Succédant à une méditation, la couronnant, la samadhi consiste à remettre ensemble, dans une même perception, tous les éléments qu'elle avait examinés séparément. Elle est la « conscience panoramique » où l'attention se porte sur tout ensemble simultanément. Et elle essaye donc d'embrasser ainsi le plus de choses possibles. Le mot « synthèse » est assez approprié. Mais c'est plutôt une « intuition » particulière, spécialement efficace sur le plan cognitif, que l'on peut obtenir grâce à à la préparation convenable, par la méditation, du terrain de cette connaissance.
Cependant, un point essentiel est que cette synthèse n'est pas seulement celle des éléments connus entre eux, mais aussi, et surtout, celle, avec eux, du connaisseur. Cette dernière opération surprend l'occidental, mais elle est claire et naturelle pour le bouddhisme. Pour celui-ci, en effet, la réalité est que le connaisseur ou connaissant n'est pas autre chose que l'ensemble de « ses » connaissances ; même si on leur ajoute d'autres éléments, cela ne fait pas un être en soi. Croire à son existence autonome, indépendante d'elles, est une illusion.
[...]
Quant au meilleur terme européen pour samadhi, si l'on y tient, il est finalement possible que ce soit simplement « compréhension ». Il peut indiquer l'aspect de connaissance intuitive profonde, celui de synthèse si on l'entend étymologiquement comme prendre ensemble — et ce peut être la synthèse des stades de la méditation comme celle de leurs objets avec « soi » —, et même celui de conquête par « préhension ». Divers sens de la définition lexicale de « comprendre » conviennent bien : « embrasser dans son ensemble », « contenir en soi », « faire entrer dans un tout », « appréhender par la connaissance », « être capable de faire correspondre à (quelque chose) une idée claire », « donner un sens clair », « se faire une idée claire des causes, des motifs », « se rendre compte », « avoir une connaissance intuitive » (dictionnaire Robert) —à condition d'entendre tout cela aux sens forts. Notons enfin qu'il n'est téoriquement pas impossible, dit-on, d'accéder à la samadhi sans la médiation de la méditation, mais que cet exploit nécessite des conditions extrêmement rares et exceptionnelles.
Page 314-315
Le bonheur - liberté, Bouddhisme profond et modernité. Serge-Christophe Kolm (P.U.F. 1982)
Bouddhisme et double langage (question de survie) ?
Si le Bouddha avait en plus nié explicitement le système de la karma, les masses qu'il aurait convaincues auraient perdu toute incitation idéelle à obéir aux règles de la société : ni respect des castes, des richesses et des pouvoirs, ni crainte des dieux, m rétribution karmique en faveur du comportement conforme à son rôle. En particulier, les brahmanes se seraient vu retirer toute légitimité, nié tout pouvoir divin et toute utilité : leur position n'aurait plus été justifiée par leurs mérites passés, ils ne seraient sans doute plus élus de dieux devenus douteux, ni utiles pour servir d'intermédiaires entre les hommes et ces derniers, ni respectables par leur seule naissance sociale. Or tout asservissement répandu et durable a toujours une acceptation idéologique de la part des asservis comme l'une de ses bases. Toute servitude permanente d'une société entière est presque touiours un peu volontaire, par croyance en une légitimité du pouvoir politique, économique ou autre. Le bouddhisme populaire sans karma délitait tout à fait ce ciment de la société indienne. Les puissants de celle-ci auraient donc tout fait pour l'arrêter. Et ils y seraient vite arrivés puisque les bouddhistes ne répondaient pas à la force par la force.
[...]
La métempsycose se réduisait alors, aux yeux d'un bouddhiste cultivé, à une pure métaphore, pour décrire de façon très élaborée notamment des processus psychiques....
Page 572
Le bonheur - liberté, Bouddhisme profond et modernité. Serge-Christophe Kolm (P.U.F. 1982)