C’est bizarre cette incompréhension sur "faire sens".
Vous pouvez même dire « Bizarre, bizarre » car je ne comprends pas mieux « faire du sens ».
Dire que l’amour n’a pas tout à fait le même sens pour deux individus différents : certes mais je comprends cela en disant que ces individus désignent, par le même mot, deux choses différentes. Ce n’est pas l’amour qui n’a pas le même sens pour les deux individus mais le mot « amour ».
A propos du « big bang », ce que je crois comprendre, c’est que vous dites que face à un événement donné, deux individus lui donneront un sens différent, c’est-à-dire l’interpréteront différemment.
Sans doute, mais nous sommes alors dans l’interprétation, c’est-à-dire dans quelque chose qui relève de l’imagination, la connaissance du premier genre selon Spinoza.
Commentant E II 18 sc., Pierre Macherey écrit :
« Pour la perception et ses représentations imaginaires, tout n’est que signes, signes de signes, sans que rien ne vienne interrompre définitivement cette chaîne de significations, de manière à la fixer distinctement sur une seule chose déterminée par les conditions de sa seule nature : dans le monde de l’imagination, il n’y a de place que pour des interprétations. » (Introduction … II p. 190)
Nous sommes dans la vieille querelle entre explication et interprétation (voir le texte cité en bas de page).
Spinoza cherche à expliquer un évènement par ses causes, c’est-à-dire à le connaître rationnellement mais il ne l’interprète pas, ne lui cherche pas un sens, ce qui relèverait de l’imagination qui n’est pas une connaissance rationnelle.
Vous écrivez :
« Reste le terme de "vérité" qui peut être entendu de deux façons : soit un savoir, soit un discours qui ne soit pas faux (c’est très différent). Un savoir est effectivement de l’ordre du "c’est comme ça et pas autrement" ; un discours qui ne soit pas faux est par contre simplement un discours irréfutable par le raisonnement. »
Karl Popper a distingué les savoirs scientifiques, c’est-à-dire les systèmes de propositions réfutables par l’expérience (falsifiables) et les systèmes de propositions non falsifiables, qu’il appelle métaphysiques. Il écrit :
« Si l’on considère à présent une théorie comme la solution que l’on se propose d’apporter à un ensemble de problèmes, cette théorie se prête alors immédiatement à la discussion critique, quand bien même elle serait non empirique et irréfutable. Car nous pouvons désormais poser des questions comme celles-ci : est-ce que la théorie résout effectivement le problème ? Le résout-elle mieux que ne font d’autres théories ? S’est-elle, éventuellement, contentée de déplacer celui-ci ? Est-elle simple ? Est-elle féconde ? » (Conjectures et réfutations p. 296)
On voit donc qu’entre deux discours irréfutables par le raisonnement, on peut avoir de bonnes raisons de préférer l’un à l’autre.
Note :
http://www.maphilo.net/interpretation-cours.html« L’interprétation acquiert un rôle de premier ordre avec Dilthey, auteur de la célèbre distinction entre sciences naturelles et sciences de l’esprit du point de vue de leurs procédés, l’explication et la compréhension. Les sciences naturelles expliquent les phénomènes en leur appliquant des lois générales, en les ramenant à leurs causes physiques, c’est-à-dire en subsumant le singulier sous l’universel. Les sciences de l’esprit s’attachent au contraire à comprendre les phénomènes (historiques, psychiques, etc.), à en saisir l’unité de sens, l’intention, la raison. C’est la conscience qui est leur objet. Dilthey écrit : « Nous appelons compréhension, le processus par lequel nous connaissons un « intérieur » à l’aide de signes perçus de l’extérieur ». Cette compréhension ne va pas sans interprétation. Celle-ci est « la compréhension intentionnelle des manifestations de la vie qui sont établies de manière durable ». Étant donné que c’est dans la langue (et l’écriture) que cette manifestation est la plus parfaite, l’interprétation trouve son plus grand accomplissement dans l’étude des textes, et avant tout des textes historiques. De plus, la vie étant, selon Dilthey, « déjà elle-même sa propre interprétation » (elle se donne un sens), les sciences de l’esprit sont engagées dans un cercle herméneutique inaccessible aux méthodes des sciences naturelles. Notons enfin que la compréhension et l’interprétation, loin de se réduire à « l’arbitraire romantique » et au « subjectivisme sceptique », prétendent à la certitude, à la validité universelle des connaissances qu’elles produisent. »