E1P4 et E1P5

Forum consacré à une traduction nouvelle de l'Ethique.
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bardamu
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E1P4 et E1P5

Messagepar bardamu » 19 févr. 2005, 23:59

Avançons...
PROPOSITIO IV. Duae aut plures res distinctae vel inter se distinguuntur ex diversitate attributorum substantiarum, vel ex diversitate earundem affectionum.
DEMONSTRATIO. Omnia, quae sunt, vel in se, vel in alio sunt (per axiom. 1.), hoc est (per defin. 3. et 5.) extra intellectum nihil datur praeter substantias earumque affectiones. Nihil ergo extra intellectum datur, per quod plures res distingui inter se possunt praeter substantias, sive quod idem est (per defin. 4.) earum attributa earumque affectiones. Q. E. D.


Proposition IV
Deux ou plusieurs choses distinctes sont distinguées entre elles ou bien par la diversité des attributs de leurs substances ou bien par la diversité des affections de celles-ci.

Démonstration
Tout ce qui est, est ou bien en soi, ou bien en autre chose (par l'axiome 1), c'est-à-dire (par les def. 3 et 5) que rien n'est donné hors de l'intellect sauf des substances et leurs affections. Donc rien n'est donné hors de l'intellect par quoi plusieurs choses puissent se distinguer entre elles sauf des substances, ou ce qui revient au même (par la def. 4) les attributs et les affections de celles-ci. C.Q.F.D.


"vel... vel..." : traduit par "ou bien... ou bien" comme ce qui avait été fait pour l'axiome 1, même si je trouve que c'est ici un peu lourd.

per defin. 3. et 5. : j'ai pris l'abbréviation "déf." qui me semble correspondre au français bien que je n'ai pas connaissance d'une règle sur ce sujet.

praeter : sauf. J'ai hésité avec "sinon".

quod idem est : ce qui revient au même. Saisset et Appuhn sont d'accord sur cette traduction. J'ai pas trouvé mieux.

----------------------------------------
PROPOSITIO V. In rerum natura non possunt dari duae aut plures substantiae eiusdem naturae sive attributi.
DEMONSTRATIO. Si darentur plures distinctae, deberent inter se distingui vel ex diversitate attributorum, vel ex diversitate affectionum (per prop. praeced.). Si tantum ex diversitate attributorum, concedetur ergo, non dari nisi unam eiusdem attributi. At si ex diversitate affectionum, cum substantia sit prior natura suis affectionibus (per prop. 1.), depositis ergo affectionibus et in se considerata, hoc est (per defin. 3. et axiom. 6.) vere considerata, non poterit concipi ab alia distingui, hoc est (per prop. praeced.) non poterunt dari plures, sed tantum una. Q. E. D.


Proposition V
Au sein de la nature, il ne peut y avoir deux ou plusieurs substances de même nature ou attribut.

Démonstration
Si il y en avait plusieurs de distinctes, elles se distingueraient entre elles ou bien par la diversité de leurs attributs ou bien par la diversité de leurs affections (par la prop. précédente). Si c'est par la diversité des attributs, on accorde donc qu'il n'y en n'a qu'une par attribut.
Si c'est par la diversité des affections, puisque une substance précède par nature ses affections (par la prop. 1) ses affections sont mises de côté pour considérer la substance en elle-même, c'est-à-dire (par def. 3 et axiome 6) pour la considérer véritablement, et on ne pourra donc la concevoir comme se distinguant d'une autre, c'est-à-dire (par la prop. préc.) qu'il ne pourra y en avoir plusieurs mais seulement une. C.Q.F.D.


In rerum natura : il s'agit d'une locution que G. Louïse traduit par "dans tout ce qui existe, dans la réalité" (Cf. http://glouise.club.fr/N.htm ). Appuhn traduit "dans la nature" et Saisset dit "dans la nature des choses".
La version de Saisset me semble mauvaise puisqu'elle perd le sens extensif de la locution pour en faire quelque chose de qualitatif. Le sens qualitatif se retrouverait dans un usage de "rerum natura" en complément d'objet.
J'ai choisi "au sein de la nature" en pensant que cela rendait un peu plus que "dans", l'idée de nature comme composition de choses et pour pouvoir marquer la différence avec "in natura". On retrouvera les deux expressions l'une après l'autre dans dans E1P8 scolie 2 :
"His positis sequitur, quod, si in natura certus aliquis numerus individuorum existat, debeat necessario dari causa, cur illa individua et cur non plura nec pauciora existunt. Si ex. gr. in rerum natura viginti homines existant etc."

"substantia sit prior natura suis affectionibus" : reprise de la traduction de la proposition 1. (à noter dans le lexique que "prior est" et ses dérivés sont traduits par "précéder")

"depositis" : mises de côté. Saisset dit "en faisant abstraction", Appuhn dit "mettant à part".

"ergo" : j'ai déplacé le "donc" pour construire une logique plus linéaire :
puisque la substance précède ses affections, on ne prend pas en considération celles-ci et donc on ne peut distinguer deux substances par leurs affections.

"vere" : véritablement. Appuhn dit "en vérité", Saisset dit "selon sa véritable nature". Je trouvais que "en vérité" avait un petit côté évangélique qui ne collait pas au style qu'on développe, mais c'est à voir.

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Messagepar Miam » 21 févr. 2005, 14:09

:)
Salut Bardamu.
Cela fait longtemps mais on ne peut pas tout faire.
Est-ce que traduire par "au sein de la nature" n'empêche pas le lecteur de se référer au " de rerum natura" de Lucrèce s'il n'a pas de texte latin ? Il y a beaucoup de "rerum natura" dans l'Ethique et cette insistance semble contraindre à cette référence.
Quant au reste, je ne sais pas encore. Je viens de prendre connaissance de ton message.

Pour l'instant j'examine le "background" de Spinoza à la Renaissance (Bruno, Campanella, La Peyreire, Léon l'Hébreux, etc..). C'est assez intéressant pour comprendre l'épistémologie spinozienne et l'anticipation des sciences post-relativistes. Il n'y a pas que nous (? enfin au moins moi) qui avons cette lecture. De nouveaux travaux sur la Renaissance et le début de l'âge classique semble étayer cela. Entre autre une Italienne qui écrit dans la revue philo américaine du Mid-West. Il y s'agit de Campanella. Mais celui-ci a certainement eu quelque influence sur Spinoza.

Je trouve que,d'une manière générale, on parle assez peu de l'épistémologie renaissante, sauf comme repoussoir ou comme anticipation de la science moderne. Mais dans ce cas on dénigre péremptoirement tout ce qui ne s'accorde pas à la science moderne. Quand je dis moderne, je veux dire qui précède les interrogations post-relativistes (dont la physique quantique : du reste je déguste également Bitbol : très intéressant!).

C'est pas l'endroit pour parler de cela. Je m'excuse auprès des administrateurs. C juste pour ne pas engager un nouveau sujet pour rien. Si cela t'intéresses j'y reviendrai.

A bientôt

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Messagepar bardamu » 21 févr. 2005, 22:55

Miam a écrit ::)
Salut Bardamu.
Cela fait longtemps mais on ne peut pas tout faire.
Est-ce que traduire par "au sein de la nature" n'empêche pas le lecteur de se référer au " de rerum natura" de Lucrèce s'il n'a pas de texte latin ? Il y a beaucoup de "rerum natura" dans l'Ethique et cette insistance semble contraindre à cette référence.

Justement, à ce qu'il semble, "De rerum natura" doit être traduit "De la nature" et pas "De la nature des choses".
J'ai lu sur ce site http://www.abnihilo.com/ que : "Les Latins ne disaient jamais natura pour signifier la nature, ils ajoutaient toujours le mot rerum, c'est-à-dire des choses. Mais, en français, natura rerum doit se traduire par : la nature."

G. Louïse donne plusieurs cas, selon la position de "rerum natura".
Il s'agit donc ici de différencier "in natura" de "in rerum natura".
Par contre, "rerum natura" en complément d'objet signifierait effectivement "la nature des choses".

Mon idée est donc d'essayer de retrouver la connotation pluraliste de l'expression tout en traduisant sans le faux-sens de "nature des choses". A la limite, il faudrait peut-être dire : "les choses naturelles" ou "les choses de la nature".

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Messagepar Miam » 23 févr. 2005, 13:01

Si je comprends bien tu veux éviter qu'on entende "dans la nature des choses" comme "dans l'essence des choses" ou comme plus sîmplement "dans la Nature". Je pense aussi que l'on devrait alors traduire le "sens" de l'expression par "dans les choses de la nature". Et tant pis pour la référence des signifiants au titre de Lucrèce. Mais pourquoi la même locution devrait-elle changer de sens selon, non pas sa nature, mais sa fonction grammaticale? Pourquoi traduire alors littéralement par "la nature des choses" lorsqu'elle est objet direct? Parce qu'il s'agit alors en effet de l'essence des choses? Je ne crois pas, puisque, comme tu le dis, "natura rerum" a le sens du français "nature" ou "choses de la nature" même si la traduction littérale demeure "la nature des choses". Enfin bon: ce n'est peut-être pas très important mais il faut justifier cette différence de traduction.

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Messagepar bardamu » 24 févr. 2005, 00:01

Miam a écrit :(...) Mais pourquoi la même locution devrait-elle changer de sens selon, non pas sa nature, mais sa fonction grammaticale? Pourquoi traduire alors littéralement par "la nature des choses" lorsqu'elle est objet direct? Parce qu'il s'agit alors en effet de l'essence des choses? Je ne crois pas, puisque, comme tu le dis, "natura rerum" a le sens du français "nature" ou "choses de la nature" même si la traduction littérale demeure "la nature des choses". Enfin bon: ce n'est peut-être pas très important mais il faut justifier cette différence de traduction.

Y'a-t-il un latiniste distingué dans la salle ?
Je ne peux pas t'en dire plus que les références que j'ai donné dans mes messages précédent. Si effectivement "In rerum natura" est une expression classique du latin pour désigner tout ce qui est dans la nature, je pense qu'il faut le prendre ne compte.
Et E1P8 scolie 2 semble aller dans ce sens :
"His positis sequitur, quod, si in natura certus aliquis numerus individuorum existat, debeat necessario dari causa, cur illa individua et cur non plura nec pauciora existunt. Si ex. gr. in rerum natura viginti homines existant etc."
Là, Spinoza peut difficilement utiliser "in rerum natura" dans un sens qualitatif. Dans la nature des choses il y aurait 20 hommes ?

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Messagepar Miam » 24 févr. 2005, 15:28

Je suis bien d'accord. Mais pourquoi revenir à la traduction littérale "la nature des choses" lorsque le syntagme est complément d'objet (direct ou indirect : il y aurait alors des "rerum naturam" ou "rerum naturae"?) et non plus circonstantiel ?

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Messagepar bardamu » 24 févr. 2005, 23:22

Miam a écrit :Je suis bien d'accord. Mais pourquoi revenir à la traduction littérale "la nature des choses" lorsque le syntagme est complément d'objet (direct ou indirect : il y aurait alors des "rerum naturam" ou "rerum naturae"?) et non plus circonstantiel ?

Parce que en complément d'objet ce n'est pas l'expression in-rerum-natura puisque c'est "rerum natura".
C'est la même différence qu'entre c'est-à-dire et c'est à dire.
Que "in rerum natura" est une locution, c'est à dire et à redire !
A moins qu'un latiniste vienne nous dire le contraire...

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Messagepar Miam » 25 févr. 2005, 10:37

Là franchement, je ne comprends pas. Si je dis "dans la maison de mon fère" et "par la maison de mon frère", il ne s'agit pas de la même maison? Si je dis "dans la nature des choses" et "par la nature des choses", il ne s'agit pas de la même nature ? Et si je dis "dans les choses de la nature" et "par les choses de la nature", il ne s'agit pas des mêmes choses ? 8O :?: Peux-tu trouver un exemple de "rerum natura" qui soit complément d'objet et nécessite la traduction "la nature des choses" plutôt que "les choses de la nature" que tu emploies lorsque le syntagme est précédé de "in" (because je n'ai pas le texte ici à la campagne et je suppose que tu les as déjà repérés), sans quoi je ne saurais comprendre la nécessité de deux traductions différentes du même syntagme nominal. C'est ce que je nommais "justifier la traduction".

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Messagepar bardamu » 25 févr. 2005, 22:34

Miam a écrit :Là franchement, je ne comprends pas. Si je dis "dans la maison de mon fère" et "par la maison de mon frère", il ne s'agit pas de la même maison? Si je dis "dans la nature des choses" et "par la nature des choses", il ne s'agit pas de la même nature ? Et si je dis "dans les choses de la nature" et "par les choses de la nature", il ne s'agit pas des mêmes choses ? 8O :?: Peux-tu trouver un exemple de "rerum natura" qui soit complément d'objet et nécessite la traduction "la nature des choses" plutôt que "les choses de la nature" que tu emploies lorsque le syntagme est précédé de "in" (because je n'ai pas le texte ici à la campagne et je suppose que tu les as déjà repérés), sans quoi je ne saurais comprendre la nécessité de deux traductions différentes du même syntagme nominal. C'est ce que je nommais "justifier la traduction".

Apparement il s'agit d'une locution, d'une expression particulière. Personnellement je n'ai aucune connaissance des tournures latines et ici je fais confiance à Appuhn et Louise.
Saisset et peut-être d'autres traduisent "dans la nature des choses" mais je ne suis apte qu'à choisir entre lui et Louïse qui semble insister sur une différence. Spontanément, j'aurais sans doute traduit "dans la nature des choses" mais si il y a effectivement des habitudes chez les Latins il faut sans doute les prendre en compte.

Je remets in extenso la source de mes remarques ( http://glouise.club.fr/N.htm , article Natura ):


in rerum natura : dans tout ce qui existe (dans la réalité).

in rerum natura non possunt dari duæ aut plures substantiæ ejusdem naturæ sive attributi, dans tout ce qui existe il ne peut pas y avoir deux ou plusieurs substances de même nature ou attribut.

nam in rerum natura nihil datur præter substantias earumque affectiones, car dans tout ce qui existe il n'y a que des substances et leurs affections. in rerum natura nullum datur contingens, dans tout ce qui existe il n'y a rien de contingent.

rerum natura (comme complément d'objet des verbes demonstrare, intelligere, explicare, involvere) : la nature des choses.

est enim nihil aliud quam quædam concatenatio idearum naturam rerum quæ extra corpus humanum sunt involventium, quæ in mente fit secundum ordinem et concatenationem affectionum corporis humani,[la mémoire] n'est en effet rien d'autre qu'un certain enchaînement d'idées enveloppant la nature des choses qui sont hors du corps humain, lequel se fait dans l'esprit selon l'ordre et l'enchaînement des affections du corps humain.

dico primo concatenationem esse illarum tantum idearum quæ naturam rerum quæ extra corpus humanum sunt, involvunt, non autem idearum quæ earundem rerum naturam explicant, je dis premièrement que [la mémoire] n'est un enchaînement que de ces idées qui enveloppent la nature des choses qui sont à l'extérieur du corps humain et non pas des idées qui expliquent la nature de ces mêmes choses.

unde has formare debuerunt notiones quibus rerum naturas explicarent, d'où ils durent former ces notions grâce auxquelles ils étaient susceptibles d'expliquer les natures des choses.

ii qui rerum naturam non intelligunt sed res tantummodo imaginantur, ceux qui ne comprennent pas la nature des choses mais imaginent seulement les choses.

atque adeo una eademque etiam debet esse ratio rerum qualiumcunque naturam intelligendi nempe per leges et regulas naturæ universales, et par suite il doit aussi n'y avoir qu'une seule et même façon de comprendre la nature des choses, quelles qu'elles soient, à savoir par les lois et les règles universelles de la nature.

quod hic in transitu monere volui ne quis putaret me hic hominum vitia et absurda facta narrare, non autem rerum naturam et proprietates demonstrare voluisse, ce que j'ai voulu faire observer ici au passage pour qu'on n'aille pas croire que j'ai voulu parler ici des vices et des actes absurdes des humains et non démontrer la nature et les propriétés des choses.

rerum natura (comme sujet du verbe exigere ou objet du verbe facere) : la nature.
quamvis supponeretur quod Deus aliam rerum naturam fecisset, même en supposant que Dieu eût fait autrement la nature [littéralement, eût fait autre la nature].

hinc sequitur hominem necessario passionibus esse semper obnoxium communemque Naturæ ordinem sequi et eidem parere seseque eidem quantum rerum natura exigit, accommodare, il s'ensuit que l'humain nécessairement est toujours sujet aux passions et suit l'ordre commun de la Nature et lui obéit et s'y adapte autant que l'exige la nature.

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Messagepar Miam » 26 févr. 2005, 12:41

Tu as raison. Et ce problème de traduction n'est pas dénué d'intérêt. Car il s'agit bien toujours du même syntagme "rerum natura" dont le sens change selon la locution. Le syntagme fait pourtant référence au titre de Lucrèce. Mais la traduction ne le montre pas. Cela montre qu'il faut lire Spinoza en Latin.

Il semble que les quatre traductions de Louise se ramènent à deux acceptions. On peut je crois assimiler les sens de "la nature", "tout ce qui existe" et "les choses de la nature". Par contre cette acception diffère de celle de la traduction littérale du titre de Lucrèce : "la nature des choses". Celle-ci par l'usage d'"envelopper" s'assimile chez Spinoza à la "nature de la chose" dans son acception cartésienne de même que l'idée d'une affection enveloppe "la nature du corps extérieur". C'est pourquoi je pense que cette ambiguité est expressément assumée par Spinoza dans la mesure où elle reflète le passage de la notion de nature comme phusis chez les présocratiques (développement et logos-mesure), puis chez Aristote (développement hylémorphique vers l'eidos) où il se rapproche déjà de la "nature-essence" catésienne, jusqu' à Descartes qui oppose explicitement la Nature (celle-là même qui nous "dicte" en régime d'union confuse de l'âme et du corps, au moyen de nos sentiments (méditation 6)) et la "nature de la chose" (idée claire et distincte). Descartes oublie la phusis. Spinoza non. Et c'est pourquoi (je pense), en assumant cette ambiguité et l'évolution du concept, il insiste sur la dépendance de la "nature des choses" ou "de la chose" vis à vis de la nature comme phusis, puisque cette nature résulte de l'appréhension d'une essence, entendue comme degré de puissance de la Nature comme phusis. Une question demeure cependant : faut-il distinguer "Nature" majuscule et "nature" minuscule même lorsque cette dernière (dans son acception "tout ce qui existe", "nature", "choses de la nature") semble s'y assimiler ? Spinoza joue beaucoup sur les majuscules. D'une manière générale, comme on le voit précisément ici, il joue sur les signifiants pour exprimer un sens (fût-ce l'évolution de la notion de "nature") que la notion n'exprime pas d'elle-même. Dans ce cas on ne saurait sans danger traduire "rerum natura" par "nature", comme le fait Louise. Si j'ai bien compris tu rejettes également une telle traduction. Mais cela ne nous permet toujours pas de distinguer "Nature" et "nature" lorsque ce dernier terme signifie "tout ce qui existe" ou "les choses de la nature"... à moins qu'il ne s'agisse de distinguer la nature naturante et la nature naturée. Hélas Natura naturans et Natura naturata prennent tout deux des majuscules dans le texte. Il faudrait comparer l'usage de "Nature" et de "nature" lorsque celle-ci apparaît seule (sans rerum) tout en répondant à l'acception "tout ce qui existe". Encore faut-il être en possession d'un texte latin qui respecte les jeux de signifiants spinozistes, dont l'usage des majuscules. Ce n'est pas toujours le cas. Je ne suis même pas sûr que le texte latin d'Appuhn fait apparaître toutes les majuscules du texte latin original. Mais au moins il fait apparaître dans la traduction celles qu'il reproduit dans le texte latin.


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