Pej a écrit :Un des problèmes essentiels de l'enseignement de la philosophie en France, c'est qu'un élève n'aura suivi (sauf redoublement) qu'un seul cours de philosophie, avec un(e) seul(e) professeur. Et il est vrai que si l'enseignant n'est pas à la hauteur, il laissera une trace indélibile et parfois dévastatrice pour la discipline. Assurément, la description que donne Korto de l'enseignement de la philosophie prouve qu'il n'a pas eu de chance pour sa part (heureusement, ce type de préjugés reste encore minoritaire, du moins si j'en crois l'avis des élèves que je côtoie).
KORTO a écrit :Personnellement, je n'ai pas eu une malchance excessive avec ma prof de philo. Elle était belle, classe, consciencieuse, intelligente, parisienne, un peu mystérieuse et pas trop gauchiste autant qu'il m'en souvienne. J'ai encore, là, à l'intérieur d'un Rabaudy et Roland, les reprographies à l'alcool de passages de l'Éthique et du TTP, qui ont fait le tour du monde, le tour du temps...
Non, pas de traumatisme de ce côté-là. Mais du Freud, du Marx, du Spino, que ça, que ça. Pas d'apprentissage réel de la philo, des enjeux, du questionnement, de l'histoire, de la structuration de l'analyse, de l'argumentation, de la construction de la réponse. Et il ne m'est rien resté de ce drôle de monsieur Freudmarxspino et de cette année. Rien. Et pourtant j'étais pas trop con ni branleur. Toutes mes découvertes en philo, je les ai faites seul, un peu plus tard.
Je ne crois pas être très injuste. Je ne la hais point la belle Sophie ! Ses cheveux blonds et son calme spinozien rayonnent encore un peu, là-bas, tout au loin...
tel que tu le décris, Korto, il faudrait en effet dire que tu n'as pas eu une "malchance excessive", au sens où si je me base sur ce que j'ai moi-même eu comme cours de philosophie (pas en France, néanmoins), je peux dire exactement la même chose: souvent profs assez sympas, mais aussi TRES souvent une lacune énorme quand il s'agit de l'apprentissage de la philosophie en tant que pratique.
Dans beaucoup de cas, on se limite, en tant que prof, à donner cours sur les auteurs qu'on aime soi-même, et hélas assez souvent on part du préjugé que les aimer suffit pour en faire non plus des philosophies mais des vérités absolues sur le monde. Cela implique non seulement que l'on ne lit plus les autres philosophes (d'autre part, on ne peut pas et avoir une lecture approfondie de la philosophie et voir sur une année tous les grands philosophes), mais surtout que l'élève n'est confronté qu'avec un DOGMATISME (qui souvent va de pair, comme tu le dis, avec une tendance à ridiculiser tout ce qui pense autrement), qui n'a plus RIEN à voir (comme vient de le dire ici Henrique) avec la pratique philosophique.
Ce dogmatisme est d'autant plus révoltant si le prof en question défend une vision du monde à laquelle de prime abord on n'adhère pas (ce qui s'est souvent produit dans mon cas également). Car non seulement on n'y apprend pas à argumenter et donc à défendre son propre point de vue (ce qui te laisse assez désarmé devant un prof, tout en sentant que ce qu'il dit ne peut être la vérité ultime des choses), on n'apprend pas non plus à "entrer" dans la philosophie elle-même, et donc à comprendre l'intérêt proprement philosophique des philosophes avec qui au début on semble avoir peu en commun. Bref, on n'apprend pas du tout à considérer la pensée en tant que pensée. Donc en ce sens: oui, 200% d'accord avec toi Korto ... .
Quant aux solutions à ce problème (problème qui à mon sens semble se poser vraiment partout, et donc est propre aux cours de philosophie en tant que tel, au sens où il s'agit d'un risque que l'on retrouve peut-être moins dans les autres cours ... . La cause en est peut-être que l'on peut assez facilement devenir "diplômé en philosophie" SANS avoir appris à philosopher, chose qui est plus difficile à faire en maths, français etc ... ):
Pej a écrit :C'est pourquoi l'introduction de la philosophie en classe de Première, à commencer par la Première Littéraire, enseignement couplé pourquoi pas avec le Français (je me rappelle qu'en cours de français, on réfléchissait déjà sur des sujets de société et que s'effectuait un apprentissage de l'argumentation) devient à mon avis de plus en plus indispensable.
KORTO a écrit :Alors, les gamins que ça gave d'apprendre la philo, les profs que ça gave d'enseigner honnêtement et rigoureusement la philo, stop. On arrête. C'est pas dur !
Option philo pour les volontaires, les motivés. Redéfinition des contenus et des évaluations. Allongement du cursus.
Moi j'ai un gamin qui va arriver au lycée. Honnêtement, sincèrement, j'aime autant qu'il fasse pas de philo dans le cadre actuel, avec un zigoto qui lui serinera que Dieu, les patrons, le travail, les valeurs, la nation, la droite, Sarko ... c'est des passions tristes, des superstitions et des conneries pour les cons, pour son con de père.
j'avoue que je ne crois ni entièrement à la solution proprosée par Pej, ni vraiment à celle proposée par Korto non plus. Je crois qu'effectivement, comme le dit Pej, limiter les cours de philo à une seule année a comme grand désavantage que l'élève dépend excessivement de la qualité d'une seule personne pour avoir ne fût-ce qu'une idée de ce que c'est que la philo. Puis, quoi qu'on en dise, une pratique philosophique est une chose DIFFICILE. On ne saurait jamais l'apprendre sur une année seule. Si donc l'on trouve que l'activité philosophique est hautement importante (ce qui est mon cas), alors il faudrait d'abord déjà en faciliter l'accès, en donnant de la philo de façon obligatoire à toutes les années du secondaire.
D'autre part, je crains qu'aussi longtemps qu'on confond philosophie et "argumentation sur des questions de société", le problème que dénonce Korto ne peut jamais être résolu. C'est confondre la philosophie et le débat d'opinions. Ce dernier est bien sûr tout à fait crucial dans une démocratie, et donc doit s'apprendre à l'école. Mais en effet, comme le dit Pej, on peut faire cela dans beaucoup de cours, notamment dans le cours de Français. On n'a point besoin de quelqu'un qui maîtrise réellement la pratique philosophique pour mener ces débats d'opinion. Il faut simplement quelqu'un qui a l'honnêteté de reconnaître la contingence de sa propre opinion et de ne pas l'imposer à l'ensemble de la classe comme étant l'un ou l'autre "savoir acquis" que les élèves doit apprendre à restituer tel quel, puis qui sait modérer un tel débat d'une façon "juste" (droit de parole égal à tous, respect d'opinions différentes, ...).
Si en revanche on trouve que la philosophie consiste essentiellement à faire bouger la pensée, à apprendre à concevoir le monde autrement que ce que l'on fait spontanément/d'habitude, voir à créer soi-même une toute nouvelle façon de concevoir certains problèmes conceptuels (liés à des problèmes de société, bien sûr) - bref, tout ce qu'on trouve déjà chez le fondateur de cette discipline, Platon - alors il faut vraiment faire des études prolongées pour d'abord soi-même apprendre à pratiquer cette discipline avant de pouvoir accompagner d'autres sur ce chemin. La première chose à apprendre en faisant ces études, c'est de pouvoir prendre du RECUL par rapport à ses propres opinions (après il y a effectivement toute la "technique" propre à la pratique philosophique, au "maniement" et à la fabrication des concepts).
Or débiter la doctrine d'un philosophe comme s'il s'agit d'une vérité absolue parce que celle-ci semble superficiellement correspondre à sa propre opinion ... quoi de moins philosophique ... ? Du coup, cela ne peut que provoquer une Haine chez l'élève qui par hasard pense différemment, a d'autres habitudes de pensée, voire a fait d'autres choix "argumentés" par rapport à des problèmes sociaux concrets. Haine pour les auteurs qui ont été utilisé par le prof pour donner du "poids" à ses propres opinions, ou, dans le pire des cas, Haine de la philosophie tout court.
Mais donc je crains que l'essentiel du problème se trouve bel et bien à l'université - car on voit exactement le même phénomène chez certains professeurs d'université (qui ne défendent que leur propre opinion, et n'introduisent pas du tout à la pratique philosophique). C'est pourquoi je disais qu'il est peut-être simplement le risque propre à la philosophie en tant que telle. C'est ce qu'à mon sens Schopenhauer a très bien expliqué dans son
Au-delà de la philosophie universitaire:
Schopenhauer a écrit :En tant que science, elle [= la philosophie] n'a nullement à s'occuper de ce qui peut ou doit être cru: elle n'a qu'à s'occuper de ce que l'on peut savoir. Même si ce savoir différait du tout au tout de ce qu'il faut croire, la foi n'en subirait aucun préjudice; elle est foi précisément parce qu'elle renferme ce que l'on ne peut pas savoir. Si l'on pouvait savoir même cela, la foi serait quelque chose de tout à fait inutile et même ridicule, à peu près comme si l'on plaquait sur les questions mathématiques une doctrine religieuse. Si l'on a la conviction que la vérité pleine et entière est contenue et exprimée dans la religion du pays, il faut s'y tenir et s'abstenir de toute philosophie.
Si donc on craint que la philosophie donnée en secondaire ne peut que se réduire à ce que Schopenhauer appelle ici une "religion" (où l'on croit, en tant qu'enseignant, que la vérité "pleine et entière" est contenue dans un courant philosophique spécifique ET que c'est cette croyance elle-même et non pas la compréhension de ce qu'il y a de philosophique dans ce courant qu'il faut essayer de faire passer), alors en effet, comme tu le dis, Korto, il vaut mieux dire qu'il ne s'agit plus de philosophie là, et donc abolir les cours de philo ou les rendre optionnels. Or je ne crois pas que nous en sommes déjà là. Il y a également de TRES bons enseignants de la philo (j'en ai eu, heureusement), des gens qui savent réellement apprendre aux élèves ce que c'est que la philo, et qui n'en font pas du tout une religion, alors il me semble qu'il faut absolument essayer d'augmenter l'accès à ce type de pratique, au lieu d'en restreindre l'enseignement partout.
Bien à vous tous,
louisa