Korto a écrit :louisa a écrit :Bref, comme déjà dit, à mon avis le spinozisme n'est absolument pas une philosophie du "désenchantement". Mais tu ne seras probablement pas d'accord?
Non, effectivement ... mais c'est rien, on a passé un bon moment ensemble, du vécu, du vrai, plus de convergences que de divergences. C'est ça la philosophie, mon petit !
d'accord pour dire qu'on a passé un bon moment ensemble, et que probablement au fond il y a plus de convergences que de divergences. Mais pour moi, la conversation qu'on vient d'avoir ne relève pas encore de la "philosophie" (pas à cause de toi, bien sûr, ce que j'ai écrit moi-même à mes yeux n'est pas très philosophique non plus, même si je tenais à l'écrire et même si ce que j'ai écrit est vrai).
Ce qu'il y a, c'est que pour moi c'est précisément ce sur quoi il me semble qu'on est d'accord qu'on retrouve chez Spinoza. Alors que si je t'ai bien compris, de ton point de vue on est d'accord sur pas mal de choses, mais on voit tout autre chose dans le spinozisme. Enfin, peut-être pas
tout autre chose, finalement, puisque je crois que je suis assez d'accord avec la plupart des "dogmes du spinozisme" que tu viens d'énumérer. La question est donc peut-être ailleurs. Attardons-nous y un instant:
Korto a écrit :Le dénominateur commun des lectures de Spino c'est ça :
- un monde sans transcendance et sans dieu
ok pour dire que c'est un monde sans transcendance. Moi, j'avoue que ça me plaît. A toi pas? Si non, pourquoi? Quel est l'avantage, selon toi, de travailler avec l'idée d'une transcendance (ceci n'est pas une question rhétorique, c'est-à-dire je n'exclus pas la possibilité qu'il y a réellement un avantage à ce faire, avantage qu'éventuellement je ne comprends pas encore)?
Concernant le "sans dieu": là je ne serais pas d'accord. Pour Spinoza la Substance, ou la Nature, c'est Dieu, c'est-à-dire la Nature entière revêt en son essence la majorité des caractéristiques que les monothéïsmes ont attribuées à Dieu. Pourquoi s'agirait-il selon toi d'un monde sans dieu?
Korto a écrit :- un monde sans lendemain, sans espérance, sans amélioration, sans évolution
sans espérance: non, puisque Spinoza décrit et veut expliquer le phénomène de l'espérance. Il reconnaît donc l'existence de l'espérance. Mais il est vrai qu'il essaie de combattre l'espérance. Ce qui de prime abord est une idée assez drôle en effet. En ce qui me concerne, ce sont les remarques de Henrique qui m'ont permis de comprendre en quoi une vie sans "espérance" pourrait être meilleure, c'est-à-dire plus intense, plus passionnée, qu'une vie où l'on "espère".
Pour le résumer: lorsqu'on espère, on est également dans la crainte, inévitablement. Bien sûr, dans les deux cas (espérance et crainte), on a des "Affects", et comme l'a dit de façon fabuleuse Fernando Pessoa: il vaut mieux avoir des Affects, il vaut mieux souffrir, que de ne rien sentir du tout! Seulement, il me semble que ce que Spinoza dit, c'est que le sentiment le plus intense, c'est celui qui est permanent, et qui se renforce sans cesse. Ce qui n'est pas le cas de l'espoir, puisque l'incertitude de la situation fait que l'espoir, en tant que "Joie", vire ou bascule toujours vers la Crainte (Tristesse), autrement dit l'Affect inverse, contraire.
Tu vas peut-être me dire que la Tristesse peut être très intense aussi. Et donc nous fait sentir qu'on vit, tout autant que la Joie. Je crois que c'est vrai. Alors pourquoi Spinoza privilège-t-il la Joie? A réfléchir ... .
Korto a écrit :- un monde sans bien et sans mal
en effet. Exit le Bien et le Mal. Il n'y a plus que le bon et le mauvais. Si cela te dérange: pourquoi est-ce le cas?
Exemple: pour moi, discuter avec toi sur ce site est "bon", c'est-à-dire agréable, j'y apprends certaines choses, je reconnais certaines choses etc. Or cela n'est manifestement pas le cas pour tous ceux avec qui tu discutes ou qui te répondent ici. Pour certains, discuter avec toi est plutôt "mauvais". Tout cela me semble être assez logique et compréhensible. Alors à quoi bon essayer d'introduire des catégories générales comme
le Bien et
le Mauvais .. ? Ne faudrait-il pas dire que ce qui est bon pour moi visiblement ne l'est pas pour quelqu'un d'autre etc?.
Korto a écrit :- un homme équivalent à la vache et à l'algue
- un homme sans plus de liberté, de choix et de responsabilité que la vache et que l'algue
- un homme , une vache et une algue condamnés à persévérer dans leur être
en effet, tout ce qui existe dans le spinozisme est condamné à persévérer dans leur être. Qu'en penses-tu? Ne pas être d'accord, c'est dire que certaines choses qui existent essaient de s'autodétruire. Crois-tu à l'auto-destruction? Si oui: pourquoi?
Sinon je ne crois pas que dans le spinozisme un homme soit équivalent à la vache, et cela simplement parce que l'essence d'un homme c'est un certain degré de puissance, pour Spinoza, et ce degré de puissance se définit par le nombre de manières dont on peut être affecté. Ne faut-il pas dire qu'un homme peut être affecté de plus de manières par le monde extérieur (si tout va bien ...) qu'une algue .. ? Si oui: il n'y a pas d'équivalence.
Enfin, la liberté pour Spinoza n'est qu'équivalent au degré de puissance qu'on a, donc le fait qu'en général un homme peut être davantage affecté et peut davantage affecter qu'une algue, le rend par là même plus libre que cette algue, non?
Korto a écrit :- une joie de se sentir et de se savoir actif dans l'acte de persévérer dans son être (la vache et l'algue doivent pas arrêter de prendre leur pied aussi)
attention, essayer de persévérer dans son être, c'est ce que Spinoza appelle le "Désir". Etre "Actif", en revanche, c'est effectivement sentir une Joie, mais cela signifie qu'on quitte la simple persévérance dans l'être (= dans sa puissance), pour
augmenter cette puissance. Donc à mon avis ce n'est pas la même chose.
Korto a écrit :- pas de passion, pas d'imagination, pas d'art et ... pas de femmes (c'est des connes d'après Spino)
Spinoza reconnaît certainement l'existence des passions, puisque l'un des objectifs de l'
Ethique, c'est précisément de proposer un moyen pour transformer les passions en "Actions", donc en Joie, ou en "libertés".
Il reconnaît également l'existence des femmes, et se borne dans l'
Ethique à dire qu'avoir des rapports sexuels avec une femme c'est parfait, aussi longtemps que les deux partenaires y consentent de manière totalement "libre". Ce qui me semble être assez "moderne" pour l'époque (n'oublions pas que plus d'un siècle plus tard, Madame de Staël défend toujours l'idée qu'il vaut mieux que les femmes n'apprennent pas trop à penser, et qu'elles ne se lancent pas dans une carrière littéraire etc. ...).
Or en ce qui concerne ses écrits politiques, on dirait en effet, du moins de prime abord, qu'il est "contre" les femmes. Mais je crois que lorsqu'on le lit plus attentivement, il ne s'agit pas de ça (à voir, bien sûr).
Enfin, quant à l'imagination: oui en effet, beaucoup d'interprètes de Spinoza l'ont lu comme s'il rejetait tout ce qui était imaginaire. Je crois qu'il s'agit d'une grande erreur, et que seuls des commentateurs d'aujourd'hui commencent à comprendre l'importance considérable qu'a pour Spinoza l'imagination. C'est qu'on ne sait absolument pas avoir une idée vraie, dans le spinozisme,
sans que celle-ci soit accompagnée d'une imagination. Ce qui est une idée tout à fait passionnante et révolutionnaire, non seulement aujourd'hui, mais encore plus au XVIIe.
Korto a écrit :Voilà, chère Louisa, on a fait le tour, et, ma foi, j'trouve pas ça très "enchanteur", personnellement, mais j'peux m'tromper !
en effet, tel que tu le décris, c'est pas très "enchanteur". Henrique te donnera raison à ce sujet, si je l'ai bien compris (sinon à lui de me corriger). Mais pour l'instant je suis assez persuadée que c'est vous (toi et Henrique) qui vous trompez ... . Raison pour laquelle cette discussion est assez intéressante, car elle nous permettra peut-être de mieux comprendre qui se trompe véritablement (il se peut que finalement il s'avère que ce soit moi, bien sûr ... ).
L.