Alcore a écrit :S'il existe un moyen d'expliquer l'origine de la multiplicité des attributs, tout en conservant l'idée d'un Dieu unqiue, dans les concepts immanentistes, très bien.
Il semble bien que l'idée d'un Dieu unique arrive comme un cheveu sur la soupe dans la construction de la substance.
Rien dans le concept de substance n'implique qu'il n'y en ait qu'une, 2 ou une infinité.Rien dans le concept d'un attribut n'implique qu'il y en ait une infinité d'autres.
On peut toujours dire que l'infinité des attributs constituent une substance unique, justement parce qu'elle est seule absolument infinie.
Mais çca ne répond pas à la question.
Bonjour Alcore,
je n'oublie pas de répondre à ton dernier message dans l'autre fil (dont je te remercie; je suis peu sur internet ces derniers temps, d'où le retard). En attendant voici juste un petit commentaire sur ce que tu écris ci-dessus (et sans avoir lu tout l'échange des pages précédentes).
A mon avis (à vérifier) c'est tout de même du concept même de la substance que Spinoza déduit l'idée de son unicité, opérant par là le pas essentiel qui l'éloigne du cartésianisme. Autrement dit, on pourrait peut-être se demander si ce n'est justement pas une réflexion plus poussée concernant le concept de la substance qui a donné lieu au moment "inaugural" du spinozisme.
Descartes, dans les
Principes de la philosophie, définit la substance comme une chose qui "existe de telle façon qu'elle n'a besoin que de soi-même pour exister". Il y ajoute: "A proprement parler, il n'y a que Dieu qui soit tel." On pourrait y voir un écho de la distinction aristotélicienne entre substance première et substance seconde, celle-ci n'étant pas une substance à proprement parler non plus. Et Descartes en conclut correctement: "C'est pourquoi on a raison dans l'Ecole de dire que le nom de substance n'est pas univoque au regard de Dieu et des créatures."
Hypothèse: Spinoza ayant voulu éliminer un maximum d'ambiguités du cartésianisme (et autres philosophies), il a décidé de trancher, et de ne plus appeler substance que ce qui correspond réellement à cette définition. Cela implique que toutes les choses "créées", tout ce qui est produit par autre chose que soi-même, ne peut plus être une substance, tandis que toutes les substances sont nécessairement causes de soi (E1P7).
L'idée d'une seule substance unique est démontrée, comme on le sait, dans le deuxième scolie de la proposition suivante (E1P8). L'argument principal est que "tout ce dont la nature est telle qu'il peut en exister plusieurs individus doit nécessairement, pour qu'ils existent, avoir une cause extérieure". C'est le cas précisément parce qu'une vraie définition ne donne que la nature d'une chose, indépendamment du nombre d'individus qui existent et qui ont la même nature. Par conséquent la cause de l'existence d'individus qui ont une même nature ne peut pas être cette nature même. Or il appartient à la nature de la substance d'exister, et c'est pourquoi il ne peut y avoir qu'une seule substance.
On a donc:
1a. une substance n'a besoin d'autre chose que soi-même pour exister
1b. elle existe donc nécessairement, autrement dit est cause de soi
2a. l'individu qui a une nature en commun avec d'autres individus a toujours une cause extérieure.
2b. ce qui est cause de soi ne peut donc avoir une nature en commun avec d'autres individus.
Conclusion du syllogisme (1 étant la majeure, 2 la mineure):
3. la substance (cause de soi) ne peut avoir une nature en commun avec d'autres individus. Or à la nature de la substance appartient le fait même d'être une substance. Donc il ne peut y avoir qu'une seule chose qui a la nature d'une substance. Et donc il n'y a qu'une seule substance.
C'est donc bel et bien du concept même de substance que Spinoza déduit qu'il ne peut y en avoir qu'une seule (unicité).
L'idée d'une infinité d'attributs vient à mon sens non pas de l'idée/définition même de l'attribut, mais du fait que la substance d'une part a une nature infinie (E1P8) (sinon elle serait bornée par une autre de même nature, ce qui est absurde), donc a l'être infini, alors que plus une chose a de réalité/être, plus il y a d'attributs qui lui appartiennent (idée que l'on trouve déjà chez Descartes aussi). Une substance infinie doit donc avoir une infinité d'attributs.
Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un attribut est donné que logiquement on a immédiatement une infinité d'attributs. On n'a une infinité d'attributs uniquement parce qu'il y a une substance infiniment réelle. Le nombre d'attributs que possède une chose ne dépend jamais du concept d'attribut lui-même, mais toujours du concept de la chose. Si la chose en question est un homme, il n'y a que deux attributs. Si la chose, en revanche, est une substance, alors il y en a nécessairement une infinité, sinon cette chose ne serait pas une substance, une cause de soi. En effet, c'est précisément parce que l'attribut se conçoit par soi qu'on ne peut pas déduire de son concept l'existence d'autres attributs. On doit donc déduire l'existence des attributs de la nature de la chose à laquelle ils sont attribués (de la nature de la substance, donc).
Bref, à mes yeux aussi bien l'unicité de la substance que l'infinité des attributs se déduisent bel et bien du concept de la substance. C'est parce que Descartes et l'Ecole n'avaient pas fait attention à cette déduction qu'ils utilisaient le mot substance de manière équivoque, obtenant à la fois une substance non produite par autre chose que soi (Dieu) et des substances qui peuvent bel et bien être produite par autre chose (les créatures). C'est en effaçant cette ambiguité que la seule option qui nous reste est celle d'une substance unique, me semble-t-il. Mais bon, tout cela est à vérifier, bien sûr.
D'autre part, si ce que je viens d'écrire est correcte, cela signifie que si l'on veut mettre en question l'idée d'une substance unique et infinie telle qu'elle est démontrée dans le spinozisme, il faudra s'attaquer au coeur même de l'argument, qui est la mineure dans le syllogisme ci-dessus. Pourquoi deux choses ou individus ayant la même nature devraient-ils nécessairement avoir une cause extérieure? Réponse de Spinoza: parce que sinon, lorsque l'un est supprimé, l'autre l'est aussi. Dans le cas des substances, qui par définition n'ont besoin d'autre chose que soi, il est impossible qu'elle périssent pour la simple raison qu'une
autre substance est supprimée. Toute substance doit pouvoir, par définition (donc par nature) continuer à exister même si une deuxième substance "meurt". Cela signifie que deux substances ne peuvent pas avoir la même nature. Or il appartient à la nature d'une substance d'exister, donc chaque substance existe toujours. Du coup, on comprend mieux pourquoi on ne peut en avoir qu'une seule: il ne peut y avoir qu'une seule chose ayant une nature à laquelle appartient l'existence, car sinon on aboutisserait à l'absurdité qu'une chose pourrait à la fois avoir une existence qui lui appartient et une existence qui ne lui appartient pas (ce qui d'ailleurs était exactement le problème avec l'idée cartésienne d'un homme-substance).
Donc encore une fois, à mes yeux c'est bel et bien de la définition cartésiano-spinoziste du concept de substance même que découle l'idée d'une substance unique. Spinoza n'a fait qu'examiner le concept cartésien de substance en toute rigueur, pour en tirer les conséquences nécessaires, celles que Descartes n'avaient pas encore observées (tout en ayant déjà aperçu le problème, comme le montre la citation ci-dessus).
L.