Spinoza et l'enchantement du monde

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Spinoza et l'enchantement du monde

Messagepar Louisa » 20 févr. 2009, 19:48

Bonjour Korto,

ayant eu l'occasion de lire ta première réponse à Heyla avant qu'elle n'ait été retirée, je crée ce nouveau fil afin d'essayer de mieux comprendre ce que tu as voulu dire.

D'abord, tu y disais que ce premier message répondait à la question de Heyla, mais j'avoue que je ne vois pas très bien en quoi cela aurait pu être le cas. A mes yeux tu y répétais l'essentiel de ce que tu dis depuis des mois (années?) sur ce forum, et qui consiste à montrer (toujours dans un style agréable à lire (car fort "inventif")) dans quelle mesure ce que tu associes au mot "spinozisme" t'inspire un dégoût profond. Or ce que Heyla demandait n'avait rien à voir avec la question d'aimer ou de détester Spinoza, elle pose une simple question "technique", question d'explication de texte. Une "explication" de texte n'est pas une "évaluation" de texte, comme tu le sais sans doute.

Avant de pouvoir dire si on aime ou non, il faut d'abord comprendre de quoi il s'agit. Heyla visiblement n'est qu'au stade d'essayer de comprendre de quoi ce texte parle. Lui informer du fait que toi tu détestes Spinoza c'est toujours intéressant, mais cela ne lui aide en rien lorsqu'il s'agit de mieux savoir de quoi ces quelques lignes parlent concrètement. Plus même, tu risques de la sous-estimer si tu crois qu'au lieu de lui apprendre à penser pour elle-même, tu lui dictes déjà ce qu'elle doit aimer et ce qu'elle doit détester.

Bref, pour moi ton premier message faisait un peu ce que selon tes dires les mauvais profs de philo que tu as eu toi-même t'on fait subir: tu ne l'apprenais pas à lire un texte pour pouvoir former sa propre opinion, tu lui disais déjà qu'il vaut mieux ne pas lire et cela uniquement parce que toi tu n'aimes pas. Comme tu le disais toi-même dans ton premier message: si on fait de la philo, on ne veut surtout pas entendre ce qu'il faut aimer et ce qu'il faut détester bref ce qu'il faut penser, on veut pouvoir comprendre par soi-même de quoi il s'agit, et avoir le droit d'adorer ou de rejeter pour des raisons personnelles, pas parce que quelqu'un nous dit ce qu'il faut faire.

Ceci étant dit, en ce qui me concerne j'aimerais bien comprendre davantage pourquoi et en quoi toi tu détestes le spinozisme. Et à ce sujet, pour l'instant je reste un peu sur ma faim, en lisant tes messages. Car entre-temps on a bien compris que ce que tu associes au spinozisme c'est tout ce que tu n'aimes pas, mais je ne suis probablement pas la seule à ne pas encore avoir compris comment tu parviens à lire dans le spinozisme tout ce que tu lui reproches.

Bien sûr, on peut très bien en rester aux "goûts personnels", et on sait que des goûts et des couleurs on ne discute pas. Mais si je ne m'abuse, tu espères tout de même "détromper" certains lecteurs de Spinoza et les convaincre du danger qui serait selon toi inhérent au spinozisme? Si oui, on doit tôt ou tard dépasser le "moi j'aime - moi pas", pour essayer de trouver une arme un peu plus efficace dans cette "lutte", non?

Au cas où cela t'intéresse vraiment d'essayer de nous faire comprendre en quoi on se trompe si l'on apprécie Spinoza, voici ce que je proposerais. Si je t'ai bien compris, l'une des reproches "fondamentales" que tu adresses au spinozisme, c'est de "désenchanter" le monde. Il n'y a plus qu'une matière entièrement immuable, où rien ne change jamais, où tout ce qui est "passion", tout ce qui est imparfait, tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, est rejeté comme le pire des vices, ou tout est déterminé de toute éternité et où l'homme en tant qu'être "humain trop humain", capable du meilleur comme du pire, selon les décisions qu'il prend, n'a plus aucune place.

Si c'est effectivement ce que tu penses: pour l'instant, je crois que tu te trompes. Cela signifie que non seulement on "évalue" le spinozisme différemment, mais surtout on le lit différemment. Pour pouvoir évaluer le spinozisme comme tu le fais, il me faudra pouvoir le lire comme tu le fais. Il nous faut donc passer à l'explication de texte, il faut que tu m'expliques comment tu lis le texte, avant que je puisse voir ce que toi tu y vois.

Concrètement, on pourrait essayer de faire cela en prenant les 16 premiers paragraphes du TIE. A mes yeux, ce passage illustre plutôt un "ré-enchantement" proprement spinoziste du monde, au lieu du désenchantement que tu sembles percevoir. Je copie le texte ci-dessous. Ce que j'ai envie de faire, c'est d'entendre de toi comment tu interprètes chacun des paragraphes, pour voir où se trouvent les divergences entre ton interprétation et la mienne, et pour pouvoir voir qui de nous deux se trompe en quoi.

Il va de soi que si tu préfères qu'on part d'un autre passage, passage que tu estimes plus à même d'illustrer ton interprétation du spinozisme, alors cela me convient tout aussi bien, du moment que tu prends un passage écrit par Spinoza lui-même et non pas par l'un ou l'autre commentateur.

Enfin, si tu trouves qu'essayer de nous convaincre de la pertinence de ton interprétation du spinozisme en discutant concrètement du texte même n'a pas beaucoup de sens: ok, laissons tomber.
L.


Spinoza, TIE B1-16/G1-9 a écrit :1. L'expérience m'ayant appris à reconnaître que tous les événements ordinaires de la vie commune sont choses vaines et futiles, et que tous les objets de nos craintes n'ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractère qu'autant que l'âme en est touchée, j'ai pris enfin la résolution de rechercher s'il existe un bien véritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l'âme tout entière, après qu'elle a rejeté tous les autres biens, en un mot, un bien qui donne à l'âme, quand elle le trouve et le possède, l'éternel et suprême bonheur.

2. Je dis que j'ai pris enfin cette résolution, parce qu'il me semblait au premier aspect qu'il y avait de l'imprudence à renoncer à des choses certaines pour un objet encore incertain. Je considérais en effet les avantages qu'on se procure par la réputation et par les richesses, et il fallait y renoncer, si je voulais m'occuper sérieusement d'une autre recherche. Or, supposé que la félicité suprême consiste par hasard dans la possession de ces avantages, je la voyais s'éloigner nécessairement de moi ; et si au contraire elle consiste en d'autres objets et que je la cherche où elle n'est pas, voilà qu'elle m'échappe encore.

3. Je méditais donc en moi-même sur cette question : est-il possible que je parvienne à diriger ma vie suivant une nouvelle règle, ou du moins à m'assurer qu'il en existe une, sans rien changer toutefois à l'ordre actuel de ma conduite, ni m'écarter des habitudes communes ? chose que j'ai souvent essayée, mais toujours vainement. Les objets en effet qui se présentent le plus fréquemment dans la vie, et où les hommes, à en juger par leurs œuvres, placent le souverain bonheur, se peuvent réduire à trois, les richesses, la réputation, la volupté. Or, l'âme est si fortement occupée tour à tour de ces trois objets qu'elle est à peine capable de songer à un autre bien.

4. La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse, et si l'âme n'en est pas possédée tout entière, elle en est du moins troublée et comme émoussée. Les honneurs et les richesses n'occupent pas non plus faiblement une âme, surtout quand on recherche toutes ces choses pour elles-mêmes 2, en s'imaginant qu'elles sont le souverain bien.

5. La réputation occupe l'âme avec plus de force encore ; car l'âme la considère toujours comme étant par soi-même un bien, et en fait l'objet suprême où tendent tous ses désirs. Ajoutez que le repentir n'accompagne point la réputation et les richesses, comme il fait la volupté ; plus au contraire on possède ces avantages, et plus on éprouve de joie, plus par conséquent on est poussé à les accroître ; que si nos espérances à cet égard viennent à être trompées, nous voilà au comble de la tristesse. Enfin, la recherche de la réputation est pour nous une forte entrave, parce qu'il faut nécessairement, pour l'atteindre, diriger sa vie au gré des hommes, éviter ce que le vulgaire évite et courir après ce qu'il recherche.

6. C'est ainsi qu'ayant considéré tous les obstacles qui m'empêchaient de suivre une règle de conduite différente de la règle ordinaire, et voyant l'opposition si grande entre l'une et l'autre qu'il fallait nécessairement choisir, je me voyais contraint de rechercher laquelle des deux devait m'être plus utile, et il me semblait, comme je disais tout à l'heure, que j'allais abandonner le certain pour l'incertain. Mais quand j'eus un peu médité là-dessus, je trouvai premièrement qu'en abandonnant les avantages ordinaires de la vie pour m'attacher à d'autres objets, je ne renoncerais véritablement qu'à un bien incertain, comme on le peut clairement inférer de ce qui précède, pour chercher un bien également incertain, lui, non par sa nature (puisque je cherchais un bien solide), mais quant à la possibilité de l'atteindre.

7. Et bientôt une méditation attentive me conduisit jusqu'à reconnaître que je quittais, à considérer le fond des choses, des maux certains pour un bien certain. Je me voyais en effet jeté en un très-grand danger, qui me faisait une loi de chercher de toutes mes forces un remède, même incertain ; à peu près comme un malade, attaqué d'une maladie mortelle, qui prévoyant une mort certaine s'il ne trouve pas un remède, rassemble toutes ses forces pour chercher ce remède sauveur, quoique incertain s'il parviendra à le découvrir ; et il fait cela, parce qu'en ce remède est placée toute son espérance. Et véritablement, tous les objets que poursuit le vulgaire non-seulement ne fournissent aucun remède capable de contribuer à la conservation de notre être, mais ils y font obstacle ; car ce sont ces objets mêmes qui causent plus d'une fois la mort des hommes qui les possèdent et toujours celle des hommes qui en sont possédés.

8. N'y a-t-il pas plusieurs exemples d'hommes qui à cause de leurs richesses ont souffert la persécution et la mort même, ou qui se sont exposés pour amasser des trésors à tant de dangers qu'ils ont fini par payer de leur vie leur folle avarice ! Et combien d'autres qui ont souffert mille maux pour faire leur réputation ou pour la défendre ! Combien enfin, par un excessif amour de la volupté, ont hâté leur mort !

9. Or voici quelle me paraissait être la cause de tout le mal : c'est que notre bonheur et notre malheur dépendent uniquement de la nature de l'objet que nous aimons ; car les choses qui ne nous inspirent point d'amour n'excitent ni discordes ni douleur quand elles nous échappent, ni jalousie quand elles sont au pouvoir d'autrui, ni crainte, ni haine, en un mot, aucune passion ; au lieu que tous ces maux sont la suite inévitable de notre attachement aux choses périssables, comme sont celles dont nous avons parlé tout à l'heure.

10. Au contraire, l'amour qui a pour objet quelque chose d'éternel et d'infini nourrit notre âme d'une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c'est vers ce bien si digne d'envie que doivent tendre tous nos efforts. Mais ce n'est pas sans raison que je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses sérieusement ; car bien que j'eusse une idée claire de tout ce que je viens de dire, je ne pouvais cependant bannir complètement de mon cœur l'amour de l'or, des plaisirs et de la gloire.

11. Seulement je voyais que mon esprit, en se tournant vers ces pensées, se détournait des passions et méditait sérieusement une règle nouvelle ; et ce fut pour moi une grande consolation ; car je compris ainsi que ces maux n'étaient pas de ceux qu'aucun remède ne peut guérir. Et bien que, dans le commencement, ces moments fussent rares et de courte durée, cependant, à mesure que la nature du vrai bien me fut mieux connue, ils devinrent et plus longs et plus fréquents, surtout lorsque je vis que la richesse, la volupté, la gloire, ne sont funestes qu'autant qu'on les recherche pour elles-mêmes, et non comme de simples moyens ; au lieu que si on les recherche comme de simples moyens, elles sont capables de mesure, et ne causent plus aucun dommage ; loin de là, elles sont d'un grand secours pour atteindre le but que 1'on se propose, ainsi que nous le montrerons ailleurs.

12. Ici je veux seulement dire en peu de mots ce que j'entends par le vrai bien, et quel est le souverain bien. Or, pour s'en former une juste idée, il faut remarquer que le bien et le mal ne se disent que d'une façon relative, en sorte qu'un seul et même objet peut être appelé bon ou mauvais, selon qu'on le considère sous tel ou tel rapport ; et de même pour la perfection et l'imperfection. Nulle chose, considérée en elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite, et c'est ce que nous comprendrons surtout quand nous saurons que tout ce qui arrive, arrive selon l'ordre éternel et les lois fixes de la nature.

13. Mais l'humaine faiblesse ne saurait atteindre par la pensée à cet ordre éternel ; l'homme conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure à la sienne, où rien, à ce qu'il lui semble, ne l'empêche de s'élever ; il recherche tous les moyens qui peuvent le conduire à cette perfection nouvelle ; tout ce qui lui semble un moyen d'y parvenir, il l'appelle le vrai bien ; et ce qui serait le souverain bien, ce serait d'entrer en possession, avec d'autres êtres, s'il était possible, de cette nature supérieure. Or, quelle est cette nature? nous montrerons, quand il en sera temps 3 que ce qui la constitue, c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout entière.

14. Voilà donc la fin à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humaine supérieure, et faire tous mes efforts pour que beaucoup d'autres l'acquièrent avec moi ; en d'autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d'autres s'élèvent aux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs désirs soient en accord avec les miens ; pour cela 4, il suffit de deux choses, d'abord de comprendre la nature universelle autant qu'il est nécessaire pour acquérir cette nature humaine supérieure ; ensuite d'établir une société telle que le plus grand nombre puisse parvenir facilement et sûrement à ce degré de perfection.

15. On devra veiller avec soin aux doctrines morales ainsi qu'à l'éducation des enfants ; et comme la médecine n'est pas un moyen de peu d'importance pour atteindre la fin que nous nous proposons, il faudra mettre l'ordre et l'harmonie dans toutes les parties de la médecine ; et comme l'art rend faciles bien des choses difficiles et nous profite en épargnant notre temps et notre peine, on se gardera de négliger la mécanique.

16. Mais, avant tout, il faut chercher le moyen de guérir l'entendement, de le corriger autant qu'il est possible dès le principe, afin que, prémuni contre l'erreur, il ait de toute chose une parfaite intelligence. On peut déjà voir par là que je veux ramener toutes les sciences à une seule fin 5, qui est de nous conduire à cette souveraine perfection de la nature humaine dont nous avons parlé ; en sorte que tout ce qui, dans les sciences, n'est pas capable de nous faire avancer vers notre fin doit être rejeté comme inutile ; c'est-à-dire, d'un seul mot, que toutes nos actions, toutes nos pensées doivent être dirigées vers cette fin.
Modifié en dernier par Louisa le 21 févr. 2009, 15:24, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Messagepar Korto » 21 févr. 2009, 16:32

Louisa a écrit :(PS: je viens d'enlever les passages concernant la modération du message ci-dessus, puisque la charte de ce forum demande de créer un fil à part pour tout ce qui porte sur ce sujet ... m'intéressant un peu plus à la discussion sur le spinozisme qu'à celle sur la modération, j'ai préféré laisser de côté l'autre partie, mais si tu crois qu'il est nécessaire de discuter sur le forum public de la manière dont certains de tes messages sont "censurés", il suffit de créer un nouveau sujet et d'y expliquer ton problème)
L.


Chère Louisa

<cut>

Je vais te répondre

<cut>

En tout cas, je voudrais te féliciter pour ta positivité, ton équanimité et l'absence absolue de ressentiments et de passions tristes dans ton cœur et dans ta tête <cut> !

Amitiés,
Korto

admin a écrit :Edit admin : les considérations négatives sur les autres membres du forum ou sur le fonctionnement du site n'étant pas à leur place ici ou hors charte, elles ont été coupées par les ciseaux de la censure, le quota de tolérance ayant été depuis longtemps dépassé comme déjà indiqué.
Pour plus de précisions, voir ce fil.


Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Re: Spinoza et l'enchantement du monde

Messagepar Korto » 07 mars 2009, 11:48

Louisa a écrit : Car entre-temps on a bien compris que ce que tu associes au spinozisme c'est tout ce que tu n'aimes pas, mais je ne suis probablement pas la seule à ne pas encore avoir compris comment tu parviens à lire dans le spinozisme tout ce que tu lui reproches. (...)

- Non, je crois pas ... Il y a beaucoup de choses que je n'aime pas (et oui, pour moi le monde n'est pas encore parfait) et que je n'associe pas au spinozisme, que je ne peux pas associer au spinozisme. Faut quand même pas trop charger la barque du p'tit rabin défroqué !

Si je t'ai bien compris, l'une des reproches "fondamentales" que tu adresses au spinozisme, c'est de "désenchanter" le monde. Il n'y a plus qu'une matière entièrement immuable, où rien ne change jamais, où tout ce qui est "passion", tout ce qui est imparfait, tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, est rejeté comme le pire des vices, ou tout est déterminé de toute éternité et où l'homme en tant qu'être "humain trop humain", capable du meilleur comme du pire, selon les décisions qu'il prend, n'a plus aucune place. (...)

- "l'un des reproches...", pas l'une, mais c'est pas grave. Bon, c'est vrai que votre monde est pas très gai ni très passionnant et notre rôle de figurant, à nous humains, n'est guère plus excitant que celui des poulpes (hum ! c'est bon le poulpe Louisa. Tu mets ton bras dans un trou de corail, tu le laisses t'embrasser et te ventouser le poignet et tu retires le tout. T'auras juste plein de petit suçons après. Cru, en salade au citron, ou cuit au jus de coco. Hum !

Concrètement, on pourrait essayer de faire cela en prenant les 16 premiers paragraphes du TIE. A mes yeux, ce passage illustre plutôt un "ré-enchantement" proprement spinoziste du monde, au lieu du désenchantement que tu sembles percevoir. (...)

- "La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse,..." C'est ça ton enchantement, c'est ça ton manège enchanté ! Dis donc, c'est un peine à jouir ton Spino ! Et un constipé ... Le genre à culpabiliser et à vomir comme un malade en sortant de chez les filles... Frustré et travaillé du désir. Bigot psychologique classique.

Il va de soi que si tu préfères qu'on part d'un autre passage, passage que tu estimes plus à même d'illustrer ton interprétation du spinozisme, alors cela me convient tout aussi bien, (...)

- Ouais ... j'aime autant. Pour l'enchantement, tu r'passeras, on fait mieux. J't'invite dans mon île.

L.


Spinoza, TIE B1-16/G1-9 a écrit :1. L'expérience m'ayant appris à reconnaître que tous les événements ordinaires de la vie commune sont choses vaines et futiles, et que tous les objets de nos craintes n'ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractère qu'autant que l'âme en est touchée, j'ai pris enfin la résolution de rechercher s'il existe un bien véritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l'âme tout entière, après qu'elle a rejeté tous les autres biens, en un mot, un bien qui donne à l'âme, quand elle le trouve et le possède, l'éternel et suprême bonheur.

2. Je dis que j'ai pris enfin cette résolution, parce qu'il me semblait au premier aspect qu'il y avait de l'imprudence à renoncer à des choses certaines pour un objet encore incertain. Je considérais en effet les avantages qu'on se procure par la réputation et par les richesses, et il fallait y renoncer, si je voulais m'occuper sérieusement d'une autre recherche. Or, supposé que la félicité suprême consiste par hasard dans la possession de ces avantages, je la voyais s'éloigner nécessairement de moi ; et si au contraire elle consiste en d'autres objets et que je la cherche où elle n'est pas, voilà qu'elle m'échappe encore.

3. Je méditais donc en moi-même sur cette question : est-il possible que je parvienne à diriger ma vie suivant une nouvelle règle, ou du moins à m'assurer qu'il en existe une, sans rien changer toutefois à l'ordre actuel de ma conduite, ni m'écarter des habitudes communes ? chose que j'ai souvent essayée, mais toujours vainement. Les objets en effet qui se présentent le plus fréquemment dans la vie, et où les hommes, à en juger par leurs œuvres, placent le souverain bonheur, se peuvent réduire à trois, les richesses, la réputation, la volupté. Or, l'âme est si fortement occupée tour à tour de ces trois objets qu'elle est à peine capable de songer à un autre bien.

4. La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse, et si l'âme n'en est pas possédée tout entière, elle en est du moins troublée et comme émoussée. Les honneurs et les richesses n'occupent pas non plus faiblement une âme, surtout quand on recherche toutes ces choses pour elles-mêmes 2, en s'imaginant qu'elles sont le souverain bien.

5. La réputation occupe l'âme avec plus de force encore ; car l'âme la considère toujours comme étant par soi-même un bien, et en fait l'objet suprême où tendent tous ses désirs. Ajoutez que le repentir n'accompagne point la réputation et les richesses, comme il fait la volupté ; plus au contraire on possède ces avantages, et plus on éprouve de joie, plus par conséquent on est poussé à les accroître ; que si nos espérances à cet égard viennent à être trompées, nous voilà au comble de la tristesse. Enfin, la recherche de la réputation est pour nous une forte entrave, parce qu'il faut nécessairement, pour l'atteindre, diriger sa vie au gré des hommes, éviter ce que le vulgaire évite et courir après ce qu'il recherche.

6. C'est ainsi qu'ayant considéré tous les obstacles qui m'empêchaient de suivre une règle de conduite différente de la règle ordinaire, et voyant l'opposition si grande entre l'une et l'autre qu'il fallait nécessairement choisir, je me voyais contraint de rechercher laquelle des deux devait m'être plus utile, et il me semblait, comme je disais tout à l'heure, que j'allais abandonner le certain pour l'incertain. Mais quand j'eus un peu médité là-dessus, je trouvai premièrement qu'en abandonnant les avantages ordinaires de la vie pour m'attacher à d'autres objets, je ne renoncerais véritablement qu'à un bien incertain, comme on le peut clairement inférer de ce qui précède, pour chercher un bien également incertain, lui, non par sa nature (puisque je cherchais un bien solide), mais quant à la possibilité de l'atteindre.

7. Et bientôt une méditation attentive me conduisit jusqu'à reconnaître que je quittais, à considérer le fond des choses, des maux certains pour un bien certain. Je me voyais en effet jeté en un très-grand danger, qui me faisait une loi de chercher de toutes mes forces un remède, même incertain ; à peu près comme un malade, attaqué d'une maladie mortelle, qui prévoyant une mort certaine s'il ne trouve pas un remède, rassemble toutes ses forces pour chercher ce remède sauveur, quoique incertain s'il parviendra à le découvrir ; et il fait cela, parce qu'en ce remède est placée toute son espérance. Et véritablement, tous les objets que poursuit le vulgaire non-seulement ne fournissent aucun remède capable de contribuer à la conservation de notre être, mais ils y font obstacle ; car ce sont ces objets mêmes qui causent plus d'une fois la mort des hommes qui les possèdent et toujours celle des hommes qui en sont possédés.

8. N'y a-t-il pas plusieurs exemples d'hommes qui à cause de leurs richesses ont souffert la persécution et la mort même, ou qui se sont exposés pour amasser des trésors à tant de dangers qu'ils ont fini par payer de leur vie leur folle avarice ! Et combien d'autres qui ont souffert mille maux pour faire leur réputation ou pour la défendre ! Combien enfin, par un excessif amour de la volupté, ont hâté leur mort !

9. Or voici quelle me paraissait être la cause de tout le mal : c'est que notre bonheur et notre malheur dépendent uniquement de la nature de l'objet que nous aimons ; car les choses qui ne nous inspirent point d'amour n'excitent ni discordes ni douleur quand elles nous échappent, ni jalousie quand elles sont au pouvoir d'autrui, ni crainte, ni haine, en un mot, aucune passion ; au lieu que tous ces maux sont la suite inévitable de notre attachement aux choses périssables, comme sont celles dont nous avons parlé tout à l'heure.

10. Au contraire, l'amour qui a pour objet quelque chose d'éternel et d'infini nourrit notre âme d'une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c'est vers ce bien si digne d'envie que doivent tendre tous nos efforts. Mais ce n'est pas sans raison que je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses sérieusement ; car bien que j'eusse une idée claire de tout ce que je viens de dire, je ne pouvais cependant bannir complètement de mon cœur l'amour de l'or, des plaisirs et de la gloire.

11. Seulement je voyais que mon esprit, en se tournant vers ces pensées, se détournait des passions et méditait sérieusement une règle nouvelle ; et ce fut pour moi une grande consolation ; car je compris ainsi que ces maux n'étaient pas de ceux qu'aucun remède ne peut guérir. Et bien que, dans le commencement, ces moments fussent rares et de courte durée, cependant, à mesure que la nature du vrai bien me fut mieux connue, ils devinrent et plus longs et plus fréquents, surtout lorsque je vis que la richesse, la volupté, la gloire, ne sont funestes qu'autant qu'on les recherche pour elles-mêmes, et non comme de simples moyens ; au lieu que si on les recherche comme de simples moyens, elles sont capables de mesure, et ne causent plus aucun dommage ; loin de là, elles sont d'un grand secours pour atteindre le but que 1'on se propose, ainsi que nous le montrerons ailleurs.

12. Ici je veux seulement dire en peu de mots ce que j'entends par le vrai bien, et quel est le souverain bien. Or, pour s'en former une juste idée, il faut remarquer que le bien et le mal ne se disent que d'une façon relative, en sorte qu'un seul et même objet peut être appelé bon ou mauvais, selon qu'on le considère sous tel ou tel rapport ; et de même pour la perfection et l'imperfection. Nulle chose, considérée en elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite, et c'est ce que nous comprendrons surtout quand nous saurons que tout ce qui arrive, arrive selon l'ordre éternel et les lois fixes de la nature.

13. Mais l'humaine faiblesse ne saurait atteindre par la pensée à cet ordre éternel ; l'homme conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure à la sienne, où rien, à ce qu'il lui semble, ne l'empêche de s'élever ; il recherche tous les moyens qui peuvent le conduire à cette perfection nouvelle ; tout ce qui lui semble un moyen d'y parvenir, il l'appelle le vrai bien ; et ce qui serait le souverain bien, ce serait d'entrer en possession, avec d'autres êtres, s'il était possible, de cette nature supérieure. Or, quelle est cette nature? nous montrerons, quand il en sera temps 3 que ce qui la constitue, c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout entière.

14. Voilà donc la fin à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humaine supérieure, et faire tous mes efforts pour que beaucoup d'autres l'acquièrent avec moi ; en d'autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d'autres s'élèvent aux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs désirs soient en accord avec les miens ; pour cela 4, il suffit de deux choses, d'abord de comprendre la nature universelle autant qu'il est nécessaire pour acquérir cette nature humaine supérieure ; ensuite d'établir une société telle que le plus grand nombre puisse parvenir facilement et sûrement à ce degré de perfection.

15. On devra veiller avec soin aux doctrines morales ainsi qu'à l'éducation des enfants ; et comme la médecine n'est pas un moyen de peu d'importance pour atteindre la fin que nous nous proposons, il faudra mettre l'ordre et l'harmonie dans toutes les parties de la médecine ; et comme l'art rend faciles bien des choses difficiles et nous profite en épargnant notre temps et notre peine, on se gardera de négliger la mécanique.

16. Mais, avant tout, il faut chercher le moyen de guérir l'entendement, de le corriger autant qu'il est possible dès le principe, afin que, prémuni contre l'erreur, il ait de toute chose une parfaite intelligence. On peut déjà voir par là que je veux ramener toutes les sciences à une seule fin 5, qui est de nous conduire à cette souveraine perfection de la nature humaine dont nous avons parlé ; en sorte que tout ce qui, dans les sciences, n'est pas capable de nous faire avancer vers notre fin doit être rejeté comme inutile ; c'est-à-dire, d'un seul mot, que toutes nos actions, toutes nos pensées doivent être dirigées vers cette fin.

Avatar du membre
bardamu
participe à l'administration du forum.
participe à l'administration du forum.
Messages : 1024
Enregistré le : 22 sept. 2002, 00:00

Re: Spinoza et l'enchantement du monde

Messagepar bardamu » 07 mars 2009, 15:30

Korto a écrit :(...)

- "La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse,..." C'est ça ton enchantement, c'est ça ton manège enchanté ! Dis donc, c'est un peine à jouir ton Spino ! Et un constipé ... Le genre à culpabiliser et à vomir comme un malade en sortant de chez les filles... Frustré et travaillé du désir. Bigot psychologique classique.

Salut Korto,
il faut comprendre la logique qui vient derrière, celle qui se conclura dans l'Ethique.
Les biens ordinaires sont ceux susceptibles de fatigue du désir, de dégoût, d'ennui. A 20 ans les hormones sont à bloc, à 30 l'habitude s'installe, à 40 on "refait sa vie" pour relancer le désir, à 60 on "profite de sa retraite" l'oeil morne à regarder les passants ou en short sur les plages exotiques.
Le joint, le cul, lassent, comme dit la chanson.
Le "souverain bien" est lié à un désir inépuisable. Et lorsqu'on le perçoit en toute chose, toute chose est vivante. Il n'y a plus de fatigue du monde qu'on vive en solitaire dans une chambre ou qu'on fasse une virée dans le port d'Amsterdam.
Spinoza, maniaque de la joie, cocaïnomane de Dieu.

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Re: Spinoza et l'enchantement du monde

Messagepar Korto » 14 mars 2009, 00:05

bardamu a écrit :Les biens ordinaires sont ceux susceptibles de fatigue du désir, de dégoût, d'ennui. A 20 ans les hormones sont à bloc, à 30 l'habitude s'installe, à 40 on "refait sa vie" pour relancer le désir, à 60 on "profite de sa retraite" l'oeil morne à regarder les passants ou en short sur les plages exotiques.
Le joint, le cul, lassent, comme dit la chanson.

Moi ça va, merci ... Mais je trouve ces trivialités bien banales, voires bigottes. T'es jaloux ? Non, tu me sembles plutôt ne jamais avoir connu des moments forts de joie, de plaisir, de désir, d'amour, de passion, de peine ... Dommage ...

Le "souverain bien" est lié à un désir inépuisable. Et lorsqu'on le perçoit en toute chose, toute chose est vivante. Il n'y a plus de fatigue du monde qu'on vive en solitaire dans une chambre ou qu'on fasse une virée dans le port d'Amsterdam.

Ouais ... Tout se vaut. Tout est dans tout et inversement. Décrêt sans définition d'un "souverain bien" et d'un "désir inépuisable", bien "religieux", au mauvais sens du terme, dévot, genre conneries New Age, jéhovistes, bouddhistes, scientologues, francsmacs ... tous ces machins cherchant à courtcircuiter le Dieu-Personnel, par orgueil niais ou opportunisme, tous avatars débiles du spinozisme débile.

Spinoza, maniaque de la joie, cocaïnomane de Dieu.
Sans doute ... Moi, perso, j'aime pas les drogués et les dealers, les dealers-drogués, puisque ce sont souvent les mêmes. Et je suis pas sûr qu'ils valent même la balle qui mettrait fin à leurs maux et à ceux de la société.
Je me demande d'ailleurs, en passant, comment les spinozistes gèrent toute cette merde et toutes les autres merdes du monde, dans un monde parfait, une nature-Dieu, où rien n'est bon ni mauvais, où personne n'est libre, ni responsable, ni coupable, et ne dispose du moindre choix. La drogue est, vive la drogue.
Enfin, passons ...

Ton Baruch maniacocaïnomane béat et tous ses bâtards ne sont pour moi que des Hare Krishna déficients mentaux dont la face niaise bloquée sur la position sourire et les sautilleries pitoyables sont aussi bêtes que leur vie est triste.


Korto


Avatar du membre
Louisa
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 1725
Enregistré le : 09 mai 2005, 00:00

Messagepar Louisa » 14 mars 2009, 23:45

Korto a écrit :
Louisa a écrit :
Car entre-temps on a bien compris que ce que tu associes au spinozisme c'est tout ce que tu n'aimes pas, mais je ne suis probablement pas la seule à ne pas encore avoir compris comment tu parviens à lire dans le spinozisme tout ce que tu lui reproches. (...)


- Non, je crois pas ... Il y a beaucoup de choses que je n'aime pas (et oui, pour moi le monde n'est pas encore parfait) et que je n'associe pas au spinozisme, que je ne peux pas associer au spinozisme. Faut quand même pas trop charger la barque du p'tit rabin défroqué !


(réponse un peu plus tard que voulu)
oui ok, dire que tu associes au spinozisme tout ce que tu n'aimes pas est sans doute exagéré.

Korto a écrit :
louisa a écrit :Si je t'ai bien compris, l'une des reproches "fondamentales" que tu adresses au spinozisme, c'est de "désenchanter" le monde. Il n'y a plus qu'une matière entièrement immuable, où rien ne change jamais, où tout ce qui est "passion", tout ce qui est imparfait, tout ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, est rejeté comme le pire des vices, ou tout est déterminé de toute éternité et où l'homme en tant qu'être "humain trop humain", capable du meilleur comme du pire, selon les décisions qu'il prend, n'a plus aucune place. (...)


- "l'un des reproches...", pas l'une, mais c'est pas grave. Bon, c'est vrai que votre monde est pas très gai ni très passionnant et notre rôle de figurant, à nous humains, n'est guère plus excitant que celui des poulpes (hum ! c'est bon le poulpe Louisa. Tu mets ton bras dans un trou de corail, tu le laisses t'embrasser et te ventouser le poignet et tu retires le tout. T'auras juste plein de petit suçons après. Cru, en salade au citron, ou cuit au jus de coco. Hum !


disons qu'en ce qui me concerne, découvrir, même sur un forum consacré au partage de nos expériences (positives ou négatives) par rapport au spinozisme, qu'on peut manger ainsi le poulpe est en tout cas assez passionnant, et j'espère bien un jour pouvoir le déguster d'une façon un peu moins virtuelle ... :D

En attendant: ok, pour toi le spinozisme enlève tout ce qui est humain et donc passionnant de la vie. Pourquoi? Je veux dire: qu'est-ce qui te fait penser cela? Car bon, moi ce qui m'intéresse, c'est précisément tout ce qui est humain et passionnant. Si donc tu arrives à me faire comprendre en quoi le spinozisme rend tout cela inconcevable, ce serait une bonne raison pour m'intéresser moins à Spinoza, bien sûr (pas d'ironie, socratique ou autre, dans cette phrase).

Korto a écrit :
louisa a écrit :Concrètement, on pourrait essayer de faire cela en prenant les 16 premiers paragraphes du TIE. A mes yeux, ce passage illustre plutôt un "ré-enchantement" proprement spinoziste du monde, au lieu du désenchantement que tu sembles percevoir. (...)


- "La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y repose comme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle toute autre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse,..." C'est ça ton enchantement, c'est ça ton manège enchanté ! Dis donc, c'est un peine à jouir ton Spino ! Et un constipé ... Le genre à culpabiliser et à vomir comme un malade en sortant de chez les filles... Frustré et travaillé du désir. Bigot psychologique classique.


je crois qu'on peut certes lire ce passage selon une certaine conception chrétienne. On obtient alors: faire l'amour est l'une des choses les plus intenses, dans la vie humaine, capable de nous faire oublier tout le reste. Mais ce genre de joie intense est mauvaise, car après on est toujours déçu, toujours triste. Il faut donc arrêter de chercher le bonheur dans le sexe, car "c'est pas bon". Il faut même nécessairement être triste, après avoir fait l'amour, et cela précisément parce que c'est notre côté purement "animal" qui vient de s'exprimer, ce qui ne peut qu'attrister l'aspect plus "noble" de l'Homme, son "âme", qui exprime son Humanité etc. Enfin, tu sauras décrire tout cela en un français beaucoup plus agréable à lire que moi.

En tout cas, si on le lit ainsi, je suis tout à fait d'accord avec toi: nil novi sub sole, notre cher Spinoza ne dit rien d'autre que ce que certains chrétiens disent depuis longtemps.

Deuxième chose sur laquelle on sera sans doute d'accord: tout ceci est faux. Oui, bien sûr cela peut arriver qu'on est triste après avoir fait l'amour. Mais moi (et je sais bien que ce n'est pas que moi) je n'ai eu cela qu'une fois sur mille, donc bon, en réalité cela ne vaut même pas la peine d'en parler.

Troisième point d'accord: en effet, puisque c'est tout simplement faux, essayer de faire croire tout cela ne peut qu'être culpabilisant, et créer ainsi davantage de misère au lieu de "joie". Rien à voir avec un quelconque "enchantement" donc, au contraire.

Or, comme tu l'auras soupçonné, à mon avis on peut aussi lire ce passage différemment, plus même, si l'on tient compte du contexte et de ce que Spinoza va écrire par après dans l'Ethique, je crois qu'une telle lecture "chrétienne" est totalement erronée. Je veux bien essayer d'argumenter cela, mais en attendant, voici simplement comment je lis ce même passage.

S'agit-il de suggérer que dès qu'on fait l'amour avec quelqu'un, on doit s'attendre à être triste par après? Pas du tout. Il ne dit jamais qu'il s'agit d'une tristesse qui serait là systématiquement et toujours immédiatement après avoir fait l'amour. De quoi s'agit-il alors?

As-tu déjà essayé de faire de l'amour une activité "à temps plein"? Moi oui (je t'ai bien dit que tout ce qui est humain et passionnant m'intéresse ...). Puisque cette fameuse tristesse ne venait pas du tout, j'ai passé pas mal de temps ainsi. C'était fabuleux, l'une des périodes les plus intenses et agréables de ma vie. Donc je ne le regrette absolument pas, bien sûr, au contraire. J'étais trop jeune pour déjà avoir beaucoup de "responsabilités", donc voilà, c'était tout simplement génial.

Seulement, après quelques mois, une certaine tristesse s'installait tout de même. Pas en général, mais justement, plutôt après avoir fait l'amour (et pas chaque fois systématiquement, bien sûr). C'est que je commençais à penser à tout ce que j'étais en train de râter dans la vie, et qui était probablement tout aussi intense et humain et passionnant. Après un certain moment, cette pensée devenait si forte que de plus en plus je commençais tout de même à faire autre chose aussi (enfin, je n'avais jamais arrêté de faire cela, évidemment, mais je veux dire que j'ai commencé à y mettre de plus en plus de temps, et à le faire de manière de plus en plus intense). Jusqu'à ce que finalement, j'ai accepté un boulot où je travaillais facilement 10 heures par jour, boulot absolument passionnant, mais qui réduisait inévitablement le nombre d'heures consacré à l'amour... . Il se fait que finalement j'étais beaucoup plus heureuse qu'avant (même si jusque là je n'imaginais pas une seconde que je pouvais l'être encore plus). Et encore une fois, je n'ai jamais regretté ce que j'ai fait, donc il ne s'agissait absolument pas de "culpabiliser". Tandis qu'il va de soi que j'avais toujours pas mal de temps par jour pour "perfectionner" ce que je voulais encore faire et apprendre par rapport à mes "activités" précédentes, donc cela n'a jamais été l'un ou l'autre.

A mon sens, c'est bien cela ce que Spinoza a voulu dire: le sexe c'est très bien, mais si on attend de faire l'amour à temps plein le bonheur suprême et "éternel" (c'est-à-dire qui dure au moins pendant toute sa vie sur terre), on risque fort de se tromper. Il faut bien autre chose encore que l'amour, tôt ou tard, pour pouvoir s'épanouir entièrement en tant qu'être physique humain, pour pouvoir s'adonner à toutes les passions humaines possibles (ou à un maximum d'entre elles). Pas parce que l'amour en tant que tel ne serait pas "bon". Mais simplement parce que l'homme sait faire beaucoup plus de choses passionnantes que seulement faire l'amour. Il sait par exemple faire l'amour et après manger du poulpe. Et bien d'autres choses encore. Le bonheur spinoziste se trouve là: dans la multiplication des plaisirs, dans la recherche d'un "cocktail" de plaisirs qui soit tel que le bonheur au final devient maximal (sans nier le fait que la misère est tout aussi humaine, car nier cela rend déjà tout bonheur réel impossible).

Autrement dit, son idée c'est qu'un bonheur qu'on ne base que sur une seule activité proprement humaine, passionnante et intense (par exemple le sexe), c'est moins agréable, à la longue, qu'un bonheur construit sur plusieurs activités proprement humaines, passionnantes et intenses.

Dans ce cas, il est évident qu'on est à mille lieues de la lecture "chrétienne" que j'ai donnée ci-dessus. Or à mon avis, ce que je viens d'écrire est beaucoup plus fidèle au texte (tenant compte d'autres passages de Spinoza) que la lecture qui esssaie de faire du spinozisme une "doctrine" qui va à la chasse de tout plaisir proprement humain, qui préfère culpabiliser etc. Bref, comme déjà dit, à mon avis le spinozisme n'est absolument pas une philosophie du "désenchantement". Mais tu ne seras probablement pas d'accord?
L.
Modifié en dernier par Louisa le 15 mars 2009, 05:14, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Messagepar Korto » 15 mars 2009, 09:27

Louisa a écrit :je crois qu'on peut certes lire ce passage selon une certaine conception chrétienne. On obtient alors: faire l'amour est l'une des choses les plus intenses, dans la vie humaine, capable de nous faire oublier tout le reste. Mais ce genre de joie intense est mauvaise, car après on est toujours déçu, toujours triste. Il faut donc arrêter de chercher le bonheur dans le sexe, car "c'est pas bon". Il faut même nécessairement être triste, après avoir fait l'amour, et cela précisément parce que c'est notre côté purement "animal" qui vient de s'exprimer, ce qui ne peut qu'attrister l'aspect plus "noble" de l'Homme, son "âme", qui exprime son Humanité etc. Enfin, tu sauras décrire tout cela en un français beaucoup plus agréable à lire que moi.

En tout cas, si on le lit ainsi, je suis tout à fait d'accord avec toi: nil novi sub sole, notre cher Spinoza ne dit rien d'autre que ce que certains chrétiens disent depuis longtemps.


Et oui ! On est bien d'accord ! Notre Spino n'est qu'un pisse-froid coincé du cul comme les bigots de son temps, et des siècles suivants, et les protestants, qui n'ont rien à voir avec la parole de Jésus ni avec le message de Teilhard. Cet imbécile nous joue encore la débilité paulinienne "Post coitum omne animal triste".
K.

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Messagepar Korto » 15 mars 2009, 09:36

Louisa a écrit :
Deuxième chose sur laquelle on sera sans doute d'accord: tout ceci est faux. Oui, bien sûr cela peut arriver qu'on est triste après avoir fait l'amour. Mais moi (et je sais bien que ce n'est pas que moi) je n'ai eu cela qu'une fois sur mille (...)


Hum ... !

K. :wink:

PS : Me too ...

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Messagepar Korto » 15 mars 2009, 09:46

Louisa a écrit :Or, comme tu l'auras soupçonné, à mon avis on peut aussi lire ce passage différemment, (...)


Effectivement, c'est bien le problème, il peut y avoir autant d'interprétation du latin de cuisine de Spino que d'interprétation des constellations au ciel. Commenter Spino est du domaine de l'astrologie. Tout le monde peut y retrouver ses petits. Il y a les spinozistes gauchistes bouddhistes royalistes, les spinozistes chrétiens centristes chasseurs, les ... Un peu comme les milliards d'obédiences écologogistes ...
Les blablas polémiques stériles au kilomètre de ces groupuscules spinofans de ce forum sont bien la preuve de cette insignifiance spinozienne.
Non ?

K.

Avatar du membre
Korto
participe avec force d'âme et générosité
participe avec force d'âme et générosité
Messages : 239
Enregistré le : 17 sept. 2007, 00:00

Messagepar Korto » 15 mars 2009, 09:56

Louisa a écrit :
As-tu déjà essayé de faire de l'amour une activité "à temps plein"? Moi oui (je t'ai bien dit que tout ce qui est humain et passionnant m'intéresse ...). Puisque cette fameuse tristesse ne venait pas du tout, j'ai passé pas mal de temps ainsi. C'était fabuleux, l'une des périodes les plus intenses et agréables de ma vie. Donc je ne le regrette absolument pas, bien sûr, au contraire. J'étais trop jeune pour déjà avoir beaucoup de "responsabilités", donc voilà, c'était tout simplement génial.



À plein temps, non. Quelque chose dans le genre, un peu différent, j't'en reparlerai. En tout cas respect pour cette confidence. Voilà de l'expression, de l'idée, de la sincérité. Voilà qui changent des pauvres douilles que j'me farcis souvent ici. Voilà qui peut alimenter de la réflexion et ... de la découverte (nos feignasses de chercheurs français, refusant toute évaluation, se préoccupant mille fois plus de "recherche", de programme de recherche, plutôt, fictifs et grassement payés que de découverte, d'enseignement réel et de publications. Excuse-moi, j'ai pas pu m'empêcher :wink: !

K.


Retourner vers « Lecture lente du T.R.E. »

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 3 invités