Captain-Troy a écrit :louisa a écrit :je pense pouvoir comprendre ce que tu veux dire ici par "sur-valoriser", et si j'ai bien compris: tout à fait d'accord. Mais ... euh .. dirais-tu que ce que tu dis ici est compatible avec le christianisme?
Je crois que oui. Le christianisme, je pense, nous indique que l'humain est porteur de divin, de Dieu, de souffle, d'esprit, de sainteté, d'une part de Dieu, et d'un Dieu Personnel ! , à porter, à faire avancer, à promouvoir. Dans cette mesure, comment ne pas être fier de soi, comment ne pas s'obliger soi-même à se valoriser, se sur-valoriser, à avoir une très haute idée de soi, une très haute ambition pour soi-même, quitte à se prendre pour un virtuel sur-homme nietschéen d'une prochaine sur-humanité. Se laisser dévaloriser c'est laisser dévaloriser Dieu.
Bonjour Captain-Troy,
intéressant ce que tu dis ici ... donc l'idée serait que l'avantage de travailler avec un Dieu personnel, c'est que cela le rend beaucoup plus facile de comprendre qu'on est soi-même quelque part divin? Et dans ce cas le fait d'être en tant qu'homme "à l'image de Dieu" ne devrait plus être conçu comme indiquant essentiellement un manque (on n'est "que" une image, c'est-à-dire une copie, un faible reflet de l'original), au contraire même, lorsqu'on s'en tient à l'idée d'être à l'image de Dieu, on voit que Dieu le père barbu ressemble beaucoup aux pères humains qui peuplent cette terre. Pas mal.
Assez plausible même, sinon comment comprendre qu'autant de gens ont pu puisé et puisent toujours un grand espoir et une grande inspiration/motivation dans le christianisme (on peut par exemple penser au rôle que joue aujourd'hui le christianisme en Amérique du Sud (même si leur engagement est plutôt de gauche, ce qui peut-être ne va pas trop te plaire .. ?
)?
Mais j'avoue que dans ce cas tu parles d'un christianisme que personnellement je ne connais pas. Je connais plutôt la version augustinienne, avec ce cher Augustin qui ne fait que se plaindre et pratiquer "l'Humilité". Je peux quelque part trouver la version que tu proposes ici, ou c'est surtout toi qui perçois les choses ainsi?
Captain-Troy a écrit :Spinoza a écrit :"L'Humilité est une Tristesse qui naît de ce qu'un homme contemple son impuissance ou faiblesse."
Tout à fait d'accord avec toi, mon pote ! Qui sait ? Je suis peut-être ta réincarnation, mais en beaucoup mieux. (à tout prendre, je préfère "angoisse" à ta "tristesse".
lol...
ceci étant dit, je crois vraiment que l'idée spinoziste de la Tristesse est potentiellement fort utile. Je vais essayer de montrer un de ces jours en quoi (puisque Sinusix semble lui aussi être fort sceptique à cet égard).
Captain-Troy a écrit :louisa a écrit :tu ne penses pas que chez certains la faiblesse de l'autre (ou disons une faiblesse clairement "affichée") provoque plutôt de la pitié?
Je ne parle pas des faiblesses d'un handicapé physique ou mental, ou de celles d'un petit enfant ou d'un malade grave etc... qui ne sont d'ailleurs pas à mon avis des faiblesses. Il peut y avoir et il y a souvent chez eux puissance, puissance à la mesure de leurs forces.
ah ok. Dans ce cas: tout à fait d'accord.
Captain-Troy a écrit :Je parle de la faiblesse assumée, revendiquée, choisie, brandie de ces gens incrustés complaisamment dans les difficultés économiques, de ces descendants de colonisés ou issus de la traite qui se vautrent avec délectation dans une auto-victimisation bien confortable 100 ou 200 ans plus tard, de ces artistes spécialisés dans le créneau de la geignardise, de ces politiques ou syndicalistes professionnels du martyre, de tous ces pleurnicheurs ayant fait le choix de l'impuissance, couchés sur le dos devant la Vie comme des chiens couards, dont la liste serait bien longue à dresser.
Cette faiblesse-là donne certes envie de donner des coups de crocs dans ces chiens couards, mais... on n'est pas des chiens ! et mieux vaut en rire !
je vois.
Néanmoins j'hésite. Pas parce que je suis de gauche (
full disclosure...
(si tu connais l'expression en anglais ...? Je ne connais pas l'équivalent en français...)) et que je n'aimerais pas qu'on dit du mal de descendants de colonisés ou de syndicalistes etc. Car il ne faut pas réfléchir longtemps avant de voir à quoi tu réfères (je veux dire, il va de soi que moi aussi je connais ce genre de gens, et oui, cette espèce d'auto-victimisation est assez détestable). Puis il va de soi que le grand avantage d'en rire, c'est d'abord qu'on ne les agresse pas physiquement (ce qui, il faut bien le dire, est toujours déjà ça ...
), mais surtout que cela permet de se libérer soi-même de toute tendance à se sentir affligé du fait qu'un tel genre de personnes existent et qu'on est bien obligé de leur croiser de temps en temps le chemin.
Mais donc si j'hésite, c'est parce que je ne suis tout de même pas certaine que ce soit la solution "optimale". Ne faudrait-il pas dire que ce sont avant tout ce type de personnes qui ont besoin d'enfin être pris au sérieux? Ne risque-t-on pas, en en riant, de renforcer leur sentiment d'être toujours victime de quelque chose (ici: de nos rires, qu'ils ne peuvent qu'interpréter comme des "ridiculisations") ... ?
En cela Spinoza me semble éventuellement être intéressant, car justement, selon lui (par hypothèse, bien sûr), tout ce qu'on subit dans la vie, cela vient du dehors. En disant cela, il rend l'auto-victimisation inconcevable (cela ne veut pas dire qu'il nie que cela "existe", c'est juste qu'il propose de le penser autrement). Du coup, on est obligé de s'imaginer tous ces gens qui s'imaginent sans cesse être victime de quelque chose d'une telle façon qu'ils deviennent réellement des victimes, même s'ils ne sont pas forcément victime de ce dont ils pensent l'être.
Difficile de dire, par exemple, qu'un fils d'immigré de troisième génération est victime des Français colonisateurs, puisque bon, comme on le sait tous, la France n'a plus vraiment de colonies au sens "atroce" du terme. Mais faudrait-il pour autant dire qu'il est faux qu'il est "victime"? Je crois que Spinoza dirait que s'il se sent victime de quelque chose, il ne faut pas nécessairement le croire sur parole, mais si vraiment il cultive ce statut de victime, et donc s'il cultive certaines Passions Tristes, c'est que quelque part, il est
réellement en train de subir certaines choses. Quelles choses? C'est à voir au cas par cas.
L'avantage de se dire cela, il me semble, est double. D'abord on a l'effet "libérateur" de la compréhension, qui est une jubilation aussi grande que si l'on arrive à rire de tous ces gens qui ne font que se plaindre (ou plaindre certaines autres) à l'infini (compréhension au sens spinoziste, bien sûr, pas au sens où l'on peut comprendre qu'on est dans la merde, par exemple). Mais puis surtout, ce qui s'ajoute à l'avantage (déjà pas à sous-estimer) du rire, c'est qu'on risque moins de renforcer encore l'autre dans son sentiment de victime. Quelque part, en essayant de comprendre de quoi il pourrait réellement être la victime (= ce qu'il pourrait réellement subir, donc ce sur quoi pour l'instant il n'a réellement pas de prise, dans sa vie), on lui fait déjà comprendre qu'il est
plus que simple victime, que qui il est ne se réduit pas à ce qu'il subit, qu'il est quelque part aussi résistance à ce qu'il subit, et que s'afficher clairement comme "victime" peut être une manière (certes maladroite, donc "inadéquate") de revendiquer quelque part cette autonomie, de revendiquer l'idée qu'on n'est pas juste victime.
Enfin ... je ne sais pas si c'est clair ce que je veux dire ... ?
Captain-Troy a écrit :PS : D'autre part la pitié à l'égard des "faibles" qui n'en sont pas, dont je parlais en premier, peut être aussi une rude agression, un féroce mépris. Ah les dames patronnesse d'hier et d'aujourd'hui... Pas de pitié !
ah, là il faut dire que tu réincarnes effectivement Spinoza ...
Ethique partie 4, proposition 50 et corollaire:
"
La Pitié, dans l'homme qui vit sous la conduite de la raison, est par soi mauvaise et inutile.
Corollaire.
De là il suit que l'homme qui vit sous la dictée de la raison s'efforce, autant qu'il peut, de faire que la pitié ne le touche pas."
D'ailleurs, au cas où DGsu lit ce message: on avait parlé de la "bienveillance", et si je ne m'abuse j'avais dit que je pense que chez Spinoza il faut la remplacer par la "Charité". Or voici que je viens de tomber par hasard sur le passage où Spinoza parle de la "Bienveillance" (E3P27 scolie):
"Cette volonté ou appétit de faire du bien, qui naît de ce que nous fait pitié la chose à laquelle nous voulons faire du bien, s'appelle Bienveillance, laquelle, partant, n'est rien d'autre qu'un Désir né de la pitié."
Qu'est-ce qui pourrait constituer un argument plus convaincant pour enlever la "bienveillance" de la charte de ce forum, pour la remplacer par la Générosité ou Charité ... (question non rhétorique)? Captain-Troy a écrit :Captain-Troy a écrit :8) La clairvoyance, la lucidité et la perception nette de la « marionnette » mécanique et dérisoire affleurant sous la peau de l’autre, du robot sous-jacent agitant sa personne, sont également des indices d'un bon équilibre personnel et d'un bonne gestion de sa vie et de son énergie.
louisa a écrit :pourquoi "dérisoire" ?
La marionnette ou le robot sous-jacents, ça ne concerne que les "morts-vivants", les "mécaniques", les slérosés, les pantins de la puissance, les bouffis de vide, les haineux de la peur, les radoteurs de l'art ou de la pensée, les maniaques de diverses addictions etc...
Pas tout le monde heureusement, mais pas mal de clowns quand même...
cela me fait penser à la définition bergsonienne du rire ou plutôt de ce qui cause le rire: "du mécanique plaqué sur du vivant" ... .
Mais donc petite objection: ne faudrait-il pas dire que la dérision est une forme de Haine?
Si oui, je dirais que la Haine de ce genre de chose est mieux que rien (au moins elle célèbre la vie, ce qui est déjà mieux que ce que font ce qui est haï ici), mais comme toute Haine a comme désavantage de souvent ne provoquer que plus de Haine encore, surtout si l'on a à faire avec ce genre de "morts-vivants", ce n'est peut-être pas le rémède idéal, non ... ?
Captain-Troy a écrit :Captain-Troy a écrit :
13) Les ruptures, le choix des ruptures, le choix de soi-même-en-rupture semble bénéfiques à la valorisation, à une refonte de qualité et à la solidité de soi.
louisa a écrit :je ne suis pas tout à fait certaine de bien comprendre à quoi tu réfères.
La rupture ? Ça, c'est très personnel pour une fois. Mais ça s'élargit à tous. L'idée qu'à un certain moment de sa vie, très variable chez les gens, vers 18 - 20 ans c'est pas plus mal... et bien à un certain moment, il faut tout envoyer chier, tout ! soi-même y compris. Rompre ! Surtout avec soi ! "Se partir" comme on disait en ancien français. Le banal "tout remettre en question" mais avec une radicalité d'extrémiste.
Et puis, doucement, tout reconstruire, tout seul, "à la main", sans outils. On se refait, on se choisit cette fois, alors que jusqu'ici on s'est simplement "reçu", on a hérité de soi-même. On peut faire ça sur place, "au pays", où s'exiler, on peut reprendre les vieux matériaux et se reconstruire avec, on peut en prendre de tout nouveaux.
Le tout s'est de se casser ! Un choix absolu assez kierkegaardien qui te fait "chevalier d'éternité"
moi c'est clair, j'ai opté pour l'exil.
Sinon tu utilises ici un vocabulaire qui est fort "anti-spinoziste" ("se choisir soi-même", "tout reconstruire sans outils", ...). Pourtant je ne suis pas certaine que l'idée est si différente d'une manière spinoziste de penser ... j'y réfléchis.
En attendant, que veux tu dire ici par la référence à Kierkegaard?
L.