Hokousai a écrit :louisa:
D'autre part, pour moi l'E5P24-25 montrent indéniablement que le troisième genre porte sur les essences des choses singulières (indéniablement signifie: je ne sais pas le nier aussi longtemps que quelqu'un n'aura pas réfuté cette interprétation), donc de nouveau sur le singulier (puisque pour Spinoza une essence est constituée par ce qui n'a rien en commun avec une autre essence).
Hokousai:
il y a quand même une très courte précision de Spinoza qui fait problème ( sauf si la traduction est problématique )
dans e scolie 2 de la prop 40/2
Spinoza dit """et ce genre de connaitre procède de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu (ce qui est déjà une intellection assez raffinée ) vers la connaissance adéquate de l'essencedes choses .""""
la traduction donne en français un pluriel , s'agit -il de l'essence des choses en général ( oui ou non ?)
Je ne crois pas que l'on puisse déduire de cette phrase que le troisièmes genre porte sur des essences singulières, puisqu'il ne le dit pas, il dit seulement qu'il porte sur l'essence de plus d'une chose. En tant que telle, cette phrase ne nous permet en rien de trancher en faveur de la thèse défendue par Sescho et celle que j'essaie de défendre moi-même (Sescho: l'essence des choses est constituée par les lois de la nature, moi: l'essence des choses est singulière, différente pour chaque chose).
En revanche, les E5P24-25 montrent à mon sens indéniablement que là, il s'agit d'essences singulières. Quelqu'un qui ne croit pas que le troisième genre porte sur les essences singulières, devrait donc réfuter la démonstration de l'E5P25 telle que je l'ai explicité ci-dessus il y a quelques jours.
Hokousai a écrit :je ne vois pas le sens à accorder à connaissance intuitive de l'essence de chaque chose singulière ( tel que vous le défendez )
Prenons une table précise , qu'en sais -je intuitivement ?
Oh je sais très bien ce que j’ en sais intuitivement et se serait pour Spinoza des perceptions confuses .( je ne lui pardonne d’ailleurs pas ce mépris pour la perception )
en effet, dans le sens ordinaire du terme, 'savoir intuitivement que" est plutôt synonyme de ce qui serait chez Spinoza une connaissance confuse et imaginaire. Il ne s'agit donc pas de ce type d'intuition. Il parle bien de "science intuitive", et ce mot a l'avantage de ne pas exister dans le langage ordinaire, tout en étant un des concepts clefs de l'épistémologie scolastique depuis des siècles. La connaissance intuitive des choses a longtemps été la connaissance attribuée à Dieu et aux anges. Elle indiquait que Dieu n'avait pas besoin d'en passer par une perception sensible (et par définition toujours défectueuse) pour obtenir une connaissance des créatures. L'oeil de Dieu, c'est son Esprit, et son Esprit voit "immédiatement" dans le coeur et la tête de l'homme.
Aussi longtemps qu'on conçoit les essences comme étant propres aux espèces, on supposait que les idées des essences, ce n'est que Dieu qui l'a. Descartes a été le premier à les faire "descendre" dans l'Esprit humain. Or Spinoza va plus loin: même la connaissance intuitive de Dieu est possible, qui était une connaissance non plus des seules essences mais aussi de la singularité de chacun. C'est ce qu'on appelle "connaître comme Dieu connaît", thèse tout à fait anti-cartésienne, tandis qu'elle est, comme le dit Vincent Carraud, "unanime chez les grands post-cartésiens" (tels que Leibniz et Malebranche) (Connaître comme Dieu connaît", article de Carraud paru dans [i]Le contemplateur et les idées. Modèles de la science divine, du néoplatonisme au XVIIIe siècle, Vrin 2002, pg. 252-3). Si longtemps l'idée de "voir comme Dieu" ou d'avoir une "vision en Dieu", comme l'appelle Malebranche, était considérée comme étant absurde, pour les post-cartésiens elle ne l'est plus du tout, Descartes ayant fait le premier pas décisif (pas absolument révolutionnaire et innovant, bien sûr) sans en tirer toutes les conclusions.
Entre-temps, en général nous ne croyons plus en une connaissance intuitive de l'essence des choses, fût-elle singulière ou non. Mais cela ne peut pas nous fournir un argument pour supposer absente ce type d'idées chez Spinoza lui-même.
Hokousai a écrit :Ou alors qu’en sais- je ? Sinon un savoir non intuitifs mais très raisonnés :sur sa composition en bois ou autres, fabriquée de telle et telle manière, sur son histoire de table dans ma famille … que sais je qui na rien à voir avec l’intuition .
en effet, c'est pourquoi ce type de savoir, qui semble s'accorder à ce que Sescho considère comme étant l'objet du troisième genre de connaissance, ne peut être appelé "intuitif". Appliquer une loi de la nature demande d'abord la connaissance de cette loi, puis une application du général au particulier (ce qui n'est rien d'autre qu'une opération logique effectuée à l'occasion d'une perception sensible). Cela n'a rien d'intuitif au sens ordinaire du terme, mais pas non plus au sens philosophique du terme.
Hokousai a écrit :Et que pourriez- vous connaître intuitivement de cette table précise sinon ce que vous en percevez là devant vous . ?
On est en pleine confusion et promesses obscures avec cette vision intuitive de l’essence de chaque chose particulière .
Je comprends parfaitement que quelqu’un d’assez méfiant comme Deleuze parle de mystère .
Moi je vous reproche de vous y complaire en instrumentalisant le très et trop peu de textes (par ailleurs sibyllins ) de Spinoza sur ce troisième genre de connaissance .
je ne demande pas mieux qu'on réfute mes interprétations de ces textes. J'en ai donné une, comme déjà dit, d'un endroit qui montre particulièrement clairement qu'il s'agit bel et bien, chez Spinoza, de connaissance intuitive de l'essence singulière d'une chose (E5P24-25). Je serais très contente si quelqu'un peut montrer la faille dans le raisonnement que j'ai développé là-dessus (voir dans ce fil, il y a quelques jours). En attendant, je ne peux que constater que pour Spinoza, une connaissance claire et distincte de ce genre de choses existe. A nous donc d'essayer de mieux comprendre en quoi elle pourrait consister.
Sinon n'oublions pas que les commentateurs sont unanimes à ce sujet. Ce qui bien sûr ne prouve pas du tout sa vérité "éternelle". Cela signifie simplement qu'explorer l'Ethique en prenant cette idée comme hypothèse de travail est peu "audacieuse", tandis qu'il ne faut pas oublier que peut-être tout le monde se trompe et Sescho a raison. Seulement, il n'y a qu'un moyen pour le savoir: déployer et expliciter les démonstrations de Spinoza lui-même, de façon très détaillée et précise.
Cordialement,
L.