Enegoid a écrit :1. Le marché est la seule organisation humaine trouvée jusqu’ici pour déterminer les biens qui doivent être produits. La seule alternative trouvée jusqu’à maintenant a été la planification soviétique, qui a échoué (peut-être pas définitivement, si des techniques telles que l’informatique permettent un jour d’en éviter les écueils bureaucratiques, mais j’en doute). Cette organisation a beaucoup de défauts, comme la démocratie, qui, cependant reste à ce jour la moins pire des organisations sociales. Faire avec.
Le "libre" marché produit de nombreux biens inutiles à ceux qui les achètent et qui ne se vendent que grâce à l'efficacité des techniques modernes de marketing. On voit par ailleurs comment il est incapable de voir à moyen terme ce qui doit être produit, notamment lorsqu'il faut changer au niveau mondial de principale source d'énergie, personne ne pouvant garantir que le peak oil ne se produira pas dans les mois à venir, s'il ne s'est pas déjà produit. Le problème des économies planifiées, c'est probablement une moins bonne adaptabilité aux besoins des populations mais c'est aussi la faible productivité, faute d'intéressement individuel au produit. Mais le problème des économies de marché, c'est leur tendance à produire hors de toute considération humaniste, écologique, sociale.
Il y a encore une ou deux décennies, les libéraux nous expliquaient à l'envi qu'à terme, c'était l'économie libre-échangiste et ses privatisations qui était la plus sociale et la plus humaine - on se moquait à l'époque de l'écologie. En ce qui concerne la gestion des ressources naturelles (eau, gaz...) et des services publics tels que le train, la logique du profit est catastrophique (cf. la GB qui doit renationaliser des pans entiers du rail, vus les résultats de la logique privée). Aujourd'hui il n'y a plus guère de libéraux pour oser tenter de nous faire croire que le Marché libre serait par nature porteur de progrès social et humain. Le seul argument, c'est que ce serait le seul système économique réellement viable, le seul contre-exemple donné étant le collectivisme soviétique orné de bolchéviques avec couteaux entre les dents.
Mais c'est oublier le système d'économie mixte qui a permis les "trente glorieuses", dans lequel des secteurs clés de la production et des ressources naturelles étaient sous contrôle de l'Etat tandis qu'un certain nombre de secteurs étaient laissés à l'initiative privée. Dans ce cadre, la politique était beaucoup moins soumise aux aléas du Marché, les hommes politiques avaient un pouvoir réel d'action puisque l'Etat était producteur, de sorte que la représentation du peuple n'était pas un vain mot. De droite ou de gauche, les hommes politiques étaient aux commandes. Ils pouvaient alors répondre de leurs actes. Ce n'était pas comme aujourd'hui les laveurs de vitre du Tgv social. Ils pouvaient répondre de la situation du pays à un moment m.
Dans une économie mixte, gouvernée par des principes keynesiens, raison et passions sont équilibrés. Un système économico-politique purement rationnel, c'est-à-dire entièrement planifié et collectiviste, dans lequel la raison seule est censée gouverner, ne peut valoir que pour des individus purement rationnels. Un système où seule l'imagination et les passions (du profit notamment) gouvernent, comme c'est le cas des économies de marché, est incapable de respecter la dignité humaine, réduisant le citoyen au simple producteur-consommateur, simple moyen au service du conatus du Marché, bon à jeter au banc de la société s'il ne produit pas ce que le Marché attend de lui. Le "citoyen" qui n'a plus pouvoir de décision politique que symbolique, le vrai pouvoir étant du côté du capital.
2. (Henrique) « A vrai dire, il voit même plus loin encore que notre temps où la démocratie réelle, le temps du droit universel de la raison, n'a fait à ce jour que quelques irruptions rares dans le temps des bourgeois, ça et là sur la planète. »
Vous auriez du mal à me convaincre qu’au fond de vous même, vous n’appelez pas de vos vœux ce « temps du droit universel de la raison ». C’est votre point oméga à vous qui vous rend assez proche, finalement, du bouillant Korto !
Bien sûr que non, puisqu'aucune providence ne garantit l'avènement d'une telle rationalité. Et en outre, je disais qu'un tel temps a déjà existé, ce qui n'en fait pas du tout une utopie ou je ne sais quelle transcendance métaphysique. Cela a existé de façon plus ou moins éclatante, et je dirais même que cela existe encore aujourd'hui un peu en France, le fameux "modèle social" français que Sarkozy vous a promis de finir de détruire. Cela va même en France moins mal que dans le reste du monde, à l'exception du renouveau des économies mixtes en Amérique latine. Si la France résiste mieux qu'ailleurs, ce n'est que grâce à l'héritage particulier de la révolution et ce qui s'en est suivi. Et si nous revenons un jour à un système où la raison gouverne plutôt que le vent des passions pécuniaires, ce ne sera que revenir aux conditions d'une plus grande justice et prospérité pour les populations, non la garantie définitive qu'il n'y aura plus jamais aucun problème.
Enfin, vous savez, ce qui donne sens à ma vie, ce n'est pas un idéal politique quelconque, ce qui lui donne cohérence et cohésion, c'est une nécessité intérieure immédiatement accessible dont je parle assez par ailleurs. L'engagement politique en est une conséquence, non la condition, non le moyen, auquel je ne consentirai que pour m'approcher d'un tel idéal, de sorte que ce n'est pas l'idée d'un monde meilleur qui m'attire de l'extérieur, ce sont les idées de justice et de liberté en moi qui me poussent de l'intérieur à dénoncer les injustices et les servitudes, volontaires ou non.
3. Le libéralisme économique n’est pas qu’une idéologie : c’est une forme d’organisation actuelle, et réelle, qui devient une idéologie quand elle guide des décisions politiques : par exemple les directives européennes sur la concurrence en matière d’énergie. Mais toute décision politique est forcément idéologique. C’est la politique !
Il n'est rien de pire que des politiciens, qui sous prétexte de pragmatisme, ne se laissent finalement guider que par la force du vent. Le problème avec le libéralisme, c'est que c'est une doctrine qui enseigne que pour guider le bateau social, il faut uniquement s'en remettre aux bons vents du Marché, certes incontrôlables et imprévisibles, mais forcément destinés, grâce à la main invisible, à nous conduire à la paix, à la sécurité et à la prospérité sociales.
4. L’argent : « son image occupe d’ordinaire avec force l’esprit du vulgaire » dit Spinoza en fin de E4. Et alors ? Vous en déduisez, chers amis anti libéraux, qu’il faut supprimer l’argent ? Spinoza a choisi la voie qui lui paraissait droite par rapport à cette réalité. Il n’a pas écrit dans ses ouvrages d’organisation politique qu’il fallait trouver une solution différente.
Pour ma part, l'argent n'est pas du tout mauvais en soi. Supprimer la monnaie reviendrait à revenir à un temps antérieur aux présocratiques. Ce qui est nuisible à l'humain, avec l'argent, c'est d'en faire une fin en soi, le souverain bien, seul apte à justifier l'existence d'un homme, d'un service ou d'un bien s'ils en produisent. Dans un système libéral, la valeur d'échange l'emporte sur la valeur d'usage, à tel point que l'échange lui-même n'est plus moyen de mieux vivre, et ce de façon plus efficace grâce à l'argent, mais n'est plus envisagé que comme moyen de produire de l'argent, c'est-à-dire bien sûr du pouvoir sur autrui, ceux qui ont moins d'argent notamment.
Je ne suis donc pas hostile à ce qu'il y ait des capitaux et des intérêts privés pour les gérer, ce que je conteste c'est qu'il existe de moins en moins de contre-pouvoirs face aux capitaux privés. Je suis pour un système équilibrant capitaux privés et capitaux publics, capital privé et travail car, pour produire des biens, il faut des du travail et des capitaux. Mais si une marge de manoeuvre doit être accordée à l'intérêt privé, cela ne donne pas lieu à une prise de pouvoir de fait politique.
Une partie non négligeable de ces capitaux doit être contrôlée par l'Etat, c'est-à-dire par le peuple dont il est l'instrument, au nom du droit des gens à se gouverner eux-mêmes et en l'occurrence pour permettre autre chose dans une société que l'enrichissement des plus riches comme c'est de plus en plus le cas aujourd'hui.