Henrique a écrit :Si le dalaï-lama a transféré le pouvoir temporel aux civils, on peut penser que sans la revendication du Tibet par Mao en 1950, les choses auraient difficilement évolué dans ce sens.
Dire cela de cette façon dans le contexte réel qui est celui d’une invasion à caractère colonialiste et dictatorial me semble quelque peu délicat...
La réalité est qu’on ne sait pas, et qu’on ne saura jamais, ce que serait devenu le Tibet libre de 1949 si les communistes chinois ne l’avaient pas envahi pour y imposer leur loi. Ce qu’on sait seulement c’est que c’était son droit le plus strict de se gouverner lui-même, qui n’a donc pas été du tout respecté par les chinois. Nous pouvons néanmoins constater que toutes les orientations prises par le Dalaï lama (qui n’a jamais gouverné le Tibet, en fait, à cause de son age au moment de l’invasion chinoise, mais qui était versé aussi dans les techniques, et ouvert au monde), et les valeurs du bouddhisme tibétain, vont vers un gouvernement laïc et démocratique. Je ne pense par ailleurs pas qu’une orientation démocratique puisse être attribuée aux communistes chinois autrement que de façon très indirecte... (et le refus de la démocratie n’est peut-être pas pour rien dans l’intransigeance négative des dirigeants chinois envers le Dalaï lama.) Mon opinion est que le Tibet serait proche de l’Inde, plus que du Népal (avant que les communistes chinois ne le noyautent aussi) ou du Bhoutan, mais je suis peu compétent sur ce point.
Henrique a écrit :Ainsi sur la liberté religieuse en Chine, c'est loin d'être l'idéal, mais il y a depuis la fin des années 70 une acceptation des religions. Il y a des monastères au Tibet, comme d'ailleurs d'autres lieux de culte pour d'autres confessions. On estime à 20 millions le nombre de musulmans en Chine et cela ne pose pas de problème particulier tant que sont respectées les restrictions imposées par Pékin, qui relèvent un peu des restes de l'idéologie communiste (la Chine est un des rares pays par exemple où il y a des Imams féminins) et beaucoup du nationalisme chinois. Ainsi il y a par exemple des cours d'éducation patriotique dans les monastères tibétains et une interdiction de la pratique religieuse pour les fonctionnaires tibétains.
Il reste encore des monastères au Tibet, plutôt... bien que les chinois en aient détruits plusieurs milliers, en particulier avec la catastrophique « Révolution Culturelle », qui a succédé au non moins terrible « Bon en avant ». Ils en détruisent encore quand la philosophie politique qui y règne commence à les déranger. Quant aux chinois Hui, ils ont quand-même été contraints à manger du porc, si j’ai bien compris, outre de s’illustrer de leur côté par leur intolérance dans l’occupation du Tibet.
Cette édulcoration systématique et manifeste de la situation en Chine fait partie de ce qui me dérange le plus. C’est quand-même bien une dictature, anti-spirituelle, corrompue jusqu’à l’os, policière, violente, colonialiste, impérialiste, soutien d’autres dictatures violentes, etc.
Henrique a écrit :Mélenchon dit que la Chine doit être respectée sans que cela veuille dire qu'il approuve tout ce qui s'y fait comme sa politique internationale. Il est tout aussi bien pour le respect de la France en premier lieu tout en étant le premier à critiquer bien des choses qui s'y font à l'intérieur ou à l'extérieur.
C’est quoi « respecter la Chine » ? Parce que je n’ai pas eu la sensation qu’on lui manquait de respect (étant entendu que je n’accepte pas comme légitimes ses protestations systématiques d’ingérence coupable dès qu’on met en cause son comportement, en particulier concernant les droits de l’homme et le Tibet.) Si « respecter » c’est dire « amen » lorsque la Chine promet des progrès substantiels pour obtenir les Jeux et se légitimer elle-même, et n’en fait rien, ou quand elle prétend, immédiatement offusquée (et en général, quand c’est si sourcilleux, systématique et prompt, c’est précisément qu’on n’est pas clair du tout... ; pourquoi pas un simple haussement d’épaule comme vis-à-vis de quelqu’un qui prétendrait que Pékin ou Shanghai n’a jamais fait partie de la Chine ?) que le Tibet fait strictement partie de ses affaires intérieures, ce n’est pas du respect, mais au contraire de la complicité de crime...
Henrique a écrit :Je pense qu'il y a un point important que vous négligez et qu'Onfray, dans le meilleur des cas néglige aussi, c'est que Mélenchon n'est que le candidat du Front de gauche qui rassemble plusieurs partis et formations à caractère politique. Ses prises de position personnelles antérieures sur le Tibet entre autres ne sont pas au programme du FdG et il ne fait pas campagne sur ces thèmes.
Oui, mais outre qu’il s’agit d’abord d’une élection présidentielle, et que c’est bien Mélenchon qui est le candidat, on peut se demander s’il n’y a pas un problème plus général au fond. En particulier, si la Gauche libertaire a été historiquement en délicatesse avec le Parti Communiste, ce n’est pas que pour des questions secondaires... Combien y a-t-il de soutiens (avec les quelques réserves d'usage, bien sûr...) de la dictature chinoise derrière ? Et d’autres dictatures ? Combien pour espérer rayer Israël de la carte politique ? Etc. C’est bien une résurgence de cela qui a fait changer d’avis Onfray, me semble-t-il.
Henrique a écrit :Serge, tu dis que tu trouves insultant de parler des gentils tibétains et des méchants chinois, je ne comprends pas. Qu'y a-t-il d'insultant pour qui que ce soit à dire que les êtres humains ne sont jamais tout blancs ou tout noirs ?
Cela me semble assez évident : il s’agit d’une grosse généralité banale, qui laisse entendre que les soutiens des tibétains sont des angéliques manichéens simplistes, qui ne voient pas grand chose à la réalité. C’est aussi un moyen de symétriser les responsabilités par pure facilité, sans le moindre argument d’aucune sorte. C’est à ranger pour moi dans les poncifs banalisants et anti-philosophiques qui se donnent l’air de dire quelque chose - et malheureusement, aussi gros soit-il, cela marche souvent - et font en fait le contraire. C’est comme « c’est humain » ou « comment se fait-il que cela ne soit pas déjà réalisé », « ce n’est pas nouveau », etc., etc. Cela contient aussi une escroquerie intellectuelle des plus fréquentes : confondre « pas tout » avec « rien » (mais en évitant que cela apparaisse explicitement, bien sûr : dialectique éristique.) Par exemple, dire à quelqu’un qui prône une action quelconque qu’il est impossible d’en réussir absolument l’objectif, en sous-entendant que cela disqualifie toute cette action même ; ou prétendre pouvoir parler fort sans savoir sous prétexte que ceux qui savent quelque chose ne savent pas tout.
Dans le cas présent, ce n’est pas, par exemple, parce que le peuple tibétain a pu tirer des avantages matériels de la présence des chinois, que cela suffit à régler la question. Pas du tout ! Il est en fait évident pour tout que dans la réalité rien n’est absolument tranché (vis-à-vis d’un certain concept pré-établi.) A quelque chose malheur est bon (par exemple la sortie de grands maîtres du Tibet pour enseigner l’Occident), etc. Mais non, les soutiens des tibétains sont loin d’être des angéliques : il y a des historiens, des juristes professionnels, des gens qui ont travaillé à fond la question, et qui la travaillent encore - et qui font très très attention, pour ne pas donner d’occasion aux bonimenteurs d’attaquer, à ne pas publier d’information non vérifiée -, etc. Et avec cela, il ressort bien toujours que la RPC est une dictature, que le Tibet est une colonie opprimée sur le plan culturel et physique ensuite, etc.
Henrique a écrit :... aujourd'hui, avec des médias de masse qui sont systématiquement sous la coupe du pouvoir politique ou des puissances d'argent...
(En passant) Pas seulement. Il y a aussi des media d’État qui ne sont manifestement contrôlés ni par le Gouvernement (vu ce qu’il prend), ni par les puissances d’argent (ce sont des fonctionnaires), mais qui en revanche semblent être au service des journalistes qui les composent. La liberté de la Presse ce n’est pas la liberté de tel ou tel individu, ayant ou non une carte de Presse, d’arroser le peuple avec ses opinions, dans le cadre du Service Public. Aucune profession n’est structurellement meilleure qu’une autre, celle de journaliste en particulier. Donc l’expression des passions chez un journaliste fonctionnaire doit aussi avoir son contre-pouvoir efficace, conformément aux enseignements de notre bon Benoît. De plus, faire des commentaires a posteriori sans prévoir ni agir soi-même est un des traits naturels de la vanité, ce qui fait que le danger est là encore plus grand. Il serait donc indispensable selon moi d’édicter une Charte du journalisme d’information, avec application soumise au contrôle du (nouveau) CSA, destinée à limiter au maximum toute intrusion d’opinion personnelle dans l’information (y compris bien sûr par une présentation biaisée, l’omission du contexte, etc.) - j’ai bien dit « au maximum », pas « absolument », ce qui est impossible ET pourtant n’empêche nullement de faire le maximum.
Henrique a écrit :Quand Spinoza affirme que Dieu n'est pas créateur ni roi des rois, quand il affirme l'autonomie absolue de la philosophie par rapport à la théologie et la nécessité constituer le politique en dehors de toute référence religieuse...
Je note ce point parce que le fond de ce qui me dérange le plus n’est pas loin. J’approuve totalement que l’État se garde de se mêler du fonctionnement des religions constituées, tout en assurant la liberté de culte (tant qu’il ne contrevient pas au reste de la Loi, bien sûr ; laïcité, donc.) D’un autre côté, même s’il s’y trouve éventuellement une grande part de superstition, le fond des religions est quand-même réellement spirituel, c’est-à-dire parfaitement conforme à ce que dégage l’
Ethique de Spinoza, et sans aucun doute le souverain bien pour tout homme, quel qu’en soit son degré de conscience. Spinoza met bien la Religion dans les (très peu nombreux, mais très forts) désirs actifs. Il ne s’agit pas d’agir comme si tout le monde était sage ou allait le devenir (c’est difficile autant que rare), ce qui serait purement et simplement une erreur lourde de conséquences par défaut de pragmatisme - ce qui justifie pleinement l’orientation du TP -, mais oblige quand-même à considérer qu’à un dirigeant qui n’aurait pas un minimum de sens éthique (pas secondaire sur tel et tel point : un sens éthique fort, spirituel) manque tout simplement l’essentiel, ce qui est rédhibitoire pour être un bon dirigeant.
Or dans le sujet qui nous occupe, il me semble voir des profils dénués de ce minimum de sens éthique fort, qui jettent pelle-mêle le bébé et le bain, la spiritualité et la superstition (et, sans faire d’assimilation stupide, cela rappelle quand-même la religion opium du peuple, qui est un poison, etc.) Et cela aussi est de nature à faire reculer à juste titre Onfray, qui est d’une autre trempe sur ce point, en se demandant même pourquoi il ne l’a pas fait plus tôt...
C’est pareil pour les finalités : oui, bien sûr, abaisser le niveau de marchandisation, etc. C’est très sain (pour autant que ce soit devenu plus culturel que réglementaire) mais que reste-t-il, dans l’alternative, une fois qu’on a enlevé les critères de revenus, etc. qui sont en fait
de même ordre (et, soyons clair, l’enjeu est ce que consomme le peuple en moyenne, pas quelques dizaines de revenus, même faramineux) ? Un des traits du Communisme me semble quand-même être de se positionner par rapport au Capitalisme, et donc d’en constituer quelque part le pendant, le contre-pôle ambivalent (qui malheureusement pour lui ne produit pas ce qu’il voulait partager quand c’était le premier qui le produisait...) Sans vouloir revenir sur le sujet précédent, l’exemple de la Chine qui est (re)passée de l’un à l’autre (et d’un PIB inférieur à celui de Taïwan à quatrième puissance économique mondiale du même coup) sans trop de problèmes métaphysiques (tout en restant une dictature), n’en est-il pas l’illustration ?
Connais-toi toi-même.