hokousai a écrit :Vous suggérez que la primauté revient à l'acte et en fait à l'indifférence. Mais l'indifférence ce n'est pas un sentiment .Je ne suis pas convaincu de la "primauté" de ce type d'émotion.
Je peux être et puis ensuite rester dans l'indifférence mais alors je n'ai pas de sentiments rapportés à ce que je fais ou viens de faire.
Pour moi l’indifférence cela n’existe pas vraiment (mais une certaine psychopathologie peut s’en approcher, le sentimentalisme en étant une autre de son côté.) Quant on est vivant, on n’est pas du tout indifférent : on affirme l’être, on agit. Par ailleurs, on peut admettre d’emblée la Joie de vivre (sans raison autre que vivre) et l’Amour universel qui est la même chose, comme des sentiments positifs (vraiment) universels : c’est la force vitale pure consciente d’elle-même, qui se constate chez les enfants en bas âge en particulier.
Où est la culpabilité là-dedans ? En quoi la négativité peut-elle être représentative de la toute-positivité (l’être est, le non-être n’est pas) de la Nature ? Encore une fois, prétendre que l’absence de sentimentalisme est de l’indifférence est / serait un poncif particulièrement pernicieux ; c'est même une pure contre-vérité.
hokousai a écrit :Ces sentiments (regrets ou satisfaction) ne sont pas imaginaires.
Ce n'est pas parce qu'ils sont liés à l'imagination qu'ils sont imaginaires (tout comme mes rêves sont des images mais pas imaginaires ...pas des fantômes si vous voulez ) .Il y a donc une réalité de ces sentiments.
Et je ne vois pas comment le raisonnement pourrait me les ôter.
Le pouvoir du raisonnement est très limité même quand il est juste. Ils sont réels mais leur raison est imaginaire. C’est pourquoi en particulier Spinoza donne ce haut enseignement (qu’on trouve aussi chez Jean Klein, Eric Baret, ...) qui indique que la séparation d’une passion d’avec l’imagination d’une cause extérieure est un mécanisme principal de guérison. Comme je l’ai déjà dit : tout se joue entre « croire ses pensées » et ne pas les « croire ». La pensée est réelle, l’émotion est réelle, etc. : ce qui est irréel, et donc imaginaire, c’est ce que représente la pensée...
hokousai a écrit :Comment pouvez-vous être en empathie totale autre qu'imaginaire avec quelqu'un qui ne verrait pas la pureté de vos intentions et ne jugerait au contraire qu'à son propre profit, et vous le reprocherait (car ce qui est moral, ce n'est pas le résultat, qui est un fait neutre comme les autres, mais l'intention) ?
Je vais redoubler ma réponse. La sympathie est subjective ( ni totale ni partielle , elle est ce qu'elle est ). Pas imaginaire. Je ne l'imagine pas plus que je n'imagine une douleur.
Certes, l’émotion est réelle. Et c'est une pensée qui la génère ; juste cela (il suffit donc de s'en rendre compte pour immédiatement cesser de se torturer par-là). Maintenant pour revenir à l’exemple du mendiant (la mendicité étant déjà une sollicitation, et donc un dérangement, que tous les très-pauvres ne pratiquent pas, loin s’en faut) : imaginez que vous appreniez de source sûre qu’il fait cela par pur business, qu’il a travaillé son air miséreux et malheureux pour gagner plus, qu’il gagne deux fois ce que vous gagnez avec ce business, et qu’il considère en plus ceux qui lui donnent comme de bêtes pigeons à plumer. Est-ce que c’est toujours la culpabilité de ne pas lui avoir donné qui vous habiterait ? Ou la colère ? Votre empathie spontanée pour tous (qui n’est pas contestable chez le Sage, attention) serait-elle préservée immaculée ?
hokousai a écrit :Et, à nouveau, comment se fait-il, si vous saviez parfaitement tout cela directement, intuitivement, de première main, vous ayez pu engager une action contraire à votre sentiment ...
Je renvoie à ST Paul en durcissant, nous ne faisons pas que le bien mais parfois aussi le mal et en le sachant.
Spinoza le dit aussi (avec d’autres rappels utiles ayant trait au sujet) :
Spinoza a écrit :E3P2S : Mais il est indubitable que rien n’empêcherait ces personnes de croire que nos actions sont toujours libres, si elles ne savaient pas par expérience qu’il nous arrive souvent de faire telle action dont nous nous repentons ensuite, et souvent aussi, quand nous sommes agités par des passions contraires, de voir le meilleur et de faire le pire.
E4Pré : Ce que j’appelle esclavage, c’est l’impuissance de l’homme à gouverner et à contenir ses passions. L’homme en effet, quand il est soumis à ses passions, ne se possède plus ; livré à la fortune, il en est dominé à ce point que tout en voyant le mieux il est souvent forcé de faire le pire.
E4P17 : Le désir qui provient de la connaissance vraie du bien et du mal, en tant qu’elle porte sur des choses contingentes, peut plus facilement encore être empêché par le désir des choses présentes.
Scholie : Je crois avoir expliqué par ce qui précède pourquoi les hommes sont plus touchés par l’opinion que par la raison, pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal ébranle notre âme, et pourquoi enfin elle cède souvent à toute espèce de passion mauvaise. C’est ce qui fait dire au poète : Je vois le meilleur, je l’approuve, et je fais le pire. Et la même pensée semble animer l’Ecclésiaste, quand il dit : Qui augmente sa science augmente ses douleurs. Je ne prétends point conclure de là qu’il soit préférable d’ignorer que de savoir, ni que l’homme intelligent et l’homme stupide soient également capables de modérer leurs passions. Je veux seulement faire comprendre qu’il est nécessaire de connaître l’impuissance de notre nature aussi bien que sa puissance, de savoir ce que la raison peut faire pour modérer les passions, et ce qu’elle ne peut pas faire. Or, dans cette quatrième partie, je ne traite que de l’impuissance de l’homme, voulant traiter ailleurs de la puissance de l’homme sur ses passions.
E4P62S : ... l’imagination n’est pas affectée de la même façon par une chose présente et par une chose à venir ; et de là vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n’est qu’une connaissance abstraite ou générale, et que le jugement que nous portons sur l’ordre des choses et l’enchaînement des causes, afin de déterminer ce qui nous est présentement bon ou mauvais, est un jugement plus imaginaire que réel. Il ne faut donc point s’étonner que le désir qui naît de la connaissance du bien et du mal, en tant que relative à l’avenir, puisse être si facilement empêché par le désir des choses qui nous sont actuellement agréables. Sur ce point, voyez la Propos. 18, part. 4
E4P53Dm : ... l’humilité, je veux dire la tristesse qui naît pour l’homme de l’idée de son impuissance, ne provient pas de la vraie connaissance de soi-même ou de la raison ; ce n’est point une vertu, c’est une passion.
E4P54 : Le repentir n’est point une vertu, ou en d’autres termes, il ne provient point de la raison ; au contraire, celui qui se repent d’une action est deux fois misérable ou impuissant.
Scholie : Les hommes ne dirigeant que rarement leur vie d’après la raison, il arrive que ces deux passions de l’humilité et du repentir, comme aussi l’espérance et la crainte qui en dérivent, sont plus utiles que nuisibles ; et puisque enfin les hommes doivent pécher, il vaut encore mieux qu’ils pèchent de cette manière. Car si les hommes dont l’âme est impuissante venaient tous à s’exalter également et par l’orgueil, ils ne seraient plus réprimés par aucune honte, par aucune crainte, et on n’aurait aucun moyen de les tenir en bride et de les enchaîner. Le vulgaire devient terrible dès qu’il ne craint plus. Il ne faut donc point s’étonner que les prophètes, consultant l’utilité commune et non celle d’un petit nombre, aient si fortement recommandé l’humilité, le repentir et la subordination. Car on doit convenir que les hommes dominés par ces passions sont plus aisés à conduire que les autres et plus disposés à mener une vie raisonnable, c’est-à-dire à devenir libres et à jouir de la vie des heureux.
E4P64 : La connaissance du mal est une connaissance inadéquate.
Démonstration : La connaissance du mal, c’est la tristesse, en tant que nous en avons conscience (par la Propos. 8, part. 4). Or, la tristesse, c’est le passage de l’homme à une moindre perfection (par la Déf. 3 des pass.), et par conséquent, elle ne se peut comprendre par l’essence même de l’homme (en vertu des Propos. 6 et 7, part. 3) ; d’où il suit (par la Déf. 2, part. 3) que c’est une affection passive qui ne dépend donc point des idées adéquates (par la Propos. 3, part. 3), et enfin que la connaissance de la tristesse ou du mal est une connaissance inadéquate (par la Propos. 29, part. 2). C. Q. F. D.
Corollaire : Il suit de là que si l’âme humaine n’avait que des idées adéquates, elle ne se formerait aucune notion du mal.
E4P68 : Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu’ils garderaient cette liberté.
Démonstration : J’ai appelé libre celui qui se gouverne par la seule raison. Quiconque, par conséquent, naît libre et reste libre n’a d’autres idées que des idées adéquates, et partant il n’a aucune idée du mal (par le Coroll. de la Propos. 64, part. 4), ni du bien (puisque le bien et le mal sont choses corrélatives). C. Q. F. D.
Scholie : Il est évident, par la Propos. 4, part. 4, que l’hypothèse contenue dans la Proposition qu’on vient de démontrer est fausse et ne peut se concevoir, si ce n’est toutefois en tant que l’on regarde seulement la nature humaine, ...
E4AppCh23 : La honte est encore un moyen de concorde, mais seulement en ce qui regarde les choses qui peuvent être cachées. Du reste, la honte étant une sorte de tristesse n’a rien à voir avec l’usage de la raison.
E5P18S : On peut objecter cependant qu’en concevant Dieu comme cause de toutes choses, nous le considérons comme cause de la tristesse. Je réponds que la tristesse, en tant que nous en concevons les causes, cesse d’être une passion (par la Propos. 3, part. 5) ; en d’autres termes (par la Propos. 59, part. 3) elle cesse d’être la tristesse ; d’ou il suit qu’en tant que nous concevons Dieu comme cause de la tristesse, nous éprouvons de la joie.
Ceci je crois nous donne toutes les réponses : une connaissance théorique n’est une connaissance que dans un sens relatif, seule la connaissance intuitive (du troisième genre) étant la connaissance vraie. Quand l’action se déroule, il n’y a aucune pensée de mal (ceci c’est avant ou après mais pas pendant) : il y a juste un faisceau de déterminants à l’œuvre dont des passions - c’est-à-dire à la base des fictions prises pour des réalités – qui ne peut pas faire autrement que se manifester. Et Spinoza dit bien par ailleurs qu’une chose est considérée bonne (aucune valeur universelle dans cette acception) simplement parce que nous la désirons.
Le Repentir est bien une passion, qui suppose avant tout de se croire auteur absolu de ses actes, et coupable alors même qu’il y avait toute liberté, et toute information possible, au moment précis de l’acte... On voit bien la contradiction là... Soit on est auteur absolu, et tout est toujours parfait ; soit on n’est pas auteur absolu, et il n’y a pas de responsabilité absolue. Ne sentez-vous pas comme aberrant de penser qu’on fait en toute conscience quelque chose qu’en toute conscience on réprouve ? !
Une question associée est : pourquoi acceptez-vous "tel-que", sans discuter, le fait de la culpabilité, et pas celui de ne pas avoir donné à un mendiant... ?
Spinoza a écrit :je veux dire que la sympathie c'est sentir l'autre comme sensible ( sensible comme je sui sensible... je n'ai pas de sympathie pour une table .. j'en ai pour des animaux et évidemment des humains.
L’Amour universel inconditionnel aime également les tables (j’ajouterais même qu’il peut considérer totalement raisonnable d’empêcher définitivement de nuire un esprit extrêmement préjudiciable à autrui, et pas du tout de détruire une table sans raison (ce qui quelque part situe l’individu humain de part et d’autre de la table, en fonction de la gravité des passions qui l’habitent...) ; mais je ne voudrais pas qu’on focalise là-dessus...)
hokousai a écrit :A l'essence de qui ou de quoi la moralité appartient- elle ?
A celle de la motivation, sinon : à celle de l'illusion.
On peut dire là que l’enjeu éthique c’est de ne pas prendre ses fictions pour des réalités. Pour le reste, la Nature s’occupe de tout (si ce n’est pas elle qui fixe la moralité spontanément, il n’y a pas de moralité du tout... ; elle n’a pas du tout besoin de notre libre-arbitre absolu, qui en plus n'existe pas.)