Substance

Lecture pas à pas de l'Ethique de Spinoza. Il est possible d'examiner un passage en particulier de cette oeuvre.
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Henrique
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Messagepar Henrique » 30 janv. 2012, 01:33

C'est donc avec ce concept de substance que je peux commencer le voyage vers ma félicité.


Notez dores et déjà que ce voyage lui-même est intéressant et donne une saveur particulière à l'existence même si l'on n'est pas sûr de parvenir au but...

mais la suite du voyage va bientôt me montrer qu'elle existe et qu'elle est suffisante pour aller jusqu'au bout du voyage.


Ce sera à vous de voir en maintenant intact votre désir de comprendre vraiment et pas seulement d'entendre dire que...



La perte d'un être qu'on aime infiniment (parent, conjoint ou partenaire amoureux, enfant, petit-enfant...) ou de quelque chose dans lequel on s'est totalement investi (entreprise, projet, pays dans le cas d'une émigration pour cause de dictature, démocratie...), on peut la supporter d'une âme égale ?


C'est une question compliquée qui mériterait un nouveau sujet. Je dirais simplement qu'on a de la peine à envisager les choses ainsi, d'une âme égale, d'abord parce qu'on pense que ce ne serait pas bien, qu'il faut nous montrer attachés à ce qui s'est détaché de nous. Cela montre pourtant bien que c'est ce que nous pensons du bien et du mal qui nous conduit à nous affliger profondément d'une telle perte (ce qui est différent de la simple douleur effective de se voir coupé d'une partie de soi), ce n'est pas la perte elle-même.

C'est pour cela d'ailleurs qu'un homme peut se séparer d'une partie de lui-même, comme par exemple un organe à l'occasion d'un don pour sauver la vie d'un membre de sa famille, et même parfois de sa propre vie, en toute quiétude, voire même avec joie. Cet homme éprouve de la douleur mais non de l'affliction car il a conçu la nécessité d'agir ainsi pour être en accord avec lui-même. On voit donc bien, comme l'avaient déjà bien compris les stoïciens, que ce n'est pas la perte de quelque chose qui nous rend malheureux mais ce qu'on pense de cette perte. Ce qu'apporte Spinoza, c'est la compréhension de la nécessité conduisant naturellement à une telle pensée, là où les stoïciens comme Épictète s'en remettaient au libre-arbitre.

D'autre part, on confond ici ordinairement attachement et amour, mais je ne veux pas m'éloigner trop du sujet, souhaitant qu'on puisse au moins quelques fois pouvoir considérer qu'un sujet a été traité suffisamment, et que les autres sujets de réflexion que cela entraîne soient traités à part, pour éviter la sensation de discussions sans fins, finalement vaines qu'on a quand on ne se donne pas un minimum de discipline.

Et la douleur physique qui dépasse notre seuil de tolérance, par définition, on ne peut pas la supporter. En tout cas, pas moi :)

Mais vous avez employé le bon mot : un "seuil", c'est toujours quelque chose qui peut évoluer, si on s'y exerce. Apprendre à jouer de la guitare par exemple, et a fortiori du violon, c'est à bien des égards une torture pour les doigts, qui sont naturellement très sensibles. Pourtant cela n'a pas empêché des générations de passionnés de faire face à cette difficulté presque sans s'en apercevoir, plaçant leur intérêt non dans le seul évitement de toute forme de douleur mais dans le développement de leur puissance (de jouer de la musique).


Alors, si je trouve un sens plus profond et plus authentique (encore) à mon existence, je comprendrai pourquoi les nuages existent et disparaissent et ...cela m'interessera autant que tout ce qui exprime la substance, c'est-à-dire la nature ou l'Etre dont je fais partie, que j'en sois conscient ou pas dans mon entendement .

En effet, avec Spinoza, on ne sort jamais d'un certain égoïsme, c'est toujours son intérêt qu'on cherche, mais cet intérêt bien compris, ce qui m'est réellement utile, ce n'est pas de soumettre les choses à mes petits besoins particuliers, mais de me rendre capable d'aimer tout ce qui m'entoure. Chaque fois que je n'aime pas ou même que je suis indifférent, dans le sens non de détaché mais d'un peu méprisant, je fais preuve d'une impuissance qui n'a pourtant rien d'inéluctable.

C'est pour moi un honneur de faire le voyage avec un compagnon de route qui répond à mes questions et seulement à mes questions contrairement aux livres nombreux qui nourrissent ma connaissance du premier genre, mais ne m'aident toujours pas à comprendre les définitions, axiomes, et propositions "géométriques" de l'Ethique.
Je pense très sincèrement que vous pourriez et peut-être devriez être le compagnon de route de tous ceux qui comme moi se heurtent à la porte qu'ils trouvent close de l'éthique comme l'homme de la campagne devant la loi de Kafka
http://www.lyber-eclat.net/kafka.html
Un livre qui répondrait comme vous le faites en ce moment avec moi à tous les hommes de la campagne qui veulent entrer dans l'Ethique serait une "bénédiction".

Je ne sais pas, écrire des livres un jour est un rêve d'adolescent pour moi qui ne me laisse toujours pas indifférent, mais il y a déjà bien des livres qui s'efforcent de rendre accessible la pensée de Spinoza à l'homme du commun. Peut-être que ce que je pourrais faire permettrait à quelques uns de mieux trouver leur compte que dans ce qui existe déjà. Mais comme vous le dites bien, je peux ici répondre à vos questions, telles que vous vous les posez et vous inviter à répondre aux miennes. C'est ce qui faisait que Platon voyait dans le livre une parole morte, amputée de sa véritable nature qui est le dialogue. Le forum internet, quoiqu'en dise bien des détracteurs, présente cet intérêt de pouvoir conjuguer l'écrit et ses avantages pour la mémoire et la possibilité du dialogue.

Voulant avoir une boite à outils qui m'aide à comprendre l'Ethique, j'ai à ma disposition une belle sélection en français et en anglais que j'ai "piochée" pendant trois mois.
Mais comme pendant les cours de physique dans mes lointaines années de lycée, je ne comprends pas réellement, même si je peux répondre aux questions ou interrogations.
Alors, c'est décidé : je ne fais pas semblant d'avoir compris si je n'ai pas une connaissance du deuxième et aussi si possible du troisième genre de chaque définition, axiome, proposition et démonstration.


C'est comme cela en effet que nous pouvons tous progresser à mon sens. On peut aussi trouver sa béatitude dans des discutailleries sans fin, qui peuvent en général porter sur n'importe quel sujet, pourvu qu'on puisse y faire la preuve que tout peut être dit ainsi que son contraire, mais alors on en revient toujours au point de départ. Je suis de ceux qui pensent que c'est une béatitude plus vraie que de se donner les moyens de progresser point par point en vue de la vérité, c'est-à-dire de vérités toujours plus amples.

Il y aura bien un moment, où comme dans le texte du TRE, je pourrai avancer de progrès en progrès jusqu'au comble de la sagesse avec les outils adéquats.


Vous avez déjà compris pas mal de choses, me semble-t-il. Il faut aussi savoir le reconnaître.

Merci pour la générosité de vos éclaircissements : ils sont vraiment une aide précieuse pour moi et, j'en suis sûrs, pour tous les lecteurs de ce forum qui est une forme contemporaine des réunions de Collégiants ou du cercle de Spinoza.
:)


:)

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Messagepar hokousai » 30 janv. 2012, 13:09

à Henrique

Je ne dis pas qu'une telle ignorance vous rende nécessairement malheureux,

Berkeley par exemple ne le prend pas comme ça. Pour lui être leurré par le voile des mots c' est ça l'ignorance.

Descartes et la cire .
» Or quelle est cette cire qui ne peut être conçue que par
l'entendement ou l'esprit ? Certes <b>c'est la même </b>que je vois, que je touche,que j'imagine, et la même que je connaissais dès le
commencement."

Comment Descartes prouve-t-il que c'est<b> la même</b>. Il y a identification sous un même concept de plusieurs phénomènes très différents ( les visuels et les tangibles ).
Bien évidemment tout le monde ( qui n'a pas lu Berkeley ) vous dira que c'est la même.

Je vais vous dire .. tant qu'on avait pas découvert l' Amérique il n'y avait pas d'Amérique, elle ne faisait pas parti du<b> réel</b> .
Au delà de ce que les instruments les plus sophistiqués du physicien ne donnent rien à voir ou à percevoir il n y a rien de réel . C' est le vide .
Jusqu' à ce qu'une expérience nouvelle donne quelque chose à percevoir alors ce qui est perçu devient réel.
Mais c'est pareil dans l'intellection avant Riemann il n'existait pas de geométrie non euclidiennes, elles n' étaient pas réelles.

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Messagepar Henrique » 30 janv. 2012, 17:52

Houkousai,
D'accord, donc pour vous, être c'est être perçu, mais comme vous êtes plutôt bouddhiste c'est-à-dire athée si je ne m'abuse, cela signifie donc qu'un objet que personne ne perçoit, comme par exemple une chaussette oubliée au fond d'un placard, cesse tout simplement d'exister, puisqu'il n'y a pas de Dieu comme chez Berkeley pour maintenir l'existence de cet objet...

Le terme de réalité pour avoir un sens doit pouvoir désigner ce qui existe indépendamment de ce qui est perçu. Sinon, autant dire "nos perceptions" ou les phénomènes. En ce sens, l'Amérique existait bien évidemment avant qu'on la découvre, sinon elle n'aurait pas pu être découverte ! de même pour les lois de la gravitation, ou la rotondité de la terre...

C'est pourquoi aussi on peut parler de la réalité de la substance indépendamment de nos perceptions particulières, par une perception de l'entendement : ce qu'on ne peut penser autrement par opposition à tout ce qui relève de l'imagination et qui peut toujours être pensé autrement.

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Messagepar hokousai » 31 janv. 2012, 00:16

cher Henrique

En ce sens, l'Amérique existait bien évidemment avant qu'on la découvre,


oh je suis bien d'accord avec ça !
Mais parlons de la <b>réalité </b>comme ceci qui existe indépendamment de ce qui est perçu.

Car comment pouvez -vous limiter ce qui existe bien avant qu' on l'ait découvert ?
Je veux dire (et c'était le sens de mon message) que les limites assignées aux choses ne répondent qu' aux possibilités de percevoir les choses (par suite à nos possibilité de penser ).
Point de vue assez classique du <b>relativisme</b> de la connaissance limitée des choses singulières .

Oui mais qu' en est- il du<b> noumène</b> puisque sans le nommer cela correspond à ce dont vous parlez quand vous disiez <b>Cela implique la possibilité de compléter ce que la raison n'a encore que partiellement compris </b>
Cela implique donc de prédiquer des concepts, c'est à dire de donner la définition la plus complète de telle ou telle chose . Autrement dit on pourrait encore mieux observer et décrire, mais toujours relativement .
Comment sortir d' un certain relativisme quant à notre puissance de penser la nature naturée ?
Cela est impossible .
Il est du moins impossible d'avoir une certitude absolue d'avoir donné une définition complète de telle ou telle chose et très exactement une <b> description complète </b>.
Et ce pour la raison que Spinoza donne : les choses singulières ne sont pas par elles- mêmes.

On a des choses dont la définition est positive mais pas partielle . Partielle signifierait qu'il y en a une<b> totale</b> . On a donc donc des phénomènes plus ou moins interprétés par l' intellect .On a par exemple des corps . Mais qu'est -ce qu'un corps qui ne serait ni visible ni tangible ? C'est à dire non perceptible visuellement et tacitement . Est-ce qu' une sonate est un corps ?


Il reste la connaissance du trois!ème genre et là dessus je suis Spinoziste.
<b>concevoir les choses comme des étants réels, autrement dit en tant qu'elles enveloppent l' existence par l'essence de Dieu .</b>

Sauf que pour moi Dieu n'est pas en dehors de l'existence en question, il n'est pas substance dessous .Il n'est pas ce stable recherché et ce parce que l'existence çà n' a pas de substantialité, sauf nominalement et là est le voile des mots.
Il n'y a pas pour moi d' Etre qui , lui , existe ( nécessairement ) distinguable de la nature, nature qui elle existerait de par l' existence de cet être là.

Même si certaines remarques laissaient pourtant à penser que les modes n' existent pas, Spinoza ne s'est jamais sorti explicitement de la question de la finitude des choses singulières .
Spinoza n a pas sauté le pas . Il n'a pas dit explicitement que toute chose singulière dans sa finitude était une illusion. Et donc conséquemment que tous les savoirs que nous avons des choses singulières sont des interprétations .
Ce qui produit un spinozisme réaliste et essentialiste .
Ce qui conduit le spinozisme à ne plus avoir de critique épistémologique.
………………………………………………………………………………………………..

PS : Je ne suis pas théiste ce qui ne signifie pas que je sois athée .
Je serais de plus un assez mauvais bouddhiste, pour une raison très simple, je ne pratique pas assez régulièrement la méditation. Cela dit pour préciser que le bouddhisme n'est pas une métaphysique ( pas en première instance) mais une pratique. On devrait presque en dire autant du Spinozisme.

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Messagepar sescho » 07 févr. 2012, 10:12

Une contribution en passant, qui reprend au départ la "cause de soi."

E1D1 dit "J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante."

Normalement, la locution cause de soi doit être utilisée ensuite comme un tout ("cozdesoy") et n'être introduite qu'en rapport avec sa définition. On peut donc voir un problème de logique si ensuite elle est utilisée en s'appuyant sur son sens propre (de mémoire, Spinoza le fait, mais je ne suis pas certain.)

Quoiqu'il en soit, ce qui est clair est ceci : ce qui est "cause de soi" existe et est sans cause (autre que lui-même, mais le terme "cause" perd alors de son sens : c'est le cas limite où l'on s'arrête dans l'enchaînement des causes amont, avec la chose qui est cause d'elle-même, et donc causée par rien d'autre qu'elle-même, et donc sans cause.)

"- Qu'est-ce qui a créé Dieu-la Nature ?"

"- Rien : Il/Elle existe, c'est tout !"

Il n'y a rien de plus simple !

Ce qui est clair aussi c'est que par définition on ne peut RIEN connaître en dehors de l'Entendement, et plus spécialement en dehors des idées claires et distinctes. Donc, déjà, l'Entendement est ce qu'il y a de plus précieux, et quand il est clair et distinct il ne peut qu'être la vérité (dire que cela même peut être trompeur n'est qu'un jeu mental : trompeur par rapport à quelle vérité hors entendement ?) Autrement dit, un axiome fondateur implicite de tout discours sensé (et donc de l’Éthique, même s'il est présenté ensuite comme le résultat d'une démonstration) est : les idées claires et distinctes sont vraies, et donc inscrites « en l’état » dans la nature de la Nature (« idées vraies comme celles de Dieu même. »)

Mais il faut bien connaître l’Entendement pour le déployer ; c'est la tâche à laquelle s’attèle le TRE. Et il ne peut être question, si l’on veut parler de connaissance et de vérité, de ne pas suivre l’ordre naturel de l’Entendement. Or que voit-on ? Que l’Entendement pose certaines notions à partir d’autres, et certaines par elles-mêmes. Les dernières sont par conséquent nécessairement des idées de « choses » qui existent en elles-mêmes, et donc sans cause ("extérieure") : les substances (notion extrêmement importante, donc, en regard de l’ordre de l’Entendement, contrairement à ce que j’ai pu lire ça et là dans le passé)… ou leurs attributs… (problème des deux substances-attributs…)

Qui ne veut pas de cela doit en contrepartie amorcer la série de la régression des causes immanentes à l’infini (et pas seulement affirmer cette série en généralité, qui n’est qu’une simple hypothèse sans aucune preuve…) Des candidats ?

Sinon, comme rien ne vient de rien, on ne peut concevoir une cause première qui changerait de nature : une véritable cause première est nécessairement immuable, éternelle, et infinie puisque rien n’est hors elle-même, à l’encontre de quoi elle ne pourrait être dite cause première, étant limitée par quelque chose forcément de même nature du simple fait de cette limite (remarque qui en passant dit bien qu’une limite est une marque de continuité...)

Quelles sont ces notions premières, qui ne dépendent d’aucune autre : les corps se rapportent tous à l’Être étendu (ce sont des manières d'être étendu), lequel ne se rapporte à rien : première conception en soi / cause de soi. Les idées se rapportent toutes à l’Être pensé, lequel ne se rapporte à rien : deuxième conception en soi / cause de soi.

Il y a en outre manifestement un lien entre mode étendu et mode pensé : ce ne peut donc être à la base qu’une seule nature, qui a des attributs dont chacun apparaît comme une substance. Et comme le chiffre 2 n’a pas à s’interposer entre le 1 et l’infini, il y a donc une infinité d’attributs dans cette seule nature : Dieu, qui existe sans cause avec une infinité d’attributs dont chacun apparaît comme substance.

Viendra ensuite l’introduction (sans lien logique, pour le coup, si ce n’est que le concept de substance se tire d’eux sur le plan expérimental humain), des modes infinis et éternels qui découlent de la nature absolue de la substance, Mouvement et Entendement infini (Dieu naturé rejoint en lui-même Dieu naturant), qui sont eux-mêmes causes immanentes des modes finis (en fait, les modes finis sont déjà contenus dedans sans saut ontologique.) Dieu est infiniment modifié ("modalisé".)


Serge
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Messagepar hokousai » 07 févr. 2012, 12:58

cher Sescho

Donc, déjà, l'Entendement est ce qu'il y a de plus précieux, et quand il est clair et distinct il ne peut qu'être la vérité (dire que cela même peut être trompeur n'est qu'un jeu mental : trompeur par rapport à quelle vérité hors entendement ?)


Vous prenez bien la question là où elle doit être prise .

Je compare ( pour ma part ) souvent l'intellection avec la vue (vision des choses ). La vison claire et distincte peut être comparée à l' intellection claire et distincte .
Il ya un evenement corporel et mental assez extraordinaire c'est l'accommodation du cristallin . Je vois trouble ( et toujours si je suis presbyte) et puis, presque instantanément, je vois clair et distinct .

L'objet va solliciter un effort du cristallin pour ne pas être perçue comme flou.
Personne ne m'a expliqué le pourquoi de l'évenement . On peut certes donner des explications darwiniennes.... mais bref .
La question n'est pas là .

Est- ce que le monde des objets change quand je le perçois clairement et distinctement ? Probablement pas .
La question est: le monde clair est -il plus<b> vrai</b> que le monde flou ?
Est- il plus vrai ( objectivement ) ou bien n'est- t- il que plus<b> convenable</b> ( il nous convient )
Ce n'est certainement pas jouer sur les mots( jeu mental) que de distinguer le vrai objectif du convenable subjectif.
...............
Pour prendre un autre exemple : toucher une surface avec les doigts nus est- il plus véridique que de le toucher avec des gants ?
A quel degré de sensibilité attribuez- vous la vérité ?

Je fais du relativisme à tout crin! et oui .
Et sur la vérité comme norme d'elle même je relativise la norme .

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Messagepar bardamu » 08 févr. 2012, 00:05

hokousai a écrit :(...)
Est- ce que le monde des objets change quand je le perçois clairement et distinctement ? Probablement pas .
La question est: le monde clair est -il plus<b> vrai</b> que le monde flou ?
Est- il plus vrai ( objectivement ) ou bien n'est- t- il que plus<b> convenable</b> ( il nous convient )

Quel monde des objets ?
Vous voulez dire que la vérité est dans un monde d'objet que vous savez exister tout en sachant que vous ne pouvez pas le connaître ?
Si c'est ça que vous voulez appeler "vrai", forcément ça ne marche pas avec Spinoza, de même que le système "noumène-phénomène" ne marche pas.
Chez Spinoza, la vérité est plutôt du côté de la force d'une idée, du côté du poids d'une connaissance bien concrète, qui vous permet d'envoyer des sondes sur Mars, d'obtenir un état de sérénité ou de parler d'un cristallin faisant une mise au point, plutôt que du côté d'un arrière-monde spéculatif dont on affirme qu'on sait qu'il existe en affirmant qu'on ne pourra rien en connaître, idée assez abstraite et creuse oserais-je dire.
Donc, du point de vue de Spinoza, il y a la vérité bête de l'image flou, la vérité bête de l'image claire, et l'intelligence du passage de l'une à l'autre, la force d'un enchaînement d'idées.

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Messagepar hokousai » 08 févr. 2012, 00:52

à Bardamu

Ma phrase est triviale
<b>Est- ce que le monde des objets change quand je le perçois clairement et distinctement ? Probablement pas .</b>Elle est triviale parce que ce n'est pas le problème .
Est- ce que vous pensez que l 'écran de votre ordinateur change si vous prenez des lunettes pour le bien voir ?
Si oui, si vous pensez que le monde des objets change, passons à du moins trivial et expliquez moi .
......................

Je ne veux pas dire que la vérité est dans" un monde d'objet que vous savez exister tout en sachant que vous ne pouvez pas le connaître ". J' ai fait quelques remarques critiques sur le noumène, à Henrique, il ya peu.
Je ne suis pas Kantien .
......................

Chez Spinoza, la vérité est plutôt du côté de la force d'une idée, du côté du poids...


Du point de vue de Spinoza il n'y a pas de vérité bête de l' idée claire et distincte.
Je tente une analogie entre la vision et la pensée . Je le fais parce que du point de vue de la certitud c' est égal .
C' est la question de la <b>certitude</b> qui est centrale là.
Ce qui est vrai ( pour Spinoza ) c'est ce dont je suis certain (hors du doute) que c'est vrai .
La norme de l'idée vraie ce n'est pas la vérité , quoi qu'il en dise, la norme c'est la certitude de ne pouvoir en douter.

Maintenant que chez vous la vérité soit du côté de la force d'une idée, du côté du poids d'une connaissance bien concrète, qui nous permet d'envoyer des sondes sur Mars, <b>je n'en ai jamais douté</b>.

bien à vous
hokousai

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Messagepar bardamu » 08 févr. 2012, 14:27

hokousai a écrit :C' est la question de la <b>certitude</b> qui est centrale là.
Ce qui est vrai ( pour Spinoza ) c'est ce dont je suis certain (hors du doute) que c'est vrai .
La norme de l'idée vraie ce n'est pas la vérité , quoi qu'il en dise, la norme c'est la certitude de ne pouvoir en douter.

Le doute est une activité particulière de l'esprit, la fluctuation entre deux certitudes.
Il faut une première connaissance, une première "croyance" qui sera l'objet du doute, et une deuxième connaissance qui incite la pensée à mettre en doute la première.
Une réflexivité sur son propre fonctionnement intellectuel permet de saisir le mécanisme qui fait qu'une idée B fait douter d'une idée A. Heureusement pour nous, quand on met un pied devant l'autre pour marcher, on ne doute pas à chaque instant que le sol nous portera. Il faut une cause au doute, il faut qu'on identifie le sol comme gelé, fragile ou autre pour se mettre à douter de l'idée spontanée, de l'idée "bête".
Au demeurant, des lions, des idiots et des ministres osent tout parce qu'ils ne doutent de rien, et la bêtise leur réussit assez bien.

Quand vous dites "Est- ce que le monde des objets change quand je le perçois clairement et distinctement ? Probablement pas", je me demande de quel monde des objets on parle : quels présupposé y'a-t-il derrière cette question, à qui ou à quoi peut bien être attribuée cette vérité qui ne serait pas nôtre, quelle est donc cette "objectivité" qui semble indépendante d'une idée.
Chez Spinoza, globalement, être objet c'est être objet d'une idée.
Vous demandez si je pense que l'écran de mon ordinateur change si je prends des lunettes, mais c'est un langage étranger à Spinoza. La question chez lui pourrait être :
- l'image d'un écran change-t-elle quand on met des lunettes, c'est-à-dire l'idée d'une affection du corps change-t-elle quand on change les conditions d'affection du corps, ce à quoi on répond évidemment oui ;
- ou bien : l'idée d'un être défini comme une certain rapport de repos et de mouvement affectant notre corps de manière à produire des images change-t-elle quand on met des lunettes ; chose à quoi on répond non étant donné que l'être en question n'est pas défini selon ce facteur, qu'on parle d'un être défini selon un effet général, une certaine constance de rapports qui par construction élimine certaines variations de sensation.

C'est quasiment la même problématique que l'explication de Spinoza sur la distance du Soleil : d'un côté on a l'image, la sensation, l'idée d'une affection du corps qui nous fait voir le Soleil comme proche, et de l'autre on a les idées de l'astronomie, de l'optique géométrique etc. qui nous font savoir que le Soleil est bien plus loin et qui nous font savoir pourquoi on ne peut pas estimer cette distance sans calcul.
La sensation enrichie par les idées savantes est plus vraie que la sensation seule, il y a d'un côté l'idée "bête" et de l'autre la même idée plus un complément de connaissance.
C'est une notion de vérité par adéquation au réel, c'est-à-dire par accumulation directe de connaissance, d'idées, de puissance, et pas une notion de type "vérité propositionnelle", une vérité de jugement (au passage, sur les conditions de jugement : Pertinence d'une approche psychologique de la vérité propositionnelle).
Utiliser la notion de vérité de jugement, ce n'est pas utiliser la notion spinozienne. A la base, l'entendement ne juge pas, le jugement n'est qu'une procédure seconde, valable sur certaines constructions faites pour cela et au service de la fonction première : augmenter la puissance de penser, développer les aptitudes mentales, connaître, tendre à l'union mentale avec toute la nature.

Donc, si par "doute" on entend une fluctuation de l'esprit entre deux idées du fait que ni l'une ni l'autre ne l'emporte, le doute sur le vrai/faux n'étant qu'un cas particulier, eh bien le doute a sa propre vérité qui est la présence effective de ces deux idées et le tiraillement entre elles.
Je traduirais alors vos questions sur un "véritable objet" comme le tiraillement entre l'imagination d'un objet indépendant et l'idée qu'une image dans un esprit est une "dépendance", l'effet d'une rencontre entre ce sur quoi on fait porter le terme "soi" (Ego, Je, Sujet etc.) et ce sur quoi on fait porter le terme "non-soi".

On peut sortir du doute par exemple en considérant que l'idée "objet indépendant" (y compris le "Soi") correspond à la constance de certains rapports permettant la construction d'idées qu'on traitera comme si elles référaient à des objets vraiment indépendants parce qu'au niveau pratique c'est plus efficace. Si je dis "cet écran" ou "moi", je sais très bien que c'est une approximation, une focalisation de l'expérience sur certains traits pertinents dans la situation en jeu mais je n'en oublie pas pour autant toute la complexité du processus menant à ces expressions et tout ce qu'il peut résulter de leur oubli, notamment les fausses questions sur la nature d'un "cet écran" ou d'un "moi" qui vivraient leur vie sans lien à l'expérience qui leur a donné ce par quoi on les caractérise.
Je ne développerai pas plus mais la pratique scientifique est très instructive sur ces processus de construction d'objet par focalisation (systèmes dits "isolés", facteurs jugés négligeables etc.).

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Messagepar hokousai » 08 févr. 2012, 15:59

à bardamu

Excusez moi mais je ne vois pas de problème particulier dans ce que je disais sur les objets

Quand vous dites "Est- ce que le monde des objets change quand je le perçois clairement et distinctement ? Probablement pas", je me demande de quel monde des objets on parle : quels présupposé y'a-t-il derrière cette question, à qui ou à quoi peut bien être attribuée cette vérité qui ne serait pas nôtre, quelle est donc cette "objectivité" qui semble indépendante d'une idée.

Je repose ma question :Est-ce que l' écran de l'ordinateur ou tel objet dans la pièce où vous vous trouvez change quand vous chaussez des lunettes ( à supposé que vous en ayez besoin ). En première instance et justement sans rien présupposer on vous répondra ( probablement ) que non l' écran est toujours le même. <b>Je n'en disais pas plus</b> .

Donc qu'est -ce qui change ?
Et bien c'est l'accommodation du cristallin ( ou l' optique par le truchement des lunettes )
Il existe donc un phénomène subjectif ( du coté du sujet percevant ) producteur d' une vision nette claire et distincte. L' appréciation de la clarté de la vision est subjective. L' ophtalmologiste vous demande : et là est-ce que vous voyez net ?

Je fais l' analogie avec l'intellection. Il existe une production subjective de la clarté et distinction des idées confuses. Spinoza vous demande : et là est-ce que vous pensez net ?
Oui moi sujet humain issu d'une longue évolution, certaines idées que vous me proposez docteur Spinoza, je les pense nettes.

Ce dont je parlais c'est de l affirmation:"<b> la vérité est norme d'elle même </b>"
C'est archi fondamental chez Spinoza.Tout ce qu'il écrit est fondé sur une idée de la vérité comme s'apparaissant certaine à elle même.
La justification est extrêmement fragile.


Si je vous dis :
La certitude est une activité particulière de l'esprit.
Qu' en pensez vous ?
Vous allez peut- être me répondre que oui, mais que c'est une activité supérieure de l'esprit .
Ce sur quoi je dirais que parfois douter est plus utile à la vie que d'avoir des certitudes et qu'en ce sens douter est supérieur à être certain .

bien à vous
hokousai


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