Je ne sais pas si vous admettrez avec moi la chose suivante, qui me paraît évidente : toute théorie circulaire est incertaine. Autrement dit : une théorie qu'il faut supposer d'abord pour pouvoir fonder ne peut prétendre à la certitude absolue.
En philosophie, on qualifie de dogmatique toute doctrine qui affirme l'existence de certitudes absolues légitimes. Pris en ce sens, le mot "dogmatique" n'a bien sûr rien de péjoratif.
Or il me semble que le dogmatisme contient une contradiction performative, un peu comme la phrase suivante : "J'étais dans un bateau qui a fait naufrage sans laisser de survivant" (cet énoncé ne contient pas de contradiction interne mais le fait de l'énoncer en amène une).
Les dogmatiques disent que toute évidence (ou certitude, par opposition à la conviction) est légitime. Comment le savent-ils ? Pour échapper à la régression à l'infini des démonstrations, ils doivent répondre : "cela est évident, l'évidence est un critère absolu de vérité". De deux choses l'une : ou l'évidence est un critère de vérité, ou elle ne l'est pas. Si elle l'est, alors le dogmatisme paraît tout à fait cohérent, et il semblerait que je ne puisse rien trouver à y redire... Si elle ne l'est pas, alors le dogmatisme est faux, mais ce n'est pas un problème pour les dogmatiques : ils considèrent que cette hypothèse est évidemment fausse. Aucun problème en apparence, donc.
Mais seulement en apparence. Nous venons de montrer que le dogmatisme est circulaire : pour justifier la validité du critère de l'évidence, il faut d'abord le supposer. Bien sûr, cela ne prouve pas qu'il soit faux : une théorie circulaire peut très bien être exacte. Ca prouve seulement qu'il est incertain. "Incertain, mais pas faux", dira-t-on. Oui, mais le dogmatisme prétend justement à la certitude ("il est évident que l'évidence est un critère absolu de vérité"). Par conséquent celui qui croit au dogmatisme "dur comme fer" a peut-être tout à fait raison, mais ce n'est pas sûr : sa position est donc contradictoire. CQFD.
La réponse "c'est évident" à la question "comment sais-tu que l'évidence est un critère absolu de vérité ?" n'est pas satisfaisante pour une autre raison plus faible : les sceptiques ne voient pas cette "évidence"... Cette remarque n'est pas une preuve, mais on ne me fera pas dire qu'elle ne pèse pas son poids...
Bien sûr, Spinoza a démontré que la certitude est un critère absolu de vérité, seulement il le fait a posteriori (après avoir "démontré" l'existence de Dieu et Cie)...
Quand Henrique me dit que l'existence de Dieu est évidente, et que je manque de lucidité, je pense à la phrase d'Epicure : "Les dieux existent : la connaissance que nous en avons est évidente" (Lettre à Ménécée, 123) et je souris doucement...
Puisque nous avons parlé de Comte-Sponville dans l'autre fil, j'ai ouvert ses livres hier soir. Voici, pour compléter mes propos, ce qu'il écrit à l'article "Certitude" de son Dictionnaire philosophique :
<< CERTITUDE : Une pensée est certaine quand elle ne laisse aucune place au doute.
On distinguera la certitude subjective, qui n'est qu'un état de fait (que je sois incapable, en fait, de douter de telle ou telle proposition, cela ne suffit pas à prouver qu'elle est vraie), de la certitude objective, qui serait une nécessité logique ou de droit (si telle proposition, ou telle démonstration, est en elle-même ou objectivement indubitable). Mais ce second type de certitude, qui seule serait absolument satisfaisante, suppose en vérité le premier, et c'est pourquoi elle ne l'est pas. Marcel Conche, en une phrase et à propos de Montaigne, a dit l'essentiel : "La certitude qu'il y a des certitudes de droit n'est jamais qu'une certitude de fait." A la gloire du pyrrhonisme. >>
Dans la même veinr : "Lorsqu'on croit de la foi la plus ferme que l'on possède la vérité, on doit savoir qu'on le croit et non croire qu'on le sait." (Jules Lequier)
bardamu a écrit :zerioughfe a écrit :Il m'est impossible, même avec la plus grande vigilance, d'imaginer que l'étendue puisse avoir plus de 3 dimensions. Toute nouvelle dimension devrait nécessairement s'inscrire dans notre espace tridimensionnel, et s'annuler par là en tant que dimension nouvelle (on aurait une famille liée, comme on dit en maths).
C'est pourquoi il est facile de considérer que la tridimensionnalité de notre espace est une certitude (je ne dis pas que Henrique soit dans ce cas). Seulement c'est faux.
Et en quoi c'est faux, stp ?
C'est faux car il se pourrait bien que l'Univers comporte d'autres dimensions. Les physiciens travaillent sur de telles théories et essayent de mesurer ces dimensions. Pour l'instant, ils n'y sont pas parvenus, mais l'existence de nouvelles dimensions spatiales résoudrait de très nombreux problèmes aujourd'hui insolubles. "L'espace ne peut pas avoir plus de 3 dimensions" : voilà typiquement une fausse certitude.
Désolé de m'immiscer dans la conversation, mais je me permets de contester à nouveau la validité du contre-exemple. Comme je l'ai dit ailleurs, le cheval ailé existe mais il faut savoir en tant que quoi. Si tu soutiens que ton cheval ailé existe physiquement je te demanderais de me le montrer et je serais d'accord si tu le montres vu qu'il existe, si tu soutiens qu'il existe sans dire "physiquement" je serais d'accord vu qu'il existe ne serait-ce qu'en tant qu'être imaginaire.
[...]
Ce n'est pas forcément évident mais en y réfléchissant un peu, on voit bien que tout ce qu'on imagine existe au minimum en tant qu'imagination, que le réel est productif et qu'on ne voit pas pourquoi il ne serait pas infiniment productif. Mais en dehors de la Nature, Spinoza ne voit rien et toi, tu vois quoi ?
Si tu veux dire que Dieu existe en tant qu'être imaginaire... alors nous sommes presque d'accord !
Mais nous allons en discuter dans le fil approprié.
Oui, ne mélangeons pas tous les fils.