Noah a écrit :J'en aurais appris des choses grâce à toi, Sescho ! ...
Ces échanges me font progresser moi-même, en m' "obligeant" (bien volontiers...
) à préciser les choses (ce qui n'est pas gagné d'avance, tout en même temps...) Merci à toi, donc.
Pour Prajnanpad, il a plusieurs sources :
1)
Arnaud Desjardins. La reconnaissance actuelle de Prajnanpad (quasi-inconnu en Inde même) lui est à la base intégralement imputable (au sens relatif, bien sûr...
) ; c'est lui - sauf sans doute les ouvrages de Srinivasan et Prakash - qui a rendu tout cela possible. Il a été encouragé à transmettre par Prajnanpad lui-même, ce qui vaut clairement adoubement comme "disciple" (Swamiji avait dit, mais bien antérieurement, qu'il n'avait pas de disciples mais uniquement des "apprentis-disciples".) Comme toujours, celui qui prend dans ces conditions fonction de transmetteur globalise l'enseignement, sans aucunement rompre sur le fond, mais en y mettant sa "couleur" personnelle. Les livres de Desjardins représentent un volume assez élevé, mais de ce que j'ai pu constater (je l'ai lu intégralement, et plusieurs fois pour beaucoup) absolument rien ne manque chez lui, et il est abordable largement sinon à tout niveau ; la contrepartie inévitable est qu'il ne peut tout en même temps percuter par quelques phrases "choc" isolées, évidemment, à moins que le lecteur ne pèse chaque phrase comme un aphorisme.
2)
Swami Prajnanpad dans le texte, sous l'impulsion surtout de
Daniel Roumanoff, sur la base de lettres et d'entretiens enregistrés (Swamiji n'a publié aucun livre ; il faut envisager en outre les approximations inévitables dues à la traduction.)
Je possède aussi le tout, mais je ne l'ai complété que récemment, et j'ai encore quelques gros volumes en réserve...
Par ailleurs, Comte-Sponville et d'autres ont prolongé Prajnanpad sur le plan philosophique. Une critique sur ce que Desjardins a mis de personnel dans l'enseignement de Prajnanpad a été émise à cette occasion. Mais 1) Encore une fois, un instructeur / maître au plein sens du terme apporte nécessairement sa couleur personnelle, sans pour autant remettre en cause le fond. 2) Juger en valeur pure entre de tels successeurs sentirait infiniment plus la vanité qu'autre chose
a priori... 3) "Il vaut mieux avoir à peu près raison qu'exactement tort." Si tant est qu'on a une raison non vaniteuse à préférer Prajnanpad dans le texte à Desjardins (qui lui-même fait référence constante à Prajnanpad), il faut garder à l'esprit que Prajnanpad, même si le fond est constant, s'adapte parfaitement à son interlocuteur du moment, sa problématique, son angle d'approche ; il y a donc souvent un aspect conjoncturel fort au "direct live", et corrélativement une difficulté à percevoir l'essentiel universel dedans. 4) Si Prajnanpad, par exemple, n'utilise pas - ou très ponctuellement - le mot "Dieu", il n'en dit pas pas moins alors qu'il mange un met avec un couvert : "Swamiji mange Swamiji à l'aide de Swamiji ; qui est Swamiji ?" ; disputer sur ce point me semble donc artificiel, et plus le sous-produit d'un anticléricalisme érigé en principe qu'un problème de fond.
Ceci étant dit, j'apprécie grandement le tout, et suis infiniment reconnaissant à tous de m'offrir une telle qualité sur un plateau...
Comme toutefois le tout occupe un beau rayon de bibliothèque, je conseillerais pour commencer "Les formules de Swami Prajnanpad commentées par Arnaud Desjardins", recueil de citations qui associent les formules "choc" de Prajnanpad aux explications détaillées d'Arnaud Desjardins.
Noah a écrit :Voilà qui m'intéresse aussi, c'est quelque chose que mon prof de philosophie, cette année, reprochait au spinozisme. Il ne comprenait pas comment il était possible de parler / de nommer la Nature, ce qui reviendrait à dire - comme tu l'as fait - qu'on l'objectiverait, qu'on se placerait "hors d'elle". C'est un problème que je n'avais pas su résoudre ... Et si tu es d'accord pour en parler, dans un autre fil de discussion peut-être, je trouverais ça très intéressant !
Bien volontiers bis
Je dirais ici seulement que :
1) Il est difficile de communiquer sans mots...
2) Nommer est immédiatement risquer d'induire un état d'objet, même si c'est illégitime.
3) Les mots n'ont aucun sens en eux-mêmes ; il appartient aux interlocuteurs de les convertir en sens.
4) Le mot n'est pas la chose. Les mots sont seulement des pointeurs et il convient de regarder la Lune, pas le doigt qui la montre.
5) Spinoza utilise en fait le mot "Dieu" (dans le fil de Descartes dans lequel il s'inscrit clairement à tout point de vue, tout en faisant œuvre originale), qui représente l'Être, l'affirmation d'existence même, YHWH, ... :
ce qui est, EST. La relation à la Nature est chez lui marginalement explicite, même s'il est en même temps très clair qu'en aucun cas "Dieu" ne représente une quelconque entité humanoïde, mais bien la substance de tout ce qui est : soit EST. Chez d'autres auteurs, "Nature" ne se réfère d'ailleurs qu'au monde donné, pas à l'acte qui fait le sujet.
6) Clairement "Dieu" chez Spinoza contient tout, et spécialement le sujet, et donc autre chose qu'une représentation (donné) chez le sujet (comme il est de la plus élémentaire évidence...)
7) Mais l'option non-défendable du "parallélisme" laisse quand-même bien entrevoir un excès (à la suite de Descartes) dans la portée de l'objectivation de la Nature par son mode humain. Toutefois, la richesse de Spinoza est telle que même l'invalidation de cette "originalité" majeure, dont la "gestion" occupe une bonne partie de l'
Éthique, est très loin de réduire à néant son apport essentiel.
Connais-toi toi-même.