marcello a écrit :Vous décrivez un cercle vicieux : les électeurs étant asservis à la classe dominante, il n'y a pas de démocratie réelle, même s'ils votent en leur âme et conscience pour élire ceux qui représenteront ceux qui les ont élus et, dans le meilleur des cas, l'ensemble du corps social ("plèbe" comprise
).
Quelle est la solution : une révolution qui conduirait à mettre à l'écart les membres des classes favorisées , les éliminer physiquement, les rééduquer comme cela a été tenté à de multiples reprises au 20e siècle ?
D'abord, dans leur majorité, les électeurs ne votent pas pour ce qu'ils estiment être le plus juste, sachant très bien faire la part des choses entre les promesses électorales et les possibilités réelles. Ils votent pour ce qu'ils estiment le mieux placé pour éviter le pire à leurs yeux, manipulés qu'ils sont en général par les sondages. Mais ainsi, le jeu démocratique est effectivement entièrement faussé. Pour pouvoir voter en son âme et conscience, après un examen serein et libre des différentes options qui se présentent, pour une option et contre toutes les autres, il serait nécessaire de supprimer totalement les sondages qui objectivement n'ont aucun intérêt pour déterminer raisonnablement ce qui d'une option politique par rapport à une autre est préférable.
La solution est simplement de revoir en profondeur les institutions qui produisent la pseudo-démocratie que nous connaissons (pêle mêle) :
- En finir avec la présidentialisation de la république qui maintient l'illusion de l'homme providentiel qui résoudrait à lui tout seul des problèmes d'ordre collectifs, illusion à laquelle personne ne croit plus pourtant sans pour autant arriver à se détacher du vain espoir d'en trouver un, un jour. (cf. TP V,7)
- Appliquer réellement la séparation des pouvoirs : quand l'exécutif fait la loi, comme dans la Cinquième république, quand il contrôle le pouvoir judiciaire, on ne peut pas avoir d'institutions politiques indépendantes et propres à se corriger mutuellement au nom de leur raison d'être, le bien commun, on ne peut avoir qu'un gouvernement du peuple par une caste pour une caste.
- Le pouvoir exécutif doit se borner à gouverner dans le cadre des missions qui lui ont été confiées par le peuple, ce qui peut passer par exemple par une séparation des questions sociétales, écologiques, institutionnelles, internationales et économiques à travers différentes élections afin d'avoir une politique qui corresponde exactement à la volonté générale d'un peuple : elle affirme par exemple que le libéralisme sans borne ne doit pas être le principe directeur de l'Europe mais elle pose aussi que le mariage homosexuel n'est pas une solution satisfaisante aux problèmes que rencontrent les homosexuels concernant la reconnaissance de leur rôle dans la société, eh bien elle n'est pas obligée de prendre un package avec certaines mesures qui lui conviennent et d'autres qui la choquent, comme c'est le cas notamment lors d'une élection présidentielle. Qui accepterait que pour avoir un sandwich dans un restaurant, il faille aussi prendre un verre de bière dont pourtant on ne veut pas ? C'est pourtant ce qui se passe à chaque présidentielle.
- Modérer la professionnalisation de la politique, qui tend à créer une séparation entre le personnel politique et le peuple par des mesures comme l'interdiction du cumul des mandats, l'interdiction de voter pour soi des lois d'exception comme l'irresponsabilité juridique ou des avantages sociaux comme le nombre d'annuités nécessaires pour la retraite, intégration de la proportionnelle et même d'une partie de citoyens tirés au sort dans les instances représentatives.
- Rendre illégaux les sondages politiques, surtout quelques mois avant les élections, quand il n'y a pas eu encore de débat sur les propositions des différents candidats aux élections, de sorte que ceux qui seront faits depuis l'étranger apparaîtront clairement comme ce qu'ils sont : des moyens de manipulation de la démocratie par des intérêts non démocratiques ; forcer les instituts à publier les résultats réels de leurs sondages en plus de leurs marges de "correction".
- Interdiction constitutionnelle de listes ou partis qui se présentent aux élections comme principalement favorables au bien particulier d'une partie de la société (tout parti d'ordre communautaire, religieux ou simplement des groupes comme "les chasseurs") et non au bien de tous les membres de la société (la volonté générale ne saurait être réduite à la volonté majoritaire)
- Instituer véritablement le référendum d'initiative citoyenne etc.
Dans un pays comme la France, il est facile et doux de sortir de la pseudo-démocratie que nous connaissons : choisir majoritairement non un de ces partis qui nous proposent de continuer de nous soumettre à la volonté et aux intérêts des décideurs économiques et qui semblent te rassurer mais plutôt pour un parti qui propose de rendre le pouvoir au peuple par un changement des institutions, dans le sens de ce que je viens d'indiquer, à savoir ce que propose le Front de gauche et pas F. Holande malgré la gauchisation de son discours en vue du premier tour, et encore moins Bayrou qui maintient dans le fond politique des mesures proposées comme Holande la volonté des marchés comme supérieure à celles des peuples.
Nul besoin pour cela d'éliminer les classes favorisées ni de les traiter différemment des autres classes sociales, au contraire de ce qui se fait actuellement, notamment avec de nombreuses lois d'exception en matière fiscale qui leur permettent de payer proportionnellement au travail réellement fourni (quand il y en a) moins d'impôts sur leurs revenus que les moins favorisés, notamment la classe moyenne. Et il y a aussi tous les vides juridiques qui permettent en gros que la démocratie s'arrête là où commence l'essentiel de la vie des gens : le travail.
Mais tout cela suppose une réforme des mentalités qui ne peut se faire par la politique mais seulement par les mentalités elles-mêmes, telles qu'elles sont au moment où elles sont. C'est pourquoi je suis d'accord avec Cess pour dire qu'il faut commencer par soi-même, Spinoza nous aidant à connaître notre béatitude même si nous sommes loin de vivre encore dans une démocratie réelle, qui n'a d'ailleurs pas pour raison d'être le salut et la béatitude des hommes mais seulement des conditions extérieures de liberté d'action et de décence pour la vie de tous.
Il me semble que Spinoza serait plutôt libéral-social maintenant.
Libéral au sens politique, c'est évident.
Libéral-social au sens économique, certainement assez proche de la culture des pays du Nord.
Tu me sembles faire ce jugement parce que tu associes vaguement le pays où vivait Spinoza, le fait que ses parents étaient commerçants, peut-être esclavagistes comme c'était monnaie courante. Mais Spinoza a abandonné l'affaire de son père à son frère cadet et il s'est opposé au régime orangiste dont les Pays Bas actuels sont les héritiers.
A vrai dire, peu importe ce que Spinoza penserait aujourd'hui, il pourrait aussi commettre certaines inconséquences avec ses propres principes, notamment lorsqu'il parle de façon misogyne oubliant que les passions ne sont pas forcément bonnes conseillères et que la misogynie, comme le racisme sont des passions (cf.
E3P46). Ce qui m'intéresse chez Spinoza, ce ne sont pas ses sentiments personnels sur telle ou telle question, mais ce qu'on peut déduire des principes de sa philosophie, la plus cohérente que je connaisse, pour comprendre et agir aujourd'hui.
Il faut vraiment connaître peu de choses de la pensée politique de Spinoza, directement reliée à sa pensée éthique, pour penser qu'il serait un libéral. Pour lui, comme pour Rousseau, c'est par la loi civile qui ne soumet aucun homme à une volonté particulière mais bien à la volonté générale du bien commun, que la liberté politique est possible. Pour un libéral, la loi naturelle, qui est celle du plus habile, pour ne pas dire du plus fort, est la meilleure qui soit pour organiser la vie publique, de sorte qu'au final, mais tout de même avec le soutien de l'Etat réduit à protéger les intérêts des plus puissants (car ils ne sont pas naturellement si puissants qu'ils peuvent se passer de ce soutien), ce n'est pas la volonté générale qui gouverne mais celle de quelques uns.
Cf. aussi un assez vieil article de moi sur cette question :
http://www.spinozaetnous.org/article33.htmlMélanchoniste, poutouiste, chaveziste, jolyiste, castriste ?
Je ne crois pas.
Marxiste ? Non, je ne vois pas Spinoza marxiste ni marxien.
Mais je n'ai de Spinoza qu'une connaissance encore très peu étendue.
Pour ma part, je ne suis pas marxiste, pas plus que Marx lui-même n'était marxiste. Mais nul besoin de l'être pour reconnaître qu'il y a des classes sociales, que les plus élevées sont unies et donc puissantes, tandis que les dominées sont dispersées et donc de nature à se laisser dominer. Nul besoin de se dire marxiste non plus pour reconnaître qu'un homme qui produit des richesses dont la plus grande partie ne lui revient pas (sous forme d'investissement dans son outil de travail mais aussi de services publics ou simplement de salaire) mais revient à son employeur, détenteur de capital, n'est pas un homme libre, utile à lui-même, mais un esclave utile à son maître mais pas à lui-même (
TTP XVI), qui n'est maintenu dans sa condition d'esclavage que parce qu'il y est contraint par la crainte de ne pas pouvoir vivre du tout autrement.
Avant Marx, il y a le socialisme qui consiste à penser que la source de légitimité des lois n'est pas la force de ceux qui sont les plus habiles ou simplement les mieux placés pour imposer leurs intérêts aux autres, mais la société elle-même en tant qu'ensemble cohérent permettant à chacun de ses membres de vivre dignement : sécurité et vie humaine pour tous (cf.
TP, ch. V), pas la sécurité simplement policière mais avant tout sociale, et donc pas la précarité générale à laquelle conduit nécessairement la dérégulation dans les domaines de la vie collective. La conséquence logique est de favoriser la propriété publique des moyens de production des biens utiles à tous (à condition que cette propriété publique soit effectivement soumise au contrôle du public) sur la propriété privée, notamment en ce qui concerne les biens susceptibles de donner lieu à des monopoles qui lorsqu'ils demeurent propriété privée deviennent nécessairement despotiques.
Il me semble que les peuples veulent se soigner et vivre plus longtemps, voyager, inventer, entreprendre, créer, communiquer.
Tout cela semble s'être développé en même temps que la science et la démocratie.
Tout cela et surtout le fait de pouvoir se soigner, et d'autre part le fait de travailler pour vivre (voyager, inventer, entreprendre etc.) et non de vivre pour travailler, est en recul pour de plus en plus de gens depuis que le néolibéralisme s'est imposé au monde, avec Thatcher et Reagan. Il faut être oublieux ou faire partie des classes pas encore trop touchées par la précarisation libérale de la vie humaine pour ne pas s'en apercevoir.
D'ailleurs la concurrence n'est-elle pas un aspect de la nature, même si la nature ne se réduit pas, fort heureusement, à la concurrence. ?
C'est Kant qui conçoit encore la nature, à la suite d'Aristote, comme un tout organisé en vue d'une fin qui serait le développement indéfini de la raison, ce qui ferait que la nature veut la discorde entre les hommes pour les pousser à se surpasser. Le libéralisme d'Adam Smith est aussi complètement dans cette conception de la nature, avec sa main invisible qui guide les égoïsmes vers le bien commun optimum, ce qui revient de fait à faire passer les inégalités naturelles pour justes.
Spinoza au contraire montre que le désir chez les hommes les pousse naturellement à se surpasser, même si cela peut être de façon anarchique sous le régime des passions. En ce sens, les inégalités naturelles ne sont ni justes ni injustes mais peuvent le devenir en fonction du bien social qu'on prend en considération ou non. Ce n'est pas la concurrence au sens de la lutte de tous contre tous qui les pousse à se renforcer raisonnablement, c'est-à-dire en maintenant un minimum le sens du bien commun, la paix, la sécurité et la liberté pour tous, car celle-ci les pousse plutôt à créer les conditions de leur propre insécurité et servitude en s'épuisant à se vaincre les uns les autres plutôt qu'à coopérer au bien commun.
Je suis tout à fait d'accord avec vous pour ne pas apprécier la dérégulation à tout va qui a plongé l'économie occidentale dans des difficultés gigantesques.
Soit on considère que c'est le peuple qui doit contrôler les conditions de sa propre existence collective, conditions économiques notamment, et donc l’État en tant qu'instrument sous le contrôle du peuple (mais pas d'une oligarchie) et alors c'est la règle relevant de la volonté générale qui fait loi ; soit on considère que certains domaines de la vie collective, comme l'économie, doivent échapper à la volonté générale et alors on est libéral et donc contre toute forme de régulation politique de l'économie. Que l'on dise aux banques ou aux entreprises côtées en bourse qu'il faut qu'elles se donnent des règles pour éviter les dérives est un pur flatus voci, car elles se donnent nécessairement déjà des règles à elles-mêmes, qu'elles considèrent à tort ou à raison comme les plus utiles pour elles, mais hors de toute considération du bien commun.
Mais je fais confiance à la Nature pour avoir de toute éternité déclenché une chaine de causes et d'effets qui permettent au monde d'aller vers une plus haute perfection
Comme cela a été signalé par Shubb-Nigurath, on est bien là dans une conception de la nature qui reste encore très marquée théologiquement par l'idée d'une providence qui disposerait nécessairement les choses, notamment les avantages et les privilèges, dans le sens du meilleur des mondes possibles. Spinoza quant à lui prouve que cette conception reste parfaitement imaginaire.