Bardamu a écrit :ce que j'ai tenté d'expliquer c'est que justement il y a une pensée qui utilise la notion de potentiel sans sortir d'une puissance toujours actuelle.
Je ne sais pas si c'est parce que j'ai l'"esprit physicien" mais l'exemple du ressort me parle assez clairement.
C'est le même ressort, avec la même puissance, puissance qu'on constate de deux manières différentes selon les conditions extérieures (d'où le terme "extérioriser" employé plus haut).
Le ressort a une constante de raideur qui le caractérise et autour on a les variables de pression et de longueur selon les conditions externes. Le potentiel est à la fois puissance actuelle et condition de modifications des variables selon la "pression des ambiants" pour parler le langage de la physique du XVIIe.
Ce qu'il est selon l'éternité, son être (constante) ne varie pas, la manière dont il s'exprime selon la durée, selon le moment, varie (variables).
Et c'est ainsi que ce qui est constant peut persévérer dans son être sans se dissoudre à chaque instant au gré des affections reçues de-ci de-là, sans changer d'essence au moindre coup de vent.
Et à côté de cette résistance mécanique, on a aussi une résistance sur le mode biologique, dissolution de l'autre par digestion comme le ressort peut briser ce qui le tient comprimé.
Dans tous les cas, il s'agit d'une capacité d'adaptation, de variation, un potentiel d'évolution tendant au repos (acquiescentia) dans la durée.
Bonjour Bardamu,
ce à quoi l'exemple du ressort me fait penser, c'est plutôt la puissance divine. En effet, celle-ci se modifie sans cesse, varie en une infinité de modes, sans que jamais son essence ou puissance ne change.
J'ai plus de difficultés à appliquer ce que tu dis ici aux essences singulières. Le problème, c'est que tout Affect d'une telle essence diminue ou augmente sa puissance elle-même. L'essence divine n'a pas d'Affects, elle n'a que des affections (= modes), ou plutôt, elle n'a que des affections qui ne changent pas sa puissance (puisque de toute façon elle est infinie), là où par définition un Affect est une affection qui elle change la puissance qu'elle affecte. Cela ne lui empêche pas d'avoir elle aussi des affections "neutres", c'est-à-dire qui laissent son degré de puissance intacte. Mais en plus de cela, elle a des Affects.
Il me semble, de prime abord, que ton exemple de ressort a quasiment besoin de l'introduction d'une puissance de la puissance pour pouvoir rendre compte de ce phénomène des Affects. Je m'explique.
Prenons un ressort avec une essence qui a un degré de puissance x. Tout va bien, pas de "contrainte" qui vient de l'extérieur (dans ton optique), donc le ressort devient plus grand (en effet, cette image permet de mieux concevoir l'idée d'une essence qui s'extériorise). (PS: en réalité, ne faudrait-il pas dire que le ressort ne devient pas nécessairement plus grand en l'absence de contraintes externes, puisque la puissance n'augmente que lorsque l'Esprit en question a une idée adéquate, et pour avoir cela, une simple absence de contrainte ne suffit pas, il faut encore que l'Esprit soit actif, vient de comprendre quelque chose - or pour cela il doit d'abord être affecté par la chose, donc en premier lieu en avoir une image ou idée inadéquate ... ce qui montre que l'activité de l'extérieur sur le Corps n'est pas toujours une contrainte .. bref, je ne vois pas encore très bien comment concevoir ce que tu appelles "contrainte", mais passons). Dirais-tu qu'en devenant plus grand, la puissance du ressort augmente? Non, je suppose, si j'ai bien compris l'exemple. La puissance reste la même, seulement elle s'exprime ici autrement, elle s'exprime en davantage d'ampleur, pourrait-on peut-être dire.
Or s'exprimer ou s'auto-affecter d'une telle façon que la puissance reste la même, cela est impossible lorsqu'il s'agit d'une Joie active (là, la puissance par définition augmente). Par conséquent, je ne comprends pas très bien dans quel type d'affection d'une essence singulière, celle-ci pourrait rester la même tout en s'exprimant avec plus d'ampleur.
Je comprends bien l'idée en soi, je crois, le problème n'est pas là. Le problème est plutôt: comment faire correspondre cette métaphore maximalement à ce que Spinoza dit des notions d'essence, de Joie etc. C'est qu'à mon avis on risque d'introduire une deuxième puissance, à côté de celle qui définit l'essence, et que j'ai ici appelé "ampleur". La première puissance (celle qui définit l'essence) est alors toujours en acte, mais la deuxième puissance (l'ampleur), peut être plus ou moins en acte, en fonction des circonstances extérieures. On aurait donc une puissance de la puissance, qui elle peut être potentielle ou en acte, selon la situation. C'est dire que l'exemple réintroduit nécessairement l'idée de potentiel (au sens de l'adjectif). Et donc tous les arguments contre celle-ci restent valides (pour commencer avec celui de Deleuze, lorsqu'il dit que chez Spinoza il n'y a pas de puissance de la puissance). En même temps, on peut se demander quelle essence cette puissance de la puissance aurait elle-même, puisqu'elle n'est pas la même puissance que l'essence de la chose. Je suppose que tu dirais: c'est précisément cela l'essence dans l'existence ou du point de vue de l'existence. A cela Tosel répond: c'est créer une scission entre deux parties du moi, scission qui n'est concevable que lorsqu'on érige l'un des deux mois en "idéal à atteindre" (en effet, je suppose que parvenir à sa longueur maximale est bel et bien la fin "éthique" à laquelle devrait tendre ton ressort, voire tend spontanément, si l'on veut laisser un instant de côté les finalités?). Et à cela Pascal Sévérac répond (en donnant un tas d'arguments dont certains déjà mentionnés dans mes messages précédents):
Sévérac a écrit :Qu'en vérité jamais nous ne soyons séparés de ce que nous sommes, c'est-à-dire de notre puissance d'agir, voilà ce que comprend finalement celui qui jouit de la béatitude: nous ne sommes que perfection, et la béatitude est de jouir de cette perfection que nous sommes. L'activité éternelle de l'affect de béatitude ne s'éprouve pas dans une jonction entre l'essence et l'existence (...).
L.