm breviter explicare conabimur, quomodo hoc attributum intelligendum sit ; nam multi non satis piè, nec secundùm veritatem de eo loquuntur. Ajunt enim res quasdam suâ naturâ, et non ex decreto Dei esse possibiles, quasdam impossibiles, et denique quasdam necessarias, Deique omnipotentiam tantùm circa possibilia locum habere. Nos verò, qui jam ostendimus omnia à decreto Dei absolutè dependere, dicimus Deum esse omnipotentem : at postquam intelleximus, eum quaedam decrevisse ex merâ libertate suae voluntatis, ac deinde eum esse immutabilem, dicimus jam, contra sua decreta nihil agere posse ; ideòque esse impossibile ex eo solo, quod pugnet cum perfectione Dei.<br /> <br /> <br /> ''Omnia esse necessaria respectu decreti Dei, non autem quaedam in se, quaedam respectu decreti''<br /> <br /> Sed fortè quis arguet, nos non invenire quaedam necessaria esse, nisi ad Dei decretum attendentes, quaedam verò econtrà ad Dei decretum non attendentes, ex. gr. quòd Josias ossa idololatrarum super arâ Jeroboami combureret ; nam si tantùm ad voluntatem Josiae attendamus, rem ut possibilem judicabimus, nec ullo modo necessariò futuram dicemus, nisi ex eo, quod propheta ex decreto Dei hoc praedixerat : At, quòd tres anguli trianguli aequales debeant esse duobis rectis, ipsa res indicat. Sed sanè hi ex suâ ignorantiâ distinctiones in rebus fingunt. Nam si homines clarè totum ordinem naturae intelligerent, omnia aequè necessaria reperirent, ac omnia illa, quae in mathesi tractantur ; sed quia hoc supra humanam cognitionem est, ideò à nobis quaedam possibilia, non verò necessaria judicantur. Quocirca vel dicendum, quòd Deus nihil potest, quoniam omnia reverâ necessaria sunt, vel Deum omnia posse, et necessitatem, quam in rebus reperimus, à solo Dei decreto provenisse.<br /> <br /> <br /> ''Quod si Deus aliam fecisset rerum naturam, etiam nobis alium debuisset dare intellectum''<br /> <br /> Si jam quaeratur, qui, si Deus res aliter decrevisset, et illa, quae jam vera sunt, falsa esse fecisset, an non illa tamen pro verissimis agnosceremus. Imò profectò, si Deus nobis naturam, quam dedit, reliquisset : sed etiam tum potuisset, si voluisset, nobis dare talem naturam, uti jam fecit, quâ rerum naturam, et leges, prout à Deo sancitae essent, intelligeremus : imò si ad ipsius veracitatem attendamus, dare debuisset. Quod idem etiam patet ex eo, quod suprà diximus, nimirum quòd tota natura naturata non sit nisi unicum ens : unde sequitur hominem partem esse naturae, que cum caeteris cohaerere debet ; quare ex simplicitate decreti Dei etiam sequeretur, quod si Deus res alio modo creasset, simul etiam nostram naturam ita constituisset, ut res, prout à Deo creatae essent, intelligeremus. Unde nos, quamvis eandem distinctionem potentiae Dei, quam vulgò tradunt philosophi, retinere cupiamus, ipsam tamen aliter explicare cogimur.<br /> <br /> <br /> ''Quotuplex sit potentia Dei. Quid absoluta, quid ordinata, quid ordinaria, quid extraordinaria''<br /> <br /> Dividimus itaque ''potentiam Dei'' in ''ordinatam'', et ''absolutam''.<br /> <br /> ''Absolutam potentiam'' Dei esse dicimus, cùm ejus omnipotentiam ad ejus decreta non attendentes consideramus ; ''ordinatam'' vero, cùm respicimus ad ejus decreta.<br /> <br /> Porrò datur potentia ''ordinaria'', et ''extraordinaria'' Dei. ''Ordinaria'' est, quâ mundum certo ordine conservat ; ''extraordinaria'', cùm aliquid agit praeter naturae ordinem, ut ex.gr. omnia miracula, qualia sunt locutio asinae, apparitio angelorum, et similia : quamvis de hac postremâ non immeritò valdè dubitari posset, cùm majus videatur esse miraculum, si Deus mundum semper uno eodemque certo, atque immutabili ordine gubernaret, quàm si leges, quas ipse in naturâ optimè, et ex merâ libertate sancivit (quod à nemine nisi penitùs occaecato inficias iri potest), propter stultitiam hominum abrogaret. Verùm hoc decernere theologis relinquimus.<br /> <br /> Denique quaestiones alias, quae circa potentiam Dei communiter adferri solent, nimirum, ''utrum ad praeterita extendatur Dei potentia ; an possit meliora facere eo, quae facit ; num possit plura alia facere, quàm fecit'', omittimus ; facillimè enim ex antedictis ad eas responderi potest.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca10&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput X ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De creatione'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Deum omnium rerum creatorem jam antea statuimus : hîc jam conabimur explicare, quid per creationem intelligendum sit : deinde ea, quae circa creationem communiter proponuntur, pro viribus enucleabimus. A primo itaque incipiamus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit creatio''<br /> <br /> Dicimus igitur ''creationem'' esse ''operationem, in quâ nullae causae praeter efficientem concurrunt, sive res creata est illa, quae ad existendum nihil praeter Deum praesupponit''.<br /> <br /> <br /> ''Creationis vulgaris definitio rejicitur''<br /> <br /> Ubi notandum venit, 1°. nos illa verba omittere, quae communiter philosophi usurpant, nempe ''ex nihilo'', quasi nihil fuisset materia, ex quâ res producebantur. Quòd autem sic loquantur, inde est, quòd, cùm soleant, ubi res generantur, aliquid ante ipsas supponere, ex quo fiant, in creatione illam particulam ex non potuerunt omittere. Idem ipsis contigit circa materiam, nempe, quia vident omnia corpora in loco esse, et ab aliis corporibus cingi, ideò sibi quaerentibus, ubi integra esset materia, responderunt, in aliquo spatio imaginario. Unde non dubium est, quin illi ''to nihil'' non ut negationem omnis realitatis consideraverint, sed aliquid reale esse finxerint, aut imaginati fuerint.<br /> <br /> <br /> ''Propria explicatur''<br /> <br /> 2°. Quòd dico, in creatione nullas alias causas concurrere praeter efficientem. Potueram quidem dicere, creationem omnes causas praeter efficientem ''negare'' sive ''secludere'' : Attamen malui ''concurrere'', ne cogerer respondere iis, qui quaerunt, an Deus nullum finem sibi praefixit in creatione, propter quem res creavit. Praeterea, ut rem meliùs explicarem, secundam addidi definitionem, scilicet rem creatam nihil praesupponere praeter Deum ; quia nempe si Deus aliquem finem sibi praefixit, ille sanè non fuit extra Deum ; nihil enim extra Deum datur, à quo ipse incitetur ad agendum.<br /> <br /> <br /> ''Accidentia, et modos non creari''<br /> <br /> 3°. Ex hac definitione satis sequi, accidentium, et modorum nullam dari creationem ; praesupponunt enim praeter Deum substantiam creatam.<br /> <br /> ''Nullum fuisse tempus, aut durationem ante creationem''<br /> <br /> 4°. Denique ante creationem nullum nos posse imaginari tempus, neque durationem ; sed haec cum rebus incepisse. Tempus enim mensura est durationis, sive potiùs nihil est praeter modum cogitandi. Quare non tantùm praesupponit quamcunque rem creatam, sed praecipuè homines cogitantes. Duratio autem desinit, ubi res creatae desinunt esse, et incipit, ubi res creatae existere incipiunt ; ''res creatae'' inquam, nam Deo nullam competere, sed tantùm aeternitatem, jam suprà satis evidenter ostendimus. Quare duratio res creatas praesupponit, aut ad minimùm supponit. Qui autem durationem, et tempus ante res creatas imaginantur, eodem praejudicio laborant ac illi, qui extra materiam spatium fingunt, ut per se satis est manifestum. Haec de creationis definitione.<br /> <br /> <br /> ''Eandem esse Dei operationem mundi creandi, quàm conservandi''<br /> <br /> Porrò non est opus, ut hîc iterum repetamus id, quod [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a10|Ax. 10 P. I]] demonstravimus ; nimirum tantundem virium requiri ad rem creandam, quàm ad ipsam conservandam, hoc est, eandem esse Dei operationem mundi creandi, quàm conservandi.<br /> <br /> His sic notatis pergamus jam ad id, quod secundo loco promisimus. 1°. Igitur inquirendum, quid creatum est, quid increatum. 2°. An id, quod creatum est, potuerit ab aeterno creari.<br /> <br /> <br /> ''Quaenam sint creata''<br /> <br /> Ad primum igitur breviter respondemus, id omne creatum esse, cujus essentia clarè concipitur sine ullâ existentiâ, et tamen per se concipitur, ut ex. gr. materia, cujus conceptum clarum, et distinctum habemus, cùm illam sub attributo extensionis concipimus, eamque aequè clarè, et distinctè concipimus, sive existat, sive non existat.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo Dei cogitatio à nostrâ differat''<br /> <br /> At quis fortasse dicet, nos cogitationem clarè, et distinctè percipere sine existentiâ, eamque tamen Deo tribuere. Sed ad hoc respondemus nos non talem cogitationem Deo tribuere, qualis nostra est, patibilem scilicet, et quae à rerum naturâ terminatur, sed talem, quae purus actus est, ideòque existentiam involvens, ut satis prolixè suprà demonstravimus. Ostendimus enim Dei intellectum, et voluntatem ab ipsius potentiâ, et essentiâ, quae existentiam involvit, non distingui.<br /> <br /> <br /> ''Non esse quid extra Deum Deo coaeternum''<br /> <br /> Cùm itaque omne id, cujus essentia nullam involvit existentiam, necessariò, ut existat, à Deo creari debeat, et continuò, ut suprà multis exposuimus, ab ipso creatore conservari, in eorum sententiâ refutandâ non morabimur, qui mundum, aut chaos, aut materiam ab omni formâ nudatam coaeternam Deo, adeòque independentem statuerunt. Quare ad secundam partem pergendum, inquirendumque, an id, quod creatum est, ab aeterno creari potuerat ?<br /> <br /> <br /> ''Quid hîc vocibus, ab aeterno, denotetur''<br /> <br /> Hoc ut rectè intelligatur, attendendum est ad hunc loquendi modum, ''ab aeterno'' ; eo enim nos aliud prorsus hoc loco significare volumus, quàm id, quod antehac explicuimus, ubi de Dei aeternitate locuti sumus. Nam hîc nihil aliud intelligimus, quàm durationem absque principio durationis, vel talem durationem, quam, quamvis eam per multos annos, aut myriadas annorum multiplicare vellemus, atque hoc productum iterum per myriadas, nunquam tamen ullo numero, quantumvis magno, exprimere possemus.<br /> <br /> <br /> ''Non potuisse aliquid ab aeterno creari, probatur''<br /> <br /> Talem autem durationem non posse dari, clarè demonstratur. Nam si mundus iterum ab hoc puncto retrograderetur, nunquam talem durationem habere poterit : ergo etiam mundus à tali principio usque ad hoc punctum pervenire non potuisset. Dices fortè Deo nihil esse impossibile ; est enim omnipotens, adeòque poterit efficere durationem, quâ major non posset dari. Respondemus, Deum, quia est omnipotens, nunquam durationem creaturum, quâ major ab ipso creari non possit. Talis enim est natura durationis, ut semper major, et minor datâ possit concipi, sicuti numerus. Instabis fortè, Deum ab aeterno fuisse, adeòque usque in hoc tempus durasse, ac sic durationem dari, quâ major concipi nequit. Verùm hoc modo tribuitur Deo duratio partibus constans, quod à nobis satis superque refutatum est, ubi Deo non durationem, sed aeternitatem competere demonstravimus ; quod utinam homines probè considerassent : nam et ex multis argumentis, et absurditatibus facillimè se extricare potuissent, et maximâ cum delectatione in beatissimâ hujus entis contemplatione detenti fuissent.<br /> <br /> <br /> Verumenimverò pergamus ad argumentorum, quae à quibusdam adferuntur, responsionem, nempe quibus conantur ostendere possibilitatem talis infinitae durationis à parte ante.<br /> <br /> <br /> ''Ex eo, quod Deus sit aeternus, non sequi illius effecta etiam esse posse ab aeterno''<br /> <br /> Primò igitur afferunt, ''rem productam posse simul tempore esse cum causâ ; cùm autem Deus fuerit ab aeterno, potuerunt etiam ejus effectus ab aeterno fuisse producti''. Atque hoc insuper confirmant ''exemplo filii Dei, qui ab aeterno à patre productus est''. Verùm ex antedictis clarè videre est, hos ''aeternitatem'' cum duratione confundere, Deoque durationem tantùm ab aeterno tribuere ; quod etiam clarè apparet exemplo, quod adferunt. Nam eandem aeternitatem, quam Dei filio tribuunt, creaturis possibilem esse statuunt. Deinde tempus, et durationem ante mundum conditum imaginantur, et durationem absque rebus creatis statuere volunt, sicuti alii aeternitatem extra Deum, quod utrumque à vero alienissimum esse jam constat. Respondemus itaque falsissimum esse, Deum suam aeternitatem creaturis communicare posse, nec filium Dei creaturam esse : sed, uti patrem, aeternum esse. Cùm itaque dicimus patrem filium ab aeterno genuisse, nihil aliud volumus, quàm patrem suam aeternitatem filio semper communicasse.<br /> <br /> <br /> ''Deum, si necessariò ageret, non esse infinitae virtutis''<br /> <br /> Argumentantur 2°., ''quòd Deus, cum liberè agat, non minoris sit potentiae, quàm cùm agit necessariò : At si Deus necessariò ageret, cùm sit infinitae virtutis, mundum ab aeterno creare debuisset''. Sed ad hoc argumentum etiam perfacilè responderi potest, si attendatur ad ejus fundamentum. Boni enim isti viri supponunt, se diversas ideas entis infinitae virtutis posse habere ; nam Deum, et cùm ex necessitate naturae agit, et cùm liberè agit, infinitae virtutis esse concipiunt. Nos verò negamus Deum, si ex necessitate naturae ageret, infinitae esse virtutis, quod nobis jam negare licet, imò necessariò ab iis etiam concedendum est ; postquam demonstravimus ens perfectissimum liberè agere, et non nisi unicum posse concipi. Quod si verò regerant, poni tamen posse, quamvis id impossibile sit, Deum ex necessitate naturae agentem infinitae esse virtutis : respondebimus id non magis licere supponere, quam circulum quadratum, ut concludatur omnes lineas à centro ad circumferentiam ductas non esse aequales. Atque hoc ex modò dictis, ne, quae jam dudum dicta sunt, repetamus, satis constat. Modò enim demonstravimus, nullam dari durationem, cujus duplum, sive quâ major, et minor non possit concipi ; ac proinde à Deo, qui infinitâ virtute liberè agit, semper major, et minor datâ creari possit. At si Deus ex necessitate naturae ageret, nullo modo id sequeretur ; nam tantùm illa, quae ex ejus naturâ resultaret, ab ipso produci posset, non verò infinitae aliae majores datâ. Quare sic breviter argumentamur : Si Deus maximam durationem, quâ majorem ipse non posset creare, crearet, necessariò suam potentiam diminueret. Atqui falsum est posterius, nam ejus potentia ab ipsius essentiâ non differt. Ergo etc. Porrò, si Deus ex necessitate naturae ageret, durationem, quâ majorem ipse creare non potest, creare deberet : sed Deus talem durationem creans non est infinitae virtutis ; nam semper datâ majorem concipere possumus. Ergo si Deus ex necessitate naturae ageret, non esset infinitae virtutis.<br /> <br /> <br /> ''Unde habeamus conceptum majoris durationis, quàm est hujus mundi''<br /> <br /> Quod si cui hîc scrupulus oriretur, undenam nempe, cùm mundus ante quinque millia annorum, et quod excedit, si vera est chronologorum computatio, creatus fuerit, nos tamen possimus majorem concipere durationem, quam asseruimus non sine creatis rebus intelligi posse. Illi facillimè iste eximetur, si advertat, nos illam durationem non ex solâ contemplatione creatarum rerum, sed ex contemplatione infinitae Dei potentiae ad creandum intelligere : Non enim creaturae concipi possunt, ut per se existentes, sive durantes, sed tanquam per infinitam Dei potentiam, à quâ solâ omnem suam durationem habent. Vide [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p12|Prop. 12 P. I ejusque Coroll]].<br /> <br /> Denique ne hic futilibus argumentis respondendo tempus confumamus, tantùm haec animadvertenda sunt : nempe distinctio inter aeternitatem, et durationem, et quòd duratio sine rebus creatis, et aeternitas sine Deo nullo modo sint intelligibiles : his enim probè perceptis facillimè ad omnia argumenta responderi poterit : unde his diutiùs immomari non necesse arbitramur.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca11&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput XI ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De concursu Dei'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Circa hoc attributum parum aut nihil dicendum restat, postquam ostendimus Deum singulis momentis continuò rem quasi de novo creare ; ex quo demonstravimus, res ex se nullam unquam habere potentiam ad aliquid operandum, nec se ad ullam actionem determinandas ; hocque non tantùm habere locum in rebus extra hominem, sed etiam in ipsâ humanâ voluntate. Deinde etiam ad quaedam argumenta huc spectantia respondimus, et quamvis alia multa adferri solent, quia tamen praecipuè ad theologiam pertinent, iis hic supersedere animus est.<br /> <br /> Attamen quia multi sunt, qui concursum Dei admittunt, statuuntque planè alio sensu, quàm quo nos eum tradidimus, observandum hîc est, ut eorum fallaciam facillimè detegamus, id, quod antehac demonstravimus, nimirum quòd tempus praesens nullam habeat connexionem cum tempore futuro, vide [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a10|Ax. 10 P. I]], hocque à nobis clarè distinctèque percipiatur ; atque ad hoc si modò probè attendatur, sine ullâ difficultate ad omnia illorum argumenta, quae ex philosophiâ peti possunt, responderi poterit.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo Dei conservatio se habeat in rebus determinandis ad operandum''<br /> <br /> Verùm, ne quaestionem hanc frustra attigerimus, ad eam in transitu respondebimus, quâ quaeritur, ''an Dei conservationi aliquid accedat, cùm rem determinat ad operandum'', atque ubi de motu locuti sumus, jam hujus responsionem utcunque attigimus. Diximus enim Deum eandem quantitatem motûs in naturâ conservare. Quare si ad totam naturam materiae attendamus, illi nihil novi accedit. At respectu rerum particularium aliquo modo potest dici illi aliquid novi accedere : Quod an etiam locum habeat in rebus spiritualibus, non videtur : nam illa ab invicem ita dependere non apparet. Denique cùm partes durationis nullam habeant inter se connexionem, possumus dicere, Deum non adeò propriè res conservare, quam procreare ; quare, si homo jam determinatam libertatem habeat ad aliquid agendum, dicendum est, Deum illo tempore eum ita creasse. Atque huic non obstat, quòd humana voluntas saepe a rebus extra se positis determinetur, et omnia vicissim, quae in naturâ sunt, à se invicem ad aliquid operandum determinentur : nam etiam illa à Deo ita determinata sunt. Nulla enim res voluntatem determinare, nec vicissim voluntas determinari, nisi a solâ potentiâ Dei potest. Verùm quomodo hoc cum humanâ libertate non pugnet, sive quomodo Deus id efficere possit servatâ humanâ libertate, fatemur nos ignorare, quâ de re jam saepiùs locuti sumus.<br /> <br /> <br /> ''Divisionem attributorum Dei vulgarem magis esse nominis, quàm rei''<br /> <br /> Haec sunt, quae circa attributa Dei dicere decreveram, quorum nullam huc usque tradidi divisionem. Illa autem, quae passim traditur ab authoribus, nempe quâ dividunt attributa Dei in incommunicabilia, et communicabilia, ut verum fatear, magis videtur divisio nominis, quam rei. Nec enim scientia Dei cum scientiâ humanâ magis convenit, quam canis, signum coeleste, cum cane, qui est animal latrans, et fortè adhuc multo minùs.<br /> <br /> <br /> ''Autoris propria divisio''<br /> <br /> Nos verò hanc damus divisionem. Attributa Dei alia sunt, quae actuosam ejus essentiam explicant, alia, quae quidem nihil actionis, sed ejus modum existendi exponant. Hujus generis sunt, unitas, aeternitas, necessitas etc., illius verò intelligentia, voluntas, vita, omnipotentia etc. Haec divisio satis clara, et perspicua est, et omnia Dei attributa complectitur.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca12&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput XII ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De mente humanâ'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Transeundum jam est ad substantiam creatam, quam in extensam, et cogitantem divisimus. Per extensam materiam, sive substantiam corpoream intelligebamus. Per cogitantem verò mentes humanas tantùm.<br /> <br /> <br /> ''Angelos non esse metaphysicae, sed theologicae considerationis''<br /> <br /> Et quamvis angeli etiam creati sint, quia tamen lumine naturali non cognoscuntur, ad metaphysicam non spectant. Eorum enim essentia, et existentia non nisi per revelationem notae sunt, adeòque ad solam theologiam pertinent, cujus cognitio cùm sit prorsus alia, sive toto genere diversa à cognitione naturali, nullo modo cum illâ miscenda est. Nullus igitur exspectet nos de angelis aliquid dicturos.<br /> <br /> <br /> ''Mentem humanam non esse ex traduce, sed à Deo creari ; at, quando creetur, nesciri''<br /> <br /> Redeamus ergo ad mentes humanas, de quibus jam pauca restant dicenda, sed tantùm monendum, nos de tempore creationis mentis humanae nihil dixisse, quia non satis constat, quo tempore Deus ipsam creat, cùm sine corpore possit existere. Hoc satis constat, illam non esse ex traduce ; nam id tantùm locum habet in rebus, quae generantur, nempe in modis alicujus substantiae : substantia autem ipsa generari non potest, sed tantùm à solo omnipotente creari, ut satis in praecedentibus demonstravimus.<br /> <br /> <br /> ''Quo sensu anima humana sit mortalis''<br /> <br /> De ejus verò immortalitate ut aliquid addam. Satis constat nos de nullâ re creatâ posse dicere, quòd ejus natura implicet, ut à potentiâ Dei destruatur : nam qui potestatem habuit rem creandi, etiam potestatem habet ipsam destruendi. Adde, quòd jam satis demonstravimus, nullam rem creatam suâ naturâ ne momento quidem posse existere, sed continuò à Deo procreari.<br /> <br /> <br /> ''Quo verò sensu immortalis''<br /> <br /> Verùm, quamvis ita res sit, tamen clarè, et distinctè videmus, nos nullam ideam habere, quâ concipiamus substantiam destrui, sicut habemus ideas corruptionis, et generationis modorum : clarè enim concipimus, ubi ad corporis humani fabricam attendimus, talem fabricam posse destrui ; et non aequè, ubi ad substantiam corpoream attendimus, concipimus ipsam annihilari posse.<br /> <br /> Denique philosophus non quaerit id, quod summâ potentiâ Deus potest facere, sed de rerum naturâ ex legibus, quas Deus ipsis indidit, judicat ; quare id judicat fixum, ac ratum esse, quod ex illis legibus fixum esse, ac ratum concluditur ; quamvis non neget, Deum illas leges, et caetera omnia mutare posse. Quâpropter nos etiam non inquirimus, ubi de animâ loquimur, quid Deus facere possit, sed tantùm quid ex naturae legibus sequatur.<br /> <br /> <br /> ''Illius immortalitas demonstratur''<br /> <br /> Cùm autem ex ipsis clarè sequatur substantiam, nec per se, nec per aliam substantiam creatam destrui posse, ut jam antehac, ni fallor, abundè demonstravimus, mentem esse immortalem statuere cogimur ex legibus naturae. Et si rem adhuc penitiùs introspicere volumus, evidentissimè demonstrare poterimus, illam esse immortalem. Nam, ut modò demonstravimus, animam immortalem esse, ex legibus naturae clarè sequitur. Leges autem illae naturae sunt decreta Dei lumine naturali revelata, ut etiam ex antecedentibus evidentissimè constat. Decreta deinde Dei immutabilia esse, jam etiam demonstravimus. Ex quibus omnibus clarè concludimus, Deum suam immutabilem voluntatem circa durationem animarum hominibus non tantùm revelatione, sed etiam lumine naturali patefecisse.<br /> <br /> <br /> ''Deum non contra, sed supra naturam agere ; et quid hoc sit secundum authorem''<br /> <br /> Nec obstat, si aliquis objiciat, Deum leges illas naturales aliquando destruere ad efficienda miracula ; nam plerique ex prudentioribus theologis concedunt, Deum nihil contra naturam agere, sed supra naturam, hoc est, ut ego explico, Deum multas etiam leges operandi habere, quas humano intellectui non communicavit, quae si humano intellectui communicatae essent, aequè naturales essent, quam caeterae.<br /> <br /> Unde liquidissimè constat mentes esse immortales, nec video, quid de animâ humanâ in genere hoc in loco dicendum restet. Nec etiam de ipsius functionibus speciatim aliquid restaret dicendum, nisi argumenta quorundam authorum, quibus efficere conantur, ut id, quod vident, et sentiunt, non videant, neque sentiant, me invitarent ad ipsis respondendum.<br /> <br /> <br /> ''Cur aliqui putent, voluntatem non esse liberam''<br /> <br /> Putant aliqui se posse ostendere, voluntatem non esse liberam, sed semper ab alio determinari. Atque hoc inde putant, quia per voluntatem intelligunt, quid ab animâ distinctum, quod ut substantiam considerant, cujus naturâ in eo solo consistat, quòd sit indifferens. Nos autem, ut omnem amoveamus confusionem, rem priùs explicabimus, quo facto facillimè eorum fallacias argumentorum detegemus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit voluntas''<br /> <br /> Mentem humanam diximus esse rem cogitantem ; unde sequitur illam ex solâ suâ naturâ, in se solâ spectatâ, aliquid agere posse, videlicet cogitare, hoc est, affirmare, et negare. Hae vero cogitationes, vel determinantur à rebus extra mentem positis, vel à solâ mente ; quandoquidem et ipsa est substantia, ex cujus essentiâ cogitante multae actiones cogitativae sequi possunt, et debent. Actiones autem illae cogitativae, quae nullam aliam sui causam agnoscunt, quàm mentem humanam, ''volitiones'' vocantur. Mens verò humana, quatenus concipitur, ut causa sufficiens ad tales actiones producendas, ''voluntas'' vocatur.<br /> <br /> <br /> ''Dari voluntatem''<br /> <br /> Quòd autem anima talem potentiam habeat, quamvis à nullis rebus externis determinetur, commodissimè explicari potest exemplo asinae Buridani. Si enim hominem loco asinae ponamus in tali aequilibrio positum, homo, non pro re cogitante, sed pro turpissimo asino erit habendus, si fame, et siti pereat. Deinde etiam item liquet ex eo, quod, ut antehac diximus, etiam de rebus omnibus dubitare, et non tantùm ipsa, quae in dubium revocari possunt, ut dubia judicare, sed tanquam falsa explodere voluimus. Vide Cartes. Princip. P. I art. 39.<br /> <br /> <br /> ''Eamque esse liberam''<br /> <br /> Porrò notandum, quamvis anima à rebus externis determinetur ad aliquid affirmandum, aut negandum, non tamen ipsam ita determinari, ac si à rebus externis cogeretur, sed ipsam semper liberam manere. Nam nulla res habet potestatem ipsius essentiam destruendi ; quare id, quod affirmat, et negat, semper liberè affirmat, et negat, ut satis in quartâ Meditatione explicatum est. Unde si quis quaerat, cur anima hoc aut illud vult, hoc aut illud non vult, ipsi respondebimus, quia anima est res cogitans, hoc est, res, quae ex suâ naturâ potestatem habet volendi, et nolendi, affirmandi, et negandi ; hoc enim est esse rem cogitantem.<br /> <br /> <br /> ''Nec confundendam cum appetitu''<br /> <br /> Hisce sic explicatis, argumenta adversariorum videamus. 1. Argumentum tale est. ''Si voluntas possit velle contra ultimum intellectûs dictamen, si possit appetere contrarium bono, ab ultimo intellectûs dictamine praescripto, poterit appetere malum, sub ratione mali : At absurdum est posterius. Ergo et prius.'' Ex hoc argumento clarè videre est, ipsos non intelligere, quid sit voluntas ; confundunt enim ipsam cum appetitu, quem habet anima, postquam aliquid affirmavit, aut negavit, quod didicerunt à suo magistro, qui voluntatem definivit, appetitum sub ratione boni. Nos verò voluntatem dicimus esse ''to affirmare hoc bonum esse, et contrà'', ut jam antehac abundè explicuimus circa causam erroris, quem demonstravimus ex eo oriri, quod voluntas latiùs pateat, quàm intellectus. Si autem mens non affirmasset id bonum esse, ex eo, quod libera est, nihil appeteret. Quare ad argumentum respondemus concedendo, mentem nihil posse velle contra ultimum intellectûs dictamen, hoc est, nihil posse velle, quatenus supponitur nolle, ut hîc supponitur, ubi dicitur ipsam aliquam rem judicasse malam, hoc est, aliquid noluisse ; negamus tamen illam absolutè id, quod malum est, non potuisse velle, hoc est, bonum judicare : id enim esset contra ipsam experientiam : multa enim, quae mala sunt, bona, et contrà quae bona sunt, mala esse judicamus.<br /> <br /> <br /> ''Nec aliquid esse praeter ipsam mentem''<br /> <br /> 2. Argumentum est vel si mavis primum, quia huc usque nullum fuit. ''Si voluntas, ad volendum non determinetur ab ultimo intellectûs practici judicio, ergo seipsam determinabit. At voluntas seipsam non determinat, quia ex se, et naturâ suâ est indeterminata.'' Hinc sic argumentari pergunt. ''Si voluntas ex se, et suâ naturâ est indifferens ad volendum, et non volendum, non potest à se ipsâ determinari ad volendum : quod enim determinat, tàm debet esse determinatum, quàm est indeterminatum, quod determinatur. At voluntas considerata, ut determinans seipsam, tàm est indeterminata, quàm est considerata eadem ut determinanda : nihil enim ponunt adversarii in voluntate determinante, quod non idem sit in voluntate aut determinandâ, aut determinatâ, neque verò aliquid hîc poni potest. Ergo voluntas non potest à se ipsa ad volendum determinari. Si non à se ipsâ : Ergo aliunde.'' Haec sunt ipsissima verba Heereboordii professoris Leidensis, quibus satis ostendit se per voluntatem, non mentem ipsam intelligere, sed aliquid aliud extra mentem, aut in mente, veluti tabulam rasam omni cogitatione carentem, et capacem cuivis picturae recipiendae, vel potiùs tanquam pondus in aequilibrio, quod à quolibet pondere in utramvis partem pellitur, prout pondus adventitium determinatum est ; vel denique aliquid, quod nec ipse, nec ullus mortallium ullâ cogitatione assequi potest. Nos modò diximus, imò clarè ostendimus, voluntatem nihil esse praeter mentem ipsam, quam rem cogitantem vocamus, hoc est, affirmantem, et negantem ; unde clarè colligimus, ubi ad solam naturam mentis attendimus, eam aequalem potestatem habere affirmandi, et negandi ; id enim, inquam, est cogitare. Si nos itaque ex eo, quod mens cogitat, concludimus, ipsam potentiam habere affirmandi, et negandi, cur igitur causas quaerimus adventitias efficiendi id, quod ex solâ naturâ rei sequitur ? At dices, ipsa mens non magis est determinata ad affirmandum, quàm ad negandum ; ideòque concludes, nos necessariò causam quaerere debere, quâ ipsa determinetur. Sed ego contrà argumentor, si mens ex se, et suâ naturâ tantùm esset determinata ad affirmandum (quamvis impossibile sit hoc concipere, quamdiu ipsam rem cogitantem esse cogitamus), tum illa ex solâ suâ naturâ tantùm affirmare, nunquam verò, quamvis concurrant quotvis causae, negare posset : Si verò neque ad affirmandum, neque ad negandum determinata sit, neutrum facere poterit : si denique ad utrumque habet potestatem, quod habere modò ostendimus, utrumque efficere poterit ex solâ suâ naturâ, nullâ adjuvante aliâ causâ, quod clarè constabit iis omnibus, qui rem cogitantem, ut rem cogitantem, considerant ; hoc est, qui attributum cogitationis à re ipsâ cogitante, à quâ non nisi ratione distinguitur, nullo modo separant, quemadmodum adversarii faciunt, qui rem cogitantem ab omni cogitatione denudant, ipsamque ut materiam illam primam peripatericorum fingunt. Quare ad argumentum sic respondeo, et quidem ad majorem. Si per voluntatem intelligit rem omni cogitatione spoliatam, concedimus voluntatem ex suâ naturâ esse indeterminatam : At negamus, voluntatem esse qui omni cogitatione spoliatum, et contrà statuimus esse cogitationem, hoc est, potentiam ad utrumque, nempe ad affirmandum, et ad negandum, quâ certè nihil aliud intelligi potest, quàm causa sufficiens ad utrumque. Deinde etiam negamus, quòd, si voluntas indeterminata esset, hoc est, omni cogitatione spoliata, alia aliqua causa adventitia, quàm Deus infinitâ suâ potentiâ creandi, ipsam determinare posset : Rem enim cogitantem sine ullâ cogitatione concipere, idem est, ac rem extensam sine extensione concipere velle.<br /> <br /> <br /> ''Cur philosophi mentem cum rebus corporeis confuderunt''<br /> <br /> Denique ne opus sit, hîc plura argumenta recensere, moneo tantùm, adversarios, quia voluntatem non intellexerunt, nec ullum clarum, et distinctum mentis conceptum habuerunt, mentem cum rebus corporeis confudisse : quod inde ortum duxit, quia verba, quae ad res corporeas usurpare solent, ad res spirituales, quas non intelligebant, significandas usurparunt ; assueti enim fuerunt, corpora illa, quae à causis externis aequipollentibus, et planè contrariis, versus contrarias partes propelluntur, quâpropter in aequilibrio sunt, indeterminata vocare. Cùm igitur voluntatem indeterminatam statuunt, ipsam etiam, ut corpus in aequilibrio positum, videntur concipere ; et quia illa corpora nihil habent, nisi quod à causis externis acceperunt (ex quo sequitur illa semper à causâ externâ determinari debere), idem in voluntate sequi putant. Sed quomodo res se habeat, jam satis explicuimus, quare hîc finem facimus.<br /> <br /> De substantiâ verò extensâ jam antehac satis etiam locuti sumus, et praeter has duas nullas alias agnoscimus. Quod ad accidentia realia attinet, et alias qualitates, satis illa explosa sunt; nec opus est, iis refellendis, tempus impendere, quare, hîc manum de tabulâ tollimus.<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''Finis'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ====Adnotationes ====<br /> <br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> <br /> --------<br /> <br /> <br /> &lt;div align=&quot;left&quot;&gt;[[Cogitata metaphysica - Pars I|Pars I]]&lt;/div&gt;&lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Cogitata_metaphysica_-_Pars_I Cogitata metaphysica - Pars I 2017-01-14T16:21:33Z <p>Henrique : /* Adnotationes */</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{Chapitre|<br /> |1= [[Cogitata metaphysica]]<br /> |2= Benidictus de Spinoza<br /> |3= Pars I<br /> |4 =<br /> }}<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''In quâ praecipua, quae in parte Metaphysices generali,'''&lt;/div&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''circa Ens, ejusque Affectiones vulgò occurrunt, breviter explicantur.'''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca1&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput I ==<br /> <br /> <br /> '''''&lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;De ente reali, ficto, et rationis&lt;/div&gt;'''''<br /> <br /> <br /> De definitione hujus scientiae nihil dico, nec etiam circa quae versetur ; sed tantùm ea, quae obscuriora sunt, et passim ab authoribus in metaphysicis tractantur, explicare hîc est animus.<br /> <br /> <br /> ''Entis definitio''<br /> <br /> Incipiamus igitur ab ente, per quod intelligo ''id omne, quod, cum clarè, et distinctè percipitur, necessariò existere, vel ad minimùm posse existere reperimus''.<br /> <br /> <br /> ''Chimaera, ens fictum, et ens rationis non esse entia''<br /> <br /> Ex hac autem definitione, vel, si mavis, descriptione sequitur, quod ''chimaera'', ''ens fictum'', et ''ens rationis'' nullo modo ad entia revocari possint. Nam ''chimaera'' &lt;ref&gt;Nota, quod nomine Chimaera hîc, et in seqq. intelligatur id, cujus natura apertam involvit contradictionem, ut fusiùs explicatur, [[#ca3|cap. III]].&lt;/ref&gt; ex suâ naturâ existere nequit. ''Ens'' verò ''fictum'' claram, et distinctam perceptionem secludit, quia homo ex solâ merâ libertate, et non, ut in falsis, insciens, sed prudens, et sciens connectit, quae connectere, et disjungit, quae disjungere vult. ''Ens'' denique ''rationis'' nihil est praeter modum cogitandi, qui inservit ad res intellectas faciliùs ''retinendas'', ''explicandas'', atque ''imaginandas''. Ubi notandum, quod per modum cogitandi intelligimus id, quod jam Schol. Propos. 15 Part. I explicuimus, nempe omnes cogitationis affectiones, videlicet intellectum, laetitiam, imaginationem, etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res retineamus''<br /> <br /> Quod autem dentur quidam modi cogitandi, qui inserviunt ad res firmiùs, atque faciliùs ''retinendas'', et ad ipsas, quando volumus, in mentem revocandas, aut menti praesentes sistendas, satis constat iis, qui notissima illa regula memoriae utuntur : quâ nempe ad rem novissimam retinendam, et memoriae imprimendam ad aliam nobis familiarem recurritur, quae vel nomine tenus vel re ipsâ cum hac conveniat. Hunc similiter in modum philosophi res omnes naturales ad certas classes reduxerunt, ad quas recurrunt, ubi aliquid nobi ipsis occurrit, quas vocant ''genus, species'' etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res explicemus''<br /> <br /> Ad rem deinde ''explicandam'' etiam modos cogitandi habemus, determinando scilicet eam per comparationem ad aliam. Modi cogitandi, quibus id efficimus, vocantur ''tempus, numerus, mensura'', et siquae adhuc alia sunt. Horum autem tempus inservit durationi explicandae, numerus quantitati discretae, mensura quantitati continuae.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res imaginemur''<br /> <br /> Denique, cùm assueti simus omnium, quae intelligimus, etiam imagines aliquas in nostrâ phantasiâ depingere, fit, ut non-entia positivè, instar entium, ''imaginemur''. Nam mens in se solâ spectatâ, cùm sit res cogitans, non majorem habet potentiam ad affirmandum, quàm ad negandum : imaginari verò cùm nihil aliud sit, quàm ea, quae in cerebro reperiuntur à motu spirituum, qui in sensibus ab objectis excitatur, vestigia sentire, talis sensatio non, nisi confusa affirmatio, esse potest. Atque hinc fit, ut omnes modos, quibus mens utitur ad negandum, quales sunt, caecitas, extremitas sive finis, terminus, tenebrae etc. tanquam entia imaginemur.<br /> <br /> <br /> ''Entia rationis cur non sint ideae rerum, et tamen pro iis habeantur''<br /> <br /> Unde clarè patet, hos modos cogitandi non esse ideas rerum, nec ullo modo ad ideas revocari posse ; quare etiam nullum habent ideatum, quod necessariò existit, aut existere potest. Causa autem, ob quam hi modi cogitandi pro ideis rerum habentur, est, quia ab ideis entium realium tam immediatè proficiscuntur, et oriuntur, ut facillimè cum ipsis ab iis, qui non accuratissimè attendunt, confundantur : unde etiam nomina ipsis imposuerunt, tanquam ad significandum entia extra mentem nostram existentia, quae entia, sive potiùs non-entia entia rationis vocaverunt.<br /> <br /> <br /> ''Malè dividi ens in reale, et rationis''<br /> <br /> Hincque facilè videre est, quàm inepta sit illa divisio, quâ dividitur ens in ens reale, et ens rationis : dividunt enim ens in ens, et non-ens, aut in ens, et modum cogitandi : Attamen non miror philosophos verbales, sive grammaticales in similes errores incidere : res enim ex nominibus judicant, non autem nomina ex rebus.<br /> <br /> <br /> ''Ens rationis quomodo dici possit merum nihil, et quomodo ens reale''<br /> <br /> Nec minus ineptè loquitur, qui ait ens rationis non esse merum nihil. Nam si id, quod istis nominibus significatur, extra intellectum quaerit, merum nihil esse reperiet : si autem ipsos modos cogitandi intelligit, vera entia realia sunt. Nam cùm rogo, quid sit species, nihil aliud quaero, quàm naturam istius modi cogitandi, qui reverâ est ens, et ab alio modo cogitandi distinguitur ; verùm, hi modi cogitandi ideae vocari non possunt, neque veri aut falsi possunt dici, sicut etiam amor non potest verus aut falsus vocari, sed bonus aut malus.Sic Plato cùm dixit, hominem esse animal bipes sine plumis, non magis erravit, quàm qui dixerunt hominem esse animal rationale ; nam Plato non minùs cognovit hominem esse animal rationale, quàm caeteri cognoscunt ; verùm ille hominem revocavit ad certam classem, ut quando vellet de homine cogitare, ad illam classem recurrendo, cujus facilè recordari potuerat, statim in cogitationem hominis incideret : Imò Aristoteles gravissimè erravit, si putavit se illâ suâ definitione humanam essentiam adaequatè explicuisse : An vero Plato benè fecerit, tantùm quaeri posset : sed haec non sunt hujus loci.<br /> <br /> <br /> ''In rerum investigatione entia realia cum entibus rationis non confundenda''<br /> <br /> Ex omnibus supradictis inter ens reale, et entis rationis ideata nullam dari convenientiam apparet : Unde etiam facilè videre est, quàm sedulò sit cavendum in investigatione rerum, ne entia realia, cum entibus rationis confundamus : Aliud enim est inquirere in rerum naturam, aliud in modos, quibus res a nobis percipiuntur. Haec verò si confundantur, neque modos percipiendi, neque naturam ipsam intelligere poterimus ; imò verò, quod maximus est, in causâ erit, quòd in magnos errores incidemus, quemadmodum multis hucusque contigit.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo ens rationis, et ens fictum distinguantur''<br /> <br /> Notandum etiam, quod multi confundunt ens rationis cum ente ficto : putant enim ens fictum etiam esse ens rationis, quia nullam extra mentem habet existentiam. Sed si ad entis rationis, et entis ficti definitiones modò traditas rectè attendatur, reperietur inter ipsa, tum ex ratione causae, tum etiam ex eorum naturâ, absque respectu causae, magna differentia. Ens fictum enim nihil aliud esse diximus, quàm duos terminos connexos ex solâ merâ voluntate sine ullo ductu rationis ; unde ens fictum casu potest esse verum. Ens verò rationis, nec a solâ voluntate dependet, nec ullis terminis inter se connexis constat, ut ex definitione satis fit manifestum. Si quis igitur roget, an ens fictum ens reale sit, an verò ens rationis, tantùm repetendum, atque regerendum est id, quod jam diximus, nempe malè dividi ens in ens reale, et ens rationis, ideòque malo fundamento quaeritur, an ens fictum ens reale sit, an verò rationis : supponitur enim omne ens dividi in ens reale, et rationis.<br /> <br /> <br /> ''Entis divisio''<br /> <br /> Sed ad nostrum propositum revertamur, à quo videmur utcunque jam deflexisse. Ex entis definitione, vel, si mavis, descriptione jam traditâ facilè videre est, quod ens dividendum sit in ens, quod suâ naturâ necessariò existit, sive cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit existentiam, nisi possibilem. Hoc ultimum dividitur in substantiam, et modum, quorum definitiones Part. I art. 51, 52 et 56 Princ. Philos. traduntur ; quare non necesse est, eas hîc repetere. Sed tantùm notari volo circa hanc divisionem, quod expressè dicimus ens dividi in substantiam, et modum ; non verò in substantiam, et accidens : nam accidens nihil est praeter modum cogitandi ; utpote quod solummodo respectum denotat. Ex. gr. cùm dico triangulum moveri, motus non est trianguli modus, sed corporis, quod movetur : unde motus respectu trianguli accidens vocatur : respectu verò corporis est ens reale, sive modus : non enim potest motus concipi sine corpore, at quidem sine triangulo.<br /> <br /> <br /> Porrò ut jam dicta, et etiam quae sequentur, meliùs intelligantur, explicare conabimur, quid per ''esse essentiae, esse existentiae, esse ideae'', ac denique ''esse potentiae'' intelligendum sit. Quo etiam nos movet quorundam ignorantia, qui nullam distinctionem agnoscunt inter essentiam, et existentiam, vel, si agnoscunt, ''esse essentiae'' cum ''esse ideae'' vel ''esse potentiae'' confundunt. Ut his igitur, et rei ipsi satisfaciamus, rem quam distinctè poterimus, in sequentibus explicabimus.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca2&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput II ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''Quid sit esse Essentiae, quid esse Existentiae,'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''quid esse Ideae, quid esse Potentiae'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Ut clarè percipiatur, quid per haec quatuor intelligendum sit, tantùm necesse est, ut nobis ob oculos ponamus ea, quae de substantiâ increatâ, sive de Deo diximus, nempe<br /> <br /> <br /> ''Creaturas in Deo esse eminenter''<br /> <br /> 1°. Deum eminenter continere id, quod formaliter in rebus creatis reperitur, hoc est, Deum talia attributa habere, quibus omnia creata eminentiori modo contineantur, vide [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a8|P. I Ax. 8]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p12c1|Coroll. 1 Prop. 12]]. Ex. gr. extensionem clarè concipimus sine ullâ existentiâ, ideòque, cùm per se nullam habeat vim existendi, à Deo creatam esse demonstravimus, Prop. ultima Part. I. Et, quia in causâ tantundem perfectionis ad minimùm debet esse, quantum est in effectu, sequitur, omnes perfectiones extensionis Deo inesse. Sed quia postea rem extensam ex suâ naturâ divisibilem esse videbamus, hoc est, imperfectionem continere, ideò Deo extensionem tribuere non potuimus, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p16|Part. I Prop. 16]], adeòque fateri cogebamur, Deo aliquod attributum inesse, quod omnes materiae perfectiones excellentiori modo continet, Schol. Prop. 9 Part. I, quodque vices materiae supplere potest :<br /> <br /> 2°. Deum seipsum, atque omnia alia intelligere, hoc est, omnia objectivè etiam in se habere, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p9|Part. I Prop. 9]].<br /> <br /> 3°. Deum esse omnium rerum causam, eumque ex absolutâ libertate voluntatis operari.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit esse essentiae, existentiae, ideae, ac potentiae ?''<br /> <br /> Ex his itaque clarè videre est, quid per illa quatuor intelligendum sit. Primum enim ''esse'' scilicet ''essentiae'', nihil aliud est, quàm modus ille, quo res creatae in attributis Dei comprehenduntur : ''esse'' deinde ''ideae'' dicitur, prout omnia objectivè in ideâ Dei continentur : ''esse'' porrò ''potentiae'' dicitur tantùm respectu potentiae Dei, quâ omnia nondum adhuc existentia ex absolutâ libertate voluntatis creare potuerat : ''esse'' denique ''existentiae'' est ipsa rerum essentia extra Deum, et in se considerata, tribuiturque rebus, postquam à Deo creatae sunt.<br /> <br /> <br /> ''Haec quatuor à se invicem non distingui, nisi in creaturis''<br /> <br /> Ex quibus clarè apparet, haec quatuor non distingui inter se, nisi in rebus creatis : in Deo verò nullo modo : Deum enim non concipimus fuisse potentiâ in alio, et ejus existentia, ejusque intellectus ab ejus essentiâ non distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Ad quaestiones quasdam de essentiâ respondetur''<br /> <br /> Ex his facilè ad quaestiones, quae passim de essentiâ circumferuntur, respondere possumus. Quaestiones autem hae sunt sequentes : an essentia distinguatur ab existentiâ, et si distinguatur, an sit aliquid diversum ab ideâ : et si aliquid diversum ab ideâ sit, an habeat aliquod esse extra intellectum ; quòd postremum sanè necessariò fatendum est. Ad primam autem sub distinctione respondemus, quod essentia in Deo non distinguatur ab existentiâ ; quandoquidem sine hac illa non potest concipi : in caeteris autem essentia differt ab existentiâ, potest nimirum sine hac concipi. Ad secundam verò dicimus, quòd res, quae extra intellectum clarè, et distinctè, sive verè concipitur, aliquid diversum ab ideâ sit. Sed denuo quaeritur, an illud esse extra intellectum sit à se ipso, an verò à Deo creatum. Ad quod respondemus, essentiam formalem non esse à se, nec etiam creatam ; haec duo enim supponerent rem actu existere : sed à solâ essentiâ divinâ pendere, in quâ omnia continentur ; adeòque hoc sensu iis assentimur, qui dicunt essentias rerum aeternas esse. Quaeri adhuc posset, quomodo nos, nondum intellectâ naturâ Dei, rerum essentias intelligamus, cùm illae, ut modò diximus, à solâ Dei naturâ pendeant. Ad hoc dico, id ex eo oriri, quod res jam creatae sunt : si enim non essent creatae, prorsus concederem, id impossibile fore, nisi post naturae Dei adaequatam cognitionem : eodem modo ac impossibile est, imò magis impossibile, quàm, ex nondum notâ naturâ parabolae naturam ejus ordinatim applicatarum noscere.<br /> <br /> <br /> ''Cur auctor in definitione essentiae ad Dei attributa recurrit''<br /> <br /> Porrò notandum, quod, quamvis essentiae modorum non existentium in illorum substantiis comprehendantur, et eorum ''esse essentiae'' in illorum substantiis sit, nos tamen ad Deum recurrere voluimus, ut generaliter essentiam modorum, et substantiarum explicaremus, et etiam, quia essentia modorum non fuit in illorum substantiis, nisi post earum creationem, et nos ''esse essentiarum'' aeternum quaerebamus.<br /> <br /> <br /> Cur aliorum definitiones non recensuit<br /> <br /> Ad haec non puto operae pretium esse, hîc authores, qui diversum à nobis sentiunt, refutare, nec etiam eorum definitiones aut descriptiones de essentiâ, et existentiâ examinare : nam hoc modo rem claram obscuriorem redderemus : quid enim magis clarum, quàm, quid sit essentia, et existentia, intelligere ; quandoquidem nullam definitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo distinctio inter essentiam, et existentiam facilè addiscatur''<br /> <br /> Denique, si quis philosophus adhuc dubitet, an essentia ab existentiâ distinguatur in rebus creatis, non est, quòd multum de definitionibus essentiae, et existentiae laboret, ut istud dubium tollatur : si enim tantùm adeat statuarium aliquem, aut fabrum lignarium, illi ipsi ostendent, quomodo statuam nondum existentem certo ordine concipiant, et postea eam ipsi existentem praebebunt.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput III ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De eo, quod est necessarium, impossibile, possibile, et contingens'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s1&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid hîc per affectiones intelligendum sit''<br /> <br /> Naturâ entis, quatenus ens est, sic explicatâ, ad aliquas ejus affectiones explicandas transimus ; ubi notandum venit, quòd per affectiones hîc intelligimus id, quod aliàs per attributa denotavit Cartesius in Part. I Princ. Philos. Art. 52. Nam ens, quatenus ens est, per se solum, ut substantia, nos non afficit, quare per aliquod attributum explicandum est, à quo tamen non, nisi ratione, distinguitur. Unde non satis mirari possum illorum ingenia subtilissima, qui medium quaesiverunt, non sine magno detrimento veritatis, inter ens, et nihil. Sed in eorum errorem refutando non morabor, quandoquidem ipsi, ubi talium affectionum definitiones tradere moliuntur, in vanâ suâ subtilitate prorsus evanescunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s2&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Affectionum definitio''<br /> <br /> Nos igitur rem nostram agemus, dicimusque ''entis affectiones esse, quaedam attributa, sub quibus uniuscujusque essentiam vel existentiam intelligimus, à quâ tamen non nisi ratione distinguntur''. De his quasdam (non enim omnes pertractare mihi assumo) hîc explicare, et à denominationibus, quae nullius entis sunt affectiones, separare conabor. Ac primò quidem agam de eo, quod est ''necessarium'', et ''impossibile''.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s3&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quod modis res dicatur necessaria, et impossibilis''<br /> <br /> Duobus modis res dicitur necessaria, et impossibilis, vel respectu suae essentiae, vel respectu causae. Respectu essentiae Deum necessariò existere novimus : nam ejus essentia non potest concipi sine existentiâ : chimaera verò respectu implicantiae suae essentiae non potis est, ut existat. Respectu causae dicuntur res, e. g. materiales, esse impossibiles aut necessariae : nam si tantùm ad earum essentiam respicimus, illam concipere possumus clarè, et distinctè sine existentiâ, quâpropter nunquam existere possunt vi, et necessitate essentiae : sed tantùm vi causae, Dei nempe omnium rerum creatoris. Si itaque in decreto divino est, ut res aliqua existat, necessariò existet ; sin minùs impossibile erit, ut existat. Nam per se manifestum est, id quod nullam causam, internam scilicet aut externam, habet ad existendum, impossibile est, ut existat : atqui res in hac secundâ hypothesi ponitur talis, ut neque vi suae essentiae, quam per causam internam intelligo, neque vi decreti divini, unicae omnium rerum causae externae, existere possit : unde sequitur, res ut in sec. hyp. à nobis statuuntur, impossibiles esse, ut existant.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s4&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Chimaeram commodè ens verbale vocari''<br /> <br /> Ubi notandum venit, 1°. Chimaeram, quia neque in intellectu est, neque in imaginatione, à nobis ens verbale commodè vocari posse ; nam ea non nisi verbis exprimi potest. Ex. gr. circulum quadratum verbis quidem exprimimus, imaginari autem nullo modo, et multò minùs intelligere possumus. Quâpropter chimaera praeter verbum nihil est, ideòque impossibilitas inter affectiones entis numerari non potest : est enim mera negatio.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s5&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Res creatas, quoad essentiam, et existentiam à Deo dependere''<br /> <br /> 2°. Notandum venit, quòd non tantùm rerum creatarum existentia : verùm etiam, ut infrà in sec. part. evidentissimè demonstrabimus, earum essentia, et natura à solo Dei decreto dependet. Ex quo clarè sequitur, res creatas nullam ex se ipsis habere necessitatem : nempe quia ex se ipsis nullam habent essentiam, nec à se ipsis existunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s6&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Necessitatem, quae in rebus creatis à causâ est, esse vel essentiae vel existentiae : at haec duo in Deo non distingui''<br /> <br /> 3°. Denique notandum est, quòd necessitas, qualis vi causae in rebus creatis est, dicatur vel respectu earum essentiae, vel respectu earum existentiae : nam haec duo in rebus creatis distinguuntur ; illa enim à legibus naturae aeternis dependet, haec verò à ferie, et ordine causarum. Verùm in Deo, cujus essentia ab illius existentiâ non distinguitur, essentiae necessitas etiam non distinguitur à necessitate existentiae ; unde sequitur, quòd si totum ordinem naturae conciperemus, inveniremus, quòd multa, quorum naturam clarè, et distinctè percipimus, hoc est, quorum essentia necessariò talis est, nullo modo possent existere ; nam tales res in naturâ existere aequè impossibile reperiremus, ac jam cognoscimus impossibile esse, ut magnus elephantus in acûs foramine recipi possit : quamvis utriusque naturam clarè percipiamus. Unde existentia illarum rerum non esset, nisi chimaera, quam neque imaginari, neque intelligere possemus.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s7&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens non esse rerum affectiones''<br /> <br /> Atque haec de necessitate, et impossibilitate, quibus pauca de ''possibili'', et ''contingente'' visum est adjungere ; nam haec duo à nonnullis pro rerum affectionibus habentur ; cùm tamen reverâ nihil aliud sint, quàm defectus nostri intellectûs, quod clarè ostendam, postquam explicavero, quid per haec duo intelligendum sit.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s8&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid sit possibile, quid contingens''<br /> <br /> ''Res possibilis'' itaque dicitur, ''cùm ejus causam efficientem quidem intelligimus ; attamen an causa determinata sit, ignoramus''. Unde etiam ipsam, ut possibilem, non verò neque ut necessariam, neque ut impossibilem considerare possumus. Si autem ''ad rei essentiam simpliciter, non verò ad ejus causam'' attendamus, ''illam contingentem'' dicemus, hoc est, illam, ut medium inter Deum, et chimaeram, ut sic loquar, considerabimus, nempe quia ex parte essentiae nullam in ipsâ reperimus necessitatem existendi, ut in essentiâ divinâ, neque etiam implicantiam sive impossibilitatem, ut in chimaerâ. Quod si quis id, quod ego ''possibile'' voco, ''contingens'', et contrà id, quod ego ''contingens, possibile'' vocare velit, non ipsi contradicam : neque enim de nominibus disputare soleo. Sat erit, si nobis concedat, haec duo non nisi defectus nostrae perceptionis, nec aliquid reale esse.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s9&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens esse tantùm defectus nostri intellectûs''<br /> <br /> Siquis autem id ipsum negare velit, illi suus error nullo negotio demonstratur : si enim ad naturam attendat, et quomodo ipsa à Deo dependet, nullum ''contingens'' in rebus esse reperiet, hoc est, quod ex parte rei possit existere, et non existere, sive, ut vulgò dicitur, ''contingens reale'' sit : quod facilè apparet ex eo, quod [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a10|Ax. 10 P. I]] docuimus, tantam scilicet vim requiri ad rem creandam, quam ad ipsam conservandam : Quare nulla res creata propriâ vi aliquid facit, eodem modo ac nulla res creata suâ propriâ vi incepit existere. Ex quo sequitur, nihil fieri, nisi vi causae omnia creantis, scilicet Dei, qui suo concursu singulis momentis omnia procreat. Cùm autem nihil fiat, nisi a solâ divinâ potentiâ, facile est videre, ea, quae fiunt, vi decreti Dei, ejusque voluntatis fieri. At, cùm in Deo nulla sit inconstantia, nec mutatio, per [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p18|Prop. 18]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p20c|Coroll. Prop. 20 P. I]] illa, quae jam producit, se producturum ab aeterno decrevisse debuit ; cùmque nihil magis necessarium sit, ut existat, quàm quod Deus extiturum decrevit, sequitur, necessitatem existendi in omnibus rebus creatis ab aeterno fuisse. Nec dicere possumus, illas esse contingentes, quia Deus aliud decrevisse potuit ; nam, cùm in aeternitate non detur quando, nec ante, nec post, neque ulla affectio temporis, sequitur, Deum nunquam ante illa decreta extitisse, ut aliud decernere posset.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s10&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Conciliationem libertatis nostri arbitrii, et praedinationis Dei, humanum captum superare''<br /> <br /> Quod verò attinet ad libertatem humanae voluntatis, quam liberam esse diximus [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p15s|Schol. Prop. 15 P. I]], illa etiam à Dei concursu conservatur, nec ullus homo aliquid vult, aut operatur, nisi id, quod Deus ab aeterno decrevit, ut vellet, et operaretur. Quomodo autem id fieri possit, servatâ humanâ libertate, captum nostrum excedit : neque ideò, quod clarè percipimus, propter id, quod ignoramus, erit rejiciendum : clarè enim, et distinctè intelligimus, si ad nostram naturam attendamus, nos in nostris actionibus esse liberos, et de multis deliberare propter id solum, quod volumus ; si etiam ad Dei naturam attendamus, ut modò ostendimus, clarè, et distinctè percipimus, omnia ab ipso pendere, nihilque existere, nisi quod ab aeterno à Deo decertum est, ut existat. Quomodo autem humana voluntas à Deo singulis momentis procreetur tali modo, ut libera maneat, id ignoramus ; multa enim sunt, quae nostrum captum excedunt, et tamen à Deo scimus facta esse, uti ex. gr. est illa realis divisio materiae in indefinitas particulas satis evidenter à nobis demonstrata in [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars II#p11|Sec. Part. Prop. 11]], quamvis ignoremus, quomodo divisio illa fiat. Nota, quòd hîc pro re notâ supponimus, has duas notiones, ''possibile'' nempe, et ''contingens'', tantùm defectum cognitionis nostrae circa rei existentiam significare.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca4&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput IV ==<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De duratione, et tempore'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> Ex eo, quod suprà divisimus ens in ens, cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit nisi possibilem existentiam, oritur distinctio inter aeternitatem, et durationem.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit aeternitas''<br /> <br /> De ''aeternitate'' infrà fusius loquemur. Hîc tantùm dicimus eam ''esse attributum, sub quo infinitam Dei existentiam concipimus''.<br /> <br /> <br /> ''Quid duratio''<br /> <br /> ''Duratio verò est attributum, sub quo rerum creatarum existentiam, prout in sua actualitate perseverant, concipimus.'' Ex quibus clarè sequitur, durationem à totâ alicujus rei existentiâ non, nisi ratione, distingui. Quantum enim durationi alicujus rei detrahis, tantundem ejus existentiae detrahi necesse est.<br /> <br /> <br /> ''Quid tempus''<br /> <br /> Haec autem ut determinetur, comparamus illam cum duratione aliarum rerum, quae certum, et determinatum habent motum, ''haecque comparatio tempus'' vocatur. Quare tempus non est affectio rerum, sed tantùm merus modus cogitandi, sive, ut jam diximus, ens rationis ; est enim modus cogitandi durationi explicandae inserviens. Notandum hîc in duratione, quod postea usum habebit, quando de aeternitate loquemur, videlicet, quòd major, et minor concipiatur, et quali ex partibus componi, et deinde quòd tantùm sit attributum existentiae, non verò essentiae.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca5&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput V ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De oppositione, ordine, etc.'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> ''Quid sint oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum, etc.''<br /> <br /> Ex eo, quod res inter se comparamus, quaedam oriuntur notiones, quae tamen extra res ipsas nihil sunt, nisi cogitandi modi. Quod inde apparet, quia si ipsas, ut res extra cogitationem positas, considerare velimus, clarum, quem aliàs de ipsis habemus conceptum, statim confusum reddimus. Notiones verò tales hae sunt, videlicet ''oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum'', et si quae adhuc alia his similia sunt. Hae, inquam, à nobis satis clarè percipiuntur, quatenus ipsas, non ut quid ab essentiis rerum oppositarum, ordinatarum etc. diversum, concipimus, sed tantùm ut modos cogitandi, quibus res ipsas faciliùs vel retinemus, vel imaginamur. Quare de his fusiùs loqui non necesse esse judico ; sed ad terminos vulgò transcendentales dictos transeo.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca6&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VI ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De Uno, Vero, et Bono'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Hi termini ab omnibus ferè metaphysicis pro generalissimis entis affectionibus habentur ; dicunt enim omne ens esse unum, verum, et bonum, quamvis nemo de iis cogitet. Verùm quid de his intelligendum sit, videbimus ; ubi seorsim unumquemque horum terminorum examinaverimus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit unitas''<br /> <br /> Incipiamus itaque à primo, scilicet ''uno''. Hunc terminum dicunt significare aliquid reale extra intellectum : verùm, quidnam hoc enti addat, nesciunt explicare, quod satis ostendit, illos entia rationis cum ente reali confundere ; quo efficiunt, ut id, quod clarè intelligunt, confusum reddant. Nos autem dicimus ''unitatem'' à re ipsâ nullo modo distingui, vel enti nihil addere, sed tantùm modum cogitandi esse, quo rem ab aliis separamus, quae ipsi similes sunt, vel cum ipsâ aliquo modo conveniunt.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit multitudo, et quo respectu Deus dici possit unus, et quo respectu unicus''<br /> <br /> Unitati verò opponitur ''multitudo'', quae sanè rebus etiam nihil addit, ne aliquid praeter modum cogitandi est, quemadmodum clarè, et distinctè intelligimus. Nec video, quid circa rem claram ampliùs dicendum restat ; sed tantùm hic notandum est, Deum, quatenus ab aliis entibus eum separamus, posse dici unum ; verùm, quatenus concipimus ejusdem naturae plures esse non posse, unicum vocari. At verò si rem accuratiùs examinare vellemus, possemus forte ostendere Deum non nisi impropriè unum, et unicum vocari, sed res non est tanti, imò nullius momenti iis, qui de rebus, non verò de nominibus sunt solliciti. Quare hoc relicto ad secundum transimus, et eâdem operâ, quid sit falsum, dicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit verum, quid falsum tàm apud vulgum, quàm apud philosophos''<br /> <br /> Ut autem haec duo ''verum'' scilicet, et ''falsum'' rectè percipiantur, à verborum significatione incipiemus, ex quâ apparebit ea, non nisi rerum denominationes extrinsecas, esse, neque rebus tribui, nisi rhetoricè. Sed quia vulgus vocabula primum invenit, quae postea à philosophis usurpantur, ideò è re esse videtur illius, qui primam significationem alicujus vocabuli quaerit, quid primum apud vulgum denotarit, inquirere ; praecipuè ubi aliae causae deficiunt, quae ex linguae naturâ depromi possent ad eam investigandam. Prima igitur ''veri'', et ''falsi'' significatio, ortum videtur duxisse à narrationibus : eaque narratio vera dicta fuisse, quae erat facti, quod reverâ contigerat : falsa verò, quae erat facti, quod nullibi contigerat. Atque hanc philosophi postea usurparunt ad denotandam convenientiam ideae cum suo ideato, et contrà : quare idea vera dicitur illa, quae nobis ostendit rem, ut in se est : falsa verò, quae nobis ostendit rem aliter, quàm reverâ est : Ideae enim nihil aliud sunt, quam narrationes sive historiae naturae mentales. Atque hinc postea metaphoricè translata est, ad res mutas, ut cùm dicimus verum, aut falsum aurum, quasi aurum nobis repraesentatum aliquid de seipso narret, quod in se est, aut non est.<br /> <br /> <br /> ''Verum non esse terminum transcendentalem''<br /> <br /> Quocirca planè decepti sunt, qui verum terminum transcendentalem sive entis affectionem judicarunt. Nam de rebus ipsis non nisi impropriè, vel si mavis rhetoricè dici potest.<br /> <br /> <br /> ''Veritas, et vera idea, quomodo differant''<br /> <br /> Si porrò quaeras, quid sit veritas praeter veram ideam, quaere etiam, quid sit albedo praeter corpus album ; eodem enim modo se habent ad invicem.<br /> <br /> De causâ veri, et de causâ falsi jam antea egimus ; quare hîc nihil restat notandum, nec etiam quae diximus, operae pretium fuisset notare, si scriptores in similibus nugis non adeò se intricassent, ut postea se extricare nequiverint, nodum passim in scirpo quaerentes.<br /> <br /> <br /> ''Quaenam sint proprietates veritatis ? Certitudinem non esse in rebus''<br /> <br /> Proprietates verò veritatis aut ideae verae sunt. 1°. Quòd sit clara et distincta, 2°. Quòd omne dubium tollat, sive uno verbo, quòd sit certa. Qui quaerunt certitudinem in rebus ipsis, eodem modo falluntur, ac cùm in iis quaerunt veritatem ; et quamvis dicamus, res in incerto est, rhetoricè sumimus ideatum pro ideâ ; quomodo etiam rem dicimus dubiam, nisi fortè quòd tum per incertitudinem contingentiam intelligamus, vel rem, quae nobis incertitudinem aut dubium injicit. Neque opus est circa haec diutiùs morari ; quare ad tertium pergemus, et simul quid per ejus contrarium intelligendum sit, explicabimus.<br /> <br /> <br /> ''Bonum, et malum tantùm dici respectivè''<br /> <br /> Res sola considerata neque bona dicitur, neque mala, sed tantùm respectivè ad aliam, cui conducit ad id, quod amat, acquirendum, vel contrà : ideòque unaquaeque res diverso respectu, eodemque tempore bona, et mala potest dici : Sic consilium ex. gr. Achitophelis Absaloni datum bonum in sacris Litteris vocatur ; pessimum tamen erat Davidi, cujus interitum moliebatur. Sed multa alia sunt bona, quae non omnibus bona sunt ; sic salus bona est hominibus, non verò neque bona, neque mala brutis aut plantis, ad quas nullum habet respectum. Deus verò dicitur summè bonus, quia omnibus conducit ; nempe uniuscujusque esse, quo nihil magis amabile, suo concursu conservando. Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum.<br /> <br /> <br /> ''Quare aliqui bonum metaphysicum statuerunt''<br /> <br /> Qui autem bonum aliquod metaphysicum quaeritant, quod omni careat respectu, falso aliquo praejudicio laborant ; nempe quòd distinctionem rationis cum distinctione reali vel modali confundant : distinguunt enim inter rem ipsam, et conatum, qui in unâquâque re est ad suum esse conservandum, quamvis nesciant, quid per conatum intelligant. Haec enim duo, quamvis ratione seu potiùs verbis distinguantur, quod maximè ipsos decepit, nullo modo re ipsâ inter se distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Res, et conatus, quo res in statu suo perseverare conantur, quomodo distinguantur''<br /> <br /> Quòd ut clarè intelligatur, exemplum alicujus rei simplicissimae ob oculos ponemus. Motus habet vim in suo statu perseverandi ; haec vis profectò nihil aliud est, quàm motus ipse, hoc est, quòd natura motûs talis sit. Si enim dicam in hoc corpore A nihil aliud esse, quàm certam quantitatem motûs, hinc clarè sequitur, quamdiu ad illud corpus A attendo, me semper debere dicere illud corpus moveri. Si enim dicerem, illud suam vim movendi ex se amittere, necessariò ipsi aliquid aliud tribuo praeter id, quod in hypothesi supposuimus, per quod suam naturam amittit. Quod si verò haec ratio obscurius videatur, age concedamus, illum conatum se movendi aliquid esse praeter ipsas leges, et naturam motûs ; cùm igitur hunc conatum esse bonum metaphysicum supponas, necessariò hic etiam conatus conatum habebit in suo esse perseverandi, et hic iterum alium, et sic in infinitum, quo magis absurdum nescio quid fingi possit. Ratio autem, cur illi conatum rei à re ipsâ distinguunt, est, quia in se ipsis reperiunt desiderium se conservandi, et tale in unâquâque re imaginantur.<br /> <br /> <br /> ''An Deus ante res creatas dici possit bonus''<br /> <br /> Quaeritur tamen, an Deus, antequam res creasset, dici posset bonus ; et ex nostrâ definitione videtur sequi, Deum tale attributum non habuisse, quia dicimus rem, si in se solâ consideratur, neque bonam, neque malam posse dici. Hoc autem multis absurdum videbitur ; sed quâ ratione nescio ; multa enim hujus notae attributa Deo tribuimus, quae antequam res crearentur, ipsi non competebant, nisi potentiâ, ut cùm vocatur creator, judex, misericors etc. Quare similia argumenta moram nobis injicere non debent.<br /> <br /> <br /> ''Perfectum quomodo dicatur respectivè, quomodo absolutè''<br /> <br /> Porrò uti bonum, et malum non dicitur nisi respectivè, sic etiam perfectio, nisi quando perfectionem sumimus pro ipsâ rei essentiâ, quo sensu antea diximus Deum infinitam perfectionem habere, hoc est, infinitam essentiam, seu infinitum esse.<br /> <br /> <br /> <br /> Plura his addere non est animus ; reliqua enim quae ad partem generalem metaphysices spectant, satis nota esse existimo : adeòque operae pretium non esse, ea ulteriùs persequi.<br /> &lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> ====Adnotationes ====<br /> <br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> &lt;div align=&quot;right&quot;&gt;[[Cogitata metaphysica - Pars II|Pars II]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Cogitata_metaphysica_-_Pars_I Cogitata metaphysica - Pars I 2017-01-14T16:18:00Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{Chapitre|<br /> |1= [[Cogitata metaphysica]]<br /> |2= Benidictus de Spinoza<br /> |3= Pars I<br /> |4 =<br /> }}<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''In quâ praecipua, quae in parte Metaphysices generali,'''&lt;/div&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''circa Ens, ejusque Affectiones vulgò occurrunt, breviter explicantur.'''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca1&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput I ==<br /> <br /> <br /> '''''&lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;De ente reali, ficto, et rationis&lt;/div&gt;'''''<br /> <br /> <br /> De definitione hujus scientiae nihil dico, nec etiam circa quae versetur ; sed tantùm ea, quae obscuriora sunt, et passim ab authoribus in metaphysicis tractantur, explicare hîc est animus.<br /> <br /> <br /> ''Entis definitio''<br /> <br /> Incipiamus igitur ab ente, per quod intelligo ''id omne, quod, cum clarè, et distinctè percipitur, necessariò existere, vel ad minimùm posse existere reperimus''.<br /> <br /> <br /> ''Chimaera, ens fictum, et ens rationis non esse entia''<br /> <br /> Ex hac autem definitione, vel, si mavis, descriptione sequitur, quod ''chimaera'', ''ens fictum'', et ''ens rationis'' nullo modo ad entia revocari possint. Nam ''chimaera'' &lt;ref&gt;Nota, quod nomine Chimaera hîc, et in seqq. intelligatur id, cujus natura apertam involvit contradictionem, ut fusiùs explicatur, [[#ca3|cap. III]].&lt;/ref&gt; ex suâ naturâ existere nequit. ''Ens'' verò ''fictum'' claram, et distinctam perceptionem secludit, quia homo ex solâ merâ libertate, et non, ut in falsis, insciens, sed prudens, et sciens connectit, quae connectere, et disjungit, quae disjungere vult. ''Ens'' denique ''rationis'' nihil est praeter modum cogitandi, qui inservit ad res intellectas faciliùs ''retinendas'', ''explicandas'', atque ''imaginandas''. Ubi notandum, quod per modum cogitandi intelligimus id, quod jam Schol. Propos. 15 Part. I explicuimus, nempe omnes cogitationis affectiones, videlicet intellectum, laetitiam, imaginationem, etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res retineamus''<br /> <br /> Quod autem dentur quidam modi cogitandi, qui inserviunt ad res firmiùs, atque faciliùs ''retinendas'', et ad ipsas, quando volumus, in mentem revocandas, aut menti praesentes sistendas, satis constat iis, qui notissima illa regula memoriae utuntur : quâ nempe ad rem novissimam retinendam, et memoriae imprimendam ad aliam nobis familiarem recurritur, quae vel nomine tenus vel re ipsâ cum hac conveniat. Hunc similiter in modum philosophi res omnes naturales ad certas classes reduxerunt, ad quas recurrunt, ubi aliquid nobi ipsis occurrit, quas vocant ''genus, species'' etc.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res explicemus''<br /> <br /> Ad rem deinde ''explicandam'' etiam modos cogitandi habemus, determinando scilicet eam per comparationem ad aliam. Modi cogitandi, quibus id efficimus, vocantur ''tempus, numerus, mensura'', et siquae adhuc alia sunt. Horum autem tempus inservit durationi explicandae, numerus quantitati discretae, mensura quantitati continuae.<br /> <br /> <br /> ''Quibus cogitandi modis res imaginemur''<br /> <br /> Denique, cùm assueti simus omnium, quae intelligimus, etiam imagines aliquas in nostrâ phantasiâ depingere, fit, ut non-entia positivè, instar entium, ''imaginemur''. Nam mens in se solâ spectatâ, cùm sit res cogitans, non majorem habet potentiam ad affirmandum, quàm ad negandum : imaginari verò cùm nihil aliud sit, quàm ea, quae in cerebro reperiuntur à motu spirituum, qui in sensibus ab objectis excitatur, vestigia sentire, talis sensatio non, nisi confusa affirmatio, esse potest. Atque hinc fit, ut omnes modos, quibus mens utitur ad negandum, quales sunt, caecitas, extremitas sive finis, terminus, tenebrae etc. tanquam entia imaginemur.<br /> <br /> <br /> ''Entia rationis cur non sint ideae rerum, et tamen pro iis habeantur''<br /> <br /> Unde clarè patet, hos modos cogitandi non esse ideas rerum, nec ullo modo ad ideas revocari posse ; quare etiam nullum habent ideatum, quod necessariò existit, aut existere potest. Causa autem, ob quam hi modi cogitandi pro ideis rerum habentur, est, quia ab ideis entium realium tam immediatè proficiscuntur, et oriuntur, ut facillimè cum ipsis ab iis, qui non accuratissimè attendunt, confundantur : unde etiam nomina ipsis imposuerunt, tanquam ad significandum entia extra mentem nostram existentia, quae entia, sive potiùs non-entia entia rationis vocaverunt.<br /> <br /> <br /> ''Malè dividi ens in reale, et rationis''<br /> <br /> Hincque facilè videre est, quàm inepta sit illa divisio, quâ dividitur ens in ens reale, et ens rationis : dividunt enim ens in ens, et non-ens, aut in ens, et modum cogitandi : Attamen non miror philosophos verbales, sive grammaticales in similes errores incidere : res enim ex nominibus judicant, non autem nomina ex rebus.<br /> <br /> <br /> ''Ens rationis quomodo dici possit merum nihil, et quomodo ens reale''<br /> <br /> Nec minus ineptè loquitur, qui ait ens rationis non esse merum nihil. Nam si id, quod istis nominibus significatur, extra intellectum quaerit, merum nihil esse reperiet : si autem ipsos modos cogitandi intelligit, vera entia realia sunt. Nam cùm rogo, quid sit species, nihil aliud quaero, quàm naturam istius modi cogitandi, qui reverâ est ens, et ab alio modo cogitandi distinguitur ; verùm, hi modi cogitandi ideae vocari non possunt, neque veri aut falsi possunt dici, sicut etiam amor non potest verus aut falsus vocari, sed bonus aut malus.Sic Plato cùm dixit, hominem esse animal bipes sine plumis, non magis erravit, quàm qui dixerunt hominem esse animal rationale ; nam Plato non minùs cognovit hominem esse animal rationale, quàm caeteri cognoscunt ; verùm ille hominem revocavit ad certam classem, ut quando vellet de homine cogitare, ad illam classem recurrendo, cujus facilè recordari potuerat, statim in cogitationem hominis incideret : Imò Aristoteles gravissimè erravit, si putavit se illâ suâ definitione humanam essentiam adaequatè explicuisse : An vero Plato benè fecerit, tantùm quaeri posset : sed haec non sunt hujus loci.<br /> <br /> <br /> ''In rerum investigatione entia realia cum entibus rationis non confundenda''<br /> <br /> Ex omnibus supradictis inter ens reale, et entis rationis ideata nullam dari convenientiam apparet : Unde etiam facilè videre est, quàm sedulò sit cavendum in investigatione rerum, ne entia realia, cum entibus rationis confundamus : Aliud enim est inquirere in rerum naturam, aliud in modos, quibus res a nobis percipiuntur. Haec verò si confundantur, neque modos percipiendi, neque naturam ipsam intelligere poterimus ; imò verò, quod maximus est, in causâ erit, quòd in magnos errores incidemus, quemadmodum multis hucusque contigit.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo ens rationis, et ens fictum distinguantur''<br /> <br /> Notandum etiam, quod multi confundunt ens rationis cum ente ficto : putant enim ens fictum etiam esse ens rationis, quia nullam extra mentem habet existentiam. Sed si ad entis rationis, et entis ficti definitiones modò traditas rectè attendatur, reperietur inter ipsa, tum ex ratione causae, tum etiam ex eorum naturâ, absque respectu causae, magna differentia. Ens fictum enim nihil aliud esse diximus, quàm duos terminos connexos ex solâ merâ voluntate sine ullo ductu rationis ; unde ens fictum casu potest esse verum. Ens verò rationis, nec a solâ voluntate dependet, nec ullis terminis inter se connexis constat, ut ex definitione satis fit manifestum. Si quis igitur roget, an ens fictum ens reale sit, an verò ens rationis, tantùm repetendum, atque regerendum est id, quod jam diximus, nempe malè dividi ens in ens reale, et ens rationis, ideòque malo fundamento quaeritur, an ens fictum ens reale sit, an verò rationis : supponitur enim omne ens dividi in ens reale, et rationis.<br /> <br /> <br /> ''Entis divisio''<br /> <br /> Sed ad nostrum propositum revertamur, à quo videmur utcunque jam deflexisse. Ex entis definitione, vel, si mavis, descriptione jam traditâ facilè videre est, quod ens dividendum sit in ens, quod suâ naturâ necessariò existit, sive cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit existentiam, nisi possibilem. Hoc ultimum dividitur in substantiam, et modum, quorum definitiones Part. I art. 51, 52 et 56 Princ. Philos. traduntur ; quare non necesse est, eas hîc repetere. Sed tantùm notari volo circa hanc divisionem, quod expressè dicimus ens dividi in substantiam, et modum ; non verò in substantiam, et accidens : nam accidens nihil est praeter modum cogitandi ; utpote quod solummodo respectum denotat. Ex. gr. cùm dico triangulum moveri, motus non est trianguli modus, sed corporis, quod movetur : unde motus respectu trianguli accidens vocatur : respectu verò corporis est ens reale, sive modus : non enim potest motus concipi sine corpore, at quidem sine triangulo.<br /> <br /> <br /> Porrò ut jam dicta, et etiam quae sequentur, meliùs intelligantur, explicare conabimur, quid per ''esse essentiae, esse existentiae, esse ideae'', ac denique ''esse potentiae'' intelligendum sit. Quo etiam nos movet quorundam ignorantia, qui nullam distinctionem agnoscunt inter essentiam, et existentiam, vel, si agnoscunt, ''esse essentiae'' cum ''esse ideae'' vel ''esse potentiae'' confundunt. Ut his igitur, et rei ipsi satisfaciamus, rem quam distinctè poterimus, in sequentibus explicabimus.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca2&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput II ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''Quid sit esse Essentiae, quid esse Existentiae,'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''quid esse Ideae, quid esse Potentiae'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Ut clarè percipiatur, quid per haec quatuor intelligendum sit, tantùm necesse est, ut nobis ob oculos ponamus ea, quae de substantiâ increatâ, sive de Deo diximus, nempe<br /> <br /> <br /> ''Creaturas in Deo esse eminenter''<br /> <br /> 1°. Deum eminenter continere id, quod formaliter in rebus creatis reperitur, hoc est, Deum talia attributa habere, quibus omnia creata eminentiori modo contineantur, vide [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a8|P. I Ax. 8]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p12c1|Coroll. 1 Prop. 12]]. Ex. gr. extensionem clarè concipimus sine ullâ existentiâ, ideòque, cùm per se nullam habeat vim existendi, à Deo creatam esse demonstravimus, Prop. ultima Part. I. Et, quia in causâ tantundem perfectionis ad minimùm debet esse, quantum est in effectu, sequitur, omnes perfectiones extensionis Deo inesse. Sed quia postea rem extensam ex suâ naturâ divisibilem esse videbamus, hoc est, imperfectionem continere, ideò Deo extensionem tribuere non potuimus, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p16|Part. I Prop. 16]], adeòque fateri cogebamur, Deo aliquod attributum inesse, quod omnes materiae perfectiones excellentiori modo continet, Schol. Prop. 9 Part. I, quodque vices materiae supplere potest :<br /> <br /> 2°. Deum seipsum, atque omnia alia intelligere, hoc est, omnia objectivè etiam in se habere, [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p9|Part. I Prop. 9]].<br /> <br /> 3°. Deum esse omnium rerum causam, eumque ex absolutâ libertate voluntatis operari.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit esse essentiae, existentiae, ideae, ac potentiae ?''<br /> <br /> Ex his itaque clarè videre est, quid per illa quatuor intelligendum sit. Primum enim ''esse'' scilicet ''essentiae'', nihil aliud est, quàm modus ille, quo res creatae in attributis Dei comprehenduntur : ''esse'' deinde ''ideae'' dicitur, prout omnia objectivè in ideâ Dei continentur : ''esse'' porrò ''potentiae'' dicitur tantùm respectu potentiae Dei, quâ omnia nondum adhuc existentia ex absolutâ libertate voluntatis creare potuerat : ''esse'' denique ''existentiae'' est ipsa rerum essentia extra Deum, et in se considerata, tribuiturque rebus, postquam à Deo creatae sunt.<br /> <br /> <br /> ''Haec quatuor à se invicem non distingui, nisi in creaturis''<br /> <br /> Ex quibus clarè apparet, haec quatuor non distingui inter se, nisi in rebus creatis : in Deo verò nullo modo : Deum enim non concipimus fuisse potentiâ in alio, et ejus existentia, ejusque intellectus ab ejus essentiâ non distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Ad quaestiones quasdam de essentiâ respondetur''<br /> <br /> Ex his facilè ad quaestiones, quae passim de essentiâ circumferuntur, respondere possumus. Quaestiones autem hae sunt sequentes : an essentia distinguatur ab existentiâ, et si distinguatur, an sit aliquid diversum ab ideâ : et si aliquid diversum ab ideâ sit, an habeat aliquod esse extra intellectum ; quòd postremum sanè necessariò fatendum est. Ad primam autem sub distinctione respondemus, quod essentia in Deo non distinguatur ab existentiâ ; quandoquidem sine hac illa non potest concipi : in caeteris autem essentia differt ab existentiâ, potest nimirum sine hac concipi. Ad secundam verò dicimus, quòd res, quae extra intellectum clarè, et distinctè, sive verè concipitur, aliquid diversum ab ideâ sit. Sed denuo quaeritur, an illud esse extra intellectum sit à se ipso, an verò à Deo creatum. Ad quod respondemus, essentiam formalem non esse à se, nec etiam creatam ; haec duo enim supponerent rem actu existere : sed à solâ essentiâ divinâ pendere, in quâ omnia continentur ; adeòque hoc sensu iis assentimur, qui dicunt essentias rerum aeternas esse. Quaeri adhuc posset, quomodo nos, nondum intellectâ naturâ Dei, rerum essentias intelligamus, cùm illae, ut modò diximus, à solâ Dei naturâ pendeant. Ad hoc dico, id ex eo oriri, quod res jam creatae sunt : si enim non essent creatae, prorsus concederem, id impossibile fore, nisi post naturae Dei adaequatam cognitionem : eodem modo ac impossibile est, imò magis impossibile, quàm, ex nondum notâ naturâ parabolae naturam ejus ordinatim applicatarum noscere.<br /> <br /> <br /> ''Cur auctor in definitione essentiae ad Dei attributa recurrit''<br /> <br /> Porrò notandum, quod, quamvis essentiae modorum non existentium in illorum substantiis comprehendantur, et eorum ''esse essentiae'' in illorum substantiis sit, nos tamen ad Deum recurrere voluimus, ut generaliter essentiam modorum, et substantiarum explicaremus, et etiam, quia essentia modorum non fuit in illorum substantiis, nisi post earum creationem, et nos ''esse essentiarum'' aeternum quaerebamus.<br /> <br /> <br /> Cur aliorum definitiones non recensuit<br /> <br /> Ad haec non puto operae pretium esse, hîc authores, qui diversum à nobis sentiunt, refutare, nec etiam eorum definitiones aut descriptiones de essentiâ, et existentiâ examinare : nam hoc modo rem claram obscuriorem redderemus : quid enim magis clarum, quàm, quid sit essentia, et existentia, intelligere ; quandoquidem nullam definitionem alicujus rei dare possumus, quin simul ejus essentiam explicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quomodo distinctio inter essentiam, et existentiam facilè addiscatur''<br /> <br /> Denique, si quis philosophus adhuc dubitet, an essentia ab existentiâ distinguatur in rebus creatis, non est, quòd multum de definitionibus essentiae, et existentiae laboret, ut istud dubium tollatur : si enim tantùm adeat statuarium aliquem, aut fabrum lignarium, illi ipsi ostendent, quomodo statuam nondum existentem certo ordine concipiant, et postea eam ipsi existentem praebebunt.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput III ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De eo, quod est necessarium, impossibile, possibile, et contingens'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s1&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid hîc per affectiones intelligendum sit''<br /> <br /> Naturâ entis, quatenus ens est, sic explicatâ, ad aliquas ejus affectiones explicandas transimus ; ubi notandum venit, quòd per affectiones hîc intelligimus id, quod aliàs per attributa denotavit Cartesius in Part. I Princ. Philos. Art. 52. Nam ens, quatenus ens est, per se solum, ut substantia, nos non afficit, quare per aliquod attributum explicandum est, à quo tamen non, nisi ratione, distinguitur. Unde non satis mirari possum illorum ingenia subtilissima, qui medium quaesiverunt, non sine magno detrimento veritatis, inter ens, et nihil. Sed in eorum errorem refutando non morabor, quandoquidem ipsi, ubi talium affectionum definitiones tradere moliuntur, in vanâ suâ subtilitate prorsus evanescunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s2&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Affectionum definitio''<br /> <br /> Nos igitur rem nostram agemus, dicimusque ''entis affectiones esse, quaedam attributa, sub quibus uniuscujusque essentiam vel existentiam intelligimus, à quâ tamen non nisi ratione distinguntur''. De his quasdam (non enim omnes pertractare mihi assumo) hîc explicare, et à denominationibus, quae nullius entis sunt affectiones, separare conabor. Ac primò quidem agam de eo, quod est ''necessarium'', et ''impossibile''.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s3&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quod modis res dicatur necessaria, et impossibilis''<br /> <br /> Duobus modis res dicitur necessaria, et impossibilis, vel respectu suae essentiae, vel respectu causae. Respectu essentiae Deum necessariò existere novimus : nam ejus essentia non potest concipi sine existentiâ : chimaera verò respectu implicantiae suae essentiae non potis est, ut existat. Respectu causae dicuntur res, e. g. materiales, esse impossibiles aut necessariae : nam si tantùm ad earum essentiam respicimus, illam concipere possumus clarè, et distinctè sine existentiâ, quâpropter nunquam existere possunt vi, et necessitate essentiae : sed tantùm vi causae, Dei nempe omnium rerum creatoris. Si itaque in decreto divino est, ut res aliqua existat, necessariò existet ; sin minùs impossibile erit, ut existat. Nam per se manifestum est, id quod nullam causam, internam scilicet aut externam, habet ad existendum, impossibile est, ut existat : atqui res in hac secundâ hypothesi ponitur talis, ut neque vi suae essentiae, quam per causam internam intelligo, neque vi decreti divini, unicae omnium rerum causae externae, existere possit : unde sequitur, res ut in sec. hyp. à nobis statuuntur, impossibiles esse, ut existant.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s4&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Chimaeram commodè ens verbale vocari''<br /> <br /> Ubi notandum venit, 1°. Chimaeram, quia neque in intellectu est, neque in imaginatione, à nobis ens verbale commodè vocari posse ; nam ea non nisi verbis exprimi potest. Ex. gr. circulum quadratum verbis quidem exprimimus, imaginari autem nullo modo, et multò minùs intelligere possumus. Quâpropter chimaera praeter verbum nihil est, ideòque impossibilitas inter affectiones entis numerari non potest : est enim mera negatio.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s5&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Res creatas, quoad essentiam, et existentiam à Deo dependere''<br /> <br /> 2°. Notandum venit, quòd non tantùm rerum creatarum existentia : verùm etiam, ut infrà in sec. part. evidentissimè demonstrabimus, earum essentia, et natura à solo Dei decreto dependet. Ex quo clarè sequitur, res creatas nullam ex se ipsis habere necessitatem : nempe quia ex se ipsis nullam habent essentiam, nec à se ipsis existunt.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s6&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Necessitatem, quae in rebus creatis à causâ est, esse vel essentiae vel existentiae : at haec duo in Deo non distingui''<br /> <br /> 3°. Denique notandum est, quòd necessitas, qualis vi causae in rebus creatis est, dicatur vel respectu earum essentiae, vel respectu earum existentiae : nam haec duo in rebus creatis distinguuntur ; illa enim à legibus naturae aeternis dependet, haec verò à ferie, et ordine causarum. Verùm in Deo, cujus essentia ab illius existentiâ non distinguitur, essentiae necessitas etiam non distinguitur à necessitate existentiae ; unde sequitur, quòd si totum ordinem naturae conciperemus, inveniremus, quòd multa, quorum naturam clarè, et distinctè percipimus, hoc est, quorum essentia necessariò talis est, nullo modo possent existere ; nam tales res in naturâ existere aequè impossibile reperiremus, ac jam cognoscimus impossibile esse, ut magnus elephantus in acûs foramine recipi possit : quamvis utriusque naturam clarè percipiamus. Unde existentia illarum rerum non esset, nisi chimaera, quam neque imaginari, neque intelligere possemus.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s7&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens non esse rerum affectiones''<br /> <br /> Atque haec de necessitate, et impossibilitate, quibus pauca de ''possibili'', et ''contingente'' visum est adjungere ; nam haec duo à nonnullis pro rerum affectionibus habentur ; cùm tamen reverâ nihil aliud sint, quàm defectus nostri intellectûs, quod clarè ostendam, postquam explicavero, quid per haec duo intelligendum sit.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s8&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Quid sit possibile, quid contingens''<br /> <br /> ''Res possibilis'' itaque dicitur, ''cùm ejus causam efficientem quidem intelligimus ; attamen an causa determinata sit, ignoramus''. Unde etiam ipsam, ut possibilem, non verò neque ut necessariam, neque ut impossibilem considerare possumus. Si autem ''ad rei essentiam simpliciter, non verò ad ejus causam'' attendamus, ''illam contingentem'' dicemus, hoc est, illam, ut medium inter Deum, et chimaeram, ut sic loquar, considerabimus, nempe quia ex parte essentiae nullam in ipsâ reperimus necessitatem existendi, ut in essentiâ divinâ, neque etiam implicantiam sive impossibilitatem, ut in chimaerâ. Quod si quis id, quod ego ''possibile'' voco, ''contingens'', et contrà id, quod ego ''contingens, possibile'' vocare velit, non ipsi contradicam : neque enim de nominibus disputare soleo. Sat erit, si nobis concedat, haec duo non nisi defectus nostrae perceptionis, nec aliquid reale esse.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s9&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Possibile, et contingens esse tantùm defectus nostri intellectûs''<br /> <br /> Siquis autem id ipsum negare velit, illi suus error nullo negotio demonstratur : si enim ad naturam attendat, et quomodo ipsa à Deo dependet, nullum ''contingens'' in rebus esse reperiet, hoc est, quod ex parte rei possit existere, et non existere, sive, ut vulgò dicitur, ''contingens reale'' sit : quod facilè apparet ex eo, quod [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#a10|Ax. 10 P. I]] docuimus, tantam scilicet vim requiri ad rem creandam, quam ad ipsam conservandam : Quare nulla res creata propriâ vi aliquid facit, eodem modo ac nulla res creata suâ propriâ vi incepit existere. Ex quo sequitur, nihil fieri, nisi vi causae omnia creantis, scilicet Dei, qui suo concursu singulis momentis omnia procreat. Cùm autem nihil fiat, nisi a solâ divinâ potentiâ, facile est videre, ea, quae fiunt, vi decreti Dei, ejusque voluntatis fieri. At, cùm in Deo nulla sit inconstantia, nec mutatio, per [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p18|Prop. 18]] et [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p20c|Coroll. Prop. 20 P. I]] illa, quae jam producit, se producturum ab aeterno decrevisse debuit ; cùmque nihil magis necessarium sit, ut existat, quàm quod Deus extiturum decrevit, sequitur, necessitatem existendi in omnibus rebus creatis ab aeterno fuisse. Nec dicere possumus, illas esse contingentes, quia Deus aliud decrevisse potuit ; nam, cùm in aeternitate non detur quando, nec ante, nec post, neque ulla affectio temporis, sequitur, Deum nunquam ante illa decreta extitisse, ut aliud decernere posset.<br /> <br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca3s10&quot;&gt;&lt;/span&gt;''Conciliationem libertatis nostri arbitrii, et praedinationis Dei, humanum captum superare''<br /> <br /> Quod verò attinet ad libertatem humanae voluntatis, quam liberam esse diximus [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars I#p15s|Schol. Prop. 15 P. I]], illa etiam à Dei concursu conservatur, nec ullus homo aliquid vult, aut operatur, nisi id, quod Deus ab aeterno decrevit, ut vellet, et operaretur. Quomodo autem id fieri possit, servatâ humanâ libertate, captum nostrum excedit : neque ideò, quod clarè percipimus, propter id, quod ignoramus, erit rejiciendum : clarè enim, et distinctè intelligimus, si ad nostram naturam attendamus, nos in nostris actionibus esse liberos, et de multis deliberare propter id solum, quod volumus ; si etiam ad Dei naturam attendamus, ut modò ostendimus, clarè, et distinctè percipimus, omnia ab ipso pendere, nihilque existere, nisi quod ab aeterno à Deo decertum est, ut existat. Quomodo autem humana voluntas à Deo singulis momentis procreetur tali modo, ut libera maneat, id ignoramus ; multa enim sunt, quae nostrum captum excedunt, et tamen à Deo scimus facta esse, uti ex. gr. est illa realis divisio materiae in indefinitas particulas satis evidenter à nobis demonstrata in [[Renati Descartes Principiorum philosophiae - Pars II#p11|Sec. Part. Prop. 11]], quamvis ignoremus, quomodo divisio illa fiat. Nota, quòd hîc pro re notâ supponimus, has duas notiones, ''possibile'' nempe, et ''contingens'', tantùm defectum cognitionis nostrae circa rei existentiam significare.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca4&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> <br /> ==Caput IV ==<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De duratione, et tempore'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> Ex eo, quod suprà divisimus ens in ens, cujus essentia involvit existentiam, et in ens, cujus essentia non involvit nisi possibilem existentiam, oritur distinctio inter aeternitatem, et durationem.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit aeternitas''<br /> <br /> De ''aeternitate'' infrà fusius loquemur. Hîc tantùm dicimus eam ''esse attributum, sub quo infinitam Dei existentiam concipimus''.<br /> <br /> <br /> ''Quid duratio''<br /> <br /> ''Duratio verò est attributum, sub quo rerum creatarum existentiam, prout in sua actualitate perseverant, concipimus.'' Ex quibus clarè sequitur, durationem à totâ alicujus rei existentiâ non, nisi ratione, distingui. Quantum enim durationi alicujus rei detrahis, tantundem ejus existentiae detrahi necesse est.<br /> <br /> <br /> ''Quid tempus''<br /> <br /> Haec autem ut determinetur, comparamus illam cum duratione aliarum rerum, quae certum, et determinatum habent motum, ''haecque comparatio tempus'' vocatur. Quare tempus non est affectio rerum, sed tantùm merus modus cogitandi, sive, ut jam diximus, ens rationis ; est enim modus cogitandi durationi explicandae inserviens. Notandum hîc in duratione, quod postea usum habebit, quando de aeternitate loquemur, videlicet, quòd major, et minor concipiatur, et quali ex partibus componi, et deinde quòd tantùm sit attributum existentiae, non verò essentiae.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca5&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput V ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De oppositione, ordine, etc.'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> ''Quid sint oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum, etc.''<br /> <br /> Ex eo, quod res inter se comparamus, quaedam oriuntur notiones, quae tamen extra res ipsas nihil sunt, nisi cogitandi modi. Quod inde apparet, quia si ipsas, ut res extra cogitationem positas, considerare velimus, clarum, quem aliàs de ipsis habemus conceptum, statim confusum reddimus. Notiones verò tales hae sunt, videlicet ''oppositio, ordo, convenientia, diversitas, subjectum, adjunctum'', et si quae adhuc alia his similia sunt. Hae, inquam, à nobis satis clarè percipiuntur, quatenus ipsas, non ut quid ab essentiis rerum oppositarum, ordinatarum etc. diversum, concipimus, sed tantùm ut modos cogitandi, quibus res ipsas faciliùs vel retinemus, vel imaginamur. Quare de his fusiùs loqui non necesse esse judico ; sed ad terminos vulgò transcendentales dictos transeo.<br /> <br /> &lt;span id=&quot;ca6&quot;&gt;&lt;/span&gt;<br /> ==Caput VI ==<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;'''''De Uno, Vero, et Bono'''''&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Hi termini ab omnibus ferè metaphysicis pro generalissimis entis affectionibus habentur ; dicunt enim omne ens esse unum, verum, et bonum, quamvis nemo de iis cogitet. Verùm quid de his intelligendum sit, videbimus ; ubi seorsim unumquemque horum terminorum examinaverimus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit unitas''<br /> <br /> Incipiamus itaque à primo, scilicet ''uno''. Hunc terminum dicunt significare aliquid reale extra intellectum : verùm, quidnam hoc enti addat, nesciunt explicare, quod satis ostendit, illos entia rationis cum ente reali confundere ; quo efficiunt, ut id, quod clarè intelligunt, confusum reddant. Nos autem dicimus ''unitatem'' à re ipsâ nullo modo distingui, vel enti nihil addere, sed tantùm modum cogitandi esse, quo rem ab aliis separamus, quae ipsi similes sunt, vel cum ipsâ aliquo modo conveniunt.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit multitudo, et quo respectu Deus dici possit unus, et quo respectu unicus''<br /> <br /> Unitati verò opponitur ''multitudo'', quae sanè rebus etiam nihil addit, ne aliquid praeter modum cogitandi est, quemadmodum clarè, et distinctè intelligimus. Nec video, quid circa rem claram ampliùs dicendum restat ; sed tantùm hic notandum est, Deum, quatenus ab aliis entibus eum separamus, posse dici unum ; verùm, quatenus concipimus ejusdem naturae plures esse non posse, unicum vocari. At verò si rem accuratiùs examinare vellemus, possemus forte ostendere Deum non nisi impropriè unum, et unicum vocari, sed res non est tanti, imò nullius momenti iis, qui de rebus, non verò de nominibus sunt solliciti. Quare hoc relicto ad secundum transimus, et eâdem operâ, quid sit falsum, dicemus.<br /> <br /> <br /> ''Quid sit verum, quid falsum tàm apud vulgum, quàm apud philosophos''<br /> <br /> Ut autem haec duo ''verum'' scilicet, et ''falsum'' rectè percipiantur, à verborum significatione incipiemus, ex quâ apparebit ea, non nisi rerum denominationes extrinsecas, esse, neque rebus tribui, nisi rhetoricè. Sed quia vulgus vocabula primum invenit, quae postea à philosophis usurpantur, ideò è re esse videtur illius, qui primam significationem alicujus vocabuli quaerit, quid primum apud vulgum denotarit, inquirere ; praecipuè ubi aliae causae deficiunt, quae ex linguae naturâ depromi possent ad eam investigandam. Prima igitur ''veri'', et ''falsi'' significatio, ortum videtur duxisse à narrationibus : eaque narratio vera dicta fuisse, quae erat facti, quod reverâ contigerat : falsa verò, quae erat facti, quod nullibi contigerat. Atque hanc philosophi postea usurparunt ad denotandam convenientiam ideae cum suo ideato, et contrà : quare idea vera dicitur illa, quae nobis ostendit rem, ut in se est : falsa verò, quae nobis ostendit rem aliter, quàm reverâ est : Ideae enim nihil aliud sunt, quam narrationes sive historiae naturae mentales. Atque hinc postea metaphoricè translata est, ad res mutas, ut cùm dicimus verum, aut falsum aurum, quasi aurum nobis repraesentatum aliquid de seipso narret, quod in se est, aut non est.<br /> <br /> <br /> ''Verum non esse terminum transcendentalem''<br /> <br /> Quocirca planè decepti sunt, qui verum terminum transcendentalem sive entis affectionem judicarunt. Nam de rebus ipsis non nisi impropriè, vel si mavis rhetoricè dici potest.<br /> <br /> <br /> ''Veritas, et vera idea, quomodo differant''<br /> <br /> Si porrò quaeras, quid sit veritas praeter veram ideam, quaere etiam, quid sit albedo praeter corpus album ; eodem enim modo se habent ad invicem.<br /> <br /> De causâ veri, et de causâ falsi jam antea egimus ; quare hîc nihil restat notandum, nec etiam quae diximus, operae pretium fuisset notare, si scriptores in similibus nugis non adeò se intricassent, ut postea se extricare nequiverint, nodum passim in scirpo quaerentes.<br /> <br /> <br /> ''Quaenam sint proprietates veritatis ? Certitudinem non esse in rebus''<br /> <br /> Proprietates verò veritatis aut ideae verae sunt. 1°. Quòd sit clara et distincta, 2°. Quòd omne dubium tollat, sive uno verbo, quòd sit certa. Qui quaerunt certitudinem in rebus ipsis, eodem modo falluntur, ac cùm in iis quaerunt veritatem ; et quamvis dicamus, res in incerto est, rhetoricè sumimus ideatum pro ideâ ; quomodo etiam rem dicimus dubiam, nisi fortè quòd tum per incertitudinem contingentiam intelligamus, vel rem, quae nobis incertitudinem aut dubium injicit. Neque opus est circa haec diutiùs morari ; quare ad tertium pergemus, et simul quid per ejus contrarium intelligendum sit, explicabimus.<br /> <br /> <br /> ''Bonum, et malum tantùm dici respectivè''<br /> <br /> Res sola considerata neque bona dicitur, neque mala, sed tantùm respectivè ad aliam, cui conducit ad id, quod amat, acquirendum, vel contrà : ideòque unaquaeque res diverso respectu, eodemque tempore bona, et mala potest dici : Sic consilium ex. gr. Achitophelis Absaloni datum bonum in sacris Litteris vocatur ; pessimum tamen erat Davidi, cujus interitum moliebatur. Sed multa alia sunt bona, quae non omnibus bona sunt ; sic salus bona est hominibus, non verò neque bona, neque mala brutis aut plantis, ad quas nullum habet respectum. Deus verò dicitur summè bonus, quia omnibus conducit ; nempe uniuscujusque esse, quo nihil magis amabile, suo concursu conservando. Malum autem absolutum nullum datur, ut per se est manifestum.<br /> <br /> <br /> ''Quare aliqui bonum metaphysicum statuerunt''<br /> <br /> Qui autem bonum aliquod metaphysicum quaeritant, quod omni careat respectu, falso aliquo praejudicio laborant ; nempe quòd distinctionem rationis cum distinctione reali vel modali confundant : distinguunt enim inter rem ipsam, et conatum, qui in unâquâque re est ad suum esse conservandum, quamvis nesciant, quid per conatum intelligant. Haec enim duo, quamvis ratione seu potiùs verbis distinguantur, quod maximè ipsos decepit, nullo modo re ipsâ inter se distinguuntur.<br /> <br /> <br /> ''Res, et conatus, quo res in statu suo perseverare conantur, quomodo distinguantur''<br /> <br /> Quòd ut clarè intelligatur, exemplum alicujus rei simplicissimae ob oculos ponemus. Motus habet vim in suo statu perseverandi ; haec vis profectò nihil aliud est, quàm motus ipse, hoc est, quòd natura motûs talis sit. Si enim dicam in hoc corpore A nihil aliud esse, quàm certam quantitatem motûs, hinc clarè sequitur, quamdiu ad illud corpus A attendo, me semper debere dicere illud corpus moveri. Si enim dicerem, illud suam vim movendi ex se amittere, necessariò ipsi aliquid aliud tribuo praeter id, quod in hypothesi supposuimus, per quod suam naturam amittit. Quod si verò haec ratio obscurius videatur, age concedamus, illum conatum se movendi aliquid esse praeter ipsas leges, et naturam motûs ; cùm igitur hunc conatum esse bonum metaphysicum supponas, necessariò hic etiam conatus conatum habebit in suo esse perseverandi, et hic iterum alium, et sic in infinitum, quo magis absurdum nescio quid fingi possit. Ratio autem, cur illi conatum rei à re ipsâ distinguunt, est, quia in se ipsis reperiunt desiderium se conservandi, et tale in unâquâque re imaginantur.<br /> <br /> <br /> ''An Deus ante res creatas dici possit bonus''<br /> <br /> Quaeritur tamen, an Deus, antequam res creasset, dici posset bonus ; et ex nostrâ definitione videtur sequi, Deum tale attributum non habuisse, quia dicimus rem, si in se solâ consideratur, neque bonam, neque malam posse dici. Hoc autem multis absurdum videbitur ; sed quâ ratione nescio ; multa enim hujus notae attributa Deo tribuimus, quae antequam res crearentur, ipsi non competebant, nisi potentiâ, ut cùm vocatur creator, judex, misericors etc. Quare similia argumenta moram nobis injicere non debent.<br /> <br /> <br /> ''Perfectum quomodo dicatur respectivè, quomodo absolutè''<br /> <br /> Porrò uti bonum, et malum non dicitur nisi respectivè, sic etiam perfectio, nisi quando perfectionem sumimus pro ipsâ rei essentiâ, quo sensu antea diximus Deum infinitam perfectionem habere, hoc est, infinitam essentiam, seu infinitum esse.<br /> <br /> <br /> <br /> Plura his addere non est animus ; reliqua enim quae ad partem generalem metaphysices spectant, satis nota esse existimo : adeòque operae pretium non esse, ea ulteriùs persequi.<br /> &lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> ====Adnotationes ====<br /> <br /> &lt;references/&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Renati_Descartes_Principia_philosophiae Renati Descartes Principia philosophiae 2017-01-14T16:10:42Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;br clear=&quot;all&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;border: 1px solid #F4DED7; background-color: #FFEEEE; padding: 2ex; text-align: center; width: 35em; margin: auto&quot;&gt;<br /> <br /> '''Renati Descartes''' &lt;br /&gt;<br /> '''PRINCIPIORUM PHILOSOPHIAE'''&lt;br /&gt;<br /> '''Pars I et II'''<br /> <br /> ''More Geometrico demonstratae,''&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> <br /> '''per BENEDICTUM de SPINOZA, Amstelodamensem,'''<br /> <br /> <br /> ''Accesserunt ejusdem''<br /> <br /> '''COGITATA METAPHYSICA,'''<br /> <br /> ''in quibus difficiliores,''<br /> ''quaetam in parte Metaphysices generali, quàm speciali occurrunt,''<br /> ''quaestiones breviter explicantur.''<br /> <br /> <br /> [[Image:PPD_titre.jpg|180px]]<br /> <br /> <br /> &lt;small&gt;&lt;small&gt;Amstelodami<br /> <br /> Apud Johannem Riewertz,<br /> <br /> ''in vico vulgo dicto'', de Dirk van Assen-steeg,<br /> <br /> ''sub signo Martyrologii''<br /> <br /> 1663&lt;/small&gt;&lt;/small&gt;<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> == Index ==<br /> <br /> *[[Renati Descartes Principia philosophiae/Praefatio|Praefatio]]<br /> *[[Renati Descartes Principia philosophiae/Pars I|Pars I]]<br /> *[[Renati Descartes Principia philosophiae/Pars II|Pars II]]<br /> *[[Renati Descartes Principia philosophiae/Pars III|Pars III]]&lt;br /&gt;&lt;br /&gt;<br /> <br /> <br /> Les ''Principes de la philosophie de Descartes'', seul ouvrage de Spinoza publié sous son nom de son vivant, sont parus en septembre 1663, suivis d'un Appendice, les [[Cogitata metaphysica|''Cogitata metaphysica'']]. Ces deux ouvrages furent aussitôt traduits en néerlandais par P. B. (très probablement son ami Pierre Balling), traduction qui parut l'année suivante. Ces publications furent à l'origine d'une [[Correspondance avec Blyenbergh|correspondance avec Guillaume de Blyenbergh]].<br /> <br /> A consulter aussi en [[Principes de la philosophie de Descartes|traduction française]].<br /> <br /> &lt;small&gt;Texte saisi d'après l'édition Gebhardt.&lt;/small&gt;<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> [[Catégorie:Œuvres]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettre_12 Lettre 12 2017-01-14T14:07:46Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Correspondance de Spinoza | 2= Lettres 12 et 12bis | 3= de Spinoza à Meyer | 4=1663 }} &lt;/div&gt; {{Lettres}} &lt;div class=&quot;te... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettres 12 et 12bis<br /> | 3= de Spinoza à Meyer<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Lettres}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Traduction de J.F. Hamel<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> ===Lettre 12 (« sur l'Infini »)===<br /> <br /> <br /> Au très savant et très compétent<br /> <br /> Louis Meyer PMDQ<br /> <br /> B. de S.<br /> <br /> Très cher ami,<br /> <br /> J’ai reçu de toi deux lettres, l’une datée du 11 janvier et transmise par notre ami NN ; et une autre du 26 mars, envoyée de Leyde par un ami, je ne sais qui. Les deux m’ont fait très plaisir, surtout quand j’en ai compris que tout allait très bien pour toi et que tu pensais souvent à moi. Et je dois te remercier grandement pour ta gentillesse et l’estime que tu ne cesses de me porter ; je te prie aussi de ne pas me croire moins dévoué à toi, ce que je m’efforcerai de montrer à l’occasion, autant que le pourra ma fragilité. Et je commence en prenant soin de répondre à ce que tu me demandes dans tes lettres : te communiquer mes réflexions sur l’infini, ce que je fais bien volontiers.<br /> <br /> La question de l’infini a toujours paru à tous très difficile, sinon inextricable [inexplicable] du fait qu’ils n’ont pas distingué entre cela qui est infini par une conséquence de sa nature, autrement dit par la force de sa définition ; et ce qui n’a pas de limites, non certes par la force de son essence mais par la force de sa cause. Et aussi parce qu’ils n’ont pas distingué entre cela qui est dit infini parce que n’ayant pas de limites, et cela, bien qu’ayant un maximum et un minimum, dont nous ne pouvons atteindre et développer [expliquer] les parties par aucun nombre. Ensuite parce qu’ils n’ont pas distingué entre ce que nous pouvons seulement comprendre mais non imaginer, et ce que nous pouvons aussi imaginer. Et s’ils y avaient prêté attention, dis-je, jamais ils n’auraient été submergés d’une aussi grande foule de difficultés. Car ils auraient clairement compris quel infini ne peut être divisé en aucunes parties, autrement dit n’a aucunes parties, et lequel à l’inverse le peut, et cela sans contradiction. Ensuite ils auraient compris quel infini peut être conçu plus grand qu’un autre infini sans aucun embarras, et lequel non. Ce qui apparaîtra clairement de ce que je vais dire.<br /> Mais d’abord je vais exposer brièvement les quatre points suivants : la substance, le mode, l’éternité et la durée.<br /> <br /> En ce qui concerne la substance, voici ce que je voudrais qu’on considère : &lt;br /&gt;<br /> 1°) à son essence appartient l’existence, c’est-à-dire sa seule essence et définition a pour conséquence qu’elle existe, ce que, si j’ai bonne mémoire, je t’ai auparavant démontré de vive voix sans le secours d’autres propositions ; &lt;br /&gt;<br /> 2°) ce premier point a pour conséquence que la substance n’est pas multiple, mais qu’il n’en existe qu’une de même nature ; &lt;br /&gt;<br /> 3°) toute substance ne peut être comprise si ce n’est infinie.<br /> <br /> Les affections de la substance, je les appelle modes, dont la définition, puisqu’elle n’est pas définition de substance, ne peut impliquer aucune existence. C’est pourquoi, même si elles existent, nous pouvons les concevoir comme non existantes ; d’où la seconde conséquence que nous, quand nous prêtons attention à la seule essence des modes, mais non à l’ordre de toute la nature [matière], nous ne pouvons en conclure que, de ce qu’ils existent maintenant, ils existeront plus tard ou pas, ou ont existé auparavant ou pas ; d’où il apparaît clairement que nous concevons l’existence de la substance comme complètement différente de l’existence des modes.<br /> <br /> De cela naît la différence entre éternité et durée. Par la durée en effet nous pouvons expliquer seulement l’existence des modes ; mais celle de la substance par l’éternité, c’est-à-dire la fruitio [jouissance, fruition] infinie d’exister, autrement dit, en dépit du latin, d’être.<br /> <br /> Il en ressort clairement que, quand c’est à la seule essence des modes mais non à l’ordre de la nature que nous prêtons attention, nous pouvons à notre gré, sans détruire le concept que nous en avons, en déterminer (délimiter) l’existence et la durée, en concevoir un plus grand et un plus petit et les diviser en parties ; mais que l’éternité et la substance, puisqu’elles ne peuvent être conçues qu’infinies, ne peuvent en rien pâtir de ces choses sans que nous en détruisions en même temps le concept.<br /> <br /> C’est pourquoi ils jacassent complètement, pour ne pas dire déraisonnent (délirent), ceux qui pensent que la substance étendue est une combinaison de parties, ou corps, réellement distinctes les unes des autres. C’est comme si quelqu’un, de la seule addition ou réunion de cercles, cherchait à combiner un carré ou un triangle ou autre chose de différent par toute son essence. C’est pourquoi tout ce fatras d’arguments par lesquels ils [des philosophes] s’occupent [communément] à montrer que la substance étendue est finie s’effondre de lui-même : car tous ces arguments supposent la substance corporelle combinée de parties. De même, d’autres, après s’être persuadés que la ligne est composée de points, ont pu trouver de nombreux arguments par lesquels ils ont montré que la ligne [n’]était [pas] divisible à l’infini.<br /> <br /> Mais si tu demandais pourquoi nous sommes poussés par nature à diviser la substance étendue, je te répondrais que nous concevons la quantité de deux façons : abstraitement, autrement dit superficiellement, telle que, avec l’aide des sens, nous l’avons dans l’imagination ; ou comme substance, ce qui ne se fait que par l’entendement seul. C’est pourquoi (D’où), si nous prêtons attention à la quantité telle qu’elle est dans l’imagination, ce qui se fait le plus souvent et le plus facilement, nous la découvrons divisible, finie et composée de parties. Mais si nous prêtons attention au seul entendement (si nous y prêtons attention telle qu’elle est dans l’entendement) et que la chose est perçue comme elle est en soi, ce qui est très difficile, alors, comme je te l’ai assez démontré auparavant, nous la découvrons infinie, indivisible et unique.<br /> <br /> En outre, de ce que nous pouvons déterminer la durée et la quantité à notre gré, quand nous concevons celle-ci abstraite de la substance et que nous séparons celle-là de la façon dont elle découle des choses éternelles, naissent le temps et la mesure ; en fait le temps sert à déterminer la durée et la mesure la quantité pour que nous les imaginions facilement, autant que faire se peut.<br /> Ensuite, de ce que nous séparons de la substance même les affections de la substance et les rangeons en classes pour que nous les imaginions facilement autant que faire se peut, naît le nombre, par quoi nous les déterminons. Et cela nous fait clairement voir que la mesure, le temps et le nombre ne sont que des façons de penser ou plutôt d’imaginer. Il n’est donc pas étonnant que tous ceux qui se sont efforcés de comprendre la marche de la nature par des notions semblables, et en plus en fait mal comprises, se soient prodigieusement empêtrés, de sorte qu’ils n’ont pu s’en dépêtrer qu’en brisant tout et en admettant (soutenant) les pires des absurdités.<br /> <br /> En effet, comme il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons atteindre par aucune imagination mais par le seul entendement, ainsi la substance, l’éternité, etc., si quelqu’un s’efforce de les expliquer par de semblables notions, qui sont seulement des auxiliaires de l’imagination, il ne fait rien d’autre que s’appliquer à délirer avec son imagination.<br /> <br /> En outre, les modes de la substance, si on les confond avec de tels êtres de raison ou d’imagination, ne pourront jamais être compris correctement. Car, ce faisant, nous les séparons de la substance et de la façon dont ils découlent de l’éternité, sans lesquelles pourtant on ne peut les comprendre correctement.<br /> Pour voir cela plus clairement, prends cet exemple : si quelqu’un a conçu abstraitement la durée et entrepris, la confondant avec le temps, de la diviser en parties, il ne pourra jamais comprendre par quelle raison une heure, par exemple, peut s’écouler. En effet, pour qu’une heure s’écoule, devra nécessairement s’en écouler d’abord la moitié, puis la moitié du reste, puis la moitié restante de ce reste ; et ainsi de suite indéfiniment [infiniment], il soustraira la moitié du reste et ne pourra jamais parvenir à la fin de l’heure. Car ils sont nombreux ceux qui, ne s’étant pas habitués à distinguer les êtres de raison des réels, ont osé affirmé que la durée se compose de moments. Ils sont ainsi tombés en Scylla, désirant éviter Charybde. En effet, c’est une même chose que la durée se compose de moments et le nombre de l’addition de zéros.<br /> <br /> En outre, de ce qui vient d’être dit, il est assez évident que ni le nombre ni la mesure ni le temps, puisqu’ils ne sont que des auxiliaires de l’imagination, ne peuvent être infinis, car sinon le nombre ne serait pas le nombre, ni la mesure la mesure, ni le temps le temps. D’où on voit clairement pourquoi beaucoup, ayant confondu ces trois points avec les choses [mêmes], ont nié l’infini en acte. Mais ils ont raisonné misérablement, en jugent les mathématiciens, que des arguments de cette farine n’ont pas empêché de s’appliquer aux choses perçues par eux clairement et distinctement. Car, outre qu’ils ont trouvé beaucoup de choses qui ne peuvent s’expliquer par aucun nombre, ce qui prouve assez le défaut de nombres pour tout déterminer, il y en a aussi beaucoup qui ne peuvent être atteintes par aucun nombre, mais qui surpassent tout nombre possible, ce qu’ils n’ont pas conclu de la multitude des parties, mais de ce que la nature de la chose ne peut admettre un nombre sans contradiction manifeste. Par exemple, toutes les inégalités de [[Image:Lettre_12.jpg|left]]l’espace compris entre deux cercles AB et CD et toutes les variations que la matière mue en lui doit admettre, surpassent tout nombre. Et cela ne se conclut pas de l’extrême grandeur de cet espace car, aussi petite que nous en prenions une portion, ses petites portions inégales surpasseront cependant tout nombre. Et, pour la même raison, cela ne se conclut pas non plus, comme il arrive dans d’autres cas, de ce que nous n’avons ni maximum ni minimum, car dans notre exemple, nous avons les deux : un maximum, AB, et un minimum, CD , dont nous pouvons conclure seulement que la nature de l’espace compris entre les deux cercles, à centre différent, ne peut rien admettre de tel. Et par là, si quelqu’un voulait déterminer toutes ces inégalités par un nombre précis, il devrait en même temps faire qu’un cercle ne soit plus un cercle.<br /> <br /> Ainsi encore, pour revenir à notre propos, si quelqu’un voulait déterminer tous les mouvements de la matière qui ont eu lieu jusqu’à aujourd’hui, en les ramenant eux et leur durée à un nombre et un temps précis, il ne chercherait [s’efforcerait à] rien d’autre que priver la substance corporelle, que nous ne pouvons concevoir qu’existante, de ses affections et faire qu’elle n’ait pas la nature qu’elle a, ce que je pourrais démontrer clairement, ainsi que beaucoup d’autres points que j’ai abordés dans cette lettre, si je ne le jugeais superflu.<br /> De tout ce que je viens de dire, on voit clairement :<br /> <br /> — que certaines choses sont infinies par leur nature – et elles ne peuvent être conçues finies en aucune façon ;<br /> <br /> — que certaines le sont par la force de la cause à laquelle elles sont liées – et pourtant, une fois conçues abstraitement, elles peuvent être divisées en parties et considérées finies ;<br /> <br /> — que certaines enfin sont dites infinies ou, si tu préfères, indéfinies, parce qu’elles ne peuvent être atteintes par aucun nombre et cependant se concevoir plus grandes ou plus petites, leur égalité n’étant pas une condition nécessaire pour qu’elles ne puissent être atteintes par aucun nombre, ce qui est assez manifeste de l’exemple ci-dessus et de beaucoup d’autres.<br /> <br /> Bref, j’ai mis brièvement sous les yeux les causes des erreurs et des confusions nées autour de la question de l’infini, et je les ai toutes expliquées, si je ne me trompe, de sorte que je pense qu’il ne demeure aucune question touchant l’infini que je n’aurais abordée ou qui ne puisse être très aisément résolue à partir de ce qui a été dit. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il vaille la peine de t’entretenir plus longtemps de ces points.<br /> <br /> Mais je voudrais encore ajouter en passant que les péripatéticiens plus récents, à ce que je pense, ont mal compris la démonstration des Anciens par laquelle ils ont tenté de montrer l’existence de Dieu. En effet, la voici en gros telle que je la trouve chez un Juif appelé Rab Ghasdaj [Jaçdaj] : s’il y a suite de causes à l’infini, toutes les choses qui sont seront également causées, or à rien de ce qui est causé n’appartient d’exister nécessairement par la force de sa nature, donc il n’y a rien dans la nature à l’essence de quoi appartient d’exister nécessairement. Mais ceci est absurde, donc cela l’est aussi. La force de l’argument ne se situe pas en ce qu’il est impossible qu’il y ait infini en acte ou progression des causes à l’infini, mais surtout en ce qu’on suppose que les choses qui n’existent pas nécessairement par leur nature ne sont pas déterminées à exister par une chose existant nécessairement par sa nature.<br /> <br /> Je passerais bien maintenant à ta deuxième lettre car le temps me pousse à me hâter, mais je pourrai répondre à son contenu plus commodément quand tu viendras me voir. Aussi je te demande de venir dès que possible, car je vais bientôt partir.<br /> Voilà. Porte-toi bien et souviens-toi de moi, qui suis etc.<br /> <br /> <br /> A Rijnsburg, 20 avril 1663.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ===Lettre 12 bis===<br /> <br /> <br /> Très cher ami, <br /> <br /> J'ai reçu hier ta lettre très bienvenue où tu demandes si tu as correctement indiqué au [[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|chap. 2 partie 1 de l'Appendice]] toutes les propositions etc. de la [[Principes de la philosophie de Descartes/Partie I|partie 1 des Principes]] qui y sont citées ; ensuite s'il ne faut pas supprimer [[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|ce que j'affirme dans la 2e partie]], à savoir que le fils de Dieu est le père lui-même ; enfin s'il ne faut pas modifier le passage où je dis ne pas savoir ce que les théologiens entendent par le terme « personnalité ». <br /> <br /> A quoi je réponds : &lt;br /&gt;<br /> 1°) tout ce que tu as indiqué au chap. 2 de l'Appendice, tu l'as indiqué correctement. Mais au chap. 1 dudit Appendice, page 1, tu as indiqué le scolie de la prop. 4 – j'aurais préféré cependant que tu indiques le scolie de la prop. 15, où je traite explicitement de tous les modes de penser. Ensuite, page 2 de ce chapitre, tu as écrit en marge : « pourquoi les négations ne sont pas des idées » – au lieu du terme « négations », il faut mettre « êtres de raison », car je parle des êtres de raison en général, qui n'est pas en fait une idée ; &lt;br /&gt;<br /> 2°) quand je dis que le fils de Dieu est le père lui-même, je pense que cela suit très clairement de l'axiome suivant : des choses qui conviennent avec une troisième conviennent entre elles. Mais parce que cela n'a pour moi aucune importance, si tu penses que cela peut offenser quelques théologiens, fais ce qui te semblera le mieux. &lt;br /&gt;<br /> 3°) enfin, ce que les théologiens entendent par le terme « personnalité » m'échappe, mais non les critiques [philologues, lexicographes]. <br /> <br /> En attendant, puisque l'exemplaire est en ta possession, tu peux mieux voir toi-même ces choses, s'il te semble qu'il faut en changer, fais ce qu'il te plaît. <br /> Porte-toi bien, mon très cher ami, et souviens-toi de moi qui suis <br /> <br /> ton très dévoué <br /> <br /> B. de Spinoza <br /> <br /> <br /> Voorburg, 26 juillet 1663 &lt;ref&gt;Lettre retrouvée en 1974 et publiée l'année suivante par Offenberg.&lt;/ref&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> ====Note====<br /> <br /> &lt;references /&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Lettre 11]] | [[Lettres]] | [[Lettre 13]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Pens%C3%A9es_m%C3%A9taphysiques Pensées métaphysiques 2017-01-14T13:53:35Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>{{Titre|LES PENSÉES MÉTAPHYSIQUES&lt;br&gt;&lt;br&gt;Dans lesquelles&lt;br /&gt;<br /> les difficultés qui se rencontrent tant dans &lt;br /&gt;<br /> la partie générale de la métaphysique,<br /> que dans la spéciale,&lt;br /&gt;<br /> au sujet de l'être et de ses affections,&lt;br /&gt;<br /> de Dieu et de ses attributs et de l'âme humaine,&lt;br /&gt;<br /> sont brièvement expliquées|Baruch Spinoza|1663 &lt;br /&gt;<br /> Traduction de Charles Appuhn<br /> }}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> :''Ces Pensées métaphysiques ont été publiées comme appendice des [[Principes de la philosophie de Descartes]].'' <br /> <br /> :''Addition à la traduction hollandaise :'' &lt;br /&gt;<br /> :Le but et l'objet de ce texte est de démontrer que la logique et la philosophie ordinaires ne servent pas à exercer l'entendement mais uniquement à exercer et à fortifier la mémoire ; de façon à bien retenir les choses qui se rencontrent sans ordre ni liens entre elles, ces choses étant perçues par les sens et ne peuvant ainsi nous affecter que par les sens.<br /> <br /> == Sommaire ==<br /> <br /> *'''Première partie''' dans laquelle sont expliquées brièvement les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie générale de la métaphysique au sujet de l'être et de ses affections.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'être réel, de l'être forgé et de l'être de raison]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre II|Chapitre II : Ce qu'est l'être de l'essence, l'être de l'existence, l'être de l'idée, l'être de la puissance]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre III|Chapitre III : Le nécessaire, l'impossible, le possible et le contingent]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre IV|Chapitre IV : De la durée et du temps]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre V|Chapitre V : De l'opposition, de l'ordre, etc.]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Première partie/chapitre VI|Chapitre VI : De l'un, du vrai et du bien]]<br /> <br /> <br /> *'''Deuxième partie''' dans laquelle sont brièvement expliquées les principales questions qui se rencontrent communément dans la partie spéciale de la Métaphysique au sujet de Dieu et de ses attributs, et de l'âme humaine.<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre I|Chapitre premier : De l'éternité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre II|Chapitre II : De l'unité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre III|Chapitre III : De l'immensité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IV|Chapitre IV : De l'immutabilité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre V|Chapitre V : De la simplicité de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VI|Chapitre VI : De la vie de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VII|Chapitre VII : De l'entendement de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre VIII|Chapitre VIII : De la volonté de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre IX|Chapitre IX : De la puissance de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre X|Chapitre X : De la création]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XI|Chapitre XI : Du concours de Dieu]]<br /> **[[Pensées métaphysiques/Deuxième partie/chapitre XII|Chapitre XII : De l'âme humaine]]<br /> <br /> &lt;/div&gt;<br /> [[Catégorie:Œuvres]]</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Lettres_%C3%A0_Meyer_(1663) Lettres à Meyer (1663) 2017-01-14T13:25:51Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Lettres|Correspondance de Spinoza]]<br /> | 2= Lettres 12 et 12bis<br /> | 3= de Spinoza à Meyer<br /> | 4=1663<br /> }}<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Traduction de J.F. Hamel<br /> <br /> Voir le [[Ad Meyer (1663)|texte original latin]].<br /> &lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> ===Lettre 12 (« sur l'Infini »)===<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Au très savant et très compétent<br /> <br /> Louis Meyer PMDQ<br /> <br /> B. de S.&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Très cher ami,<br /> <br /> J’ai reçu de toi deux lettres, l’une datée du 11 janvier et transmise par notre ami NN ; et une autre du 26 mars, envoyée de Leyde par un ami, je ne sais qui. Les deux m’ont fait très plaisir, surtout quand j’en ai compris que tout allait très bien pour toi et que tu pensais souvent à moi. Et je dois te remercier grandement pour ta gentillesse et l’estime que tu ne cesses de me porter ; je te prie aussi de ne pas me croire moins dévoué à toi, ce que je m’efforcerai de montrer à l’occasion, autant que le pourra ma fragilité. Et je commence en prenant soin de répondre à ce que tu me demandes dans tes lettres : te communiquer mes réflexions sur l’infini, ce que je fais bien volontiers.<br /> <br /> La question de l’infini a toujours paru à tous très difficile, sinon inextricable [inexplicable] du fait qu’ils n’ont pas distingué entre cela qui est infini par une conséquence de sa nature, autrement dit par la force de sa définition ; et ce qui n’a pas de limites, non certes par la force de son essence mais par la force de sa cause. Et aussi parce qu’ils n’ont pas distingué entre cela qui est dit infini parce que n’ayant pas de limites, et cela, bien qu’ayant un maximum et un minimum, dont nous ne pouvons atteindre et développer [expliquer] les parties par aucun nombre. Ensuite parce qu’ils n’ont pas distingué entre ce que nous pouvons seulement comprendre mais non imaginer, et ce que nous pouvons aussi imaginer. Et s’ils y avaient prêté attention, dis-je, jamais ils n’auraient été submergés d’une aussi grande foule de difficultés. Car ils auraient clairement compris quel infini ne peut être divisé en aucunes parties, autrement dit n’a aucunes parties, et lequel à l’inverse le peut, et cela sans contradiction. Ensuite ils auraient compris quel infini peut être conçu plus grand qu’un autre infini sans aucun embarras, et lequel non. Ce qui apparaîtra clairement de ce que je vais dire.<br /> Mais d’abord je vais exposer brièvement les quatre points suivants : la substance, le mode, l’éternité et la durée.<br /> <br /> En ce qui concerne la substance, voici ce que je voudrais qu’on considère : 1°) à son essence appartient l’existence, c’est-à-dire sa seule essence et définition a pour conséquence qu’elle existe, ce que, si j’ai bonne mémoire, je t’ai auparavant démontré de vive voix sans le secours d’autres propositions ; 2°) ce premier point a pour conséquence que la substance n’est pas multiple, mais qu’il n’en existe qu’une de même nature ; 3°) toute substance ne peut être comprise si ce n’est infinie.<br /> <br /> Les affections de la substance, je les appelle modes, dont la définition, puisqu’elle n’est pas définition de substance, ne peut impliquer aucune existence. C’est pourquoi, même si elles existent, nous pouvons les concevoir comme non existantes ; d’où la seconde conséquence que nous, quand nous prêtons attention à la seule essence des modes, mais non à l’ordre de toute la nature [matière], nous ne pouvons en conclure que, de ce qu’ils existent maintenant, ils existeront plus tard ou pas, ou ont existé auparavant ou pas ; d’où il apparaît clairement que nous concevons l’existence de la substance comme complètement différente de l’existence des modes.<br /> <br /> De cela naît la différence entre éternité et durée. Par la durée en effet nous pouvons expliquer seulement l’existence des modes ; mais celle de la substance par l’éternité, c’est-à-dire la fruitio [jouissance, fruition] infinie d’exister, autrement dit, en dépit du latin, d’être.<br /> <br /> Il en ressort clairement que, quand c’est à la seule essence des modes mais non à l’ordre de la nature que nous prêtons attention, nous pouvons à notre gré, sans détruire le concept que nous en avons, en déterminer (délimiter) l’existence et la durée, en concevoir un plus grand et un plus petit et les diviser en parties ; mais que l’éternité et la substance, puisqu’elles ne peuvent être conçues qu’infinies, ne peuvent en rien pâtir de ces choses sans que nous en détruisions en même temps le concept.<br /> <br /> C’est pourquoi ils jacassent complètement, pour ne pas dire déraisonnent (délirent), ceux qui pensent que la substance étendue est une combinaison de parties, ou corps, réellement distinctes les unes des autres. C’est comme si quelqu’un, de la seule addition ou réunion de cercles, cherchait à combiner un carré ou un triangle ou autre chose de différent par toute son essence. C’est pourquoi tout ce fatras d’arguments par lesquels ils [des philosophes] s’occupent [communément] à montrer que la substance étendue est finie s’effondre de lui-même : car tous ces arguments supposent la substance corporelle combinée de parties. De même, d’autres, après s’être persuadés que la ligne est composée de points, ont pu trouver de nombreux arguments par lesquels ils ont montré que la ligne [n’]était [pas] divisible à l’infini.<br /> <br /> Mais si tu demandais pourquoi nous sommes poussés par nature à diviser la substance étendue, je te répondrais que nous concevons la quantité de deux façons : abstraitement, autrement dit superficiellement, telle que, avec l’aide des sens, nous l’avons dans l’imagination ; ou comme substance, ce qui ne se fait que par l’entendement seul. C’est pourquoi (D’où), si nous prêtons attention à la quantité telle qu’elle est dans l’imagination, ce qui se fait le plus souvent et le plus facilement, nous la découvrons divisible, finie et composée de parties. Mais si nous prêtons attention au seul entendement (si nous y prêtons attention telle qu’elle est dans l’entendement) et que la chose est perçue comme elle est en soi, ce qui est très difficile, alors, comme je te l’ai assez démontré auparavant, nous la découvrons infinie, indivisible et unique.<br /> <br /> En outre, de ce que nous pouvons déterminer la durée et la quantité à notre gré, quand nous concevons celle-ci abstraite de la substance et que nous séparons celle-là de la façon dont elle découle des choses éternelles, naissent le temps et la mesure ; en fait le temps sert à déterminer la durée et la mesure la quantité pour que nous les imaginions facilement, autant que faire se peut.<br /> Ensuite, de ce que nous séparons de la substance même les affections de la substance et les rangeons en classes pour que nous les imaginions facilement autant que faire se peut, naît le nombre, par quoi nous les déterminons. Et cela nous fait clairement voir que la mesure, le temps et le nombre ne sont que des façons de penser ou plutôt d’imaginer. Il n’est donc pas étonnant que tous ceux qui se sont efforcés de comprendre la marche de la nature par des notions semblables, et en plus en fait mal comprises, se soient prodigieusement empêtrés, de sorte qu’ils n’ont pu s’en dépêtrer qu’en brisant tout et en admettant (soutenant) les pires des absurdités.<br /> <br /> En effet, comme il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons atteindre par aucune imagination mais par le seul entendement, ainsi la substance, l’éternité, etc., si quelqu’un s’efforce de les expliquer par de semblables notions, qui sont seulement des auxiliaires de l’imagination, il ne fait rien d’autre que s’appliquer à délirer avec son imagination.<br /> <br /> En outre, les modes de la substance, si on les confond avec de tels êtres de raison ou d’imagination, ne pourront jamais être compris correctement. Car, ce faisant, nous les séparons de la substance et de la façon dont ils découlent de l’éternité, sans lesquelles pourtant on ne peut les comprendre correctement.<br /> Pour voir cela plus clairement, prends cet exemple : si quelqu’un a conçu abstraitement la durée et entrepris, la confondant avec le temps, de la diviser en parties, il ne pourra jamais comprendre par quelle raison une heure, par exemple, peut s’écouler. En effet, pour qu’une heure s’écoule, devra nécessairement s’en écouler d’abord la moitié, puis la moitié du reste, puis la moitié restante de ce reste ; et ainsi de suite indéfiniment [infiniment], il soustraira la moitié du reste et ne pourra jamais parvenir à la fin de l’heure. Car ils sont nombreux ceux qui, ne s’étant pas habitués à distinguer les êtres de raison des réels, ont osé affirmé que la durée se compose de moments. Ils sont ainsi tombés en Scylla, désirant éviter Charybde. En effet, c’est une même chose que la durée se compose de moments et le nombre de l’addition de zéros.<br /> <br /> En outre, de ce qui vient d’être dit, il est assez évident que ni le nombre ni la mesure ni le temps, puisqu’ils ne sont que des auxiliaires de l’imagination, ne peuvent être infinis, car sinon le nombre ne serait pas le nombre, ni la mesure la mesure, ni le temps le temps. D’où on voit clairement pourquoi beaucoup, ayant confondu ces trois points avec les choses [mêmes], ont nié l’infini en acte. Mais ils ont raisonné misérablement, en jugent les mathématiciens, que des arguments de cette farine n’ont pas empêché de s’appliquer aux choses perçues par eux clairement et distinctement. Car, outre qu’ils ont trouvé beaucoup de choses qui ne peuvent s’expliquer par aucun nombre, ce qui prouve assez le défaut de nombres pour tout déterminer, il y en a aussi beaucoup qui ne peuvent être atteintes par aucun nombre, mais qui surpassent tout nombre possible, ce qu’ils n’ont pas conclu de la multitude des parties, mais de ce que la nature de la chose ne peut admettre un nombre sans contradiction manifeste. Par exemple, toutes les inégalités de [[Image:Lettre_12.jpg|left]]l’espace compris entre deux cercles AB et CD et toutes les variations que la matière mue en lui doit admettre, surpassent tout nombre. Et cela ne se conclut pas de l’extrême grandeur de cet espace car, aussi petite que nous en prenions une portion, ses petites portions inégales surpasseront cependant tout nombre. Et, pour la même raison, cela ne se conclut pas non plus, comme il arrive dans d’autres cas, de ce que nous n’avons ni maximum ni minimum, car dans notre exemple, nous avons les deux : un maximum, AB, et un minimum, CD , dont nous pouvons conclure seulement que la nature de l’espace compris entre les deux cercles, à centre différent, ne peut rien admettre de tel. Et par là, si quelqu’un voulait déterminer toutes ces inégalités par un nombre précis, il devrait en même temps faire qu’un cercle ne soit plus un cercle.<br /> <br /> Ainsi encore, pour revenir à notre propos, si quelqu’un voulait déterminer tous les mouvements de la matière qui ont eu lieu jusqu’à aujourd’hui, en les ramenant eux et leur durée à un nombre et un temps précis, il ne chercherait [s’efforcerait à] rien d’autre que priver la substance corporelle, que nous ne pouvons concevoir qu’existante, de ses affections et faire qu’elle n’ait pas la nature qu’elle a, ce que je pourrais démontrer clairement, ainsi que beaucoup d’autres points que j’ai abordés dans cette lettre, si je ne le jugeais superflu.<br /> De tout ce que je viens de dire, on voit clairement :<br /> <br /> — que certaines choses sont infinies par leur nature – et elles ne peuvent être conçues finies en aucune façon ;<br /> <br /> — que certaines le sont par la force de la cause à laquelle elles sont liées – et pourtant, une fois conçues abstraitement, elles peuvent être divisées en parties et considérées finies ;<br /> <br /> — que certaines enfin sont dites infinies ou, si tu préfères, indéfinies, parce qu’elles ne peuvent être atteintes par aucun nombre et cependant se concevoir plus grandes ou plus petites, leur égalité n’étant pas une condition nécessaire pour qu’elles ne puissent être atteintes par aucun nombre, ce qui est assez manifeste de l’exemple ci-dessus et de beaucoup d’autres.<br /> <br /> Bref, j’ai mis brièvement sous les yeux les causes des erreurs et des confusions nées autour de la question de l’infini, et je les ai toutes expliquées, si je ne me trompe, de sorte que je pense qu’il ne demeure aucune question touchant l’infini que je n’aurais abordée ou qui ne puisse être très aisément résolue à partir de ce qui a été dit. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il vaille la peine de t’entretenir plus longtemps de ces points.<br /> <br /> Mais je voudrais encore ajouter en passant que les péripatéticiens plus récents, à ce que je pense, ont mal compris la démonstration des Anciens par laquelle ils ont tenté de montrer l’existence de Dieu. En effet, la voici en gros telle que je la trouve chez un Juif appelé Rab Ghasdaj [Jaçdaj] : s’il y a suite de causes à l’infini, toutes les choses qui sont seront également causées, or à rien de ce qui est causé n’appartient d’exister nécessairement par la force de sa nature, donc il n’y a rien dans la nature à l’essence de quoi appartient d’exister nécessairement. Mais ceci est absurde, donc cela l’est aussi. La force de l’argument ne se situe pas en ce qu’il est impossible qu’il y ait infini en acte ou progression des causes à l’infini, mais surtout en ce qu’on suppose que les choses qui n’existent pas nécessairement par leur nature ne sont pas déterminées à exister par une chose existant nécessairement par sa nature.<br /> <br /> Je passerais bien maintenant à ta deuxième lettre car le temps me pousse à me hâter, mais je pourrai répondre à son contenu plus commodément quand tu viendras me voir. Aussi je te demande de venir dès que possible, car je vais bientôt partir.<br /> Voilà. Porte-toi bien et souviens-toi de moi, qui suis etc.<br /> <br /> <br /> A Rijnsburg, 20 avril 1663.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ===Lettre 12 bis===<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Très cher ami, <br /> <br /> J'ai reçu hier ta lettre très bienvenue où tu demandes si tu as correctement indiqué au chap. 2 partie 1 de l'Appendice [= les Pensées métaphysiques] toutes les propositions etc. de la partie 1 des Principes qui y sont citées ; ensuite s'il ne faut pas supprimer ce que j'affirme dans la 2e partie, à savoir que le fils de Dieu est le père lui-même ; enfin s'il ne faut pas modifier le passage où je dis ne pas savoir ce que les théologiens entendent par le terme « personnalité ». <br /> <br /> A quoi je réponds : <br /> <br /> 1°) tout ce que tu as indiqué au chap. 2 de l'Appendice, tu l'as indiqué correctement. Mais au chap. 1 dudit Appendice, page 1, tu as indiqué le scolie de la prop. 4 – j'aurais préféré cependant que tu indiques le scolie de la prop. 15, où je traite explicitement de tous les modes de penser. Ensuite, page 2 de ce chapitre, tu as écrit en marge : « pourquoi les négations ne sont pas des idées » – au lieu du terme « négations », il faut mettre « êtres de raison », car je parle des êtres de raison en général, qui n'est pas en fait une idée ; <br /> <br /> 2°) quand je dis que le fils de Dieu est le père lui-même, je pense que cela suit très clairement de l'axiome suivant : des choses qui conviennent avec une troisième conviennent entre elles. Mais parce que cela n'a pour moi aucune importance, si tu penses que cela peut offenser quelques théologiens, fais ce qui te semblera le mieux. <br /> <br /> 3°) enfin, il m'échappe ce que les théologiens entendent par le terme « personnalité », mais non les critiques [philologues, lexicographes]. <br /> <br /> En attendant, puisque l'exemplaire est en ta possession, tu peux mieux voir toi-même ces choses, s'il te semble qu'il faut en changer, fais ce qu'il te plaît. <br /> Porte-toi bien, mon très cher ami, et souviens-toi de moi qui suis <br /> <br /> ton très dévoué <br /> <br /> B. de Spinoza <br /> <br /> <br /> Voorburg, 26 juillet 1663 &lt;ref&gt;Lettre retrouvée en 1974 et publiée l'année suivante par Offenberg.&lt;/ref&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> ====Note====<br /> <br /> &lt;references /&gt;<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Epistola_16 Epistola 16 2017-01-14T13:15:05Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Epistolae | 2= Epistola 16 | 3= 1663 | 4= }} &lt;/div&gt; {{Epistolae}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Epistolae]]<br /> | 2= Epistola 16<br /> | 3= 1663<br /> | 4=<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Epistolae}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo Viro<br /> <br /> B. d. S.<br /> <br /> Henricus Oldenburgius&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Praestantissime Vir, et Amice Colendissime,<br /> <br /> Vix tres quatuorve dies sunt elapsi, ex quo Epistolam per tabellionem ordinarium ad te dabam. Memineram ibi cujusdam libelli à Domino Boylio conscripti, et tibi transmittendi. Non tum affulgebat spes tam citò nanciscendi amicum, qui eum perferret. Ex eo tempore se obtulit quidam opinione meâ celeriùs. Accipias igitur nunc, quod tunc mitti non poterat, unaque Domini Boylii, qui nunc rure in Urbem reversus est, salutem officiosissimam. Rogat ille, ut Praefationem in Experimenta ipsius circa Nitrum factam consulas, intellecturus inde verum, quem sibi praestituerat in eo Opere, scopum ; ostendere videlicet resurgentis Philosophiae solidioris placita claris experimentis illustrari, et haec ipsa sine Scholarum formis, qualitatibus, elementis nugatoriis optimè explicari posse ; neutiquam autem in se suscepisse naturam Nitri docere, vel etiam improbare ea, quae de materiae homogeneitate, deque corporum differentiis, ex motu, et figurâ, etc. duntaxat exorientibus, à quoquam tradi possunt. Hoc duntaxat se voluisse ait, texturas corporum varias, varia eorum discrimina inducere, ab iisque diversa admodùm effecta proficisci, riteque inde, quamdiu ad primam materiam resolutio facta non fuerit, heterogeneitatem aliquam à Philosophis, et aliis concludi. Nec putem, in rei fundo inter te, et Dominum Boylium dissensum esse. Quòd verò ais, omnem calcem, cujus meatûs angustiores sunt, quàm ut particulas Nitri continere queant, quorumque parietes languidi sunt, aptam esse ad motum particularum Nitri sistendum, proindeque ad ipsum Nitrum redintegrandum ; respondet Boylius, si cum aliis calcibus spiritus Nitri misceatur, non tamen cum ipsis verum Nitrum compositum iri.<br /> <br /> Quoad Ratiocinationem, quâ ad evertendum vacuum uteris, attinet, ait Boylius, se eam nôsse, et praevidisse ; at in ipsâ nequaquam acquiescere : quâ de re alibi dicendi locum fore asserit.<br /> <br /> Petiit, ut te rogarem, an suppeditare ipsi exemplum possis, in quo duo corpora odora in unum conflata, corpus planè inodorum (Nitrum scilicet) componant. Tales ait esse partes Nitri, Spiritum quippe ipsius teterrimum spargere odorem, Nitrumque fixum odore non destitui.<br /> <br /> Rogat porrò, ut probè consideres, an probam institueris inter glaciem, aquamque cum Nitro, ejusque Spiritu comparationem : cùm tota glacies non nisi in aquam resolvatur, glaciesque inodora, in aquam relapsa, inodora permaneat : discrepantes verò qualitates inter Nitri spiritum, ejusque salem fixum reperiantur, uti Tractatus impressus abundè docet.<br /> <br /> Haec, et similia inter disserendum de hoc argumento, ab Illustri Authore nostro accipiebam ; quae per memoriae meae imbecillitatem, cum multâ ejus fraude potiùs, quàm existimatione, me repetere certus sum. Cùm de rei summâ consentiatis, nolim haec ulteriùs exaggerare : potiùs author essem, ut ingenia jungatis uterque ad Philosophiam genuinam, solidamque certatim excolendam. Te imprimis monere mihi fas sit, ut principia rerum, pro Mathematici tui ingenii acumine consolidare pergas : uti Nobilem meum amicum Boylium sine morâ pellicio, ut eandem experimentis, et observationibus, pluries, et accuratè factis, confirmet, illustretque. Vides Amice Charissime, quid moliar, quid ambiam : Novi nostrates hoc in Regno Philosophos suo muneri experimentali nequaquam defuturos ; nec minùs persuasum mihi habeo, te quoque Provinciâ tuâ gnaviter perfuncturum, quicquid ogganniat, vel criminetur sive Philosophorum, sive Theologorum vulgus. Cùm literis praegressis jam te fuerim pluribus ad hoc ipsum hortatus, nunc me reprimo, ne fastidium tibi creem. Hoc saltem peto ulteriùs, ut quaecunque eorum typis jam mandata sunt, quae vel in Cartesium es commentatus, vel ex intellectûs tui scriniis propriis depromsisti, quantò ociùs mihi transmittere per Dominum Serrarium digneris. Habebis me tantò arctiùs tibi devinctum, intelligesque quâvis datâ occasione, me esse<br /> <br /> Tui Studiosissimum<br /> <br /> Henr. Oldenburg<br /> <br /> Londini 4. August. 1663<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Epistola 15]] | [[Epistolae]] | [[Epistola 17]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Epistola_14 Epistola 14 2017-01-14T13:11:50Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Epistolae | 2= Epistola 14 | 3= 1663 | 4= }} &lt;/div&gt; {{Epistolae}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Epistolae]]<br /> | 2= Epistola 14<br /> | 3= 1663<br /> | 4=<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Epistolae}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo Viro<br /> <br /> B. d. S.<br /> <br /> Henr. Oldenburgius.&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Clarissime Vir, Amice plurimùm colende,<br /> <br /> Commercii nostri literarii instaurationem im magnâ pono parte felicitatis. Scias itaque, me tuas, 17/27 Julii ad me datas, accepisse insigni cum gaudio, duplici imprimis nomine, tum quòd salutem tuam testarentur, tum quòd de tuae erga me amicitiae constantiâ certiorem me redderent. Accedit ad cumulum, quòd mihi nuncias, te primam, et secundam Principiorum Cartesii partem, more Geometrico demonstratam, praelo commisisse, ejusdem unum, alterumve exemplar liberalissimè mihi offerens. Accipio munus perlubanti animo, rogoque, ut istum sub praelo jam sudantem Tractatum, si placuerit, Domino Petro Serrario, Amstelaedami degenti, pro me transmittas. In mandatis quippe ipsi dedi, ut ejusmodi fasciculum recipiat, et ad me per amicum trajicientem expediat.<br /> <br /> Caeterùm permittas tibi dicam, me impatienter ferre, te etiamnum supprimere ea scripta, quae pro tuis agnoscis, in Republicâ imprimis tam liberâ, ut sentire ibi, quae velis, et quae sentias dicere liceat. Perrumpere te velim ista repagula, imprimis cùm subticere nomen tuum possis, et hâc ratione extra omnem periculi aleam te collocare.<br /> <br /> Nobilissimus Boylius peregrè abiit : quamprimùm redux fuerit factus in Urbem, communicabo ipsi eam Epistolae tuae doctissimae partem, quae illum spectat, ejusque de conceptibus tuis sententiam, quàm primùm eam nactus fuero, rescribam. Puto, te jam vidisse ipsius Chymistam Scepticum, qui jamdudum latinè editus, inque exterorum oris dispersus fuit, multa continens Paradoxa Chymico-Physica, et Spagyricorum principia Hypostatica, (ut vocant) sub examen severum revocans.<br /> <br /> Alium nuper edidit libellum, qui fortè necdum ad Bibliopolas vestros pervenit : quare eum hoc involucro tibi mitto, rogoque peramanter, ut hoc munusculum boni consulas. Continet libellus, ut videbis, defensionem virtutis Elasticae Aëris contra quendam Franciscum Linum, qui funiculo quodam, intellectum juxtà, ac sensum omnem figiente, Phaenomena, in Experimentis novis Physico-Mechanicis Domini Boylii recitata, explicare fatagit. Evolve, et expende libellum, et tua de eo animi sensa mihi deprome.<br /> <br /> Societas nostra Regia institutum suum gnaviter pro viribus prosequitur, intra experimentorum, observationumque cancellos sese continens, omnesque Disputationum anfractus devitans.<br /> <br /> Egregium super captum fuit experimentum, quod valdè torquet Vacuistas, Plenistis verò vehementer placet. Est [[Image:Lettre_14.jpg|right|120px]]verò tale. Phiala vitrea A, repleta ad summitatem aquâ, orificio ejus in vas vitreum B, aquam continens, inverso, imponatur Recipienti Novae Machinae Pneumaticae Domini Boylii ; exhauriatur mox aër ex Recipiente ; conspicientur bullae magnâ copiâ ex aquâ in Phialam A adscendere, et omnem inde aquam in vas B, infra superficiem aquae ibi contentae, depellere. Reliquantur in hoc statu duo vascula ad tempus unius, alteriusve diei, aëre identidem ex dicto Recipiente crebris exantlationibus evacuato. Tum exinantur è Recipiente, et Phiala A repleatur hâc aquâ, aëre privatâ, rursumque invertatur in vas B, ac Recipienti denuo utrumque vas includatur. Exhausto iterum Recipiente per debitas exantlationes, conspicietur fortè bullula quaedam ex collo Phialae A adscendere, quae ad summitatem emergens, et continuatâ exantlatione seipsam expandens, rursum omnem depellet aquam ex Phiala, ut prius. Tum Phiala iterum ex Recipiente eximatur, ut exhaustâ aëre aquâ ad summum repleatur, invertaturque, ut priùs, et Recipienti immittatur. Tum aëre probè evacuetur Recipiens, eoque ritè, et omninò evacuato, remanebit aqua in Phiala sic suspensa, ut nullatenus descendat. In hoc experimento causa, quae juxta Boylium sustinere aquam in experimento Torricelliano statuitur, (aër nempe, aquae in vasculo B incumbens) ablata planè videtur, nec tamen aqua in Phialâ descendit. Plura statueram hîc subjungere, sed amici, et occupationes me avocant.<br /> <br /> Non possum claudere literas, quin iterum iterumque ubi inculcem publicationem eorum, quae tu ipse es meditatus. Nunquam desistam te hortari, donec petitioni meae satisfeceris. Interea temporis, si quaedam contentorum illorum capita mihi impertiri velles, oh ! quàm te deperirem, quantâque necessitudine me tibi obstrictum judicarem ! Valeas florentissimè, meque ut facis, amare pergas,<br /> <br /> Tui Studiosissimum, et Amicissimum<br /> <br /> Henr. Oldenburg<br /> <br /> Londini, 31. Julii 1663.<br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Epistola 13]] | [[Epistolae]] | [[Epistola 15]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Epistola_13 Epistola 13 2017-01-14T13:08:06Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Epistolae | 2= Epistola 13 | 3= 1663 | 4= }} &lt;/div&gt; {{Epistolae}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Viro Nobil... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Epistolae]]<br /> | 2= Epistola 13<br /> | 3= 1663<br /> | 4=<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Epistolae}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Viro Nobilissimo, ac Doctissimo<br /> <br /> Henr. Oldenburgio<br /> <br /> B. d. S.<br /> <br /> [[Epistola 11|Responsio ad Epistolam 11]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Vir Nobilissime,<br /> <br /> Literas tuas, mihi dudum desideratas, tandem accepi, iisque etiam respondere licuit. Verùm, priusquam id aggrediar, ea, quae impediverunt, quò minùs antehac rescribere potuerim, paucis dicam. Cùm mente Aprili meam supellectilem huc transtuli, Amstelaedamum profectus sum. Ibi quidam me Amici rogârunt, ut sibi copiam facerem cujusdam Tractatûs, secundam Partem Principiorum Cartesii, more Geometrico demonstratam, et praecipua, quae in Metaphysicis tractantur, breviter continentis, quem ego cuidam juveni, quem meas opiniones apertè docere nolebam, antehac dictaveram. Deinde rogârunt, ut quàm primùm possem, primam etiam Partem eâdem Methodo concinnarem. Ego, ne amicis adversarer, statim me ad eam conficiendam accinxi, eamque intra duas hebdomadas confeci, atque amicis tradidi, qui tandem me rogârunt, ut sibi illa omnia edere liceret, quod facilè impetrare potuerunt, hâc quidem lege, ut eorum aliquis, me praesente, ea stylo elegantiori ornaret, ac Praefatiunculam adderet, in quâ Lectores moneret, me non omnia, quae in eo Tractatu continentur, pro meis agnoscere, ''cum non pauca in eo scripserim, quorum contrarium prorsùs amplector'', hocque uno, aut altero exemplo ostenderet. Quae omnia amicus quidam, cui editio hujus libelli curae est, pollicitus est facere, et hâc de causâ aliquod tempus Amstelaedami moratus sum. Et à quo in hunc pagum, in quo jam habito, reversus fui, vix mei juris esse potui propter amicos, qui me dignati sunt invisere. Jam tandem, Amice suavissime, aliquid superest temporis, quo haec tibi communicare, simulque rationem, cur ego hunc Tractatum in lucem prodire sino, reddere possum. Hâc nempe occasione fortè aliqui, qui in meâ patriâ primas partes tenent, reperientur, qui caetera, quae scripsi, atque pro meis agnosco, desiderabunt videre ; adeóque curabunt, ut ea extra omne incommodi periculum communis juris facere possim : hoc verò si contingat, non dubito, quin statim quaedam in publicum edam ; sin minùs, silebo potiùs, quàm meas opiniones hominibus invitâ patriâ obtrudam, eosque mihi infensos reddam. Precor igitur, Amice honorande, ut eò usque exspectare non graveris : tum enim aut ipsùm Tractatum impressum, aut ejus compendium, ut à me petis, habebis. Et si interim ejus, qui sub praelo jam sudat, unum, aut alterum exemplar habere velis, ubi id rescivero, et simul medium, quo ipsum commodè mittere potero, tuae voluntati obsequar.<br /> <br /> Revertor jam ad tuam Epistolam, Magnas tibi, uti debeo, Nobilissimoque Boylio ago gratias pro perspectissimâ tuâ erga me benevolentiâ, proque beneficâ tuâ voluntate : tot enim, tantique momenti, et ponderis negotia, in quibus versaris, non potuerunt efficere, ut tui Amici obliviscereris, quin imò benignè polliceris, te omni modo curare, ne in posterum consuetudo nostra literaria tamdiu interrumpatur. Eruditissimo Domino Boylio magnas etiam ago gratias, quòd ad meas Notas dignatus fuerit respondere, quamvis obiter, et quasi aliud agendo. Equidem fateor, eas non tanti esse momenti, ut Eruditissimus Vir in iis respondendo tempus, quod altioribus cogitationibus impendere potest, consumat. Ego quidem non putavi, immò mihi persuadere non potuissem, quòd Vir Eruditissimus nihil aliud sibi proposuerit in suo Tractatu de Nitro, quàm tantùm ostendere doctrinam illam puerilem, et nugatoriam de Formis Substantialibus, Qualitatibus, etc. infirmo talo niti ; sed, cùm mihi persusissem, Clarissimum Virum naturam Nitri nobis explicare voluisse ; quòd nempe esset corpus heterogeneum, constans partibus fixis, et volatilibus, volui meâ explicatione ostendere, (quod puto me satis superque ostendisse) nos posse omnia, quae ego saltem novi Nitri Phaenomena facillimè explicare, quamvis non concedamus Nitrum esse corpus heterogeneum ; sed homogeneum. Quocirca meum non erat ostendere sal fixum faeces esse Nitri ; sed tantùm supponere ; ut viderem, quomodò mihi Vir Clarissimus ostendere posset, illud sal non esse faeces ; sed prorsùs necessarium ad essentiam Nitri constituendam, sine quo non posset concipi ; quia, ut dico, putabam, Virum Clarissimum id ostendere voluisse. Quòd verò dixi, sal fixum meatûs habere ad mensuram particularum Nitri excavatos, eo non egebam ad redintegrationem Nitri explicandam : nam ut ex eo, quod dixi, nempe quòd in solâ consistentiâ spiritûs Nitri ejus redintegratio consistit, clarè apparet omnem calcem, cujus meatûs angustiores sunt, quàm ut particulas Nitri continere queant, quorumque parietes languidi sunt, aptam esse ad motum particularum Nitri sistendum, ac proinde ex meâ Hypothesi ad ipsum Nitrum redintegrandum ; adeóque non mirum esse, alia salia, tartari scilicet, et cinerum clavellatorum, reperiri, quorum ope Nitrum redintegrari potest. Sed ideò tantùm dixi, sal Nitri fixum meatûs habere ad mensuram particularum Nitri excavatos, ut causam redderem, cur sal fixum Nitri magis aptum sit ad Nitrum ità redintegrandum, ut parùm absit de pristino suo pondere ; immò ex eo, quòd alia salia reperiantur, quibus Nitrum redintegrari potest, putabam ostendere, calcem Nitri ad essentiam Nitri constituendam non requiri, nisi Vir Clarissimus dixisset, nullum sal esse, quod sit (Nitro scilicet) magis catholicum : adeóque id in tartaro, et cineribus clavellatorum latere potuisse. Quòd porrò dixi, particulas Nitri in majoribus meatibus à materiâ subtiliori cingi, id ex vacui impossibilitate, ut Clarissimus Vir notat, conclusi ; sed nescio, cur vacui impossibilitatem Hypothesin vocat, cùm clarè sequatur ex eo, quòd nihili nullae sint proprietates. Et miror, Virum Clarissimum de hoc dubitare, cùm videatur statuere, nulla dari accidentia realia : an quaeso non daretur accidens reale, si daretur Quantitas absque Substantiâ ?<br /> <br /> Quod ad causas differentiae saporis spiritûs Nitri, et Nitri ipsius attinet, eas proponere debui, ut ostenderem, quomodò poteram ex solâ differentiâ, quam inter Spiritum Nitri, et Nitrum ipsum admittere tantùm volui, nullâ salis fixi habitâ ratione, ejus Phaenomena facillimè explicare.<br /> <br /> Quae autem tradidi de Nitri inflammabilitate, et Spiritûs Nitri aphlogia, nihil aliud supponunt, quàm quòd ad excitandam in aliquo corpore flammam requiratur materia, quae ejus corporis partes disjungat, agitetque ; quae duo quotidianam experientiam, et rationem satis docere puto.<br /> <br /> Transeo ad experimenta, quae attuli, non ut absolutè ; sed, ut expressè dixi, ''aliquo modo'', meam explicationem confirmarem. In primum itaque experimentum, quod attuli, nihil Vir Clarissimus adfert, praeter quod ipse expressissimis verbis notavi ; de caeteris verò, quae etiam tentavi, ut id, quod Vir Clarissimus mecum notat, minùs suspicarer, nihil prorsùs ait. Quod deinde in secundum experimentum adfert, nempe defaecatione ut plurimùm liberari Nitrum à sale quodam, sal commune referente, id tantùm dicit ; sed non probat : ego enim, ut expressè dixi, haec experimenta non attuli, ut iis ea, prorsùs confirmarem ; sed tantùm quia ea experimenta, quae dixeram, et rationi convenire ostenderam, illa aliquo modo confirmare viderentur. Quòd autem ait, adscendum in stiriolas communem illi esse cum aliis salibus, nescio quid id ad rem faciat : concedo enim alia etiam salia faeces habere, atque volatiliora reddi, si ab iis liberentur. In tertium etiam experimentum nihil video adferri, quod me tangat. In sectione quintâ auctorem Nobilem culpare Cartesium putavi, quod etiam in aliis locis pro libertate Philosophandi, cuivis concessâ, utriusque Nobilitate illaesâ fecit ; quòd fortè etiam alii, qui Cl. Viri scripta, et Cartesii principia legerunt, idem, nisi expressè moneantur, mecum putabunt. Nedcum video Cl. Virum suam mentem apertè explicare : nondum enim ait, an Nitrum Nitrum esse desinet, si ejus stiriolae visibiles, de quibus tantùm loqui ait, raderentur, donec in parallelipeda, aut aliam figuram mutarentur.<br /> <br /> Sed haec relinquo, et at id, quod Cl. Vir ad ea, quae in Sectione 13-18 ponit, transeo, atque dico, me libenter fateri, hanc Nitri redintegrationem praeclarum quidem experimentum esse ad ipsam Nitri naturam investigandam, nempe ubi priùs principia Philosophiae Mechanica noverimus, et quòd omnes corporum variationes secundùm Leges Mechanicae fiant ; sed nego, haec ex modò dicto experimento clariùs, atque evidentiùs sequi, quàm ex aliis multis obviis experimentis, ex quibus tamen hoc non evincitur. Quòd verò Vir Cl. ait, se haec sua apud alios tam clarè tradita, et tractata non invenisse, fortè aliquid in rationes Verulamii, et Cartesii, quod ego videre non possum, habet, quo ipsas se refutare posse arbitratur : eas hîc non adfero, quia non puto Cl. Virum ipsas ignorare ; hoc tamen dicam, ipsos etiam voluisse, ut cum eorum ratione convenirent Phaenomena ; si nihilominus in quibusdam erraverunt, homines fuerunt, humani nihil ab ipsis alienum puto. Ait porrò magnum discrimen intercedere inter ea (obvia scilicet, et dubia, quae attuli, experimenta) circa quae, quid adferat Natura, quaeque interveniant, ignoramus, et inter ea, de quibus certò constat, quaenam ad ea adferantur. Verùm nondum video, quòd Clarissimus Vir nobis explicuerit Naturam eorum, quae in hoc subjecto adhibentur, nempe calcis Nitri, hujusque Spiritûs ; adeò ut haec duo non minùs obscura videantur, quàm quae attuli, calcem nempe communem, et aquam. Ad lignum quod attinet, concedo id corpus esse magis compositum, quàm Nitrum ; sed quamdiu utriusque Naturam, et modum, quo in utroque calor oritur, ignoro, quid id quaeso ad rem facit ? Deinde nescio, quâ ratione Clar. Vir affirmare audet, se scire, quae in hoc subjecto, de quo loquimur, Natura adferat. Quâ quaeso ratione nobis ostendere poterit illum calorem non ortum fuisse à materiâ aliquâ subtilissimâ ? An fortè propterea, quòd parùm fuerit de pristino pondere desideratum ? quamvis nihil desideratum fuisset, nihil meo quidem judicio concludere posset : Videmus enim, quàm facilè res ex parvâ admodum quantitate materiae colore aliquo imbui possunt, neque ideò ponderosiora, quoad sensum, neque leviora fieri. Quare non sine ratione dubitare possum, ac fortè quaedam non concurrerint, quae nullo sensu observari potuissent ; praesertim, quamdiu ignoratur, quomodò omnes illae Variationes, quas Vir Clar. inter experiundum observavit, ex dictis corporibus fieri potuerunt ; imò pro certo habeo, calorem, et illam effervescentiam, quam Clar. Vir recitat, à materiâ adventitiâ ortas fuisse. Deinde puto me faciliùs ex aquae ebullitione, (taceo jam agitationem) posse concludere aëris concitationem causam esse, à quâ sonus oritur, quàm ex hoc experimento, ubi eorum, quae concurrunt, natura planè ignoratur, et in quo calor etiam observatur, qui quomodò, sive à quibus causis ortus fuerit, nescitur. Denique multa sunt, quae nullum prorsùs spirant odorem, quorum tamen partes, si utcunque concitentur, atque incalescant, odor statim persentitur, et si iterum frigescant, nullum iterum odorem habent, (saltem quoad humanam sensum) ut exempli gratiâ, succinum, et alia, quae etiam nescio, an magis composita sint, quàm Nitrum.<br /> <br /> Quae ad Sectionem vigesimam quartam notavi, ostendunt, spiritum Nitri non esse purum Spiritum ; sed calce Nitri, aliisque abundare ; adeoque me dubitare, an id, quod Vir Clarissimus ope libellae deprehendisse ait, quòd nempe pondus Spiritûs Nitri, quem instillavit, pondus illius, quod inter detonandum perierat, ferè exaequabat, satis cautè observare potuit.<br /> <br /> Denique, quamvis aqua pura, quoad oculum, salia alcalisata citiùs solvere posset ; tamen cùm ea corpus magis homogeneum, quàm aër sit, non potest, sicuti aër, tot genera corpusculorum habere, quae per omnis generis calcis poros se insinuare possint : Quare cùm aqua certis particulis unius generis maximè constet, quae calcem ad certum terminum usque dissolvere aër verò non item, inde sequitur, aquam usque ad illum terminum longè citiùs calcem dissoluturam, quàm aërem ; sed cùm contrà aër constet etiam crassioribus, et longè subtilioribus, et omnis generis particulis, quae per poros longè angustiores, quàm quos particulae aquae penetrare possunt, multis modis se insinuare possunt ; inde sequitur aërem, quamvis non tam citò, atque aquam, nempe, quia non tot particulis uniuscujusque generis constare potest, longè tamen meliùs, atque subtiliùs dissolvere calcem Nitri posse, eamque languidiorem, ac proinde aptiorem ad motum particularum Spiritûs Nitri sistendum reddere. Nam nullam aliam differentiam inter Spiritum Nitri, et Nitrum ipsum adhuc agnoscere cogor ab experimentis, quàm quòd particulae hujus quiescant, illius verò valdè concitatae inter sese agitentur ; adeò ut eadem differentia, quae est inter glaciem, et aquam, sit inter Nitrum, et ejus Spiritum.<br /> <br /> Verùm te circà haec diutiùs destinere non audeo ; vereor, ne nimis prolixus fuerim, quamvis, quantùm quidem potui, brevitati studuerim : si nihilominùs molestus fui, id, ut ignoscas, oro, simulque ut ea, quae ab Amico liberè, et sincerè dicta sunt, in meliorem partem interpreteris. Nam ego de his prorsùs tacere, ut tibi rescriberem, inconsultum judicavi. Ea tamen apud te laudare, quae minùs placebant, mera esset adulatio, quâ nihil in Amicitiis perniciosus, et damnosius censeo. Constitui igitur, mentem meam apertissimè explicare ; et nihil hôc viris Philosophis gratius fore judicavi. Interim si tibi videbitur consultius, haec cogitata igni potiùs, quàm Eruditissimo Domino Boylio tradere, in tuâ manu sunt, fac ut lubet, modò me tibi, Nobilissimoque Boylio addictissimum, atque amantissimum credas. Doleo, quòd propter tenuitatem meam hoc non, nisi verbis, ostendere valeam ; attamen, etc.<br /> <br /> <br /> &lt;17/27 Julii 1663.&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Epistola 12]] | [[Epistolae]] | [[Epistola 14]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Epistola_11 Epistola 11 2017-01-14T13:02:59Z <p>Henrique : Page créée avec « &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; {{chapitre| | 1= Epistolae | 2= Epistola 11 | 3= 1663 | 4= }} &lt;/div&gt; {{Epistolae}} &lt;div class=&quot;text&quot;&gt; &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo ... »</p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Epistolae]]<br /> | 2= Epistola 11<br /> | 3= 1663<br /> | 4=<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Epistolae}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> <br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo Viro<br /> <br /> B. d. S.<br /> <br /> Henricus Oldenburgius<br /> <br /> [[Epistola 6|Responsio ad Epistolam 6]]&lt;/div&gt;<br /> <br /> Praestantissime Vir, Amice Charissime,<br /> <br /> Multa equidem afferre possem, quae diuturnum meum silentium apud te excusarent ; sed ad duo capita causas illius reducam, invaletudinem scilicet Nobilissimi Boylii, et meorum negotiorum turbam. Illa impedimento fuit, quò minùs ad tuas in Nitrum Animadversiones citiùs respondere valuerit Boylius ; haec adeò me districtum tenuere per plurimos menses, ut mei vix juris fuerim, proindeque nec officio illo defungi potuerim, ad quod me tibi obstrictum profiteor. Gestit animus, amotum esse (pro tempore saltem) utrumque obstaculum, ut meum cum tanto Amico commercium instaurare liceat. Id equidem nunc facio maximâ cum lubentiâ ; statque animus (favente Numine) omni modo cavere, ne deinceps consuetudo nostra litteraria tamdiu interrumpatur.<br /> <br /> Caeterùm priusquam de iis tecum agam, quae tibi et mihi privatim intercedunt, expediam illa, quae D. Boylii nomine tibi debentur. Notas, quas in Chymico-Physicum illius Tractatulum concinnaveras, suetâ sibi humanitate excepit, tibique maximas pro Examine tuo gratias rependit. Interim moneri te cupit, propositum sibi non tam fuisse ostendere, verè Philosophicam, perfectamque hanc esse Nitri Analysin, quàm explicare vulgarem, et in Scholis receptam de Formis Substantialibus, et Qualitatibus doctrinam infirmo talo niti, specificasque rerum differentias, quas vocant, ad partium magnitudinem, motum, quietem, et situm posse revocari. Quo praenotato, Auctor porrò ait, Experimentum suum de Nitro satis superque docere, Nitri corpus universum in partes, à se invicem, et ab ipso toto discrepantes, per Analysin Chymicam abiisse ; postea verò ità rursum ex iisdem coäluisse, et redintegratas fuisse, ut parùm fuerit de pristino pondere desideratum. Addit verò se ostendisse, rem ipsam ità se habere ; de rei autem modo, quem tu conjectari videris, non egisse, nec de eo quicquam, cùm praeter institutum ejus fuerit, determinâsse. Quae tu interim de modo supponis, quodque sal Nitri fixum, tanquam faeces ejus, consideras, caeteraque talia, ea à te affertur, has faeces, sive hoc sal fixum meatûs habere ad mensuram particularum Nitri excavatos, circa id notat Auctor noster, salem cinerum clavellatorum, (''Belgicè potasch'') cum spiritu Nitri Nitrum aequè constituere, ac Spiritum Nitri cum proprio suo sale fixo : Unde liquere putat, similes reperiri poros in ejusmodi corporibus, unde Nitrosi Spiritûs non extruduntur. Nec videt Auctor illum materiae subtilissimae, quam adstruis, necessitatem ex ullis Phaenomenis probatam ; sed ex solâ vacui impossibilitatis Hypothesi assumptam.<br /> <br /> Quae de causis differentiae saporis inter Spiritum Nitri, et Nitrum ipsum disseris, ferire se Auctor negat : quòd verò de Nitri inflammabilitate, et Spiritûs Nitri aphlogia tradis, Cartesii de Igne doctrinam supponere ait, quam sibi necdum satisfecisse testatur.<br /> <br /> Quod ad Experimenta spectat, quibus tuam Phaenomeni explicationem comprobari putas ; respondet Auctor, primò Spiritum Nitri, Nitrum quidem esse materialiter, formaliter nequaquam, cùm qualitatibus, et virtutibus quàm maximè differant, sapore scilicet, odore, volatilitate, potentiâ solvendi metalla, colores vegetabilium mutandi, etc. Secundò, quòd coire ais particulas quasdam sursum latas in Crystallos Nitri, id ex eo fieri statuit, quòd partes nitrosae unà cum Spiritu Nitri per ignem protruduntur, quemadmodum in fuligine contingit. Tertiò, quòd de defaecationis effectu affers, ei respondet Auctor, istâ defaecatione ut plurimùm liberari Nitrum à sale quodam, sal commune referente : ascensum verò in stiriolas communem illi esse cum aliis salibus, et ab aëris pressione, aliisque quibusdam causis, aliàs dicendis, nilque ad praesentem Quaestionem facientibus, dependere. Quartò, quòd dicis de Experimento tuo tertio, idem fieri ait Auctor etiam cum aliis quibusdam salibus ; asserens, chartam actu inflammatam particulas rigidas, et solidas, quae componebant salem, vibrare, iisdemque hoc pacto scintillationem conciliare.<br /> <br /> Quòd porrò putas Sect. 5 Auctorem Nobilem culpare Cartesium, in hoc teipsum culpandum credit ; dicitque, se nullatenus indigitâsse Cartesium ; sed Gassendum, et alios, qui figuram Cylindricam particulis Nitri tribuunt, cùm reverâ sit prismica ; nec de figuris aliis se loqui, quàm visilibus.<br /> <br /> Ad ea, quae in Sect. 13-18 animadvertis, hoc tantùm reponit, se haec scripsisse imprimis, ut Chymiae usum ad confirmanda principia Philosophiae Mechanica ostenderet, asseretque ; nec se invenisse haec apud alios tam clarè tradita, et tractata. Est noster Boylius ex eorum numero, qui non adeò suae rationi confidant, ut non velint cum ratione convenire Phaenomena. Magnum praeterea discrimen ait intercedere inter obvia experimenta, circa quae quid adferat Natura, quaeque interveniant, ignoramus ; et inter ea, de quibus certò constat, quaenam ad ea afferantur. Ligna sunt corpora multò magis composita, quàm subjectum, de quo Auctor tractat. Et in aquae communis ebullitione ignis externus additur, qui in procreatione soni nostri non adhibetur. Porrò, quòd virentia in tot, tamque diversos colores mutantur, de ejus causâ quaeritur, illud verò ex mutatione partium oriri, hoc experimento declaratur, quo apparet, colorem ex Spiritûs Nitri affusione mutatum fuisse. Denique neque tetrum, neque suavem habere odorem Nitrum ait ; sed ex solâ dissolutione tetrum acquirere, quem in reconjunctione amittit.<br /> <br /> Quae ad Sect. 25 notas (caetera enim se non tangere ait) iis respondet usum se fuisse principiis Epicuraeis, quae volunt, motum particulis inesse connatum ; opus enim fuisse aliquâ uti Hypothesi ad Phaenomeni explicationem ; quam tamen propterea suam non faciat ; sed adhibeat, ad sententiam suam contra Chymicos, et Scholas sustinendum, duntaxat ostendens ex Hypothesi memoratâ rem posse bene explicari. Quòd ibidem subjicis de aquae purae ineptitudine solvendi partes fixas, ei Boylius noster respondet, Chymicos passim observare, et asserere, aquam puram salia alcalizata citiùs, quàm alia solvere.<br /> <br /> Quae circa Fluiditatem, et Firmitudinem annotasti, ea necdum vacavit Auctori expendere. Haec quae consignavi, tibi transmitto, ne diutiùs commercio, et colloquio tuo literario destituerer.<br /> <br /> Peto autem enixissimè, ut boni ea consulas, quae adeò subsultim, et mutilatè tibi repono, idque meae potiùs festinationi, quàm illustris Boylii ingenio tribuas. Ea quippe magis ex familiari cum eo circa hoc subjectum sermone collegi, quàm ex praescriptâ, et Methodicâ aliquâ ejus responsione : unde sine dubio factum, ut multa ab ipso dicta me effugerint, fortè et solidoria, et elegantoria, quàm quae hic à me commemorata sunt. Culpam igitur omnem in me rejicio, penitusque ab eâ Auctorem libero.<br /> <br /> Jam ad ea progrediar, quae mihi tecum intercedunt : Et hîc in ipso limine rogare mihi fas fit, confecerisne illud tanti momenti opusculum tuum, in quo de rerum primordio, earumque dependentiâ à primâ causâ, ut et de intellectûs nostri Emendatione tractas. Certè, Vir Amicissime, nil credo in publicum prodire posse, quod Viris reverâ doctis, et sagacibus futurum sit istiusmodi Tractatu gratius, vel acceptius. Id tui genii et ingenii Vir spectare potiùs debet, quàm quae nostri saeculi, et moris Theologis arrident : non tam illi veritatem, quàm commoditates spectant. Te igitur per amicitiae nostrae foedus, per omnia veritatis augendae, et evulgandae jura contestor, ne tua de argumentis iis scripta nobis invideas, vel neges. Si tamen quid sit majoris momenti, quàm ego praevideo, quo ab operis publicatione te arceat, summopere oro, ut epitomen ejus per litteras mihi impertire ne graveris ; et amicum me senties pro hoc officio, et gratum. Alia brevi prodibunt ab Eruditissimo Boylio edenda, quae redhostimenti loco tibi transmittam, ea quoque adjuncturus, quae totum tibi Institutum Regiae nostrae Societatis, cui sum cum aliis viginti à Consilio, et cum uno altero à Secretis, depingent. Hâc vice temporis angustiâ praecludor, quò minùs evagari ad alia queam. Omnem tibi fidem, quae ab honestiâ mente proficisci potest, omnemque ad quaevis officia, quae à tenuitate meâ praestari queunt promptitudinem tibi spondeo, sumque ex animo,<br /> <br /> Vir Optime, tuus ex asse<br /> <br /> Henr. Oldenburg<br /> <br /> Londini die 3. April 1663<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Epistola 10]] | [[Epistolae]] | [[Epistola 12]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Epistola_7 Epistola 7 2017-01-14T12:57:34Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> {{chapitre|<br /> | 1= [[Epistolae]]<br /> | 2= Epistola 7<br /> | 3= 1661<br /> | 4=<br /> }}<br /> &lt;/div&gt;<br /> {{Epistolae}}<br /> <br /> &lt;div class=&quot;text&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;text-align: center;&quot;&gt;Clarissimo Viro<br /> <br /> B. de S.<br /> <br /> Henricus Oldenburgius&lt;/div&gt;<br /> <br /> <br /> <br /> Ante septimanas sat multas, Vir Clarissime, gratissimam tuam epistolam, in Boylii librum doctè animadvertentem, accepi. Ipse Auctor unà mecum maximas tibi pro meditationibus communicatis gratias agit, idque citiùs significâsset, nisi eum spes tenuisset, se negotiorum, quibus oneratur, mole tam brevi temporis spatio potuisse levari, ut unà cum gratiis etiam responsionem suam eâdem operâ potuisset remittere. Verùm enim verò spe suâ se hactenus frustratum sentit, negotiis tum publicis tum privatis eum ità distrahentibus, ut hâc vice non nisi gratum suum animum tibi testari queat ; suam verò de Notis tuis sententiam in aliud tempus differre cogatur. Accedit, quòd duo Adversarii scriptis excusis eum sunt adorti, quibus, ut primo quoque tempore respondeat, obstrictum se arbitratur. Ea verò Scripta non in Commentationem de Nitro, sed in libellum ejus alium, Experimenta Pneumatica, Aërisque Elaterem probantia, continentem, vibrantur. Quàmprimùm laboribus hisce se expediverit, de tuis etiam Exceptionibus mentem suam tibi aperiet ; at interea temporis rogat, ne moram hanc sinistrè interpreteris.<br /> <br /> Collegium illud Philosophantium, de quo coram apud te mentionem injeceram, jam Regis nostri gratiâ in Societatem Regiam conversum est, publicoque Diplomate munitum, quo ipsi insignia Privilegia conceduntur, spesque egregia suppeditatur reditibus necessariis id ipsum locupletandi.<br /> <br /> Omninò consulerem tibi, ut, quae pro ingenii tui sagacitate doctè, tum in Philosophicis, tum Theologicis concinnasti, Doctis non invideas ; sed in publicum prodire sinas, quicquid Theologastri oggannire poterint. Liberrima est Respublica vestra, liberrimè in eâ philosophandum : tua interim ipsius prudentia tibi suggeret, ut conceptûs tuos, tuamque sententiam, quàm poteris modestissimè, prodas, de reliquo eventum Fato committas. Age igitur, Vir optime, metum omnem expectora nostri temporis homunciones irritandi ; satis diu ignorantiae, et nugis litatum ; vela pandamus verae scientiae, et Naturae adyta penitiùs, quàm hactenus factum, scrutemur. Innoxiè, putem, meditationes tuae apud vos excudi poterunt, nec ullum earum inter Sapientes offendiculum verendum. Hos igitur si Patronos et Fautores inveneris, (ut omninò te inventurum spondeo) quid Momum ignorantem reformides. Non te missum faciam, Amice honorande, quin te exoravero, nec unquam, quantum quidem in me est, concedam, ut Cogitata tua, quae tanti sunt ponderis, aeterno silentio premantur. Magnopere rogo, ut quid super hâc re consilii capies, mihi significare, quàm primùm commodè potes, non graveris. Occurrent hîc forte talia, quae cognitione tuâ non indigna erunt. Praedicta quippe Societas institutum suum nunc acriùs urgebit, et forsan, dummodo Pax in hisce oris perennet, Rempublicam Literariam non vulgariter ornabit. Vale, Vir eximie, meque crede<br /> <br /> Tui Studiosissimum, et Amicissimum<br /> <br /> Henr. Oldenburg.<br /> <br /> <br /> <br /> {{Navigateur|[[Epistola 6]] | [[Epistolae]] | [[Epistola 8]]}}<br /> &lt;/div&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:Chapitre Modèle:Chapitre 2017-01-14T12:55:45Z <p>Henrique : </p> <hr /> <div>&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;border-bottom: 2px solid #F4DED7; border-right: 2px solid #F4DED7; background-color: #FFEEEE; padding: 0.5em; text-align: Center; width: 98%&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 120%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{1}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{2}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{3}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div {{HideIfEmpty|{{{4}}}}} style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;&lt;big&gt;{{{4}}}&lt;/big&gt;&lt;/div&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;{{HideIfEmpty|{{{commentaires}}} }}&lt;/div&gt;<br /> &lt;/div&gt;<br /> __NOTITLE__<br /> &lt;noinclude&gt;<br /> ;Syntaxe :<br /> &lt;pre&gt;{{chapitre|<br /> |1= (titre)<br /> |2= (auteur)<br /> |3= (chapitre)<br /> |4 = (titre du chapitre - optionnel)<br /> }}&lt;/pre&gt;<br /> ;Remarque : En plaçant la balise &lt;nowiki&gt;&lt;div class=text&gt;&lt;/nowiki&gt; en haut de la page et avant le modèle chapitre, la largeur de la boîte-titre s'harmonise avec celle du texte.<br /> <br /> &lt;/noinclude&gt;<br /> &lt;!--<br /> &lt;noinclude&gt;<br /> ;Syntaxe :<br /> &lt;pre&gt;{{chapitre|couleur= (optionnel)<br /> |1= (titre)<br /> |2= (auteur)<br /> |3= (partie)<br /> |4 = (TitreChapitre, optionnel)<br /> |commentaires= (optionnel)<br /> }}&lt;/pre&gt;<br /> &lt;/noinclude&gt;<br /> --&gt;</div> Henrique http://spinozaetnous.org/wiki/Mod%C3%A8le:Chapitre Modèle:Chapitre 2017-01-14T12:55:07Z <p>Henrique : Annulation des modifications 6814 de Henrique (discussion)</p> <hr /> <div>&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;border-bottom: 2px solid #F4DED7; border-right: 2px solid #F4DED7; background-color: #FFEEEE; padding: 0.5em; text-align: Center; width: 98%&quot;&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 120%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{1}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{2}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{3}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;&lt;br /&gt;<br /> &lt;div {{HideIfEmpty|{{{4}}}}} style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;'''&lt;big&gt;{{{4}}}&lt;/big&gt;'''&lt;/div&gt;<br /> &lt;div style=&quot;font-size: 110%;&quot;&gt;{{HideIfEmpty|{{{commentaires}}} }}&lt;/div&gt;<br /> &lt;/div&gt;<br /> __NOTITLE__<br /> &lt;noinclude&gt;<br /> ;Syntaxe :<br /> &lt;pre&gt;{{chapitre|<br /> |1= (titre)<br /> |2= (auteur)<br /> |3= (chapitre)<br /> |4 = (titre du chapitre - optionnel)<br /> }}&lt;/pre&gt;<br /> ;Remarque : En plaçant la balise &lt;nowiki&gt;&lt;div class=text&gt;&lt;/nowiki&gt; en haut de la page et avant le modèle chapitre, la largeur de la boîte-titre s'harmonise avec celle du texte.<br /> <br /> &lt;/noinclude&gt;<br /> &lt;!--<br /> &lt;noinclude&gt;<br /> ;Syntaxe :<br /> &lt;pre&gt;{{chapitre|couleur= (optionnel)<br /> |1= (titre)<br /> |2= (auteur)<br /> |3= (partie)<br /> |4 = (TitreChapitre, optionnel)<br /> |commentaires= (optionnel)<br /> }}&lt;/pre&gt;<br /> &lt;/noinclude&gt;<br /> --&gt;</div> Henrique