Enegoid a écrit :Henrique a écrit :3) la direction ou l'orientation d'un mouvement vers une finalité.
Je ne suis pas sûr que la notion de sens implique ("enveloppe" dirait Spi) celle de finalité.
Disons pas seulement, je complète donc ma définition : "l'orientation d'un mouvement vers un terme déterminé, un terme indéterminé ou encore une finalité".
En cette troisième acception, dire le "sens" d'une chose, c'est répondre à la question "vers où va un objet ?" et force est de reconnaître que tout terme d'un mouvement ne constitue pas nécessairement un but, quelque chose de désiré ou de désirable. Personne aujourd'hui ne croira que si le vent va d'est en ouest, c'est parce qu'il le désire. De même, le sens de la chute d'une pierre du haut d'une montagne, sur Terre, est le bas de la montagne. Mais comme le remarque Spinoza, si cette pierre était capable de se rendre compte de ce mouvement vers le bas tout en ignorant sa cause, elle prendrait ce terme pour un but qu'elle s'est donnée librement...
Mais si tu relis ma réfutation de l'idée de sens du monde, j'ai en fait plus insisté sur la critique d'un terme possible du mouvement du monde, déterminé ou indéterminé, que sur celle d'un but. Car si l'on entend bien par monde, la nature naturée, considérée rationnellement, c'est-à-dire en son éternité, il n'y a en fait pas de mouvement : le monde enveloppe aussi bien l'ici et l'ailleurs en une seule totalité continue que le maintenant et le plus-tard. La nature naturée est donc immuable, il n'y a de mouvement que pour ses parties, les unes vis-à-vis des autres, et encore, du point de vue d'une autre de ses parties. Si l'on considère cependant, de façon mutilée, le monde à un moment m (c'est-à-dire d'un point de vue limité dans l'espace et le temps), le monde paraîtra en mouvement vers ce que nous appellerons l'avenir. Mais même de ce point de vue, rien n'autorise à concevoir un terme à ce mouvement, puisque le mouvement d'un corps ne se termine qu'en raison de la présence d'un autre corps et qu'en dehors de la nature, il n'existe rien.
Et ce terme ne sera ni déterminé, ce qui aurait pour conséquence la cessation du mouvement, ni indéterminé, ce qui permettrait un mouvement indéfini, car il faudrait dans les deux cas que deux termes au moins existent ou soient concevables hors du monde en tant que tel, celui dont on s'éloigne et celui vers lequel le monde irait. Or il n'y a mode fini ou infini en dehors du mode infini médiat de la substance que nous appellerions univers (facies totius universi).
Petites remarques :
1) Pour info, Aristote, n'était pas un sophiste, et pour lui le terme du mouvement de la pomme était aussi sa finalité, ce à quoi elle tend par elle-même, son entéléchie : elle va vers le bas, parce que c'est la place de tous les corps graves.
2) Le tracé empirique d'une droite a peut-être une direction, de la gauche vers la droite par exemple, mais d'un point de vue géométrique, c'est-à-dire adéquat, elle est une longueur infinie, sans terme donc. Par contre, comme une droite A n'est infinie qu'en son genre, et qu'elle n'est donc pas une infinité d'autres choses, on peut toujours la situer par rapport à certaines de ces autres choses : un observateur, une autre droite etc. Ainsi, dans un plan orthonormé, on pourra considérer qu'une droite peut être située à gauche du point d'origine ou à droite...
3) La science peut être considérée sur le modèle empirique du tracé d'une droite qui se continuerait indéfiniment, comme un mouvement donc, allant de l'ignorance quasi-totale (car une ignorance absolue ne pourrait jamais donner lieu à la moindre connaissance) à la compréhension totale et unifiée de tout ce qui peut se produire dans l'univers, sachant qu'un tel terme ne peut qu'être indéfini pour un esprit fini : la recherche est une chose, l'ignorance et la connaissance totale en sont deux autres. On a donc ici assez de négation pour qu'il y ait cette moindre perfection que constitue la recherche de connaissance totale, moindre perfection par rapport à celle de la compréhension immédiate et totale de la nature par elle-même dans l'intellect infini. Mais nous avons affaire, avec la science, à un mode fini qui est l'idée de la nécessité de rechercher une compréhension toujours plus étendue du monde, l'essence de cette idée est donc alors de s'efforcer de persévérer dans son être autant qu'il est en elle : la science, comme idée, tend à l'augmentation de la compréhension du monde parce que cette idée d'augmentation est constitutive de la nature même de la science. Il y a un conatus de la science dans son existence concrète comme il y a un conatus de chaque mode de la substance. Et rien dans la nature ne garantit que ce conatus persévère adéquatement dans son être, c'est-à-dire qu'il progresse à coup sûr dans le sens de sa propre essence, de même que l'homme qui se complaît dans la haine ne croit vivre ainsi dans le sens de son intérêt que par une idée inadéquate de lui-même. Seuls les scientifiques, en tant qu'ils font vivre cette idée de la science dans son conatus propre, peuvent s'efforcer de le faire adéquatement et durablement s'ils sont assez nombreux à le faire dans ce sens.
On pourrait alors remarquer qu'en se référant au conatus, on réintroduit une orientation de type finaliste : aller vers l'être plus plutôt que l'être moins, et finalement vers l'être total plutôt que vers le non-être. Mais si l'idée de fin suppose le choix d'une volonté libre, il est clair qu'il n'y a pas ici de choix relevant d'un hypothétique libre arbitre : le non-être ne peut être un choix, ce n'est que parce qu'on se le représente inadéquatement comme une sorte de quelque chose, peut-être plus grand que l'être même, qu'on croira en faire le choix, de sorte qu'au final, adéquatement ou inadéquatement, on tend toujours à l'être seul. Et comme cet effort vers l'être d'un être fini ne se comprend qu'à partir de l'être infini (E3P9), c'est-à-dire par ce qu'il y a d'affirmation dans le fini plutôt que de négation, alors le "sens" du conatus revient plus à l'idée de cohérence (acception deux que j'avais signalée) qu'à celle de direction. En effet, aller vers l'être plutôt que le non-être n'est pas une direction, à la différence d'aller vers Paris plutôt que Marseille : Paris et Marseille sont des êtres ayant une positivité, le non-être n'en a aucune.
4) On peut alors considérer que l'humanité (qui n'est pas le monde) à un moment m de sa durée indéfinie va, en raison de son conatus, vers une affirmation toujours grande de son être propre. Pour le faire adéquatement c'est-à-dire pleinement, elle doit développer des idées adéquates d'elle-même et de la nature qui l'enveloppe. Mais il n'y a pas là un choix entre la puissance et l'impuissance, l'augmentation de la connaissance adéquate plutôt que sa diminution, puisque cela impliquerait pouvoir aller vers le non-être alors qu'aucun être ne peut désirer le non-être. Et rien dans notre connaissance partielle de la nature ne nous garantit que l'humanité s'affirme adéquatement dans un progrès continu vers l'unification des hommes entre eux et avec la nature qu'impliquerait une telle affirmation. C'est ici un peu comme une balle de tennis lancée dans le camp adverse : pour qu'elle y parvienne sans être faute, il faut qu'elle ait été lancée adéquatement à l'essence même du coup de raquette qui était de marquer un point, donc un lancer ni trop fort ni trop faible, ni trop haut, ni trop bas... En ce qui concerne l'accomplissement de l'humanité pour elle-même (car du point de vue de la nature totale, elle est déjà accomplie dans sa perfection propre de toute éternité - perfection qui peut être celle du cercle ou celle de la sphère, c'est ce que nous ignorons) tout dépend donc du nombre d'individus dont les idées adéquates surpassent les idées inadéquates à ce moment m de sa durée.