C'est donc avec ce concept de substance que je peux commencer le voyage vers ma félicité.
Notez dores et déjà que ce voyage lui-même est intéressant et donne une saveur particulière à l'existence même si l'on n'est pas sûr de parvenir au but...
mais la suite du voyage va bientôt me montrer qu'elle existe et qu'elle est suffisante pour aller jusqu'au bout du voyage.
Ce sera à vous de voir en maintenant intact votre désir de comprendre vraiment et pas seulement d'entendre dire que...
La perte d'un être qu'on aime infiniment (parent, conjoint ou partenaire amoureux, enfant, petit-enfant...) ou de quelque chose dans lequel on s'est totalement investi (entreprise, projet, pays dans le cas d'une émigration pour cause de dictature, démocratie...), on peut la supporter d'une âme égale ?
C'est une question compliquée qui mériterait un nouveau sujet. Je dirais simplement qu'on a de la peine à envisager les choses ainsi, d'une âme égale, d'abord parce qu'on pense que ce ne serait pas bien, qu'il faut nous montrer attachés à ce qui s'est détaché de nous. Cela montre pourtant bien que c'est ce que nous pensons du bien et du mal qui nous conduit à nous affliger profondément d'une telle perte (ce qui est différent de la simple douleur effective de se voir coupé d'une partie de soi), ce n'est pas la perte elle-même.
C'est pour cela d'ailleurs qu'un homme peut se séparer d'une partie de lui-même, comme par exemple un organe à l'occasion d'un don pour sauver la vie d'un membre de sa famille, et même parfois de sa propre vie, en toute quiétude, voire même avec joie. Cet homme éprouve de la douleur mais non de l'affliction car il a conçu la nécessité d'agir ainsi pour être en accord avec lui-même. On voit donc bien, comme l'avaient déjà bien compris les stoïciens, que ce n'est pas la perte de quelque chose qui nous rend malheureux mais ce qu'on pense de cette perte. Ce qu'apporte Spinoza, c'est la compréhension de la nécessité conduisant naturellement à une telle pensée, là où les stoïciens comme Épictète s'en remettaient au libre-arbitre.
D'autre part, on confond ici ordinairement attachement et amour, mais je ne veux pas m'éloigner trop du sujet, souhaitant qu'on puisse au moins quelques fois pouvoir considérer qu'un sujet a été traité suffisamment, et que les autres sujets de réflexion que cela entraîne soient traités à part, pour éviter la sensation de discussions sans fins, finalement vaines qu'on a quand on ne se donne pas un minimum de discipline.
Et la douleur physique qui dépasse notre seuil de tolérance, par définition, on ne peut pas la supporter. En tout cas, pas moi
Mais vous avez employé le bon mot : un "seuil", c'est toujours quelque chose qui peut évoluer, si on s'y exerce. Apprendre à jouer de la guitare par exemple, et a fortiori du violon, c'est à bien des égards une torture pour les doigts, qui sont naturellement très sensibles. Pourtant cela n'a pas empêché des générations de passionnés de faire face à cette difficulté presque sans s'en apercevoir, plaçant leur intérêt non dans le seul évitement de toute forme de douleur mais dans le développement de leur puissance (de jouer de la musique).
Alors, si je trouve un sens plus profond et plus authentique (encore) à mon existence, je comprendrai pourquoi les nuages existent et disparaissent et ...cela m'interessera autant que tout ce qui exprime la substance, c'est-à-dire la nature ou l'Etre dont je fais partie, que j'en sois conscient ou pas dans mon entendement .
En effet, avec Spinoza, on ne sort jamais d'un certain égoïsme, c'est toujours son intérêt qu'on cherche, mais cet intérêt bien compris, ce qui m'est réellement utile, ce n'est pas de soumettre les choses à mes petits besoins particuliers, mais de me rendre capable d'aimer tout ce qui m'entoure. Chaque fois que je n'aime pas ou même que je suis indifférent, dans le sens non de détaché mais d'un peu méprisant, je fais preuve d'une impuissance qui n'a pourtant rien d'inéluctable.
C'est pour moi un honneur de faire le voyage avec un compagnon de route qui répond à mes questions et seulement à mes questions contrairement aux livres nombreux qui nourrissent ma connaissance du premier genre, mais ne m'aident toujours pas à comprendre les définitions, axiomes, et propositions "géométriques" de l'Ethique.
Je pense très sincèrement que vous pourriez et peut-être devriez être le compagnon de route de tous ceux qui comme moi se heurtent à la porte qu'ils trouvent close de l'éthique comme l'homme de la campagne devant la loi de Kafka
http://www.lyber-eclat.net/kafka.html
Un livre qui répondrait comme vous le faites en ce moment avec moi à tous les hommes de la campagne qui veulent entrer dans l'Ethique serait une "bénédiction".
Je ne sais pas, écrire des livres un jour est un rêve d'adolescent pour moi qui ne me laisse toujours pas indifférent, mais il y a déjà bien des livres qui s'efforcent de rendre accessible la pensée de Spinoza à l'homme du commun. Peut-être que ce que je pourrais faire permettrait à quelques uns de mieux trouver leur compte que dans ce qui existe déjà. Mais comme vous le dites bien, je peux ici répondre à vos questions, telles que vous vous les posez et vous inviter à répondre aux miennes. C'est ce qui faisait que Platon voyait dans le livre une parole morte, amputée de sa véritable nature qui est le dialogue. Le forum internet, quoiqu'en dise bien des détracteurs, présente cet intérêt de pouvoir conjuguer l'écrit et ses avantages pour la mémoire et la possibilité du dialogue.
Voulant avoir une boite à outils qui m'aide à comprendre l'Ethique, j'ai à ma disposition une belle sélection en français et en anglais que j'ai "piochée" pendant trois mois.
Mais comme pendant les cours de physique dans mes lointaines années de lycée, je ne comprends pas réellement, même si je peux répondre aux questions ou interrogations.
Alors, c'est décidé : je ne fais pas semblant d'avoir compris si je n'ai pas une connaissance du deuxième et aussi si possible du troisième genre de chaque définition, axiome, proposition et démonstration.
C'est comme cela en effet que nous pouvons tous progresser à mon sens. On peut aussi trouver sa béatitude dans des discutailleries sans fin, qui peuvent en général porter sur n'importe quel sujet, pourvu qu'on puisse y faire la preuve que tout peut être dit ainsi que son contraire, mais alors on en revient toujours au point de départ. Je suis de ceux qui pensent que c'est une béatitude plus vraie que de se donner les moyens de progresser point par point en vue de la vérité, c'est-à-dire de vérités toujours plus amples.
Il y aura bien un moment, où comme dans le texte du TRE, je pourrai avancer de progrès en progrès jusqu'au comble de la sagesse avec les outils adéquats.
Vous avez déjà compris pas mal de choses, me semble-t-il. Il faut aussi savoir le reconnaître.
Merci pour la générosité de vos éclaircissements : ils sont vraiment une aide précieuse pour moi et, j'en suis sûrs, pour tous les lecteurs de ce forum qui est une forme contemporaine des réunions de Collégiants ou du cercle de Spinoza.