Les concepts de l’autre et du visage de l’autre chez Levinas sont-ils réellement des concepts novateurs, qui s’opposent radicalement aux idées de Spinoza ?
Et, en considérant que cela n’est pas juste une affaire de point de vue sur la religion, pourquoi Levinas était-il si violemment opposé à la pensée de Spinoza ?
[size=50][ Edité par Krishnamurti Le 06 September 2002 ][/size]
Spinoza et Levinas
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Sans doute parce que pour L, S défend le point de vue de la Totalité ? Le Dieu de L, c le Très-Haut. Il possède tous les superlatifs. Il est le Très éloigné, l'Infini, pas l'infini de S. Entre Lui et nous : un abîme incomblable. N'oubliez pas que la Loi juive est aussi impérative que vide, inconnaissable. Moïse a cassé les premières tables écrites par Dieu, les secondes sont juste dictées après l'épisode du veau d'or. Quant à savoir si la pensée de L est innovante, disons qu'elle est la première tentative sérieuse pour traduire en termes de philo occidentale la pensée religieuse juive. Il y a autant de distance entre L et S qu'entre la morale et l'éthique.
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On 2002-09-06 23:18, lupink message:
Sans doute parce que pour L, S défend le point de vue de la Totalité ? Le Dieu de Lévinas, c le Très-Haut. Il possède tous les superlatifs. Il est le Très éloigné, l'Infini, pas l'infini de S. Entre Lui et nous : un abîme incomblable. N'oubliez pas que la Loi juive est aussi impérative que vide, inconnaissable. D'où casuistique et herméneutique. C pourquoi aussi la religion juive est plus une orthopraxie qu'une orthodoxie. Moïse a brisé les premières tables écrites par Dieu, les secondes sont juste dictées par Dieu après l'épisode du veau d'or.
Quant à savoir si la pensée de L est innovante, disons qu'elle est la première tentative sérieuse pour traduire en termes de philo occidentale la pensée religieuse juive.
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On 2002-09-06 23:18, lupink message:
Sans doute parce que pour L, S défend le point de vue de la Totalité ? Le Dieu de Lévinas, c le Très-Haut. Il possède tous les superlatifs. Il est le Très éloigné, l'Infini, pas l'infini de S. Entre Lui et nous : un abîme incomblable. N'oubliez pas que la Loi juive est aussi impérative que vide, inconnaissable. D'où casuistique et herméneutique. C pourquoi aussi la religion juive est plus une orthopraxie qu'une orthodoxie. Moïse a brisé les premières tables écrites par Dieu, les secondes sont juste dictées par Dieu après l'épisode du veau d'or.
Quant à savoir si la pensée de L est innovante, disons qu'elle est la première tentative sérieuse pour traduire en termes de philo occidentale la pensée religieuse juive.
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- Henrique
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Chez Lévinas, Dieu est le ''Tout Autre'', incommensurable avec l'homme. Chez Spinoza, le refus de l'anthropomorphisme amène à la fois à être plus radical et moins abstrait. Dieu n'a rien d'une personne, ce n'est donc pas un autre, sous entendu, un alter ego, une autre moi que moi. Mais Dieu demeure intelligible en raison de sa conaturalité avec moi : si je ne suis pas en tant qu'homme ''absolument infini'', je suis l'expression immédiate de cette infinité : [i]conatus[/i]. En tant que substance de ce que je suis, Dieu est le ''je suis ce que je suis'' de mon être (le soi n'étant pas le moi). Il n'y a donc aucune altérité entre Dieu et l'homme, d'où le fait que se connaître adéquatement, c'est connaître Dieu, donc avoir un vécu de Dieu et non une représentation abstraite de celui-ci.
Dans la relation à autrui également, Spinoza insiste davantage sur ce que les hommes ont de commun que ce qui les différencie pour fonder l'éthique rationnelle de la 4° partie de l'Ethique. Je crois que Lévinas en reste là dans sa compréhension de Spinoza. Car l'entendement intuitif (CN3) appréhende quant à lui la singularité des êtres : certes sur la base de l'unité d'un attribut, mais le propre d'un attribut, c'est précisément de s'exprimer en une infinité de modes. La raison connaît ce qu'il y a de commun aux êtres, l'entendement ce qu'il y a d'identique dans la diversité : l'affirmation de soi de la substance.
D'après ce qu'on peut lire dans [i]Difficile liberté[/i], je ne vois pas vraiment de ''violente opposition'' de Lévinas à Spinoza, mais une opposition certes. Par exemple, il se prononce contre la levée de l'excommunication de Spinoza par le grand rabbin, car d'après lui en gros Spinoza n'aurait pas demandé une telle réintégration. Lévinas reste orthodoxe dans sa compréhension du judaïsme. Spinoza apporte une compréhension ''hérétique'' du judaïsme, tout en le dépassant à certain égards.
Dans la relation à autrui également, Spinoza insiste davantage sur ce que les hommes ont de commun que ce qui les différencie pour fonder l'éthique rationnelle de la 4° partie de l'Ethique. Je crois que Lévinas en reste là dans sa compréhension de Spinoza. Car l'entendement intuitif (CN3) appréhende quant à lui la singularité des êtres : certes sur la base de l'unité d'un attribut, mais le propre d'un attribut, c'est précisément de s'exprimer en une infinité de modes. La raison connaît ce qu'il y a de commun aux êtres, l'entendement ce qu'il y a d'identique dans la diversité : l'affirmation de soi de la substance.
D'après ce qu'on peut lire dans [i]Difficile liberté[/i], je ne vois pas vraiment de ''violente opposition'' de Lévinas à Spinoza, mais une opposition certes. Par exemple, il se prononce contre la levée de l'excommunication de Spinoza par le grand rabbin, car d'après lui en gros Spinoza n'aurait pas demandé une telle réintégration. Lévinas reste orthodoxe dans sa compréhension du judaïsme. Spinoza apporte une compréhension ''hérétique'' du judaïsme, tout en le dépassant à certain égards.
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Je ne retrouve pas ce livre ou il me semble avoir lu des propos très durs de Levinas à l’encontre de Spinoza (peut-être des entretiens) mais je viens de retrouver un ouvrage collectif paru au PUF sous la direction d'Olivier Bloch (1993). On peut y trouver une communication de Jean-François Rey intitulé Levinas et Spinoza.
L'article commence par une citation de Levinas citant Jacob Gordin, alors qu'il (Levinas) aborde ce qu'il appelle le cas Spinoza : ''Il existe une trahison de Spinoza'' (Difficile liberté, p. 144).
L'article parle aussi de l'admiration et de la reconnaissance de Levinas à l'égard du Spinozisme...
Je n'ai malheureusement ni le temps de lire ni le temps de vous faire un résumé <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_rolleyes.gif"> . Je donne juste l'info au cas où cela intéresserait quelqu'un.
Promis dans 10 mois je relis Spinoza (encore l'une des vertus de ce site :-) ), d'ailleurs il y a même des passages de l'Ethique que j'ai jamais lu complètement <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_biggrin.gif"> [size=50][ Edité par Krishnamurti Le 08 September 2002 ][/size]
L'article commence par une citation de Levinas citant Jacob Gordin, alors qu'il (Levinas) aborde ce qu'il appelle le cas Spinoza : ''Il existe une trahison de Spinoza'' (Difficile liberté, p. 144).
L'article parle aussi de l'admiration et de la reconnaissance de Levinas à l'égard du Spinozisme...
Je n'ai malheureusement ni le temps de lire ni le temps de vous faire un résumé <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_rolleyes.gif"> . Je donne juste l'info au cas où cela intéresserait quelqu'un.
Promis dans 10 mois je relis Spinoza (encore l'une des vertus de ce site :-) ), d'ailleurs il y a même des passages de l'Ethique que j'ai jamais lu complètement <IMG SRC="images/forum/smilies/icon_biggrin.gif"> [size=50][ Edité par Krishnamurti Le 08 September 2002 ][/size]
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On 2002-09-08 10:26, Henrique message:
Spinoza apporte une compréhension ''hérétique'' du judaïsme, tout en le dépassant à certain égards.
[/quote]
Oui, moi aussi cette déclaration m'étonne un peu. Elle me fait l'effet d'une réduction de la pensée de Spinoza. En même temps, je suis sur qu'Henrique a plus à dire là-dessus :wink:
On 2002-09-08 10:26, Henrique message:
Spinoza apporte une compréhension ''hérétique'' du judaïsme, tout en le dépassant à certain égards.
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Oui, moi aussi cette déclaration m'étonne un peu. Elle me fait l'effet d'une réduction de la pensée de Spinoza. En même temps, je suis sur qu'Henrique a plus à dire là-dessus :wink:
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D'abord, dans le TTP, Spinoza propose une réinterprétation des textes bibliques fondamentaux, qui ne s'appuie que sur la logique interne de ces textes. Le terme hébreux de [i]Nephesh[/i], traduit en latin par [i]Spiritus[/i] en est un exemple remarquable : au chap. I, il montre que ce terme dans son usage biblique a essentiellement une signification naturelle, le caractère, l'humeur alors que la tradition confère un caractère surnaturel à ce terme.
Il comprend donc la Bible de façon ''hérétique'' par rapport à ce que la tradition, avec ses commentaires de commentaires sans discontinuation, définirait comme orthodoxe.
Spinoza reprend certains éléments du monothéisme, en premier lieu avec l'idée de [b]puissance[/b] qui est signifiée par le vocable sémitique [i]El[/i] et [i]Elohim[/i] qui signifie Dieu. L'ontologie spinozienne insiste également sur la capacité à s'affirmer soi-même de Dieu, en tant que cause de soi, ce qui renvoie au nom de Dieu révélé à Moïse (Exode 3,16) : [i]''eyeh asher eyeh''[/i], ''je suis ce que je suis''.
Spinoza entend dépasser le judaïsme en effectuant une ''réforme'', une purgation de l'intellection de Dieu càd en suivant rigoureusement l'impératif mosaïque anti idolâtrie : toute image, et donc toute imagination au sujet de Dieu en son essence est inadéquate. Le dépassement s'effectue donc en faisant le départ entre ce qui est purement intellectuel dans la Bible au sujet de Dieu et ce qui est imaginaire et donc anthropomorphique.
Ce dépassement est le passage du moralisme de l'obéissance à l'éthique de la joie.
Henrique
Il comprend donc la Bible de façon ''hérétique'' par rapport à ce que la tradition, avec ses commentaires de commentaires sans discontinuation, définirait comme orthodoxe.
Spinoza reprend certains éléments du monothéisme, en premier lieu avec l'idée de [b]puissance[/b] qui est signifiée par le vocable sémitique [i]El[/i] et [i]Elohim[/i] qui signifie Dieu. L'ontologie spinozienne insiste également sur la capacité à s'affirmer soi-même de Dieu, en tant que cause de soi, ce qui renvoie au nom de Dieu révélé à Moïse (Exode 3,16) : [i]''eyeh asher eyeh''[/i], ''je suis ce que je suis''.
Spinoza entend dépasser le judaïsme en effectuant une ''réforme'', une purgation de l'intellection de Dieu càd en suivant rigoureusement l'impératif mosaïque anti idolâtrie : toute image, et donc toute imagination au sujet de Dieu en son essence est inadéquate. Le dépassement s'effectue donc en faisant le départ entre ce qui est purement intellectuel dans la Bible au sujet de Dieu et ce qui est imaginaire et donc anthropomorphique.
Ce dépassement est le passage du moralisme de l'obéissance à l'éthique de la joie.
Henrique
La pensée de Levinas et cet "autre" qui apparaît et disparaît pour réapparaître
subrepticement,me plonge dans une torpeur indolente.
Juif comme lui,Spinoza a su s'extraire,
non sans peine, de ses racines pour n'en garder que sa source intuitive.
Ineffable intuition,mise à toutes les sauces; Faut-il souhaiter la voir présente dans les sciences exates,
comme Freud et son inconscient?
Conscients de notre nature,les sages
de l'Inde s'en gardent bien.
Spinoza fait exploser tout ça dans une
gerbe de mots-étincelles dans laquelle
nous ne pouvons que nous agiter.
Les disciples de Jesus,sous l'effet de l'esprit, parlaient en langues,avec Spinoza,nous parlons en concepts.
Que ne sont-ils présents partout,chez
tous ces "autres" que Lévinas affuble
de toutes les caractéristiques!
Ce fut son grand souci.
Le nôtre devrait être un incessant va-et-vient occident - orient.
Disons, pour faire court: Spinoza-
Krishnamurti. Si celui-ci peut sembler
confus voire contradictoire,c'est qu'il faut lire le code-source.
Avec Spinoza c'est du prêt-à-penser.
(non péjoratif,: il n'y a plus qu'à...)
subrepticement,me plonge dans une torpeur indolente.
Juif comme lui,Spinoza a su s'extraire,
non sans peine, de ses racines pour n'en garder que sa source intuitive.
Ineffable intuition,mise à toutes les sauces; Faut-il souhaiter la voir présente dans les sciences exates,
comme Freud et son inconscient?
Conscients de notre nature,les sages
de l'Inde s'en gardent bien.
Spinoza fait exploser tout ça dans une
gerbe de mots-étincelles dans laquelle
nous ne pouvons que nous agiter.
Les disciples de Jesus,sous l'effet de l'esprit, parlaient en langues,avec Spinoza,nous parlons en concepts.
Que ne sont-ils présents partout,chez
tous ces "autres" que Lévinas affuble
de toutes les caractéristiques!
Ce fut son grand souci.
Le nôtre devrait être un incessant va-et-vient occident - orient.
Disons, pour faire court: Spinoza-
Krishnamurti. Si celui-ci peut sembler
confus voire contradictoire,c'est qu'il faut lire le code-source.
Avec Spinoza c'est du prêt-à-penser.
(non péjoratif,: il n'y a plus qu'à...)
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