hokousai a écrit :vous posez là la psyché comme un monde autonome et comme un monde de représentations. Or si nous pouvons en sortir comme vous dîtes c est ( de mon point de vue ) qu' elle nest pas un monde clos hetérogène du monde censé représenté.
Déjà, je me positionnais là de manière générale dans une hypothèse que je finissais par dire inacceptable. Sur le point particulier de l'affirmation que nous ne pouvons pas sortir de notre psyché, elle me semble évidente (E2P11 : "Ce qui constitue l’essence de l’homme (par le Corollaire de la Propos. précédente), ce sont certains modes des attributs de Dieu, savoir (par l’Axiome 2, partie 2) des modes de la pensée.") C'est en fait le parallélisme dont nous discutons qui fait absolument, directement et explicitement (E2P7S), de la pensée un monde en soi (un attribut a toutes les propriétés d'une substance.) Et sur le fond je suis bien d'accord avec vous : cela n'est pas recevable...
Maintenant on peut très bien ne pas pouvoir sortir de la psyché (qui est une notion générale : il n'y a que des idées / pensées, des émotions et des volitions individuelles ; bref on se réfère surtout par-là à l'être-pensé, donc à l'équivalent de l'attribut Pensée chez Spinoza), et ne pas pour autant la considérer comme étant un monde en soi, mais en relation avec "autre chose" et n'existant pas sans cette relation, cet "autre chose" appartenant comme elle à un même et unique monde (ce qui est contenu dans la relation prise en elle-même.)
L'orientation qui me semble présider au modèle de Kant est assez simple à comprendre sur le plan de la Physique : il y a d'un côté un arsenal sensitif / perceptif / cognitif inné (temps, espace, causalité, entendement, raison, volonté, ...) - comme une batterie de capteurs reliés à un programme sur ordinateur -, et de l'autre ce qui stimule cet arsenal (avec la mémoire en intermédiaire) de manière analogique : le monde dit "extérieur." Maintenant est-ce que, par exemple, un œil est véritablement un œil dans le noir total (par hypothèse) - j'entends que nous ne faisons pas référence indirectement à un monde éclairé par ailleurs. Non : un système optique sans lumière n'est pas un système optique : "optique" n'a pas de sens. Donc la fonction "œil" ne se révèle que dans l'interaction avec le monde "extérieur", qui révèle en même temps ce monde "extérieur." Les deux ensemble et par la même opération. Je conteste donc en même temps qu'on ne voie que notre œil ; c'est même le contraire : la seule chose qu'on est certain de ne jamais voir c'est l’œil même : l'instrument ne peut être l'objet de la mesure par lui-même. La vision n'est pas l’œil.
On admet cependant aussi que la vision soit dépendante de (et donc limitée par ?) la nature particulière de l’œil, et c'est alors qu'on parle de représentation,
versus réalité nouménale (mais c'est là qu'un point dur doit être traité, ainsi que déjà abordé plus haut : par quelle intuition pouvons-nous connaître l'existence de quelque chose que nous ne pouvons pas connaître... ?)
Pour moi, Spinoza ne conteste pas cela ; il ne juge pas nécessaire de développer ce point, c'est tout ; même le parallélisme n'y contredit pas, au moins directement : que l'idée soit assimilée à un phénomène physique, ou au miroir exact d'un phénomène physique, ne fait aucune différence.
Par ailleurs, il affirme lui-même tout ce qui précède, quoique d'une autre manière, dans E2P19-31 : la base empirique est totale (toute connaissance passe par les sensations, et celles-ci prises en elles-mêmes sont inadéquates à tout point de vue), parallélisme initial ou pas : Spinoza n'a rien sacrifié du tout au parallélisme (mais de mon point de vue, il a sacrifié implicitement et dans un deuxième temps le parallélisme lui-même pour en venir là...)
Le parallélisme est destiné à une seule chose, qui en elle-même est incontestablement de la plus haute importance : l'unicité de Dieu-Nature et de tout en Dieu-Nature. Le problème est que nous percevons clairement et distinctement deux dimensions de l'être : l'être-étendu et l'être-pensé (du moins le pensons-nous ; est-ce si clair et distinct que cela pour la pensée prise en elle-même, par exemple ? C'est-à-dire, comme vous le disiez : est-il si légitime, intuitif, de la considérer en elle-même ?)
hokousai a écrit :Si Spinoza parle d' union de l'esprit et du corps c' est qu'il ne pense pas à une dualité sujet /objet mais à une <b>union</b>.
Le problème est qu'il manie les deux en même temps : par le parallélisme, il dit qu’Étendue et Pensée n'ont rien à voir l'une avec l'autre, mais aussi que les modes de chacune ont tout à voir l'un avec l'autre. Quant à l'union du corps et de l'âme ce n'est pas une déduction, mais un a priori (E2A4), une notion commune donc : tout le monde sait qu'il y a en quelque part union du corps et de l'âme. Spinoza la justifie (dans un scholie, E2P13S, et pas vraiment dans la chaîne démonstrative) a posteriori par le parallélisme (ce qui pris en soi apparaît donc inacceptable par ailleurs, en particulier parce qu'un attribut ne peut pas en voir un autre par leur définition générale.)
hokousai a écrit :Et je dirais bien que c'est le corps et les corps qui dirigent la manoeuvre. <b>Donc l' étendue. </b>(scolie prop 13 /2 qui suit la formule:<b> le corps existe tel que nous le sentons )</b>.
Il me semble là que vous êtes à l' opposé de ce que dit Spinoza car s' il y a dilution de la relation sujet /objet c'est dans la perception du monde ( dit extérieur ) et non dans le retranchement dans la conscience de soi.
Oui, il semble bien que ce soit la
conscience de l’étendue qui donne l'idée de Dieu uniquement, et apparaît partout (maintenant, la pensée n'est pas ressentie comme étendue, et n'est (donc) pas du tout supposée devoir être distribuée spatialement...) Sinon, il ne s'agit pas de la conscience de soi, mais de la Conscience, point. Elle n'exclut pas l’être-étendu mais au contraire lui est concomitante. En fait elle "perçoit l'être", point, et
il n'y a plus dans ce cadre de distinction entre percevant et perçu : il n'y a que perception qui affirme l’être (et donc affirme la « réalité du réel. »)
Note : c'est là que Schopenhauer dit, si j’ai bien compris, que la connaissance ne pouvant se connaître elle-même
per se, c'est-à-dire hors de la relation, le sens de soi pur ne peut venir que de la connaissance d’autre chose, qui est en l'occurrence la volonté...
hokousai a écrit :je pense ( mais c'est à débattre ) que Spinoza pense le parallélisme ( sans que le mot soit dit ) au sujet de la perception du monde.
D une part il connaît la pensée, celle qui est seulement pensée en notre for intérieur( les idées sans matérialité ) d'autre part il perçoit le monde et en ayant conscience il ne peut pas ne pas attribuer à la pensée cet accès au monde .
OUI mais pas seulement .
Comme il refuse qu' une idée soit cause d' un corps et inversement, il est obligé de poser des enchainements parallèles.
Ce qui le guide en cela est bien l’
immédiate nécessité, me semble-t-il : l’intuition perçoit deux dimensions de l’être (réputées) parfaitement distinctes : l’être-étendu et l’être-pensé. Comme par ailleurs le critère de la vérité ne peut être autre que la clarté et la distinction de l’idée même, cette dualité étant (réputée) claire, elle doit nécessairement être posée comme fondement ; et comme il s’agit de dimensions mêmes de l’être, qui est unique, ce ne peut être que de nature substantielle ; et puisqu’il y a deux, forcément attribut de l’unique substance qui est l’Être unique ...
Mais le parallélisme des attributs ne tient pas l’examen... Donc de deux choses l’une, ou bien la distinction étendue / pensée n’est pas si claire et distincte que cela, ou bien on est bien embêtés...
Je me demande s’il ne faut pas trier plus dans ce que nous appelons « pensée. » La pensée discursive (2ème genre) a quand-même quelque parenté avec le mot, l’imagination, et donc la mémoire (1er genre.) Il faut revenir sans faillir aux évidences (intuitives, donc) les plus amonts qui soient. C’est bien la démarche logique, et bien celle de Spinoza, quelque option qu'il ait prise dans le détail.
La pensée pourrait être vue simplement comme ce qui nous révèle l’étendue, l’être, et c’est tout : une pure saisie de l’être, qui n’accepte pas de décomposition entre la perception et l’être, la perception et l’étendue (qu’elle soit une représentation « partielle » - déterminée dans sa forme par rapport au sans forme qu’elle est - n’est alors qu’un sujet secondaire, malgré son immédiateté supposée...)
hokousai a écrit :Si on ne distingue pas deux attributs ( disons les deux qui nous préoccupent ) on tombe soit dans l'idéalisme soit dans le matérialisme , avec des problème pires que ceux soulevés par le parallélisme de Spinoza .
J’ai bien conscience, et je l’ai dit, que Spinoza n’avait pas du tout pris cette option sans raison ; bien au contraire : il y a d’excellentes raisons pour la prendre. Mais elle ne soutient pas l’examen... Il faut donc trouver autre chose... Quelque chose qui n’est ni le spiritualisme, ni le matérialisme (le manichéisme est faux d’un côté comme de l’autre), mais "entre les deux", ou "les deux à la fois... "
Connais-toi toi-même.