Cher Pourquoipas,
Tes objections me semblent essentielles pour ce sujet, mais je ne vais pas répondre autant qu'il faudrait pour l'heure.
Je ne doute pas qu'on puisse connaître des joies dans l'illusion. Pourquoi s'y maintiendrait-on avec autant d'attachement sinon ? Il est évident que l'idée de la chevalerie donne au Quichotte le sentiment d'augmenter sa puissance d'exister. Idem avec l'alcool pour l'ivrogne.
Je dis cependant qu'être joyeux et heureux, ce n'est pas pareil. Reprenons le début du TRE. Spinoza y définit l'objet principal de sa recherche : pas une joie passagère, parce que vide (vanitas), sans épaisseur ontologique comme les joies ordinaires fondées sur l'imagination, des joies décevantes pour qui ose les regarder en elles-mêmes. Mais un bien tel qu'il lui apporterait une joie suprême, continue et éternelle. Croire être heureux et ne pas l'être pour autant, cela veut dire croire posséder une telle joie suprême, une telle plénitude : l'un avec l'alcool, l'autre avec l'argent, l'autre encore avec les honneurs. Ceux qui croient avoir trouvé le bonheur ont ceci de commun qu'ils pensent et agissent comme s'ils avaient effectivement trouvé le summum des biens qui peuvent être recherchés et découverts en ce monde. Mais ces biens n'apportent ni joie durable, ni véritable plénitude. Quoique par orgueil, l'ivrogne comme l'avare jureront tous leurs grands dieux qu'ils sont les plus heureux des hommes.
Quichotte passe son temps à tenter de se persuader qu'il est le plus heureux des hommes, par des histoires toutes plus farfelues les unes que les autres, ce qui prouve bien sûr qu'il n'est pas heureux puisqu'il a tant besoin de s'en persuader et d'en persuader plus encore le brave et cupide Sancho. Quant à sa générosité vis à vis de la dame du Toboso, c'est une fiction de générosité comme tout ce qu'il vit, il n'a pour la paysanne sur laquelle s'est cristallisée sa folie, aucune attention réelle, elle n'est qu'un support pour l'exercice de sa folie - étant entendu que les idées inadéquates autant que les idées adéquates persévèrent dans le mental autant qu'il est en elles. Et il n'y a effectivement pas grande différence à ce sujet avec Emma. Mais l'un et l'autre sont bien sûr bien plus sympathiques que les gagne-petits de l'éthique dans le style de Homais, qui eux ne s'illusionnent pas sur un bien plus grand qu'eux les amenant à se dépasser mais ils s'illusionnent sur leur petitesse, se rabaissent plus que de raison : de l'orgueil à l'abjection, il n'y a pas grande distance, mais assez tout de même pour que l'un puisse être considéré comme un moindre mal par rapport à l'autre, la différence c'est que dans l'orgueil il y a tout de même de la joie.
Determinisme et bonheur
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