Un petit retour sur divers autres sujets d’actualité, sur la base (telle que la vois, avec assez de clarté me semble-t-il) des extraits étendus mis en référence plus haut :
Sur l’essence :
Le texte, par ses appositions, montre clairement que « essence », « forme » et « nature » sont synonymes chez Spinoza. L’essence d’une chose c’est simplement ce qu’elle est.
Une essence est donnée par une définition, si celle-ci est complète, c’est-à-dire contient bien explicitement ou en puissance (propriétés) tout ce qui fait sa nature. Si la chose définie existe en dehors de l’entendement, alors la définition doit y être entièrement conforme (du moins dans la limite de la perception claire de l’esprit humain.)
Spinoza a écrit :Lettre 9 à Simon de Vries : … ou la définition explique la chose définie, telle qu’elle est hors de l’entendement, et alors elle doit être vraie et ne diffère d’une proposition ou d’un axiome qu’en tant qu’elle regarde seulement l’essence des choses ou celle de leurs affections, au lieu qu’un axiome a une portée plus grande et s’étend jusqu’aux vérités éternelles. …
Il n’y a pas lieu de fantasmer sur la définition E2D2 (avec ajouté le « et qui, sans la chose, etc. »). Spinoza explique tout à fait clairement dans E2P10S sa motivation, et elle est très simple : comme toute chose ne peut être conçue sans Dieu mais que pour autant Dieu n’appartient pas à son essence, cet ajout devait être fait. C’est tout.
Donc, en passant, dans ces conditions, le fait d’être étendu ne fait pas partie de l’essence des corps. L’essence des corps c’est d’être des modes finis dans la dimension de l’existence qu’est l’Etendue. C’est exactement ce que dit aussi CTApp2(8) au sujet de la Pensée.
Dans le même ordre d’idée, le repos-mouvement, premier mode infini de l’Etendue (et donc entendu comme cause même des corps), ne devrait pas non plus faire partie de l’essence des corps.
Sur les propriétés (je passe sur le CT qui appelle « propriétés » les « attributs ») :
Les propriétés sont ce qui se déduit d’une essence : une fois l’essence posée par une définition qui décrit entièrement la chose, toutes ses propriétés (identifiables par l’homme) doivent pouvoir en être déduites.
Il est on ne peut plus clairement exprimé dans tout le texte (et en particulier au sujet de la Raison : E2P40S2, E2P7Dm, E5P12Dm) que les
lois que sont les
propositions (ou théorèmes) – E4P57S –, donc chez Spinoza des idées adéquates, font partie des propriétés des modes singuliers, qu’elles recouvrent en général sur une
part commune de leur essence. Elles s’associent donc bien aux notions communes ou plus généralement aux axiomes, qui sont aussi des lois (ce que dit clairement E2P40S2.)
Les propriétés sont-elles contenues dans l’essence ? Nominalement non : elles sont toujours distinguées : l’essence ET les propriétés d’une chose. Mais c’est une distinction de raison à mon sens : E1P16S dit : « … ces propriétés sont d’autant plus nombreuses qu’une réalité plus grande est exprimée par la définition, ou, ce qui revient au même, est contenue dans l’essence de la chose définie. … » et E2D4Expl met en équivalence propriétés et dénominations intrinsèques (d’une idée vraie) et de même E4P62Dm parle des propriétés de l’idée adéquate : propriétés intrinsèques d’une idée vraie (je ne vois dans ces propriétés que la certitude - ou la clarté et la distinction -, qui n’est pas une loi.) E3D22Expl met en équivalence « propriété » et « effet. » Ceci correspond à TTP4 : « … connaître l’effet par sa cause, ce n’est autre chose que connaître une des propriétés de cette cause … »
Par ailleurs, une telle « part commune de l’essence d’un groupe de choses singulières » est-elle elle-même une propriété commune chez Spinoza ? Rien ne l’indique et les notions générales font en première instance partie du premier genre de connaissance. Je dirais donc : non, selon Spinoza.
Mais encore une fois c’est plutôt une distinction de raison de la même manière que précédemment. Car ce qui reste c’est que les propriétés communes sont indissociables de la « communauté d’essence » sur laquelle elles portent… et le tout doit être clair.
Il est par ailleurs, par de très nombreux passages (et cela va de pair avec cela, et toute la démarche de Spinoza, sans qu’il puisse en être autrement) plus qu’évident qu’il admet la clarté de ces « communautés d’essence » (« essence de genre », « essence commune », « nature commune », on appelle cela comme l’on veut…) « Essence de l’homme » (l’homme ayant été clairement désigné par ailleurs comme notion générale) n’est pas la moindre, mais il y a aussi les « propriétés de l’entendement » (autre notion générale) qui sont connues clairement, des formules comme PM1Ch5 : « … si nous voulons les considérer comme des choses posées hors de la pensée, nous rendons ainsi confus le
concept clair que nous avons d’elles d’autre part… », PM2Ch7 : « … [les] choses générales qui ne sont pas et n'ont aucune essence
en dehors des singulières. », etc., etc. (j'ai déjà donné une liste de tels passages plus haut.)
Sur l’affirmation que contient chaque idée (qui est une « essence commune » et pas un être réel), ce qui est gênant – pas sur le fond mais sur la forme - c’est que Spinoza définit l’idée par le concept, ce qui ne nous avance pas beaucoup… Il ne peut pas la définir comme mode de la Pensée, puisqu’il y a aussi le désir et la joie-tristesse (émotion). « Concept » et « affirmation » cela ne doit pas être très différent (visualiser un cheval ailé – et non pas concaténer « cheval » et « aile » abstraitement, ce qui est non pas une mais plusieurs idées - c’est affirmer d’un cheval des ailes…)
Sur d’autres sujets abordés récemment :
Il est clair par une grande quantité de passages (et toute la partie 2 de l’Ethique) que pour Spinoza (et de fait)
l’entendement humain n’a pas grand chose à voir avec le divin. Je ne mets pas d’extraits, ce serait trop long.
Celui, donc, qui peut me démontrer – en toute logique, par le menu, en s’en tenant aux termes et en s’appuyant de même sur le reste du texte de Spinoza lui-même – de l’assez mystérieux E5P40S (je me souviens d’une thèse assez musclée sur Spinoza, où l’auteur disait pourtant en conclusion à son sujet : « encore faut-il comprendre ce que cela veut dire… ») que l’entendement divin est la somme des entendements humains, je jure de lui tirer mon chapeau.
L’exemple des proportions tel que présenté dans le TRE (et aussi dans le CT) est encore plus clair que dans l’Ethique (tout en disant la même chose) : il s’agit bien dans le troisième genre de voir
la même chose que selon la démonstration donnée par le deuxième, mais directement, intuitivement, sans mot ni démonstration. Je ne vois pas comment on peut lire autre chose, si ce n’est avec d’énormes préjugés. On ne lit plus en fait, on invente… Il me faudrait des lunettes de soudeur et deux litres de whisky (dont je ne suis pas amateur ; vive le jus de treille fermenté rouge
) pour peut-être m’en approcher…
Spinoza a écrit :TRE 28. Troisième mode. Il faut reconnaître qu'il nous donne l'idée de la chose, et qu'il nous permet de conclure sans risque de nous tromper ; néanmoins il n'a pas en soi la vertu de nous mettre en possession de la perfection à laquelle nous aspirons.
29. Le quatrième mode seul saisit l'essence adéquate de la chose, et d'une manière infaillible ; c'est donc celui dont nous devrons faire principalement usage. ...
TTP5 : … il faut observer, quand on se sert de preuves fondées sur l’expérience, que si elles ne sont point accompagnées d’une intelligence claire et distincte des faits, on pourra bien alors convaincre les esprits, mais il sera impossible, surtout en matière de choses spirituelles et qui ne tombent pas sous les sens, de porter dans l’entendement cette lumière parfaite qui entoure les axiomes, lumière qui dissipe tous les nuages, parce qu’elle a sa source dans la force même de l’entendement et dans l’ordre de ses perceptions. D’un autre côté, comme il faut le plus souvent, pour déduire les choses des seules notions intellectuelles, un long enchaînement de perceptions, et en outre une prudence, une pénétration d’esprit et une sagesse fort rares, les hommes aiment mieux s’instruire par l’expérience que déduire toutes leurs perceptions, en les enchaînant l’une à l’autre, d’un petit nombre de principes. …
… quand nous savons que toutes choses sont déterminées et réglées par la main divine, que les opérations de la nature résultent de l’essence de Dieu, et que les lois de l’univers sont ses décrets et ses volontés éternelles, nous connaissons alors d’autant mieux Dieu et sa volonté que nous pénétrons plus avant dans la connaissance des choses naturelles, que nous les voyons dépendre plus étroitement de leur première cause, et se développer suivant les éternelles lois qu’elle a données à la nature. Il suit de là qu’au regard de notre intelligence, les phénomènes que nous comprenons clairement et distinctement méritent bien plutôt qu’on les appelle ouvrages de Dieu et qu’on les rapporte à la volonté divine que ces miracles qui nous laissent dans une ignorance absolue, bien qu’ils occupent fortement l’imagination des hommes et les frappent d’étonnement et d’admiration ; car enfin, il n’y a dans la nature que les choses dont nous avons une connaissance claire et distincte qui nous élèvent à une connaissance plus sublime de Dieu, et nous manifestent en traits éclatants sa volonté et ses décrets. …
TTP13 : … si l’on prétend qu’il n’y a pas besoin à la vérité de connaître les attributs de Dieu, mais de croire tout simplement et sans démonstration, c’est là une véritable plaisanterie. Car les choses invisibles et tout ce qui est l’objet propre de l’entendement ne peuvent être aperçus autrement que par les yeux de la démonstration ; ceux donc à qui manquent ces démonstrations n’ont aucune connaissance de ces choses …
Serge
Connais-toi toi-même.