bardamu a écrit :Quel genre de connaissance faut-il pour tirer une preuve de l'essence d'une chose particulière ? N'est-ce pas une connaissance adéquate ?
Ne faut-il pas une connaissance adéquate de l'essence de telle ou telle chose particulière pour en tirer une preuve de la dépendance à Dieu ?
Selon moi, non. Et l'exemple pris par Spinoza n'est pas anodin de ce point de vue : il a trait au point le plus important de toute l'
Ethique : toute chose doit être vue en Dieu, et non en elle-même, et ce en toute circonstance. Ce seul point - vu en vérité : vécu (et c'est alors le troisième genre) - est "de diamant."
L'essence d'une chose est ce qu'elle est, ce qui se comprend assez bien s'agissant d'une chose singulière existante. Ce qui se comprend tout aussi bien, c'est que je ne connais pas cette nature avec une infinie précision, loin s'en faut ; c'est une connaissance floue. J'ajoute à titre personnel, que je ne peux pas la distinguer absolument de la matière dont elle est faite, ni de l'environnement qui interagit en permanence avec elle et la maintien autant qu'il l'attaque, etc. En conséquence de tout cela, je ne peux pas la connaître non plus si je ne la vois pas pleinement comme mode de la Nature, mais comme étant en elle-même. Pour moi, il n'y a rien de plus opposé à l'individualisme et à la débauche que Spinoza, même si tout le monde semble y trouver son compte...
J'en viens au fait. Si je regarde cet arbre en face de moi, il est bien clair que je ne connais son essence que de façon très imparfaite. Mais il y a une chose qui reste infailliblement : je le perçois comme existant en acte (quel qu'il soit dans le détail) - et ceci Spinoza le dit -, et si je le perçois en même temps comme mode d'expression de Dieu-la Nature, alors ceci est adéquat, et selon le troisième genre. J'ai donc une connaissance du troisième genre alors même que j'ai une connaissance floue de l'essence singulière que j'ai en face de moi.
Pour revenir au thème général, ce n'est pas tant l'absence de connaissance adéquate de l'essence des choses singulières qui est mon point central (c'en est plutôt une conséquence), c'est :
Ce qu'il y a à connaître selon le troisième genre est désigné par le deuxième genre
Et sans mésestimer en aucune façon la valeur de mes interlocuteurs, je dois dire en mon ressenti personnel pur, que toute autre idée est absolument ridicule, grotesque, selon moi.
Spinoza développe toute l'
Ethique selon le deuxième genre (forcément), et ce forcément à base de notions générales. Or avec une lecture sommaire de E2P40S, toute notion générale ne serait que de l'imagination (et on sait ce que Spinoza en dit lui-même.) Contradiction performative flagrante du susdit ! En fait Spinoza - cet esprit d'une perspicacité exceptionnelle, rigoureux, honnête, travailleur infatigable de l'esprit, porté vers l'essentiel de l'essentiel... - amuse le bon peuple comme d'autres lui fournissent des grilles de mots croisés, pour lui permettre la joie de la découverte (!!!) Lorsqu'il dit "les démonstrations sont les yeux de l'esprit" et pas mal d'autres choses en confirmation ? Rien à cirer ! "C'est du deuxième genre..." Comme si dire cela constituait un argument, fut-ce le plus infime !
Et tout cela pour quoi ? Dire qu'il existe
LE TROISIEME GENRE, dont on répète la définition générale sans savoir exactement ce qu'elle signifie, dont on dit que l'exemple des proportions n'est pas clair, et pour achever la bête on envoie cul par dessus tête E5P36S, si bien qu'il ne reste plus rien de tangible... Voilà ce qu'est censé avoir fourni de plus haut Spinoza : rêver à un troisième genre dont on ne sait rien. Beau coffret que l'
Ethique avec toutes ses définitions, ses notions communes (axiomes), ses démonstrations, ... pour nous couver cela. Même si à ce compte, Spinoza aurait pu faire tenir l'
Ethique sur un quart de feuillet :
Ah, le TROISIEME GENRE !
C'est quoi le troisième genre ?
Quand tu vois les choses singulières par le troisième genre, tu possèdes la PUISSANCE DE L'ESPRIT.
Qu'est-ce que l'on ressent avec la puissance de l'esprit ?
Cela apporte la félicité infinie et permanente, la BEATITUDE...
Ah ouaai, Supeer !
Bon là Spinoza aurait évité aussi la dernière proposition où il parle de "voie qu'il a montré" et qui est difficile.
Pour revenir à E5P36S, même si d'aventure la connaissance de la chose singulière était adéquate, cela ne changerait pas le fond. Et ce fond saute aux yeux à tel point que je me demande comment la recherche d'érudition peut conduire à l'aveuglement le plus obtus :
Le propos de Spinoza est, le plus explicitement du monde, de comparer en qualité les connaissances du deuxième et du troisième genre. Pour cela il faut bien déjà qu'elles parlent de la même chose, même selon des voies différentes, non ? (Spinoza dit plusieurs fois en outre que les deux connaissances des deuxième et troisième genres sont adéquates, autrement dit vraies ; pas d'imagination là-dedans.) Ensuite il dit "la même conclusion" au sujet du troisième genre par rapport au deuxième. Ce n'est pas de plus infinie clarté cela, ou me suis-je téléporté sur Mars en croyant que les martiens parlaient français ?
Et en prime, ce qu'il y a à voir n'est pas une essence singulière, mais une loi (comme il ne peut en être autrement selon le deuxième genre.) Mais on peut voir une loi à l'œuvre dans une chose singulière existant en acte, puisque cette loi concerne
réellement toutes les choses singulières existant en acte. Le général est vu vivant dans le particulier ; c'est cela le troisième genre. Et il ne peut en être autrement.
Amicalement
Serge
Connais-toi toi-même.