Dai a écrit :Quoi qu'il en soit, j'ai commencé la lecture du Traité de la réforme de l'entendement et l'idée du Vrai ; l'idée vraie de Spinoza par exemple, m'interrogent déjà beaucoup. Je ne suis pas sûr de comprendre encore... L'idée vraie serait donnée par l'être/l'objet effectivement perçu et n'aurait donc pas à être (ré-)interrogée en tant que telle (l' "anti-cartésianisme") en une démarche de validation, c'est ça ?! Je crois pouvoir en déduire, s'il en est ainsi, les prescriptions de la vraie Méthode, et encore...
Ce qui différencie Spinoza de Descartes, c'est que le premier ne part pas du doute universel pour aboutir au vrai, car une telle méthode n'échappe pas à l'objection sceptique de la régression à l'infini : si la condition de toute vérité est le doute préalable, alors il faut prouver que cette méthode est bien la bonne, puis prouver cette preuve elle-même et ainsi de suite. Dans ses méditations, Descartes applique sa célèbre méthode en 4 points : n'admettre que l'évidence absolue et donc douter d'abord de tout pour reconnaître l'évidence véritable des opinions incertaines, analyser les difficultés pour aboutir à des idées simples et donc évidentes, recomposer de façon logique ces idées simples, ne rien oublier. Mais à aucun moment il ne doute de cette méthode même.
Pour sortir de cette régression à l'infini, Spinoza préconise de douter du doute lui-même : en a-t-on vraiment besoin pour reconnaître l'évidence ? N'y a-t-il pas des idées telles que nous ne pouvons en douter sérieusement, autrement que par fiction ? Une idée est douteuse lorsqu'il est possible de penser le contraire sans se contredire : par exemple, si j'affirme qu'une récompense attend l'homme juste après sa mort, on peut fort bien penser et sans contradiction que rien ne l'attend ou même que les biens autant que les maux se trouvent encore dans une éventuelle vie après la mort du corps.
Mais il y a aussi des idées dont le contraire contient une contradiction : si par exemple je dis qu'un cercle n'a pas d'angles, le contraire "un cercle peut avoir des angles" contient manifestement une contradiction. Également, si j'affirme qu'il existe quelque chose, c'est une évidence première qui n'a pas besoin de résister à l'épreuve du doute pour être reconnue. Je peux certes démontrer cela en affirmant que s'il n'y avait rien, l'erreur sur ce point ne serait pas possible puisque pour pouvoir se tromper, il faut un sujet concevant des idées et des objets sur lesquels penser à côté. Mais en réalité cette démonstration même suppose qu'il y a quelque chose : une pensée de cette démonstration et cette démonstration comme objet. Elle relèverait à cette égard d'une forme de pétition de principe si le cœur même du raisonnement supposait ce qui est à démontrer, mais c'est une démonstration par l'absurde et non directe : elle ne montre pas directement la nécessité de son objet mais seulement l'impossibilité du contraire. En fait dès lors que je pense, que je doute ou pas, je sais qu'il y a de la pensée et des objets pensés (car il n'y a pas de pensée qui ne soit pas pensée de quelque chose). C'est ce sur quoi s'appuie toute pensée.
La méthode qui s'impose est alors de partir des idées vraies que nous possédons, c'est-à-dire des idées qui se suffisent à elles-mêmes pour être affirmées sans possibilité de penser autrement, pour en tirer de nouvelles après avoir réfléchi sur leurs propriétés. Le doute n'est donc pas au fondement du vrai, comme étape par laquelle il faudrait passer pour trouver l'indubitable, c'est le vrai - ce qui ne peut être pensé autrement sans contradiction et qui ne peut donc qu'être conforme à son objet - qui se fonde lui-même. Mais le doute n'est pas pour autant exclu : il reste utile pour distinguer les idées vraies authentiques des idées vraisemblables dont le contraire est concevable mais auquel nous n'avons jamais pris garde. Etant entendu que pour pouvoir faire cette distinction, nous devons déjà posséder les idées vraies authentiques, qui elles, se fondent elles-mêmes ou les unes par les autres
Ainsi, je ne dirais pas que l'idée vraie soit "donnée par l'être", on n'est pas ici dans un réalisme qui poserait la pensée vraie comme seconde par rapport à l'être ; l'être est consubstantiel à la pensée même : penser, c'est penser qu'il y a quelque chose et donc l'être est au cœur de la pensée, il n'y a pas la pensée d'un côté puis l'être d'un autre côté qui se rencontreraient ou pas.
Ensuite une idée vraie peut parfaitement être interrogée "en tant que telle" au moins en droit : il n'est interdit à personne par exemple de douter par exemple qu'il y ait autre chose que des substances et leurs modes, des choses qui se conçoivent par elles-mêmes ou au moyen de ces substances mêmes. Mais pour y parvenir en fait, c'est à celui qui prétend douter de donner au moins un exemple de quelque chose qui ne soit ni en soi ni en autre chose.
Enfin, une idée vraie première comme celle qu'il y a quelque chose qui doit exister par soi sans quoi rien ne pourrait exister, l'idée de substance donc, n'est qu'une de ces idées instruments qui demandent être enrichis, renforcés comme la main qui donne lieu à l'outil puis à la machine. Il y a donc bien lieu d'interroger cette idée en fait, non en tant que telle, mais dans ses conséquences.
Dai a écrit :Je ne m’attarderai pas sur la Méthode de Descartes car je ne maîtrise pas le sujet, mais le point commun résiderait dans la conception-même du Vrai ( ?) auquel on doit accéder ; vrai essentiel, stable et immuable, soit un vrai dont la détermination est en dehors de l’Homme et auquel il conviendrait simplement d’accéder par la méthode, quelle qu'elle puisse être.
Oui le vrai doit être immuable pour autant que la réalité le soit également. Il l'est en tant qu'il porte sur les essences qui elles relèvent de l'être. Il ne faut pas confondre ici le vrai et le réel. Le réel est ce qu'il s'agit de connaître, voire de reconnaître et qui peut être conçu comme indépendant de notre esprit ou mental. Le vrai est accord de l'idée avec son objet, comme Spinoza le dit dans Pensées métaphysiques I,6 avant de le rappeler dans Ethique I, ax. 6. En conséquence, la certitude qu'enveloppe l'idée vraie n'est pas dans les choses mais dans la façon dont l'idée s'accorde avec l'objet étant entendu que l'idée du cercle et le cercle lui-même ont deux essences formelles différentes : http://www.spinozaetnous.org/wiki/TRE#33
Dai a écrit :Ce qui me paraît notable, c’est que la perception par inférence (le troisième des quatre modes de perception que Spinoza distingue dans le Traité) qui permet de « conclure sans risque d’erreur » ne doive pas davantage être retenue. J’en conclurais bien que c’est du fait que la science ne doit pas uniquement avoir pour Spinoza pour objet de poser des certitudes, mais qu’elle doit aussi et avant tout être le moyen d’ « acquérir notre perfection » ; la « suprême perfection à laquelle l’homme peut atteindre ». Plus vulgairement, la « science pour la science » ; la science sans Projet ne serait ici que ruine de l’âme, si j’entends bien tout cela ( ?). Avec en arrière-plan une visée finaliste (?)...
Si on considère le contexte du paragraphe 28 du TRE, il me semble que "la perfection à laquelle nous aspirons" est ici surtout la connaissance adéquate des essences, ces choses fixes et éternelles sur lesquelles doit s'appuyer la connaissance pour être parfaitement sûre. Le troisième mode de perception des idées est certain dans ses conclusions mais pas forcément dans ses prémisses car celles-ci relèvent le plus souvent du deuxième mode : nous savons par expérience vague que nous savons que plus les choses sont loin, plus elles nous paraissent petites ; nous en concluons avec raison que le soleil doit alors être bien plus gros qu'il ne paraît, mais à la base nous ne savons pas clairement pourquoi les choses nous paraissent plus petites quand elles sont loin parce que spontanément, nous ignorons l'essence de la vue et de la distance.
Cela dit, il n'est pas faux de dire que ce quatrième mode de perception, qui deviendra le troisième genre de connaissance dans l’Éthique, jouera un rôle majeur dans la connaissance de notre béatitude. Mais en même temps, s'il est clair chez Spinoza que ce que nous appelons aujourd'hui la "science", soit une connaissance mathématisée des phénomènes, ne saurait être une fin en soi, ce troisième genre de connaissance est immédiatement cause de béatitude : Éthique V, 32, 33 et 36 avec les scolies. Ainsi, science intuitive, connaissance du troisième genre, perfection humaine, amour intellectuel, béatitude, liberté, salut... tout cela signifie à peu près la même chose.
Dai a écrit :Sans certitude aucune encore, une fois de plus, mais je me lance ( !), je comprends qu’on ne doit pas « se regarder penser » pour Spinoza si j’ose dire, pour accéder au vrai. Ainsi la certitude de la vérité n’a « besoin d’autre signe que la vérité », cette vérité étant entendue comme la « sensation première de l’essence formelle ». L’acquisition des idées ne peut donc être première et la Méthode ne saurait être en outre le « raisonnement lui-même », le raisonnement ne pouvant servir que pour distinguer l’idée vraie des autres (§ 37). C’est en ce sens que j’écrivais que l’idée vraie est « donnée par l’être » Cf. « Pierre », par exemple (§ 34) : Pierre est réel et je n’ai qu’à le « sentir » dans son essence formelle pour accéder à la certitude de Pierre : la certitude de Pierre m’est donc donnée par Pierre et je n’ai pas à la "reconstruire" (attention : j’ai conscience d’être en… « terrain mouvant » et me fourvoie peut-être dans la lecture de Spinoza sur cette dernière conclusion (je le pressens presque ! – ma lecture et ma compréhension sont encore très fragiles et incertaines !).
C'est vrai que le TRE n'est pas un texte facile. Du fait de son inachèvement, on est tenté de penser que Spinoza l'a abandonné parce que l'Ethique le rendait inutile. En tout cas voici la compréhension que je pense avoir de ce passage : en ayant l'idée de Pierre, je possède son essence objective, c'est-à-dire l'objet de mon idée qui est Pierre. Je ne peux douter que j'ai cette idée : il y a adéquation entre l'essence formelle de l'idée (l'idée en tant que chose) et son essence objective. Mais l'essence formelle de Pierre, quant à elle, ne coïncide pas forcément avec l'essence objective de l'idée que j'en ai. Ce n'est donc pas Pierre, par sa présence matérielle, qui fonde la certitude de l'idée que j'en ai, mais la pensée elle-même.
Pour m'approcher de l'essence formelle de Pierre, ne pouvant la connaître en soi, je devrai bien la reconstruire en partant des notions communes entre nos corps et leurs productions. Mais je ne saisirai pas sa singularité par là-même. C'est l’Éthique qui montrera comment procéder en saisissant le lien entre les attributs infinis de Dieu et les êtres singuliers. Pour l'heure, il s'agit dans le TRE de comprendre que "comme le rapport qui existe entre deux idées est le même que le rapport qui existe entre les essences formelles de ces idées, il s'ensuit que la connaissance réflexive qui a pour objet l'être absolument parfait sera supérieure à la connaissance réflexive qui a pour objet les autres idées ; c'est-à-dire que la méthode parfaite est celle qui enseigne à diriger l'esprit sous la loi de l'idée de l'Être absolument parfait. " (§38) En l'occurrence, l'essence objective de l'idée de Dieu comme être souverainement parfait est telle que sa certitude est la mieux à même de nous fournir de quoi réfléchir aux caractères de l'idée vraie pour diriger le mental.