Spinoza et les limites du néodarwinisme

Questions philosophiques diverses sans rapport direct avec Spinoza. (Note pour les élèves de terminale : on ne fait pas ici vos dissertations).

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Babilomax
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Spinoza et les limites du néodarwinisme

Messagepar Babilomax » 01 janv. 2013, 18:49

Bonjour,

J'interviens sur ce forum afin de partager avec vous une réflexion quant à la controverse qui s'élève envers le néodarwinisme dans le monde scientifique.

Je vais détailler, mais avant tout j'aimerais insister sur le point suivant : ce n'est pas la théorie de l'évolution des espèces qui est remise en cause, mais son explication dite néodarwiniste, qui est bien connue :
Les mutations génétiques dûes au hasard et le mécanisme de sélection naturelle expliquent entièrement l'évolution des espèces.

Ce ce qui est enseigné dans les lycées et que beaucoup tiennent pour acquis ; mais vous aurez sans doute entendu parler des nouveaux arguments qui s'élèvent contre ce « dogme » :
    — les études statistiques et paléontologiques convergent pour montrer que le hasard et la lutte pour la survivance ne suffisent pas à eux seuls à expliquer l'apparition d'organismes aussi complexes que ceux que nous connaissons ; c'est possible en théorie mais avec l'hypothèse que l'évolution disposerait d'un temps infini, or la Terre a un âge fini ;
    — les mutations aléatoires du génome peuvent expliquer des micro-évolutions au sein d'une même espèce mais pas la transformation d'une espèce en une autre, qui nécessite en réalité des macromutations, c'est-à-dire un ensemble cohérent de nombreuses mutations causant l'apparition d'un organe par exemple. Or la probabilité qu'une macromutation se produise par hasard est infime, autant dire quasi nulle.
    — le néodarwinisme n'explique pas l'origine de la vie, c'est-à-dire l'apparition d'êtres autoréplicants munis d'ADN. L'énigme réside dans ce fait que les outils de traduction de l'ADN sont codés par… l'ADN. Et il absolument impossible qu'une cellule puisse être créée par hasard.


Il existe sans doute davantage d'arguments mais ceux-ci sont les plus frappants. Loin d'être des élucubrations pseudo-scientifiques à l'instar des arguments créationnistes, ce sont des objections sérieuses qui nécessitent, dans le meilleur des cas, une correction de la théorie.

D'autre part, on a constaté des cas où les mutations génétiques semblaient véritablement dirigées par un finalisme : voyez l'exemple de la bactérie nourrie au lactose dans cet article : http://www.memoireonline.com/09/08/1518/m_les-limites-de-la-vision-occidentale-du-vivant3.html.

Ce problème soulève des questions ayant trait aux limites de la science, mais aussi à la conception de la Nature.
J'en viens donc au rapport avec Spinoza : dans cet exposé, certains faits semblent mettre en évidence un finalisme dans la Nature. Or qu'en dirait Spinoza pour qui Dieu-Nature n'agit jamais en vue d'une fin ?

Un grand nombre d'auteurs partagent l'idée d'un dessein dans la Nature, bien qu'ils s'expriment avec des termes différents. Paul Diel écrivait déjà dans Psychologie de la Motivation :
L'essai théorique (Darwin) de réduire la finalité biologique à un épiphénomène plus ou moins hasardeux de la causalité, en expliquant l'évolution comme étant la conséquence du combat pour la survivance, prouve finalement, de la manière la plus éloquente, le contraire de ce qu'il voudrait prouver. La théorie ne parvient pas à remplacer la finalité par la causalité, mais à prouver que la finalité, dominant toutes les manifestations de la vie, se sert de la causalité pour aboutir à ses fins évolutives.


Devant ce vocabulaire fortement finaliste et les arguments qui précèdent, la question se pose : y a-t-il un Sens et un But ?

Cordialement.

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Messagepar hokousai » 02 janv. 2013, 01:08

http://www.spinozaetnous.org/ftopic-673-0-days0-orderasc-de.html
http://www.spinozaetnous.org/ftopic-834-0-days0-orderasc-de.html

La question est très sérieuse, je n'en disconviens pas .
Dans telles et telles conditions ( la planète terre par exemple ) on constate ce qu'on constate ( disons la vie .. sans trop savoir dire ce qu'est la vie !). La manière naturelle de l' apparition ( s'il y a apparition) et de l' évolution( à définir clairement ) est peut -être moins évidente que Darwin ne le pensait, encore que ses idées ne soient pas à rejeter absolument. Après tout la sélection naturelle a quand même paru plausible à bien des esprits affutés.
Nous ignorons beaucoup sur ces processus naturels et nous ne sommes pas près de sortir de cette ignorance.
Peut -on avoir des idées plus claires par la spéculation métaphysique? Spinoza en effet n était pas du tout fervent du finalisme.
C' est aussi que le finalisme pose autant de questions qu'il n'en résout ou semble résoudre.

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Messagepar LARRY » 02 janv. 2013, 11:17

Hokousai, ne croyez vous pas que la nécessité d'adaptation des êtres vivants à des conditions extérieures changeantes implique un finalisme qui leur permette non seulement d'être mais de persévérer dans cet être, fût-il changeant ?
Finalisme propre au monde vivant que Jacques Monod avait bien été obligé d'admettre.

Spinoza n'était pas du tout fervent du finalisme, dites vous, mais, nanti des connaissances actuelles et dans le cas restreint du vivant, pourquoi ne l'aurait il pas admis ?

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Messagepar hokousai » 02 janv. 2013, 15:04

à Larry

on en a discuté au sujet des métamorphoses du papillon . Il semble assez difficile de mettre en relation la position métaphysique de Spinoza avec les données empiriques ( pas nécessairement modernes ou actuelles même celles connues de son temps ).Spinoza ne semble pas accepter d" intellection préalable à l'acte mais pense une intellection égale à l'acte ( de Dieu ).
Persévérer ce n'est pas une finalité aux sens ou il y aurait une intention distincte du persévérer.Pas au sens ou le persévérer viserait au delà du persévérer , viserait une nature précise alors qu'il a déjà une nature précise .

L'intérieur (l' individué /la chose ) persiste en une cohérence et c'est la persistance qui fait qu'il a une cohérence ( une nature ), une cohérence sans terme échu. Le conatus est indéfini .Bien que pouvant être plus ou moins grand le conatus échappe à la divisibilité du temps. Pour Spinoza les modes existent, les choses finies existent de par cet effort de résistance à l' évanescence.
Finies sauf que leur nature n' a rien de finie dans le temps ni antérieurement ni postérieurement. La nature d'une chose (son essence) n' enveloppe ni début ni fin.
L' effort produit l 'essence et même plus il est l'essence .

Sans cet effort on est dans la variation infinie et il n y a plus de choses finies .
Pour qu'il y ait des choses ( observables ) il faut un effort de perdurance dans une stabilité . Un effort indépendante la durée, un effort qui n'a pas de durée assignée.
Les choses tiennent dans l'existence comme çà.
Spinoza admet bien une évolution de l 'animal mais causée par le jeu de forces extérieures et non causée par une programmation intérieure.
Par contraste
Dans une philosophie comme le bouddhisme les choses n' ont pas d' essence propre d' où la variabilité et ce qu'on appelle la vacuité .
L'identité des choses à elle même est une illusion
.

Maintenant le jeu des forces, le jeu des résistances peut produire des individus composés d' autres individus .(une société humaine par exemple ou une ruche ) Ce nouvel individu peut être compris comme ayant un conatus ( la vie sur terre ayant un conatus ).

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Re: Spinoza et les limites du néodarwinisme

Messagepar aldum » 02 janv. 2013, 18:57

Babilomax a écrit :Bonjour,

(......)
les études statistiques et paléontologiques convergent pour montrer que le hasard et la lutte pour la survivance ne suffisent pas à eux seuls à expliquer l'apparition d'organismes aussi complexes que ceux que nous connaissons ; c'est possible en théorie mais avec l'hypothèse que l'évolution disposerait d'un temps infini, or la Terre a un âge fini ;

(.....)
J'en viens donc au rapport avec Spinoza : dans cet exposé, certains faits semblent mettre en évidence un finalisme dans la Nature. Or qu'en dirait Spinoza pour qui Dieu-Nature n'agit jamais en vue d'une fin ?




Un des arguments en faveur du finalisme consiste dans le recours aux probabilités ; mais plus encore que d'autres, cet argument me semble procéder d'une illusion, elle-même due à des problèmes mal posés ; pour s'en tenir ici à ce seul argument (nécessité du finalisme démontrée par les calculs de probabilité) peut-on dire que :

si le monde, ou le réel, est l'ensemble des évènements qui ont lieu, il se passe nécessairement quelque chose ; ce quelque chose, qui a lieu, nous le soumettons à une analyse rétrospective, qui consiste, par la pensée, à partir d'un point origine ( p.ex. le big bang comme paradigme pour la science contemporaine) à reconstituer l'ensemble des étapes qu'il a fallu franchir pour parvenir au monde que nous observons aujourd'hui ; mais, ce faisant, nous ne réalisons pas que ce monde actuel, nous l'imaginons comme étant « en puissance » dès l'origine, c'est-à-dire tel qu'il est devenu, et que pour nous il avait à devenir ; puis, en « combinant» les « probabilités », à toutes les étapes qu'on voudra, pour que tel événement hautement improbable se produise, nous en concluons que jamais le temps disponible ne peut coincider avec le temps nécessaire pour que toutes les combinaisons requises aient pu se produire ; mais ce que nous évoquons alors est la probabilité qu'un événement particulier se réalise, et non pas qu'un événement « quelconque » survienne, (avec, lui, 100 % de chance qu'il y parvienne) et sans avoir conscience de confondre, ce faisant, probabilité et prédictibilité (dans le cas d'un événement particulier); on peut illustrer ça par un exemple d'une simplicité extrême : une tombola, avec un numero attribué à chacun de ses participants, et quel qu'en soit le nombre, après tirage au sort d'un n° compris entre 1 et le nombre de participants, aura 100% de chance d'avoir un gagnant ; par contre, prévoir, avant le tirage, le n° qui sortira, relève bien, lui, d'un calcul de probabilité (1 chance sur le nombre de participants) et c'est bien ce dernier scénario qui nous impressionne ;

la tentation du finalisme est forte associée à la réflexion sur les phénomènes, spécialement les phénomènes vitaux ; il va de soi que l'idée d'un projet intelligent et des économies de temps qu'il réalise en rationalisant les processus évolutifs, soit de nature à plaider pour un argument finaliste, mais qui reste à mes yeux un argument paresseux ; à tout le moins un argument «  faute de mieux «  
Spinoza aurait, à la suite de l'appendice d'E1, réfuté les arguments finalistes, probablement rattachés pour lui à l'imagination; reste à en tenter une formalisation adaptée aux questions d'aujourd'hui...

mais bien d'accord, malgré tout, pour admettre les difficultés posées, par ailleurs, par les théories de l'évolution ;
on peut signaler, sur ce thème passionnant, l'essai de F.Kaplan : « La biologie, entre Dieu et Darwin »

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Messagepar LARRY » 04 janv. 2013, 12:26

à Hokousai

Si la nature d'une chose n'enveloppe ni début ni fin il paraît incongru en effet de parler de finalisme... Je reconnais volontiers mon erreur, mais le monde vivant, comparé au monde extérieur, est quand même très singulier...

Ce que je voulais dire c'est que la persévérance dans l'être du monde vivant implique une constante adaptation aux conditions externes ; ainsi, par exemple, un organe d'être vivant a pu se transformer POUR répondre à un besoin d'adaptation dont dépendait sa survie. Mais il s'agit, sans doute, d'un pur fonctionnalisme, une manifestation de la causalité, sans qu'aucune fin, aucun changement n'aient été pré-établis...

Pas de finalité, non plus, évidemment, dans la nature d'une chose non vivante, mais on n'y voit aucun d'effort d'adaptation aux conditions extérieures et le rocher détruit par la mer n'est plus un rocher mais un tas de cailloux...
On peut juste dire que la matière dont il est fait continue d'être, mais autrement...

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Messagepar hokousai » 04 janv. 2013, 17:26

à Larry

mais le monde vivant, comparé au monde extérieur, est quand même très singulier...

Je suis fasciné par les cristaux de neige et la cristallisation en général. Il semble bien y avoir une auto organisation.


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