hokousai a écrit :Vous me poussez vers ce qu' évoquait Wittgenstein : le mystique ... ce qui ne peut se dire.
Je suis en porte à faux.
Il y a une expérience de conscience de l'infinité mais peut-elle se dire ?
Je veux dire que corrélativement à la pensée de l'infinitude, il y a ( en tout cas chez )moi une expérience de ce qui ne peut se dire au delà de la tautologie et dire "LA substance c'est une réalité" est une tautologie. C'est équivalant à la réalité est la réalité.
Donc acte d'une mystique.( je veux dire que "mystique"fait sens pour moi )
C'est bien cela de mon point de vue...
Je vois de plus en plus clairement que nous avons une forte propension à théoriser - comme s'il s'agissait d'un problème de mathématique complètement forgé à la base - au lieu de décrire, et on parle ainsi sans fin à vide (on s'étonne de ne pas y retrouver la vie...) Stephen Jourdain, par exemple, utilise souvent des développements de type philosophique, et ils peuvent même être ardus... et il a tout en même temps une sainte horreur de toute spéculation théorique : dès qu'il sent qu'un interlocuteur s'est déplacé sur ce terrain, il coupe court immédiatement, tel un (véritablement justifié)
vade retro satanas. Pour lui, seul ce qui est descriptif, mais avec des mots choisis au plus serré, est (potentiellement) utile pour (tenter de) communiquer (vers qui a la claire vision naturelle quelque peu brouillée.)
Pour moi, Spinoza est - bien heureusement - avant tout dans le descriptif, mais un certain nombre de canons philosophiques de son époque (héritage de la scolastique, cartésianisme : le renouveau cartésien est de fraiche actualité pour lui et il y participe pleinement lui-même, en fait, utilisation de la méthode des mathématiciens - que Lavelle, pourtant dialecticien d'un extrême souci d'exactitude, n'aime pas pour diverses raisons, et qui rebute un peu tout le monde -, etc.) s'y sont mêlés.
Mais LA Substance c'est bien l'unité EST de tout ce qui est très concrètement, y compris bien sûr les actes qui nous font, dont vous parlez. Elle est bien première, intuitive et pure, et est notre être avant toute autre chose. La nommer c'est tendre à en faire un objet, et pire : un objet théorique. Pas bon du tout non plus : lui donner un nom comme à une tierce personne (plutôt de sexe masculin, en prime) - alors que brahman est au neutre, comme déjà dit -, tel "Dieu", est un risque énorme de superstition, ou corrompt l'essentiel (l'unité de la Nature qui en est le cœur) en essayant d'assimiler celle qui est déjà là... D'ailleurs, si Spinoza avait produit, comme d'autres, une "philosophie naturelle" il n'aurait pas été persécuté comme il l'a été en choisissant de conserver le mot "Dieu" : là il a pris tout le marché florissant de la superstition sur le dos... Il voulait précisément la redresser...
hokousai a écrit :Pour moi chez Spinoza elle se connait par soi seule ( sans moi ), MAIS nous ne la connaissons pas" par soi seule" puisque nous avons besoin des attributs et des modes pour la concevoir.
On a donc une Substance qui se conçoit par soi seule MAIS qui AUSSI se conçoit par les modes qui la conçoivent. .
Elle ne demeure pas éternellement "en soi", unique et seule, indivisible et indifférenciée.
Donc votre proposition LA Substance est réalité est certes valide si on ne s' en tient qu'à l' être univoque mais n'est pas réellement valide ...
parce que la réalité c'est plus que l' être univoque .
Dans tous les cas la substance inclut ses modes, de même que l'être inclut immédiatement l'être-ceci et l'être-cela, la conscience unitive incluant immédiatement et naturellement - du moins tant qu'un mécanisme imaginatif ne vient pas forger et superposer une séparation entre le sujet et les objets - tout ce qui entre de diversifié dans son champ sans en être affectée dans son unité. Il suffit de le constater en soi. "Il y a" est naturellement, spontanément, intuitivement, univoque.
C'est sur la question des attributs que Spinoza se trompe, et une première conséquence est que cela tend à brouiller la définition de Dieu (mais celle-ci équivaut à :
par Dieu, j'entends ce qui se conçoit par soi seul et englobe tout ce qui existe dans toutes les dimensions de l'existence. C'est l'être univoque de tout ce qui est. C'est seulement l'exposé qui paraît abscons.)
Tout le monde, quasiment, a contesté la notion d'attribut de la substance et le parallélisme qui va avec, et effectivement elle ne tient pas l'examen. Spinoza, malgré toutes les corrections qu'il a faites, n'a pas intégralement échappé aux préjugés de son époque. Chez Descartes, si j'ai bien compris, il y a un point qu'on pourrait dire supérieur à Spinoza : c'est d'avoir (
in fine ?) placé Dieu comme substance au-dessus de Pensée et Matière. Mais ceci est assorti d'au moins 3 grosses difficultés : 1) Dieu pense - en étant au-dessus de la Pensée, donc. 2) Mais Dieu n'est en revanche pas matériel. 3) Pensée et Matière sont elles-mêmes des substances (se concevant par elle-même, indépendamment l'une de l'autre donc.)
Spinoza va faire une correction qui s'impose absolument : sortir la dimension matérielle de l'être est une aberration totale, un auto-déni même : elle doit forcément être intégrée. Il se retrouve donc avec 3 substances (en sachant très clairement qu'au fond tout est un) : Dieu, Pensée, Matière. C'est là qu'il va poser la notion d'attribut (qui répond toujours à la définition d'une substance : ce qui se conçoit par soi seul) et le parallélisme - qui va être régulièrement un boulet à gérer intellectuellement ensuite pour lui - pour "fondre" les 3 (en passant accessoirement à l'infinité (dénombrable de fait puisqu’il est fait mention de
2 connus) d'attributs, sans aucune preuve...) Cette "fusion" garde un caractère artificiel, et la distinction entre Pensée et Matière va perdurer pleinement.
Mais Pensée et Matière ne sont pas dissociables : par exemple, la Matière est de toute évidence immédiate une pensée. Le problème de la dualité Pensée-Matière n'est toujours pas résolu, et avec lui le dualisme corps-esprit, ou "body-mind problem". Ni le matérialisme (qui se défend tant qu'il ne tombe pas dans le précipice de vouloir expliquer la pensée par la matière), ni l'idéalisme (qui se défend tant qu'il ne tombe pas dans le précipice de dire que le réel est imaginaire) ne sont à la hauteur du problème total, ni même le parallélisme de Spinoza, qui est sans doute la meilleure tentative puisqu'elle traite bien d'un couple Pensée-Matière. Lavelle ?
Connais-toi toi-même.