PhiPhilo a écrit :Pardonnez-moi, mais là, vous me semblez commettre un grave contresens. Car il ne s'agit pas, dans les propositions auxquelles vous faites allusion, de connaître de façon adéquate (vraie, claire et distincte, nécessaire) ce qui est bon et mauvais comme vous le prétendez, mais plutôt de connaître de façon adéquate (vraie, claire et distincte, nécessaire) ce qu'est cet affectus particulier en quoi consiste la connaissance du bon et du mauvais.
Vous dites donc en substance que « connaissance vraie du bien et du mal » voudrait dire dans l’esprit de Spinoza « connaissance adéquate de l’ « affect de connaissance du premier genre » du bon et du mauvais. » Et vous inaugurez cela encore une fois en grande pompe par une opposition à un « grave contresens… »
Spinoza n’est sans doute pas toujours facile à comprendre, mais ce qui me semble clair à la lecture répétée de son œuvre c’est qu’il pèse ses termes de façon à exprimer le plus clairement possible sa pensée. Là, nous en serions loin…
La connaissance adéquate d’une connaissance du premier genre n’est déjà pas gagnée…
Il faut aussi quand-même avaler les deux définitions de E4 :
E4D1 : J’entendrai par bien ce que nous savons certainement nous être utile.
E4D2 : Par mal, j’entendrai ce que nous savons certainement faire obstacle à ce que nous possédions un certain bien.
Et aussi, entre bien d’autres :
E4P36 : Le bien suprême de ceux qui pratiquent la vertu leur est commun à tous, et ainsi tous en peuvent également jouir.
E4P37 : Le bien que désire pour lui-même tout homme qui pratique la vertu, il le désirera également pour les autres hommes, et avec d’autant plus de force qu’il aura une plus grande connaissance de Dieu.
Toute l’
Ethique est dirigée, selon le deuxième genre de connaissance (qui est adéquat), vers l’étiologie des passions et à l'opposé le « souverain bien. » Mais Spinoza d’après vous n’en aurait eu aucune idée adéquate... Sachant que le bien, puissance et connaissance du (deuxième et du) troisième genre ne font qu’un. Spinoza utilise « bien » et « mal » sous plusieurs acceptions qu’il n’est pas possible de condenser logiquement (c’est pareil pour « ordre » ou « gloire », qui ont donné lieu récemment à des contresens.) Si on ne le voit, c’est perdu.
PhiPhilo a écrit :En effet,
La perfection et l’imperfection ne sont véritablement que des façons de penser, des notions que nous sommes accoutumés à nous faire en comparant les uns aux autres les individus d’une même espèce ou d’un même genre, et c’est pour cela que j’ai dit plus haut (Déf. 6, part. 2) que réalité et perfection étaient pour moi la même chose. [...] Le bien et le mal ne marquent non plus rien de positif dans les choses considérées en elles-mêmes, et ne sont autre chose que des façons de penser, ou des notions que nous formons par la comparaison des choses. Une seule et même chose en effet peut en même temps être bonne ou mauvaise ou même indifférente. (Spinoza, Ethique, IV, préf)
Bref, en disant que telle chose est bonne, telle autre mauvaise, nous prédiquons de la chose quelque perfection ou imperfection qui n'existe pas, en réalité, dans la chose, mais qui manifeste simplement l'état de dépendance de notre corps à l'égard de cette chose.
Tout cela a déjà été traité, soit ci-dessus, soit dans l’article que j’y cite :
Du Bien et du Mal chez Spinoza (avec quelques inexactitudes, en particulier sur les « notions communes. ») Là vous avez juste oublié de citer la suite :
Une seule et même chose en effet peut en même temps être bonne ou mauvaise ou même indifférente. La musique, par exemple, est bonne pour un mélancolique qui se lamente sur ses maux ; pour un sourd, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Mais, bien qu’il en soit ainsi, ces mots de bien et de mal, nous devons les conserver. Désirant en effet nous former de l’homme une idée qui soit comme un modèle que nous puissions contempler, nous conserverons à ces mots le sens que nous venons de dire. J’entendrai donc par bien, dans la suite de ce traité, tout ce qui est pour nous un moyen certain d’approcher de plus en plus du modèle que nous nous formons de la nature humaine ; par mal, au contraire, ce qui nous empêche de l’atteindre. Et nous dirons que les hommes sont plus ou moins parfaits, plus ou moins imparfaits suivant qu’ils se rapprochent ou s’éloignent plus ou moins de ce même modèle.
PhiPhilo a écrit :C'est pourquoi
La connaissance du bien ou du mal n’est rien autre chose que la passion de la joie ou de la tristesse, en tant que nous en avons conscience. (Spinoza, Ethique, IV, 8)
Là il manque « vraie » (« connaissance vraie. »)
PhiPhilo a écrit : Voilà, premièrement, pourquoi le problème du bien et du mal est traité dans la pars quarta [in quibus agitur] de servitute humana, seu de affectuum viribus, celle donc qui fait état de la servitude humaine, et non dans la pars quinta [in quibus agitur] de potentia intellectus, seu de libertate humana, celle qui traite de la liberté humaine,
Justement, Spinoza s’en explique :
E4P17S : Je crois avoir expliqué par ce qui précède pourquoi les hommes sont plus touchés par l’opinion que par la raison, pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal ébranle notre âme, et pourquoi enfin elle cède souvent à toute espèce de passion mauvaise. C’est ce qui fait dire au poète : Je vois le meilleur, je l’approuve, et je fais le pire. Et la même pensée semble animer l’Ecclésiaste, quand il dit : Qui augmente sa science augmente ses douleurs. Je ne prétends point conclure de là qu’il soit préférable d’ignorer que de savoir, ni que l’homme intelligent et l’homme stupide soient également capables de modérer leurs passions. Je veux seulement faire comprendre qu’il est nécessaire de connaître l’impuissance de notre nature aussi bien que sa puissance, de savoir ce que la raison peut faire pour modérer les passions, et ce qu’elle ne peut pas faire. Or, dans cette quatrième partie, je ne traite que de l’impuissance de l’homme, voulant traiter ailleurs de la puissance de l’homme sur ses passions.
PhiPhilo a écrit :C'est que, au risque de me répéter, ou plutôt, de répéter Spinoza,
Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu’ils garderaient cette liberté. Démonstration : J’ai appelé libre celui qui se gouverne par la seule raison. Quiconque, par conséquent, naît libre et reste libre n’a d’autres idées que des idées adéquates, et partant il n’a aucune idée du mal (par le Coroll. de la Propos. 64, part. 4), ni du bien (puisque le bien et le mal sont choses corrélatives). C. Q. F. D. (Spinoza, Ethique, IV, 68)
Oui, mais il s’agit de quelqu’un qui naît et reste libre ; c’est un cas « limite absolu » qui ne convient pas à tout le monde, c’est le moins que l’on puisse dire. Le sage se fait du « mal » psychique exactement la même idée que le médecin se fait d’une maladie du corps (ce parallèle avec la maladie du corps est parfait - si ce n’est que la parfaite santé du corps peut être considérée se rencontrer aisément, tandis que c’est un idéal limite pour l’esprit, la norme étant « passablement malade. ») Le « bien » c’est la bonne santé, le « mal » c’est la mauvaise santé. Point. Donc là il aurait été mieux de considérer toute la proposition 68 :
E4P68 : Si les hommes naissaient libres, ils ne se formeraient aucune idée du bien ou du mal tant qu’ils garderaient cette liberté.
Scholie : Il est évident, par la Propos. 4, part. 4, que l’hypothèse contenue dans la Proposition qu’on vient de démontrer est fausse et ne peut se concevoir, si ce n’est toutefois en tant que l’on regarde seulement la nature humaine, ou plutôt Dieu, considéré non comme infini, mais comme cause de l’existence de l’homme.…
… cette liberté a été recouvrée par les patriarches guidés par l’esprit du Christ, c’est-à-dire par l’idée de Dieu, qui seule peut faire que l’homme soit libre et qu’il désire pour les autres le bien qu’il désire pour soi-même, comme on l’a démontré plus haut.
En prime, qui démontre que la Raison s’applique directement lorsqu’il d’agit de « connaissance
vraie du bien et du mal, » ce à quoi s’oppose l’idée inadéquate de ce qui est bon ou mauvais, étant une simple traduction de notre complexion du moment, la joie et la tristesse étant en outre des indicateurs réels quoique confus, perceptibles selon le premier genre donc, du mauvais et du bon (en rappelant que cependant la pire des passions, l’orgueil, est une joie, et qu’au contraire la pitié, qui lui est bien supérieure tout en ne convenant pas à celui que guide la Raison, est une tristesse.)
E4P62S : … l’imagination n’est pas affectée de la même façon par une chose présente et par une chose à venir ; et de là vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n’est qu’une connaissance abstraite ou générale, et que le jugement que nous portons sur l’ordre des choses et l’enchaînement des causes, afin de déterminer ce qui nous est présentement bon ou mauvais, est un jugement plus imaginaire que réel. Il ne faut donc point s’étonner que le désir qui naît de la connaissance du bien et du mal, en tant que relative à l’avenir, puisse être si facilement empêché par le désir des choses qui nous sont actuellement agréables. Sur ce point, voyez la Propos. 18, part. 4.
E4P63C : Un désir qui naît de la raison nous fait directement rechercher le bien, et indirectement fuir le mal.
Serge
Connais-toi toi-même.