"L'expérience" de Spinoza

Lecture pas à pas du Traité de la Réforme de l'Entendement. Utilisez s.v.p. la numérotation caillois pour indiquer le paragraphe que vous souhaitez discuter.
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Miam
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Messagepar Miam » 19 nov. 2004, 08:13

Hokusai,
le Leviathan (1651) de sa bibliothèque indique Amsterdam 1661, du moins si ma mémoire est bonne. J'ai peut-être retenu un un pour un sept sans barre médiane. En revanche il est certain que Spinoza l'a lu en Neerlandais. Si la traduction neerlandaise d' endeavour est bonne, il n'y a pas de raison qu'il ne l'a pas traduite lui-même par conatus dans l'Ethique. A vrai dire peu importe. La question présente consiste à savoir si la notion vient effectivement de Hobbes et si elle est utilisée avant l'Ethique. Est-ce que "conatus" a, chez Augustin, Thomas ou Scott, la même acception mécaniste et causaliste que l'on trouve chez Hobbes ?

Il me semble difficile de constater des influences sur Spinoza sauf peut-être celles, plus évidentes, de ses contemporains. Beaucoup s'opposent sur cette question. L'entourage de Spinoza me conduit cependant à penser que son ton parfois stoïcien demeure conventionnel, tandis que l'influence épicurienne est plus profonde. Mais ce sont là de simples conjectures...

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hokousai
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Messagepar hokousai » 19 nov. 2004, 13:04

à Miam
je ne vois pas le Léviathan dans sa bibliothèque .(?)... maintenant il l' a peut être lu .....
je n'ai pas repéré conatus avant l ' Ethique .

Sur les influences .........il ya a un travail à faire et à refaire .Spinoza hérite de concepts, d'idées, de problématiques . Il n' apparait pas ex- nihilo .
Vous en convenez vous- même qui le démarquez souvent de Descartes .
Descatres voila une influence certaine .

à suivre ( mais ça peut durer longtemps) .
hokousai

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Messagepar Miam » 19 nov. 2004, 19:13

Je me base sur une relativement vieille liste explicative des livres de sa bibliothèque, liste intitulée "Spinoza, selon sa bibliothèque" ou quelque chose de ressemblant. Mais bon comme je disais, peu importe.

Quelles sont les notions augustinienne, thomiste et scotienne du conatus ? Sont-elles proches de la notion hobbesienne (permettez moi de répéter ma question : à part chez Thomas, je n'en ai aucune idée; je n'ai même pas relevé le terme lors de ma lecture d'Augustin).

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Messagepar Miam » 09 déc. 2004, 17:34

Il me semble que le TRE manque de sucès. Voilà qui est bien dommage pour un texte qui montre le spinozisme en train de se faire.

Que peut-on dire de l’ Expérience de Spinoza au début du TRE ?

Traduction d’Appuhn :

« L’expérience m’avait appris que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ; je voyais qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, ne contient rien en soi de bon ou de mauvais, si ce n’est à proportion du mouvement qu’elle excite dans l’âme : je résolus enfin de chercher quelque objet qui fût un bien véritable capable de se communiquer, … »

« Postquam me Experientia docuit, omnia, quae in communi vitâ frequenter occurrunt, vana, et futilia esse : cum viderem omnia, a quibus, et quae timebam, nihil neque boni, neque mali in se habere, nisi quatenus ab iis animus movebatur, constitui tandem inquirere, an aliquid daretur quod verum bonum, et sui communicabile asset, … »

D’abord remarquer qu’ « Experientia » possède une majuscule qui n’est pas rendue par la traduction d’Appuhn. On se rappelle alors que l’Ethique comporte également un système de mots rendus « propres » et parfois étonnants tel que « Verba » (= les mots, mais « Rustici » est aussi étonnant dans le TRE).

Ensuite noter que le champs grammatical du sujet « Experientia » s’étend au plus de « Postquam » (non traduit chez Appuhn) à « movebatur », tandis que « constitui » (je résolu) commence une autre proposition.

Je dis « au plus » car, selon la traduction, la seconde partie de l’extrait, à partir de « cum videbam » (je voyais) jusqu’à « movebatur », semble ou ne semble pas concerner l’Expérience. Ainsi la traduction d’appuhn : « L’expérience m’avait appris…je voyais….je résolus » oublie le « Postquam » devant « Experientia » et le « cum » devant « viderem ». Sa traduction conduit à penser que l’Expérience ne concerne que la futilité des occurrences de la vie ordinaire. L’Expérience serait alors tout simplement l’expérience de la vie : l’induction de la vanité des choses. Mais pourquoi mettre alors une majuscule à « Expérientia » ? Il apparaît que « Postquam » s’étend jusqu’à « movebatur ». « Cum viderem… » (« comme je voyais… ») semble par suite constituer l’explication du premier membre « Postquam… futilia esse ». On a alors la traduction plus littérale :

« Après que (postquam) l’Expérience m’eut appris que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles ; comme (cum) je voyais qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, n’avait (habere) rien en soi de bon ni de mauvais, si ce n’est en tant que (quatenus) l’âme était mue par elle; je résolus enfin de chercher s’il existait quelque chose qui fût un bien vrai (verum bonum) et communicable par soi (sui communicabile) »

Si l’on se situe au moment de la résolution, on a : « L’Expérience m’a appris que toutes les occurrences de la vie ordinaire sont vaines et futiles. En effet j’ai vu qu’aucune des choses, qui étaient pour moi cause ou objet de crainte, n’a rien en soi de bon ou de mauvais, si ce n’est en tant que l’âme est mue par elle. Je me résous donc à chercher… »

On peut alors tenter d’établir l’ordre de l’Expérience.
Mais l’Expérience consiste-t-elle à voir :
(1) - que la crainte résulte d’un mouvement de l’âme causé par l’objet
- Donc : que ce qu’on craint n’a rien en soi de bon ou de mauvais
- Donc : que toutes les occurrences les plus fréquentes de la vie ordinaire sont vaines et futiles.

Ou (2) :
- que ce qu’on craint n’a rien en soi de bon ou de mauvais
- Donc : que la crainte résulte d’un mouvement de l’âme causé par l’objet
- Donc : que toutes les occurrences etc… ?

Le terme clé devient alors « quatenus ». Si on revient à l’Ethique, on se rappelle qu’un mode exprime la nature de la substance ou se rapporte (refertur) à Dieu « quatenus » celui-ci a telle et telle idée ou constitue telle nature. Il semble alors que l’expression (ou la référence) dépend de la constitution ou encore des idées qu’a Dieu. On penche donc plutôt vers la première solution. Ainsi le caractère en soi indifférent de l’objet de crainte résulterait de la connaissance théorique de la Crainte comme simple affection de l’Ame. C’est pourtant fort discutable. D’abord d’une manière générale parce que tous les affects sont des mouvements de l’Ame,.de sorte que, comme l’enseigne l’Ethique, définir un affect comme affection de l’Ame ne suffit pas à connaître cet affect. Enfin parce que l’affect de Crainte possède dans l’Ethique une définition complexe qui met en jeu des notions comme celles de « contingence », d’ « issue » et de temporalité, absentes de cet extrait, et qui l’éloigne d’autant plus d’une simple définition comme une affection de l’Ame parmi d’autres. Bref, ce que donne Spinoza dans le TRE, c’est une définition vraiment très générale (voire confuse) des affects en général : une définition encore plus générale que « la définition générale des affects » qui termine la troisième partie de l’Ethique. Dans cet énoncé du TRE, il semble que l’affect soit perçu comme l’idée d’une affection (une affection de l’Ame). Il manque le conatus. Il manque précisément toute la théorie des affects.

On ne saurait être surpris qu’un « objet » affecte l’âme si l’on entend par là une idée. Ce que Spinoza craint en effet, c’est littéralement « tout ce et tout ce par quoi je craignais » (omnia, a quibus et quae timebam). Rien n’indique que l’objet soit un mode étendu. Et en effet la définition 13 de l’appendice de la troisième partie de l’Ethique énonce :

« La Crainte est une Tristesse inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée de l’issue de laquelle nous doutons en quelque mesure (voir à ce sujet le Scolie 2 de la Prop. 18) »

Du reste le Scolie de la proposition II, 18 montre que l’objet de la Crainte est moins la chose elle-même que l’issue (eventu). Ce qui est craint, c’est la présence ou l’absence future d’une chose perçue comme contingente. En ce sens Crainte et Espoir sont la même chose. L’objet de la Crainte et de l’Espoir, c’est l’issue dont dépend la présence future de la chose crainte ou la chose espérée. Crainte et Espoir résultent de la constitution par l’imagination d’une temporalité discrète opposée à la durée. Ils constituent les deux pôle d’une fluctuation de l’Ame qui découle du doute quant à l’issue. La seconde solution (2), devient alors envisageable : C’est parce que je sais que la Crainte porte sur l’issue, sur l’imagination d’une contingence temporelle, beaucoup plus que sur l’objet lui-même, que cet objet (ce que je crains) devient indifférent. « Ce par quoi je crains » serait la temporalité elle-même, devenue indifférente dès lors qu’on a fait l’ « Expérience ». La connaissance de l’affect de Crainte résulterait dès lors d’une « Expérience » de la temporalité. De cette connaissance de la Crainte découlerait à son tour une théorie de l’imagination (affection de l’Ame), ou mieux : la théorie d’une fluctuation de l’Ame qui résulte de l’idée de contingence. « Movebatur » doit alors se lire comme « fluctuait ». Mais ni le reste du TRE, ni la signification du terme dans l’Ethique ne confirme cette traduction. Cette lecture suppose au moins que, dès le TRE, Spinoza avait déjà établi cette part de la théorie des affects qui concerne la Crainte et l’Espoir. Or, la lecture du CT (II, IX) nous apprend que c’est le cas :

« Pour l’Espérance, la Crainte, la Sécurité, le Désespoir et la Jalousie, il est certain que ces passions naissent d’une opinion mauvaise ; car, ainsi que nous l’avons précédemment démontré, toutes choses ont leurs causes nécessaires et, par suite, doivent arriver nécessairement comme elles arrivent » (II, IX, 6).

Mieux encore, Spinoza met un peu plus loin l’accent sur la vanité des choses soumises au changement, et auxquelles on ne saurait s’attacher : ce qui semble bien le thème principal (et fort courant, presqu’un lieux comun) du premier chapitre du TRE :

« D’après ce que nous avons dit de l’Amour cependant, ces passions (NDR : l’Espoir, la Crainte, etc…) ne peuvent trouver place dans l’homme parfait, attendu qu’elles présupposent des choses auxquelles, en raison de leur nature soumise au changement (comme nous l’avons observé dans la définition de l’Amour) nous ne devons pas nous attacher, et pour lesquelles (comme il a été démontré dans la définition de la Haine) nous ne devons avoir aucune aversion ; à cet attachement cependant et à cette aversion l’homme qui a ses passions est sujet »

Conclusion

Il semble que, doté d’une majuscule dans le TRE à l’instar de « Methodus, Via, Cognitio, Philosophia, Natura, Fabula, Comoedia, Physica, Mathematici, Ens perfectissimus, Paradoxa et Rustici » dans le même texte, « Experientia » doive signifier une expérience particulière et non l’expérience inductive de la vanité des objets du désir.

Quant à l’ « ordre » de l’Expérience, soit celle-ci est essentiellement théorétique et il en résulte des aspects éthiques ; soit au contraire il s’agit d’une Expérience de la temporalité liée à certains affects et principalement à l’Espoir et la Crainte. Alors l’aspect éthique paraît primer absolument. Il est encore trop tôt pour conclure. Et je pense que la suite du texte donnera des arguments aux deux lectures.


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