La loi qui défend de tuer les animaux: EIVp37s

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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antesdeayer
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La loi qui défend de tuer les animaux: EIVp37s

Messagepar antesdeayer » 24 nov. 2016, 18:59

Bonjour, je voudrais savoir s'il y a information sur quelle loi, en concrete, Spinoza refere en disant;
Ils font voir clairement que la loi qui défend de tuer les animaux est fondée bien plus sur une vaine superstition et une pitié de femme que sur la saine raison" (EIVp37s)


Le français c'est ne pas ma langue, donc je m'excuse d'avance
Merci!

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Henrique
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Re: La loi qui défend de tuer les animaux: EIVp37s

Messagepar Henrique » 21 déc. 2016, 11:48

Bonjour,
Spinoza fait sans doute référence ici à la règle que se donnaient les orphistes et les pythagoriciens de ne pas tuer d'animaux pour manger. Puisqu'il parle dans ce scolie de religion naturelle, c'est-à-dire d'union des hommes à travers l'être suprême, on peut penser aussi aux esséniens qui seraient la communauté originelle de Jésus de Nazareth et qui pratiquaient le végétarisme, peut-être y en a-t-il des équivalents dans la cabale que Spinoza connaissait assez bien. Platon en tout cas avait repris cette idée dans sa République : les guerres viennent en grande partie de ce qu'on manque de terre, et on manque de terres parce qu'il en faut beaucoup plus pour élever et nourrir des animaux destinés à la consommation que pour des fruits et légumes. Il était donc favorable à la généralisation du végétarisme pour mettre en œuvre une cité juste.

C'est pour ma part une des rares idées où je pense que Spinoza confond les passions dominantes de son temps avec les notions communes de la saine raison comme il dirait. Puisque les bêtes ne peuvent raisonner comme nous, il ne serait non seulement pas interdit de les tuer pour notre usage, mais il n'y aurait aucun cas à faire de leurs intérêts. Le préjugé sexiste à l'égard des femmes qu'on lui connaît et qui ressort particulièrement aussi dans la citation proposée, fonctionne selon la même logique que le préjugé spéciste à l'égard des animaux non humains. Or si comme l'explique à juste titre Spinoza dans la proposition 36, l'homme libre veut pour les autres hommes ce qu'il veut pour lui-même, à savoir la connaissance de Dieu ou de la Nature qui est la vraie liberté (qui peut se comprendre comme jouissance sans préjugé de la vie même) alors il est capable de vouloir cela pour ceux qui ne raisonnent pas comme lui, non en leur imposant des idées par la force mais en s'efforçant seulement de combattre les préjugés qui s'opposent à la liberté. Pour les ignorants, hommes, femmes, malades ou enfants, il y a au moins une connaissance confuse de la vie, puisqu'ils sentent, quand bien même ils raisonnent mal ou pas du tout. Il n'y a donc pas de raison d'exclure les bêtes qui de l'aveu même de Spinoza sentent et donc ont l'idée de leur étendue autant que l'idée de cette idée comme faculté de penser, c'est-à-dire l'idée de Dieu même soit de ses attributs, ce qui à ce titre ne les éloigne pas tant que ça du commun des hommes qui ont tous une idée adéquate de Dieu dès lors qu'ils sentent l'étendue dont ils sont constitués ainsi que la pensée dont leurs sensations sont constituées (E2P47 parle de l'âme humaine mais rien dans sa démonstration ne permet d'exclure les animaux disposant d'un système nerveux central au moins).

D'autre part, la nature humaine à laquelle Spinoza fait référence dans ce scolie, autrement dit ce qui ne peut être retiré à l'homme sans qu'il cesse d'être ce qu'il est, n'est pas la capacité de raisonner (cf. E2P40S1) mais bien la capacité de se rendre compte de l'effort de persévérer dans son être (E3P9). Or rien ne permet de nier dans la philosophie de Spinoza comme dans les connaissances actuelles qu'il y ait aussi un conatus chez les animaux et avec cela, chez beaucoup, un degré de composition et d'unification individuelle du même ordre que le nôtre. L'homme en effet est un corps composé d'individus eux-même composés d'autres individus, fluides, mous ou durs (Postulats d'Ethique II) autrement dit d'organes comme le sang, l'estomac ou les os. Notre nature diffère alors grandement de celle des plantes mais beaucoup moins de celles des animaux. Ainsi les différences d'un individu à un autre sont souvent beaucoup plus pertinentes que les différences d'espèce : dans sa vie physique comme affective, une personne dans le coma peut être plus proche de certaines plantes qu'un cochon n'est en général différent d'un homme. Montaigne avait raison contre Descartes de dire qu'il y a plus de différence d'individu à individu, comme entre le sage, le terroriste ou l'homme dans le coma, qu'entre l'homme et les autres animaux.

Ainsi, le sage qui jouit sans préjugé de la perfection de sa nature et agit autant que possible pour chacun vive selon sa propre complexion est beaucoup plus éloigné du fanatique intégriste qui tue pour satisfaire des préjugés que du cochon qui a 95% d'ADN commun avec nous, une personnalité la capacité à se reconnaître dans un miroir, utiliser une ordinateur et ne fait de mal évitable à personne. En effet, le cochon, qui est d'autant plus haï par le vulgaire qu'il craint d'y trouver sa propre image, ne tue naturellement que ce qui menace sa vie et ce dont il a besoin pour vivre (végétaux, champignons, vers, mollusques présents dans la terre...). Il ne mange à moins d'y être contraint pour survivre, comme l'extrême majorité des humains, que les cadavres d'animaux se présentant à lui, préférant tant qu'il le peut éviter les dangers et les fatigues évitables de la confrontation directe avec des animaux. Seulement lui ne le fait qu'à l'occasion, il n'organise pas ou ne justifie pas tout une industrie mortifère avec son lot de cris de terreur et de chambres à gaz.

La raison ne commande donc pas de ne jamais tuer d'animaux, y compris humain, s'il s'agit de préserver notre vie mais de ne le faire que si c'est réellement nécessaire et inévitable pour nous conserver ; autrement, c'est ruiner le principe même du droit qui repose sur la puissance d'être affecté, autrement dit de vouloir, les animaux supérieurs ayant une capacité de vouloir.
Henrique Diaz
Ne pas ricaner, ne pas geindre, mais comprendre pour agir vraiment.

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Re: La loi qui défend de tuer les animaux: EIVp37s

Messagepar antesdeayer » 21 déc. 2016, 15:55

Merci beaucoup, Henrique, pour votre réponse. Il y a quelques jours, nous avons tenu une réunion, le XIII Symposium International Spinoza, á Córdoba, Argentina. Cette réunion a a été consacré a les passages maudits de l'oeuvre de Spinoza, y compris EIVp37s; donce votre intervention est utile pour poursuivre la réflexion sur ces questions sur "nous et Spinoza"


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