(traduction) Ethique I, définitions I à VIII

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Henrique
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(traduction) Ethique I, définitions I à VIII

Messagepar Henrique » 06 déc. 2004, 14:54

E T H I C E S

P A R S P R I M A

DE DEO.

DEFINITIONES.


ETHIQUE
Première partie
DE DIEU.

Définitions

I. Per c a u s a m s u i intelligo id, cuius essentia involvit existentiam, sive id, cuius natura non potest concipi nisi existens.
II. Ea r e s dicitur i n s u o g e n e r e f i n i t a , quae alia eiusdem naturae terminari potest. Ex. gr. corpus dicitur finitum, quia aliud semper maius concipimus. Sic cogitatio alia cogitatione terminatur. At corpus non terminatur cogitatione, nec cogitatio corpore.


SN :
I. Par cause de soi, je comprends ce dont l'essence enveloppe l'existence, en d'autres termes, ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.

II. Une chose est dite finie en son genre lorsqu'elle peut être limitée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit fini parce que nous pouvons toujours en concevoir un autre plus grand. De même, une cogitation est limitée par une autre cogitation. Mais un corps n'est pas limité par une cogitation, ni une cogitation par un corps.

[- intelligere : on a dit "comprendre" ; intellectus = intellect.
- Peut-on raisonnablement traduire cogitatio par cogitation ? A la relecture, je ne trouve pas cela si choquant, tout le monde connaît ce terme et il sonne assez bien avec corps
]

III. Per s u b s t a n t i a m intelligo id quod in se est et per se concipitur; hoc est id cuius conceptus non indiget conceptu alterius rei, a quo formari debeat.
IV. Per a t t r i b u t u m intelligo id quod intellectus de substantia percipit tamquam eiusdem essentiam constituens.
V. Per m o d u m intelligo substantiae affectiones, sive id quod in alio est, per quod etiam concipitur.


III. Par susbtance, je comprends ce qui est en soi et se conçoit par soi, c'est-à-dire ce dont le concept n'a pas besoin du concept d'une autre chose pour être formé.

IV. Par attribut, je comprends ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence.

V. Par mode, je comprends les affections d'une substance, en d'autres termes, ce qui est en autre chose et se conçoit également par cette autre chose.

[Alors on garde "mode" ? Faut-il privilégier un mot qui ne signifie pas grand chose dans le langage courant, à part "la mode", mais qui est cependant riche de dérivés : modification, modalité, se modifier, modal, modèle, modeler etc. J'avais pensé à "façon d'être" ou "état" mais...]

VI. Per D e u m intelligo ens absolute infinitum, hoc est, substantiam constantem infinitis attributis, quorum unumquodque aeternam et infinitam essentiam exprimit.
EXPLICATIO. Dico absolute infinitum, non autem in suo genere. Quicquid enim in suo genere tantum infinitum est, infinita de eo attributa negare possumus; quod autem absolute infinitum est, ad eius essentiam pertinet, quicquid essentiam exprimit et negationem nullam involvit.

VI. Par Dieu, j'entends un étant absolument infini, c'est-à-dire, une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.
Explication. Je dis absolument infini, et non pas infini en son genre car nous pouvons nier une infinité d'attributs de ce qui est seulement infini en son genre ; alors que tout ce qui exprime une essence et n'enveloppe aucune négation se rapporte à l'essence de ce qui est absolument infini.

[Pertinet : non "appartient à" mais "se rapporte à"]

VII. Ea r e s l i b e r a dicetur, quae ex sola suae naturae necessitate existit et a se sola ad agendum determinatur: n e c e s s a r i a autem, vel potius c o a c t a , quae ab alio determinatur ad existendum et operandum certa ac determinata ratione.
VIII. Per a e t e r n i t a t e m intelligo ipsam existentiam, quatenus ex sola rei aeternae definitione necessario sequi concipitur.
EXPLICATIO. Talis enim existentia, ut aeterna veritas, sicut rei essentia, concipitur, proptereaque per durationem aut tempus explicari non potest, tametsi duratio principio et fine carere concipiatur.


VII. Une chose est dite libre lorsqu'elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée que par elle-même à agir. On appelle au contraire nécessaire, ou plutôt contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à oeuvrer selon une raison précise et déterminée.

VIII. Par éternité, je comprends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme suivant nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.
Explication : Une telle existence est en effet conçue comme vérité éternelle, de même que l'essence de la chose ; c'est pourquoi elle ne peut être expliquée par la durée ou le temps, quand bien même on concevrait une durée sans commencement ni fin.

Trad. Saisset

I. J'entends par cause de soi ce dont l'essence enveloppe l'existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.4

II. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ; mais le corps n'est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps.5

III. J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin du concept d'une autre chose.

IV. J'entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.

V. J'entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.

VI. J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.

Explication : Je dis absolument infini, et non pas infini en son genre ; car toute chose qui est infinie seulement en son genre, on en peut nier une infinité d'attributs ; mais, quant à l'être absolument infini, tout ce qui exprime une essence et n'enveloppe aucune négation, appartient a son essence.

VII. Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une chose est nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loi déterminée.

VIII. Par éternité, j'entends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition de la chose éternelle.

Explication : Une telle existence en effet, à titre de vérité éternelle, est conçue comme l'essence même de la chose que l'on considère, et par conséquent elle ne peut être expliquée par rapport à la durée ou au temps, bien que la durée se conçoive comme n'ayant ni commencement ni fin.

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Messagepar Miam » 14 déc. 2004, 14:08

Salutations Henrique,

Je m’interroge sur l’avantage à traduire « intelligo » par « je comprends » plutôt que par « j’entends ». Car comment peut-on alors traduire « comprehendere » ?

En outre, « comprehendere » est polysémique chez Spinoza. Dans l’Ethique, le terme prend les sens de « contenir » (I30 et 30d, I35d, II8, II8c,), de « comprendre » au sens commun (II7s), de « réunir » (V20s), ou encore de « comprendre » au sens de Port-Royal, qui allie les trois acceptions précédentes sous la « compréhension de l’idée » (I8s2, II8s, II40s1, IIIApp.1).

Dès lors traduire « intelligo » par « je comprends » pourrait, je pense, prêter facilement à confusion.
Si on veut éviter l’aspect auditif de « j’entends » et de « entendement », il reste encore « j’intellige » qui est correct mais un peu lourd. Alors pourquoi ne pas laisser « j’entends » et « intellect » ou même « entendement » qui ne me semble pas si dérangeant ni confus. Qu’en penses-tu ?

Je me réjouis que tu traduises « pertinere ad » par « se rapporter à » plutôt que par « appartenir à » qui semble parler des éléments d’un ensemble. Mais alors quid de « referre ad » que l’on trouve de nombreuses fois plus loin ? On peut certes choisir de traduire celui-ci par « se référer à ». Mais on peut également lui laisser la traduction « se rapporter à » et choisir pour « pertinere ad » : « s’appliquer à » (pour éviter « convenir à » puisque nous avons aussi « convenire »). Qu’en penses-tu là encore ? Je pense que traduire par "s'appliquer à" possède encore d'autres avantages...

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Messagepar Henrique » 15 déc. 2004, 00:03

Je te remercie pour tes remarques judicieuses et constructives.
Je me range à tes raisons pour intelligo, et "intelliger" serait décidément un terme trop vieilli.

Revenons donc à "j'entends" ; je trouve cependant qu'entendement porte tout de même un peu à confusion avec l'audition, mais aussi et surtout pour moi perd la parenté avec "ligare, ligatio", legatio, legem, legere..." qu'on retrouve en français dans lier, lire, lecture, loi...

Quant à "pertinere ad", je pense qu'il est important de conserver l'idée première de "toucher à" que l'on trouve dans l'étymologie de ce mot, comme lorsqu'on dit qu'un jugement est pertinent parce qu'il touche exactement à l'essentiel de ce dont il traite. Mais "s'appliquer à" indique il me semble une relation transitive entre deux choses qui s'adossent l'une à l'autre de l'extérieur, ce qui n'est manifestement pas le cas de "tout ce qui exprime une essence sans négation" et de "ce qui est absolument infini" : relation immanente. D'autre part, Spinoza emploie applicare : E2P47S, E3P50S, E4P4Dem, E5P10S.

En ce qui concerne referre, effectivement "se référer à" pourrait sembler assez difficile à comprendre en français (on pense à une référence bibliographique) : "l'intellect en acte, ainsi que la volonté, le désir etc. doivent être référés à la nature naturée"... Cela ne me semble pas excessivement choquant cependant mais si cela pose vraiment un problème, je propose "l'intellect en acte, ainsi que la volonté, le désir etc. doivent être ramenés à la nature naturée". On a quand même une belle langue !

Si tu es d'accord avec ce qui précède, nous pourrons reprendre les traductions concernées.
Est-ce que tu es partant pour traduire un passage ?

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Messagepar Miam » 15 déc. 2004, 18:47

Très juste pour "applicare". Je ne l'avais pas vu. J'avais en tête l'application mathématique plutôt que physique pour des raisons que l'on verra quand on s'escrimera avec "sive" et "hoc est". Mais dans l'acception physique, tu as raison: cela ne convient pas à l'immanence. Va donc pour "se rapporter à". Dans ce cas on aurait par exemple (I19): "exister (ou l'existence, mais comme il s'agit d'"existere"..) se rapporte à la nature de la Substance" ou "le nombre vingt ne se rapporte pas à la nature de l'homme" (I8s). Quant aux nombreux "refertur", on aurait alors "telle idée se ramène à Dieu en tant que...". Cela me va fort bien.

Je retraduis souvent Appuhn lorsqu'il ne me convient pas mais je ne dispose pas d'une traduction personnelle, exhaustive et suivie de l'Ethique. Comme pour l'instant j'ai quelques problèmes de tuyauteries ("Miam", c'est plutôt pour conjurer le sort), je tenterai de m'atteler à la traduction à partir de la semaine prochaine. A bientôt donc...

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Messagepar Henrique » 17 déc. 2004, 19:08

Salut !
Parlons de "hoc est" justement. Je me demandais après tout si le "en d'autres termes" de Dg est vraiment bien du fait que parfois, c'est pour renvoyer à un seul autre terme... "Dieu, en d'autres termes la nature", cela peut sonner un peu bizarrement. D'autre part, cela réduit la mise en équivalence à une simple question verbale, alors qu'il s'agit avant tout d'idées, tout de même. Donc, après réflexion, je serais plutôt pour "autrement dit" sachant que "dire" ne se réduit pas à énoncer des signes, mais bien exprimer des idées. Qu'en pensez vous, à commencer par DGsu ?
Henrique

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Messagepar DGsu » 20 déc. 2004, 01:58

Désolé de mon absence, j'étais "hors traduction" pour cause de grippe.
Je trouvais "en d'autres termes" approprié dans la partie que j'ai traduite pour le moment. Mais je conçois parfaitement que cela le soit moins dans l'exemple que tu donne puisqu'il n'y a qu'un seul terme. Ne peut-on imaginer les deux possibilités en fonction du contexte ?
Amitiés. DG :D
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Messagepar Henrique » 22 déc. 2004, 13:21

D'abord, une précision : ce que j'ai dit dans le message du 17/12 prêtait à confusion ; clarifions : il y a d'un côté, "hoc est" qu'on est d'accord il me semble pour traduire 'c'est-à-dire' (comme le font tous les traducteurs récents) et de l'autre "sive" qui peut être traduit ou bien par "en d'autres termes" ou bien par "autrement dit" (ou encore, de là vient la confusion, par "c'est-à-dire" comme Misrahi, mais alors pourquoi Spinoza aurait-il utilisé deux mots différents ?).

Alors si on ne peut pas faire autrement que de traduire différemment selon le contexte, il faut bien utiliser deux traductions pour un seul terme, mais si les deux collent, n'est-il pas plus cohérent de s'en tenir à une seule, sachant que Spinoza n'a utilisé qu'un seul terme ?

D'autre part, dans "en d'autres termes" pour sive, comme je le disais, insiste sur une simple identification de mots, alors que "autrement dit" indique un peu plus une clarification des idées, ce qui est plus propre à la conception spinozienne du rapport entre pensée et langage, il me semble. Pourquoi "en d'autres termes" te semble-t-il plus approprié ou en quoi "autrement dit" ne le serait pas aussi bien ?

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Messagepar Miam » 22 déc. 2004, 15:44

Quant à "sive", "hoc est" et "quod idem est", je pars de l'hypothèse suivante, issue d'une observation partielle et qu'il faut vérifier.

"Quod idem est" : identité stricte
"Hoc est": conséquence immédiate
"sive" : application (par ex.: dans "idea adequata sive distincte", toutes les idées adéquates sont distinctes mais la réciproque n'est pas nécessairement vraie.)

Ce sont la des "sens". La traduction devra découler de ces "sens" (ce sont presque des opérateurs logiques).
Qu'en pensez-vous?

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Messagepar Henrique » 22 déc. 2004, 16:48

C'est intéressant, quelles traductions proposes-tu donc ?

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Messagepar DGsu » 22 déc. 2004, 22:18

En effet très excitant, je n'avais pas imaginé cela en termes logico-mathématiques!
Modifié en dernier par DGsu le 23 déc. 2004, 10:14, modifié 1 fois.
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